L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Qu’il faut souffrir avec patience les misères temporelles à l’exemple de Jésus-Christ

        Vois, mortel, combien tu me dois ;
        J’ai quitté le sein de mon Père,
Je me suis revêtu de toute ta misère,
J’en ai voulu subir les plus indignes lois :
Le ciel était fermé, tu n’y pouvais prétendre ;
Pour t’en ouvrir la porte il m’a plu d’en descendre,
Sans que rien m’imposât cette nécessité ;
Et, pour prendre une vie amère et douloureuse,
J’ai suivi seulement la contrainte amoureuse
        De mon immense charité.
        Mais je veux amour pour amour ;
        Je veux, mon fils, que tu contemples
Ce que je t’ai laissé de précieux exemples
Comme autant de leçons pour souffrir à ton tour ;
Que, sous l’accablement des misères humaines,
L’esprit dans les ennuis et le corps dans les gênes,
Tu tiennes toujours l’œil sur ce que j’ai souffert,
Et que, malgré l’horreur qu’en conçoit la nature,
Tu t’offres sans relâche à souffrir sans murmure,
        Ainsi que je m’y suis offert.
        Examine chaque moment
        Qu’en terre a duré ma demeure ;
Va du premier instant jusqu’à la dernière heure ;
Remonte de la fin jusqu’au commencement ;
Tiens-en toute l’image à tes yeux étendue ;
Verras-tu de mes maux la course suspendue,
De ces maux où pour toi je me suis abîmé ?
La crèche où je naquis vit mes premières larmes ;
Tous mes jours n’ont été que douleurs ou qu’alarmes,
        Et ma croix a tout consommé.
        Au manquement continuel
        Des commodités temporelles
On a joint contre moi les plaintes, les querelles,
Et tout ce que l’opprobre avait de plus cruel :
J’en ai porté la honte avec mansuétude ;
J’ai vu sans m’indigner la noire ingratitude
Payer tous mes bienfaits d’un outrageux mépris,
La fureur du blasphème attaquer mes miracles,
Et l’orgueil ignorant condamner les oracles
        Dont j’illuminais les esprits.
Il est vrai, mon Sauveur, que toute votre vie
Est de la patience un miroir éclatant,
Et qu’un si grand exemple à souffrir me convie
Tout ce qu’a le malheur de plus persécutant.
Puisque par là surtout vous sûtes satisfaire
Aux ordres que vous fit votre Père éternel,
Avec quelle raison voudrais-je m’y soustraire ?
L’innocent lui doit-il plus que le criminel ?
Il faut bien qu’à son tour le pécheur misérable
Accepte de ses maux toute la dureté,
Et soumette une vie infirme et périssable
Aux souverains décrets de votre volonté.
Il est juste, ô mon Dieu, que sans impatience
J’en porte le fardeau pour mon propre salut,
Et que de ses ennuis la triste expérience
Ne produise en mon cœur ni dégoût ni rebut.
La faiblesse attachée à notre impure masse
Trouve sa charge lourde et fâcheuse à porter ;
Mais, par l’heureux secours de votre sainte grâce,
Plus le poids en est grand, plus il fait mériter.
Votre exemple nous aide à souffrir avec joie ;
Celui de tous vos saints nous rehausse le cœur :
L’un et l’autre du ciel nous aplanit la voie ;
L’un et l’autre y soutient notre peu de vigueur.
Sous la loi de Moïse et son rude esclavage
La vie avait bien moins de quoi nous consoler ;
Le ciel toujours fermé laissait peu de passage
Par où jusque sur nous sa douceur pût couler.
Sa route était alors beaucoup plus inconnue,
Et semblait se cacher sous tant d’obscurité,
Que peu pour la trouver avaient assez de vue,
Et très peu pour la suivre assez de fermeté.
Encore ce petit nombre, en qui l’âme épurée
Avait fait sur le monde un vertueux effort,
Voyait bien dans le ciel sa place préparée ;
Mais pour s’y voir assis il fallait votre mort.
Il leur fallait attendre, après tous leurs mérites,
Que votre sang versé les rendit bienheureux,
Et vers votre justice ils n’étaient pas bien quittes,
A moins que votre amour payât encore pour eux.
Que je vous dois d’encens, que je vous dois de grâces
De m’avoir enseigné le bon et droit chemin,
Et de m’avoir frayé ces douloureuses traces
Qui mènent sur vos pas à des plaisirs sans fin !
La faveur m’est commune avec tous vos fidèles,
Qu’unit la charité sous votre aimable loi :
Recevez-en, Seigneur, des grâces éternelles ;
Je vous en rends pour eux aussi bien que pour moi.
Car enfin votre vie est cette voie unique
Où par la patience on marche jusqu’à vous :
Par là votre royaume à tous se communique ;
Par là votre couronne est exposée à tous.
Si vous n’aviez vous-même enseigné cette voie,
Si vous n’y laissiez voir l’empreinte de vos pas,
Vous offririez en vain votre couronne en proie ;
Prendrait-on un chemin qu’on ne connaîtrait pas ?
Si nous cessions d’avoir votre exemple pour guide,
Les moindres embarras nous feraient rebrousser,
Et toute notre ardeur abattue et languide
Tournerait en arrière, au lieu de s’avancer.
Hélas ! puisqu’on s’égare avec tant de lumière
Qu’épandent votre vie et vos enseignements,
Qui pourrait arriver au bout de la carrière,
Si nous étions réduits à nos aveuglements ?

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