L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Qu’il faut nous appliquer aux actions extérieures et ravalées, quand nous ne pouvons nous élever aux plus hautes

Lorsque tu sens, mon fils, ton âme inquiétée
De voir tes bons désirs lâchement rabattus,
Apprends que la ferveur qu’allument les vertus
        N’est pas toujours de ta portée :
Tu ne peux pas toujours soutenir à ton gré
La contemplation dans le plus haut degré ;
C’est en dépit de toi qu’ainsi tu te ravales ;
Et le honteux besoin que l’esprit a du corps,
Lui donnant malgré lui des heures inégales,
Malgré lui le rejette aux œuvres du dehors.
Telle est l’impression que fait ton origine
Sur la plus digne ardeur dont tu sois emporté,
Tel est le sang impur et le suc infecté
        Que tu tires de ta racine :
Tu vois avec dégoût et souffres à regret
L’importune langueur et le fardeau secret
Dont t’accable une vie infirme et corruptible ;
Il le faut toutefois, et ton malheur est tel,
Que ce dégoût de l’âme y devient invincible
Tant que pour sa prison elle a ce corps mortel.
Gémis donc, et souvent, sous le poids que t’impose
Une chair qui te lie à son être imparfait,
Gémis des rudes lois que cette chair te fait ;
        Gémis des maux qu’elle te cause ;
Gémis de ne pouvoir avec un plein effort
Attacher ton étude à ce divin transport
Qui dégage l’esprit de toute la matière ;
Gémis de n’avoir pas assez de fermeté
Pour me donner sans cesse une âme tout entière,
Et sans relâche aucune admirer ma bonté.
Ne dédaigne pas lors ces actions plus basses
Où le corps s’exerçant l’âme en a tout le fruit,
Ces emplois du dehors où tu te sens conduit
        Par un doux reste de mes grâces.
Attends en patience, attends l’heureux retour
Qui, du plus haut du ciel rappelant mon amour,
Reportera chez toi les biens de ma visite ;
Et ne murmure point de cette aridité
Qui, saisissant ton cœur sitôt que je le quitte,
Le tient comme en exil dans son infirmité.
Il est mille actions pour cette mauvaise heure
Qui peuvent adoucir et tromper ton chagrin,
Attendant que je vienne et qu’il me plaise enfin
        Rétablir chez toi ma demeure.
Je viendrai t’affranchir de tes anxiétés,
Et de tant de travaux pour mon nom supportés
Une solide joie éteindra la mémoire ;
Je me conformerai moi-même à tes souhaits,
Et te ferai goûter, pour essai de ma gloire,
Le calme intérieur d’une céleste paix.
J’ouvrirai devant toi le pré des Écritures,
Afin qu’à cœur ouvert tes saints ravissements
Y courent le sentier de mes commandements
        Avec des intentions pures :
Alors, perçant de l’œil toute l’éternité,
Pour voir de ton bonheur la haute immensité,
Tu t’écriras soudain : Ah ! qu’il est ineffable !
Seigneur, quelques tourments qu’il nous faille sentir,
Tout ce qu’on souffre ici n’a rien de comparable
A la gloire qu’un jour tu dois nous départir.

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