L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Qu’il ne faut point fonder sa paix sur les hommes, mais sur Dieu, et s’anéantir en soi-même

        Si la douceur de vivre ensemble,
        D’avoir les mêmes sentiments,
Te fait de ton repos asseoir les fondements
Sur ceux de qui l’humeur à la tienne ressemble,
Quelque sûr que tu sois de leur fidélité,
        Toute cette tranquillité,
Que tes yeux éblouis trouvent si bien fondée,
        Ne sera qu’une vaine idée
Que suivront l’embarras et l’instabilité.
        Mais si ton zèle invariable
        Réunit ses désirs flottants
A cette vérité qui parmi tous les temps
Demeure toujours vive et toujours immuable ;
Qu’un ami parte ou meure, ou que son cœur léger
        Ose même te négliger,
Ni son triste départ, ni sa perte imprévue,
        Ni même son change à ta vue,
N’auront rien dont jamais tu daignes t’affliger.
        En moi seul doit être établie
        Cette sincère affection,
Qui, n’ayant pour objet que la perfection,
Par aucun changement ne peut être affaiblie.
Tous ceux que leur bonté donne lieu d’estimer,
        Et chez qui tu vois s’enflammer
Et l’amour des vertus, et la haine des vices,
        Je veux bien que tu les chérisses,
Mais ce n’est qu’en moi seul que tu les dois aimer.
        L’amitié la plus assurée
        Tient de moi toute sa valeur :
Tu n’en peux voir sans moi qu’une fausse couleur
Qui n’est ni d’aucun prix ni d’aucune durée ;
Son ardeur n’a jamais aucuns louables feux
        Que soumis à ce que je veux ;
Et tu ne saurais voir dans toute la nature
        D’union bien solide et pure,
Si de ma propre main je n’en ai fait les nœuds.
        Ces vrais amis que je te donne,
        Ces unions que je te fais,
Doivent me résigner si bien tous tes souhaits,
Que tu sois mort à tout sitôt que je l’ordonne.
Je veux avoir ton cœur tout entier en ma main,
        Par un détachement si plein,
Qu’autant qu’il est en toi ta sainte inquiétude
        Aspire à cette solitude
Qui te doit retrancher de tout commerce humain.
        Quiconque me choisit pour maître,
        Et ne cherche qu’à me gagner,
M’approche d’autant plus qu’il sait mieux s’éloigner
Des consolations que les hommes font naître ;.
Plus dans leur folle estime il se trouve compris.
        Plus il ravale de son prix ;
Et va d’autant plus haut vers ma grandeur suprême,
        Qu’il descend plus bas en lui-même,
Et se tient abîmé dans le propre mépris.
        Mais une âme présomptueuse
        Qui s’ose imputer quelque bien
Se refuse à ma grâce, et ne se porte à rien
Où toute sa chaleur ne soit infructueuse ;
Elle ferme la porte à ma bénignité
        Par son aveugle vanité,
Puisque du Saint-Esprit les faveurs prévenantes,
        Les entières, les triomphantes,
N’entrent jamais au cœur que par l’humilité.
        Homme, si tu pouvais apprendre
        L’art de te bien anéantir,
De bien purger ce cœur, d’en bien faire sortir
Ce que l’amour terrestre y peut jeter de tendre ;
Si tu savais, mon fils, pratiquer ce grand art,
        Tu verrais bientôt de ma part
S’épandre au fond du tien l’abondance des grâces,
        Et tes actions les plus basses
Sauraient jusqu’à mon trône élever ton regard.
        Une affection mal conçue
        Dérobe tout l’aspect des cieux ;
Et, quand la créature a détourné tes yeux,
Tu perds tout aussitôt le Créateur de vue.
Sache te vaincre en tout, et partout te dompter,
        Sache pour lui tout surmonter,
Bannis tout autre amour, coupe-s-en les racines,
        Et les connaissances divines
A leurs plus hauts degrés te laisseront monter.
        Ne dis point que c’est peu de chose,
        Ne dis point que c’est moins que rien
A qui ton âme prête un moment d’entretien,
Sur qui par échappée un coup d’œil se repose ;
Ce peu, ce moins que rien, quand son amusement
        Attire trop d’empressement,
Quand trop de complaisance à ce coup d’œil s’attache,
        Imprime aux vertus une tache,
Et retarde l’esprit du haut avancement.

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