L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Comment il faut demander le secours de Dieu

Viens à moi, mon enfant, lorsque tu n’es pas bien :
Fais-moi de ton angoisse un secret entretien ;
Dans les plus mauvais jours, quelque coup qu’elle porte
Je suis toujours ce Dieu qui console et conforte :
Mais tout ce qui retient ces consolations
Que je verse d’en haut sur les afflictions,
C’est que, bien qu’elles soient leurs remèdes uniques,
A me les demander un peu tard tu t’appliques ;
Avant que je te voie à mes pieds prosterné
M’invoquer dans les maux dont tu te sens gêné,
Tu fais de vains essais de tout ce que le monde
Promet d’amusements à ta douleur profonde,
Et cet égarement de tes vœux imprudents
Va chercher au dehors ce que j’offre au dedans.
Ainsi ce que tu fais te sert de peu de chose ;
Ainsi ce que tu fais à d’autres maux t’expose,
Jusqu’à ce qu’il souvienne à ton reste de foi
Que j’en sais garantir quiconque espère en moi,
Et qu’il n’est ni secours ailleurs qui ne leur cède,
Ni conseil fructueux, ni durable remède.
De quelques tourbillons que ton cœur soit surpris,
Après qu’ils sont passés rappelle tes esprits,
Vois ma miséricorde, et reprends dans sa vue
La première vigueur de ta force abattue :
Je suis auprès de toi tout prêt à rétablir
Tout ce que la tempête y pourrait affaiblir,
Et non pas seulement d’une égale mesure,
Mais avec abondance, avec excès d’usure,
En sorte que les biens qui te seront rendus
Servent de comble à ceux qui te semblent perdus.
D’où vient que sur ce point ta croyance vacille ?
Peux-tu rien concevoir qui me soit difficile ?
Ou ressemblé-je à ceux dont le faible soutien
Ose beaucoup promettre, et n’exécute rien ?
Qu’as-tu fait de ta foi ? que fait ton espérance ?
Montre une âme plus ferme en sa persévérance,
Sois fort, sois courageux, endure, espère, attends,
Les consolations te viendront en leur temps :
Moi-même je viendrai te retirer de peine ;
Je viendrai t’apporter ta guérison certaine.
Le trouble où je te vois n’est qu’un peu de frayeur
Qui t’accable l’esprit d’une vaine terreur ;
L’avenir inconstant fait ton inquiétude ;
Tu crains ses prompts revers et leur vicissitude :
Mais à quoi bon ces soins, qu’à te donner enfin
Tristesse sur tristesse et chagrin sur chagrin ?
Cesse d’aller si loin mendier un supplice ;
Chaque jour n’a que trop de sa propre malice ;
Chaque jour n’a que trop de son propre tourment ;
Qui se charge de plus souffre inutilement,
Et tu ne dois fonder ni déplaisirs, ni joie,
Sur ces douteux succès que l’avenir déploie,
Qui peut-être suivront ce que tu t’en promets,
Et qui peut-être aussi n’arriveront jamais.
Mais l’homme de soi-même a ces désavantages
Qu’il se laisse éblouir par de vaines images,
Et qu’il s’en fait souvent un fantôme trompeur
Qui tire tout à lui son espoir, et sa peur.
C’est la marque d’une âme encor faible et légère,
Que d’être si facile à ce qu’on lui suggère,
Et de porter soudain un pied mal affermi
Vers ce qu’à ses regards présente l’ennemi.
Cet imposteur rusé tient dans l’indifférence
S’il déçoit par la vraie ou la fausse apparence ;
Il n’importe des deux à ses illusions
Qui remplisse ton cœur de folles visions ;
Tout lui devient égal, pourvu qu’il te séduise,
Tout lui devient égal, pourvu qu’il te détruise.
Si l’amour du présent ne l’y fait parvenir,
Il y mêle aussitôt l’effroi de l’avenir ;
Sa haine en cent façons à te perdre est savante :
Mais ne te trouble point, ne prends point l’épouvante ;
Crois en moi, tiens en moi ton espoir arrêté ;
Prends confiance entière en ma haute bonté ;
Oppose-la sans crainte aux traits qu’il te décoche.
Quand ta me crois bien loin, souvent j’en suis bien proche ;
Souvent, quand ta langueur présume tout perdu,
C’est lorsque ton soupir est le mieux entendu,
Et tu touches l’instant dont tu me sollicites,
Qui te doit avancer à de plus grands mérites.
Non, tout n’est pas perdu pour quelque contretemps,
Pour quelque effet contraire à ce que tu prétends ;
Tu n’en dois pas juger suivant ce qu’en présume
Le premier sentiment d’une telle amertume,
Ni, de quelque côté que viennent tes malheurs,
Toi-même aveuglément t’obstiner aux douleurs,
Comme si d’en sortir toute espérance éteinte
Abandonnait ton âme à leur mortelle atteinte.
Ne te répute pas tout à fait délaissé,
Bien que pour quelque temps je t’y laisse enfoncé,
Bien que pour quelque temps tu sentes retirées
Ces consolations de toi si désirées ;
Ainsi ta fermeté s’éprouve beaucoup mieux,
Et c’est ainsi qu’on passe au royaume des cieux :
Le chemin est plus sûr, plus il est difficile ;
Et pour quiconque m’aime, il est bien plus utile
Qu’il se voie exercé par quelques déplaisirs,
Que si l’effet partout secondait ses désirs.
Je lis du haut du ciel jusque dans ta pensée ;
Je vois jusqu’à quel point ton âme est oppressée,
Et juge avantageux qu’elle soit quelquefois
Sans aucune douleur au milieu de ses croix,
De peur qu’un bon succès ne t’enfle et ne t’enlève
Jusqu’à t’attribuer ce que ma main achève,
Jusqu’à te plaire trop en ce qu’il a d’appas,
Et prendre quelque gloire en ce que tu n’es pas.
Quelque grâce sur toi qu’il m’ait plu de répandre,
Je puis, quand il me plaît, te l’ôter et la rendre.
Quelques dons que j’accorde à tes plus doux souhaits,
Ils sont encore à moi quand je te les ai faits ;
Je te donne du mien quand ce bonheur t’arrive,
Et ne prends point du tien alors que je t’en prive.
Ces biens, ces mêmes biens, après t’être donnés,
Font part de mes trésors dont ils sont émanés,
Et, leur perfection tirant de moi son être,
Quand je t’en fais jouir, j’en suis encor le maître.
Tout est à moi, mon fils, tout vient, tout part de moi ;
Reçois tout de ma main sans chagrin, sans effroi ;
Si je te fais traîner un destin misérable,
Si je te fais languir sous l’ennui qui t’accable,
Ne perds sous ce fardeau patience, ni cœur :
Je puis en un moment ranimer ta langueur ;
Je puis mettre une borne aux maux que je t’envoie,
Et changer tout leur poids en des sujets de joie :
Mais je suis toujours juste en te traitant ainsi,
Toujours digne de gloire, et j’en attends aussi ;
Et, soit que je t’élève ou que je te ravale,
Je veux d’un sort divers une louange égale.
Si tu peux bien juger de ma sévérité,
Si tu peux sans nuage en voir la vérité,
Les coups les plus perçants d’une longue infortune
N’auront rien qui t’abatte, et rien qui t’importune :
Loin de t’en attrister, de meilleurs sentiments
Ne t’y feront voir lieu que de remerciements,
Ne t’y feront voir lieu que de pleine allégresse ;
Dans cette dureté tu verras ma tendresse,
Et réduiras ta joie à cet unique point,
Que ma faveur t’afflige et ne m’épargne point.
Tel que jadis pour moi fut l’amour de mon Père,
Tel est encor le mien pour qui cherche à me plaire,
Et tel était celui qu’autrefois je promis
A ce troupeau choisi de mes plus chers amis :
Cependant, tu le sais, je les livrai sur terre
Aux cruelles fureurs d’une implacable guerre,
A d’éternels combats, à d’éternels dangers,
Et non pas aux douceurs des plaisirs passagers ;
Je les envoyai tous au mépris, à l’injure,
Et non à ces honneurs qui flattent la nature,
Non à l’oisiveté, mais à de longs travaux ;
Et je les plongeai tous dans ces gouffres de maux,
Afin que leur amère et rude expérience
Les enrichit des fruits que fait la patience.
Souviens-toi donc, mon fils, de ces instructions
Sitôt que tu te vois dans les afflictions.

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