Théologie Systématique – IV. De l’Église

2. Esquisse d’une symbolique

Se tenir scrupuleusement au point de vue et dans l’esprit de l’Évangile. — Pour juger entre le Catholicisme et le Protestantisme, on pourrait partir de la base théologique (l’Église et la Bible) ou du point de vue interne (justification). — Montrer en quoi le Catholicisme s’écarte du dogme, de la morale, du culte évangéliques (en particulier sous sa forme esthétique). — Procéder de même vis-à-vis du Protestantisme. — Rechercher s’il est fidèle ou infidèle à ses deux grands principes constitutifs (autorité de l’Ecriture et justification par la foi). — Etudier et classer les diverses branches de la Réformation d’après leurs symboles, leurs systèmes, leurs tendances. — Rechercher le principe supérieur autour duquel peut et doit se faire l’unité protestante. — Œuvre difficile, mais obligatoire.

Dans les études comparées sur les différentes églises, on n’a malheureusement fait jusqu’ici que de la polémique. Aussi, parmi la multitude de livres qu’a produits la controverse, et dont plusieurs sont pleins de savoir et de talent, a-t-on à désirer encore un ouvrage exact, indépendant, impartial, complet. Il y a là un important travail à exécuter. Mais il faudrait s’y garder soigneusement de ces vues étroites et passionnées, de ces jugements injustes, de ces expressions amères, de ces imputations exagérées et souvent calomnieuses, qui semblent être le caractère et le châtiment des discussions théologiques ; il faudrait suivre avec une scrupuleuse fidélité, dans cet examen comparatif des doctrines et des églises, le beau précepte de saint Paul : ἀληθεύοντες ἐν άγὰπη, (Éphésiens 4.15) ; il faudrait se placer, non au point de vue particulier de sa propre communion, mais au point de vue libre et élevé du Nouveau Testament. Or, c’est précisément l’inverse qui a lieu presque toujours. Chacun, posant son symbole ou son système comme l’expression de la saine doctrine, ne s’occupe que d’en faire ressortir la face évangélique et d’en masquer les défectuosités et les lacunes, tandis qu’il ne relève dans les autres symboles ou dans les autres systèmes que les points attaquables, grossissant le mal et niant le bien, ou l’amoindrissant autant qu’il peut ; de telle sorte que tout soit vérité et pureté d’une part, erreur et corruption de l’autre. Evidemment cette méthode ne saurait aboutir qu’à des luttes à la fois stériles et irritantes, où la vérité et la charité sont sacrifiées à l’esprit de parti, et dont l’effet nécessaire est d’éterniser les divisions. Le christianisme théorique n’y gagne rien, et le christianisme pratique y perd beaucoup. Il importe souverainement que des procédés plus larges, et par cela même plus équitables, président enfin à ces jugements réciproques.

Ainsi pour le Catholicisme, avec lequel nous avons principalement à faire, tout en montrant en quoi il s’écarte, dans ses principes ou dans ses rites, du dogme, de la morale, du culte évangélique (c’est-à-dire de la pure idée chrétienne), on ne doit pas méconnaître ce qu’il existe nécessairement de vrai, de bon, de saint dans une Église qui produit des œuvres si admirables, qui a nourri les Xavier, les Fénelon, les Vincent de Paul, etc. ; qui inspire tant d’abnégation et de dévouement, et dont les aberrations elles-mêmes portent quelquefois une empreinte étonnante de foi et d’humilité autant que de ferveur et de soumission. On ne saurait être juste et impartial qu’en se défaisant avant tout de ces préventions extrêmes, nées d’une lutte de trois siècles, de l’opposition des formes et des tendances et de l’habitude de ne se considérer mutuellement qu’à distance et par les côtés les moins favorables. Les deux communions diffèrent tellement au dehors, la direction qu’elles impriment, les moyens qu’elles emploient, leurs principes généraux, leur enseignement, leur culte sont à tant d’égards si divers ou même si contraires, qu’elles semblent presque ne pas pouvoir se comprendre l’une l’autre. C’est un fait qui nous frappe fréquemment dans les jugements des catholiques les plus éclairés et les plus sincères au sujet du Protestantisme, dont ils pervertissent si étrangement le caractère et le principe fondamental de même que les doctrines particulières. Mais ils nous accusent, à leur tour, d’une injustice ou d’une erreur semblable, et il est fort à craindre qu’ils n’aient aussi raison de leur côté, au moins à quelques égards. Le premier devoir serait donc de se débarrasser des préjugés d’éducation, de percer ces nuages et ces enveloppes pour arriver en quelque sorte au cœur du Catholicisme et saisir de là sa vraie conception de l’Évangile. On trouverait qu’il y a là comme deux religions, résultant, l’une des opinions et des pratiques traditionnelles, l’autre des points fondamentaux du Christianisme, que cette Église a toujours maintenus ; éléments hétérogènes qui, dans leurs combinaisons diverses, produisent des doctrines ou des tendances très distinctes, suivant que le premier ou le second domine ; de là vient que si le Catholicisme jette dans de grands écarts et dans de tristes superstitions, il peut aussi développer à un haut degré la vie et les vertus chrétiennes. Plusieurs de ses livres d’édification et de piété respirent l’esprit évangélique le plus élevé et le plus pur ; peut-être même ont-ils, à certains égards, à côté de leurs erreurs confessionnelles, quelque chose de plus complet que les nôtres dans l’exposition du caractère chrétien comme dans les moyens de le former. J’ai spécialement en vue son principe d’abnégation et ses règles d’ascétique. Il y a là certainement bien des excès et des défauts ; mais il y a aussi la culture d’une disposition profondément chrétienne. Le renoncement est le premier pas dans la voie évangélique. Sans détachement, pas de dévouement.

Quoi qu’il en soit du reste de cet aperçu, revenons au travail que nous indiquions, simplement pour donner une idée de ce que nous pensons qu’il devrait être. — Dans cette étude critique, dans cet examen comparatif du Protestantisme et du Catholicisme, on pourrait, pour avoir un principe général autour duquel tout vint se systématiser ou, du moins, se coordonner, partir soit de la base théologique : l’Église d’un côté, et de l’autre la Bible, (point de vue extérieur d’où l’on atteint toutes les questions, dogmatiques, morales, disciplinaires), soit de la justification, (point de vue interne, doctrine centrale sur laquelle s’est opérée la séparation). C’est de là que les Réformateurs battirent en brèche l’édifice entier des croyances et des pratiques romaines. De ces deux positions, on peut embrasser les deux systèmes et les juger dans leur antagonisme. Mais nous devons nous borner ici à quelques indications.

Sur le premier chef, le dogme, il y aurait d’abord à démêler les doctrines traditionnelles des doctrines bibliques ; ensuite, à établir dans quelle proportion elles s’unissent dans le système commun ; et à montrer, enfin, jusqu’à quel point les premières peuvent défigurer ou dénaturer les secondes. Ainsi, pour le fait fondamental du Christianisme, la rédemption par le sang de Christ, le Catholicisme l’a toujours fermement retenu et hautement proclamé ; il a fait de la croix son étendard et son symbole. Mais, en même temps, il porte de graves atteintes à ce dogme si capital : 1° en confondant la justification avec la sanctification, ce qui le conduit, dans la théorie et plus encore dans la pratique, à mettre l’œuvre de l’homme à côté, si ce n’est au-dessus de l’œuvre de Dieu, et à altérer ainsi profondément le grand principe du salut par la foi ou par grâce, qui fait l’essence de l’Évangile ; 2° en plaçant auprès de Jésus-Christ des médiateurs et des intercesseurs secondaires, vers lesquels il dirige les regards et la confiance des peuples, exposant les âmes à négliger le seul Nom, dans le Ciel et sur la terre, par lequel il nous faille être sauvés et à se détourner de l’unique source des miséricordes.

Un autre trait, qui touche de très près à celui-là, c’est le caractère sacerdotal du christianisme romain. L’Église ou le clergé y est l’intermédiaire entre le peuple et Dieu, de même que les sacrements y sont le canal de la grâce, tandis que l’Évangile, ayant déchiré le voile qui fermait le Sanctuaire à tout autre que le Grand prêtre, ouvre devant tous un libre accès au Trône des miséricordes, et établit des communications directes et immédiates entre les croyants et leur Sauveur, les faisant tous sacrificateurs et rois ».

Dans l’exposé général des altérations que le système romain fait subir au dogme évangélique, il conviendrait d’insister sur ces points, qui intéressent si profondément la doctrine de la grâce et de la vie, et auxquels il serait facile, je le crois, de rattacher tous les autres. Mais, encore une fois, il importerait de s’y garder de ces exagérations communes, où l’on semble oublier que le Catholicisme pose en principe le mérite du Christ et le salut par son nom seul. Il est de fait, et personne ne peut le contester ni l’ignorer, qu’il établit la rédemption pour fondement et pour centre du Christianisme ; il y appuie la morale comme la doctrine, il en tire la sanctification aussi bien que le pardon, il y rattache les pratiques les plus solennelles de son culte. L’humanité pourra se régénérer, dit M. Mareta, dans le sang du nouvel Adam. L’homme comprendra qu’il est pardonné parce qu’il est aimé : aimé, il aimera à son tour ; l’image divine se rétablira au fond de son âme. Par Jésus-Christ, l’homme rentrera dans la possession de la vérité et de la charité, il pourra de nouveau s’unir à Dieu. Uni à Dieu, il jouira de la lumière et de la liberté véritable, etc. » Voilà bien l’idée protestante, l’idée chrétienne, et l’on pourrait la trouver plus formelle encore dans d’autres auteurs catholiques. « Je déclare en présence de Celui aux regards de qui rien n’est caché, dit Sylvestre de Sacy dans son testament, que j’ai toujours vécu dans la foi de l’Église catholique, et que si ma conduite n’a pas toujours été, ainsi que j’en fais l’humble aveu, conforme aux règles saintes que cette foi m’imposait, ces fautes n’ont jamais été chez moi le résultat d’aucun doute sur la vérité de la religion chrétienne et sur la divinité de son origine. J’espère fermement qu’elles me seront pardonnées par la miséricorde du Père céleste, en vertu du sacrifice de Jésus-Christ, mon Sauveur, ne mettant ma confiance en aucun mérite qui me soit propre et personnel, et reconnaissant du fond du cœur que je ne suis par moi-même que faiblesse, misère et indigenceb. » Voilà bien une profession de foi protestantec.

aEssai sur le Panthéisme.

b – Voyez son éloge prononcé par M. de Broglie à la Chambre des Pairs.

c – Nous avons eu d’autres exemples semblables, comme on eut au xviie siècle celui des premiers et grands Jansénistes.

Il faut toujours se souvenir, dans la controverse comme ailleurs, que l’Église romaine retient, et retient fortement, tous les points fondamentaux du Christianisme. Seulement elle y ajoute, et les altère en y ajoutant. Le point réel de la discussion entre elle et nous est dans ces additions qu’elle fait à l’Ecriture et dans la funeste influence qu’elles exercent sur la foi et la vie chrétienne. Sans doute, elle tombe aisément dans la doctrine du salut par les œuvres, ou même par les observances cérémonielles, et va jusqu’à compromettre complètement les grands principes de la justification et de la régénération. Mais c’est l’écueil de son dogme, plutôt que son dogme même ; comme chez nous l’écueil du Calvinisme rigide est l’antinomisme et celui de l’Arminianisme prononcé, le pélagianisme. Cela tient à la difficulté de concilier les deux grands éléments bibliques : la grâce et l’obligation morale, la justification par la foi et l’absolue nécessité de la sanctification, l’Évangile et la loi, la vie éternelle, don et récompense tout ensemble. Ce qu’il y a à faire vis-à-vis du Symbole catholique comme de tout autre, c’est d’analyser les divers éléments dont il se compose, d’en apprécier la valeur, de montrer comment ils s’allient et se combinent, de caractériser la tendance ou la direction religieuse qui en sort, et de déterminer en quoi, pris dans son ensemble, il est conforme ou contraire aux Ecritures. Mais, pour être juste et réellement utile il faut d’abord être exact, répétons-le. Ne présenter qu’une face des choses, exagérer ici l’erreur et le mal, là la vérité et le bien, avoir un parti pris avant tout examen et ne chercher qu’à rester vainqueur, est indigne de la sainte cause de l’Évangile.

Dans les points mêmes où le Catholicisme s’écarte le plus de l’Évangile, où il semble jeter dans des voies diamétralement opposées à celle de la vérité et de la grâce, le principe, l’élément chrétien reste toujours au fond ; il peut être saisi, et il l’est fréquemment par les âmes bien disposées. Or, c’est ce que méconnaissent la plupart de nos controversistes. Sur la doctrine de la justification, par exemple, nous soutenons d’ordinaire qu’il enseigne le salut par les œuvres et même par les œuvres extérieures, qu’il anéantit la croix de Christ, qu’il met absolument le mérite de l’homme à la place du don de Dieu, etc., etc. Et, à ne prendre que certains traits de son enseignement, certains de ses livres, certaines de ses pratiques et de ses croyances, ce jugement paraît pleinement légitime. Il ne l’est pas cependant. Aussi, ses théologiens les plus distingués nous accusent-ils de dénaturer la vraie doctrine pour la combattre plus aisément. — Sur l’invocation et l’intercession des Saints, lisez les explications des docteurs, arrêtez-vous aux décisions formelles de Trente, qui seules font autorité, vous verrez cette doctrine se dépouiller de ces caractères de semi-polythéisme sous lesquels elle nous apparaît, et se réduire à un fonds d’idées que vous rejetterez moins pour ses erreurs que pour ses périls. Il faut toujours distinguer le dogme proprement dit, le dogme consacré ou sanctionné, de ses interprétations théologiques et de ses applications pratiques. Il faut aussi le prendre tel que le pose l’Église, et non tel que nous le concevons ; autrement, l’on nous accusera avec raison de nous attaquer à notre idée propre plus qu’à la sienne. Il en serait alors de notre critique comme de celle des catholiques, quand ils répètent, depuis trois siècles, et de la meilleure foi du monde ce semble, que le Protestantisme annule la moralité au profit de la religiosité.

Sur le deuxième chef, la morale, on aurait à juger la direction que le Catholicisme imprime aux âmes par cette soumission implicite qu’il exige pour la voix de l’Église, et conséquemment pour la parole du prêtred, — la tendance des observances cérémonielles et pénales qu’il prescrit, — l’effet de sa distinction des péchés en « véniels » et « mortels », des commandements en « préceptes » et « conseils », et de la route du salut en « voie commune » et « voie de perfection », — ainsi que les résultats naturels de certaines de ses croyances et de ses pratiques, telles que le Purgatoire, la confession, l’absolution.

d – Disposition portée à son dernier degré dans les Ordres monastiques : (outil de saint Benoît, — bâton et cadavre de saint Ignace).

Sur le troisième chef, le culte, il serait aisé de prouver que le Catholicisme s’est éloigné de la simplicité, de la pureté, de la spiritualité évangéliques par la multitude de ses rites, par l’adoration de la Vierge, des saints, de la croix, des images, des reliques, par les pratiques qu’il impose et par le prix qu’il y attache ; en reconnaissant toutefois qu’il a su conserver, mieux que nous peut-être, ce caractère essentiel au service divin, cette puissance secrète et ineffable qui tient à la prière, aux chants sacrés, aux solennités religieuses, et qui atteint jusqu’aux profondeurs de l’âme, au lieu de ne frapper que la seule intelligence. A cet égard, et probablement à d’autres encore, l’opposition nous a jetés dans l’extrême, et notre culte a fini par n’être guère qu’un enseignement. On aurait aussi, dans cet article, à juger la doctrine que les sacrements confèrent la grâce par eux-mêmes, (opere operato), et que leur efficacité dépend non seulement de la disposition de celui qui y participe, mais de l’intention de celui qui les administre.

Ce serait là un ouvrage d’une exécution difficile sans doute, mais plein d’intérêt et d’utilité. On trouverait sous l’idée catholique générale bien des doctrines et des tendances particulières, qu’il serait bon de signaler. Ainsi, le catholicisme de l’Italie et de l’Espagne diffère à beaucoup d’égards, pour le fond comme pour la forme, pour les croyances comme pour les rites, de celui de la France et de l’Allemagne. A part ces différences de peuple à peuple, il en est d’autres qui tiennent à des causes intérieures et plus profondes ; ainsi le Molinisme et le Jansénisme, le formalisme et le mysticisme, la tendance biblique et la tendance traditionnelle ou populaire ont toujours lutté plus ou moins au sein de cette Église, de même que ses divers Ordres monastiques, qui ont tous leur caractère et leur esprit propre, leur conception et leur réalisation particulière du christianisme romain et qui se nommèrent, non sans raison, dans le principe, des religions. Il y a lieu d’admirer l’habileté avec laquelle le Catholicisme a su allier le support de tant de divergences avec le maintien de son unité.

Une des formes du Catholicisme qu’il importe le plus d’étudier aujourd’hui, c’est sa forme esthétique, si hautement célébrée depuis Chateaubriand. Là, tout se matérialise en quelque manière dans le Christianisme, dogme, morale, culte. En tout, ce qu’on cherche de préférence c’est ce qui frappe l’imagination plus que ce qui réveille la conscience et épure le cœur ; ce sont les émotions que réclame une sorte de sensualisme religieux plus que les effets de la grâce qui régénère ; il semble que l’Évangile nous soit donné pour faire de nous des poètes, des artistes, bien plus que des chrétiens. De là, une disposition singulière à faire ressortir dans la doctrine elle-même des rapports, des contrastes, des harmonies, plutôt que la vérité ; de là surtout, le réveil de toutes les tendances superstitieuses du Moyen Age, la restauration de ce que nous nommons « le catholicisme traditionnel ». Si vous prenez « l’Exposition du dogme catholique », par de Génoudee, vous y trouverez, d’un bout à l’autre, un tout autre caractère que celui que fait attendre naturellement un pareil titre, et que présente le livre de Bossuet que ce titre rappellef. Partout, chez le rédacteur de la Gazette de France, des assertions, des hypothèses, des suppositions, des idées hasardées, des vues et des phrases à effet, partout des traits, etc., à la place d’une exposition réelle, d’une discussion sérieuse et solide ; partout le romantisme, qui substitue l’ombre de la vérité et de la piété à la vérité et à la piété elles-mêmes.

e – Paris, 1840.

f – C’est que Bossuet avait devant lui le protestantisme sévère du xviie siècle et que M. de Génoude s’adresse à une école éprise d’une vague religiosité.

Ainsi, ce qu’on exalte comme les signes de la foi en Italie, ce sont les croix, les statues, les temples, etc. ; c’est là ce qui fait la grandeur de Rome et montre à l’œil l’empire du Christianisme sur les peuples. Pas le moindre mot de la conversion, ni de la vie chrétienne proprement dite.

Ainsi, ce qu’on admire, c’est, par exemple, qu’une dame, arrivée en équipage, monte à genoux la Scala santa (escalier prétendu du prétoire).

Ainsi, on divinise les Saints. On représente saint Pierre comme l’auteur de l’établissement et de l’accroissement de l’Église. « Qui aurait dit aux rois de Rome sur l’Aventin, à la république au Capitule et aux empereurs sur le Palatin, qu’un jour un batelier sans armes, sans éloquence, soumettrait Rome, qui avait vaincu Brennus, etc., etc., parce qu’il demandait à être crucifié la tête en bas !… Pierre est donc le vainqueur des vainqueurs de la terre… »g.

g – Avant-propos, p. xxii

Mais c’est surtout la Vierge qui est l’objet de cette conception du Christianisme, ou de cette poésie dite religieuse. On célèbre la Vierge sortant d’une corbeille de roses, portant une auréole d’or et d’argent autour de sa tête, ayant à ses pieds l’univers et le serpenth. » — Elle a la science de son Fils, la science de Dieu même. — Le salut du monde a dépendu d’elle. — Le Fils et la Mère offrent à Dieu un même holocauste pour les pécheurs. — Associée à l’amour fécond du Père, à la mort vivifiante du Fils, elle nous a enfantés dans le sang de Jésus-Christ. — Elle partage la gloire divine, car elle est la fille, la mère, l’épouse de Dieui. — Elle est le complément de la Trinité. — Comme au nom de son Fils, tout fléchit à son nom sur la terre, dans les cieux, aux enfers. — Les mérites du Fils obtiennent tout du Père, les mérites de la Mère obtiennent tout du Fils. — Marie, épouse du Saint-Esprit, élève tous les hommes dans son assomption. — Par elle, le Saint-Esprit produit la vie, la grâce et la gloire. — On cite avec éloge ces vers inscrits au- dessous de la Madone de Savone :

h – Eglise de l’Annunciata, à Gênes

i – Etranges expressions !

In mare irato, in subita procella
Invoco te, nostra benigna Stella.

Est-il possible de pousser plus loin la divinisation de la créature ?

Cet ouvrage a été approuvé à Rome. Il y a là évidemment de terribles aberrations, des altérations profondes du pur Christianismej.

j – Cette dogmatique nouvelle est bien inférieure à celle du xviie siècle, celle des Bossuet, des Bourdaloue, des Massillon, des Fenelon, etc.

Cette forme expose à de redoutables attaques, car, que l’incrédule exerce aussi son imagination sur les mystères chrétiens, que deviendront-ils ? qu’on revienne, d’un autre coté, du point de vue esthétique au point de vue rationnel, au point de vue vraiment religieux et moral, et les arguments se transformeront en objections.

Du reste, le Catholicisme est entré dans cette voie par l’effet même de son habileté à exploiter en sa faveur les tendances vives de chaque siècle ; et la tendance esthétique ou romantique a dominé depuis bien des années la littérature.

Il va sans dire qu’il faudrait surtout tenir compte dans l’appréciation du Catholicisme, des diverses formes qu’il revêt selon les temps et les lieux, en montrant comment elles sortent de son principe.

Le point le plus vif de la controverse entre les deux cultes est peut-être aujourd’hui celui de leur influence sociale. Mais quelque importante que soit cette question, elle n’est que secondaire. Il faut s’attacher surtout à celle que posent l’Évangile et la conscience : Que faire pour avoir la vie ?

On devrait procéder de la même manière vis-à-vis du Protestantisme qui, dans son opposition avec le Catholicisme et dans son esprit primitif, est le relèvement de la grande doctrine de la grâce. Ce fut là son objet direct et formel, son caractère constitutif au xvie siècle ; s’il s’en est écarté pendant un temps, il y revient de nouveau, et il ne pouvait pas ne pas y revenir sans se renier lui-même. Son principe fondamental positif (matériel) est le dogme du salut par le seul nom de Christ, et de la justification par la foi ; comme son principe fondamental négatif (formel) est le rejet de toute autre autorité, de toute autre règle que la Bible. Là est sa gloire et sa force ; mais aussi là est son péril ; car s’il formule son principe positif d’une manière trop absolue, il peut aller jusqu’à nier la coopération de l’homme, et par conséquent sa responsabilité ; et alors il compromet une des grandes données de la conscience et de la Bible pour exalter l’autre, il élève le côté religieux du Christianisme, la rédemption, aux dépens du côté moral. De même, s’il pose trop exclusivement son principe négatif, il peut arriver à anéantir l’unité par la fidélité, à faire autant d’églises que de dogmatiques, et à introniser un séparatisme sans règle et sans bornes (Littéralisme biblique, en Angleterre et aux Etats-Unis. — Lardonistes de Lausanne, qui allaient jusqu’à ne vouloir célébrer le culte que dans une chambre-haute).

Quant aux rapports de ressemblance et de différence entre les diverses branches de la Réformation, il aurait suffi autrefois, pour les faire ressortir, de l’étude comparative des symboles ecclésiastiques, parce que ces symboles régnaient véritablement. Aujourd’hui, il importerait beaucoup plus de s’attacher aux systèmes et aux tendances religieuses qui en découlent. — Il faudrait dégager le principe générateur de chacun de ces systèmes, constater la manière dont il groupe et met en jeu les divers éléments du Christianisme, soit théorique soit pratique, et déterminer quels sont ceux qu’il exagère ou qu’il néglige, qu’il fait dominer outre mesure ou qu’il relègue trop dans l’ombre. — Les systèmes théologiques pourraient de nos jours se diviser en deux grandes classes, selon qu’ils reposent sur la méthode positive (biblique, en Angleterre) ou sur la méthode rationnelle (philosophique, en Allemagne). Les systèmes de chacune de ces deux classes pourraient se subdiviser ensuite sous les trois dénominations de calvinisme, d’arminianisme, de socinianisme (unitaire et rationaliste), en prenant ces mots dans la large acception qu’ils ont reçue en ces derniers temps.

Quoiqu’il convînt de s’occuper des systèmes plus que des églises, parce que les églises protestantes ont généralement perdu leur individualité avec leur ancienne constitution, la caractéristique de quelques communions particulières qui ont une physionomie prononcée, (les Quakers, par exemple, les Moraves, les Wesleyens), serait intéressante et instructive. On verrait chacune d’elles mettre en relief quelque face spéciale de la doctrine et de la vie chrétienne, en présentant toutes un fonds commun. Il résulterait de là plus de support et de respect mutuel ; on entreverrait, à travers les divergences, un principe identique et supérieur, qui peut relier en un seul faisceau toutes les fractions du Protestantisme évangélique, à l’exception du socinianisme extrême et du rationalisme absolu, qui sont décidément infidèles au principe protestant. L’habitude de regarder à ce qui rapproche autant qu’à ce qui éloigne, et de traiter l’erreur comme une maladie plutôt que comme un crime, développerait un esprit de paix, de concorde, d’humble et douce tolérance, où la vérité et la charité gagneraient également. Nous ne saurions trop hâter de nos vœux et de nos efforts le temps où la polémique sera ainsi remplacée par la « Symbolique »k. Note postérieurel : — Œuvre difficile, mais qui devient obligatoire dans la crise où nous nous trouvons de nouveau. Le courant du xixe siècle pose la même question suprême qu’avait posée le courant du xviiie. Elle n’est plus, comme dans les époques organiques, entre les diverses formes ou les diverses directions de la foi, elle est entre la foi et l’incrédulité. Pour le christianisme évangélique, pour le christianisme surnaturel et réel, il s’agit d’être ou de n’être pas. Des deux maximes du Seigneur : « Celui qui n’assemble pas avec moi disperse » et « Celui qui n est pas contre nous est pour nous », chacune vraie à sa place, c’est à la dernière que nous devons regarder pardessus tout.

k – La « Symbolique » de Winer est une nomenclature ; celle de Mœhler n’est que de la polémique.

l – Probablement contemporaine de la broch. de P. F. Jalaguier : Du principe chrétien, etc. (Toulouse, 1853.) (Edit.)

Au fait, l’état actuel des choses place devant nous trois directions générales : le Catholicisme, le Protestantisme, et ce que nous nommerons « rationalisme », c’est-à-dire ce qui relève du principe d’autonomie, quelque supranaturaliste qu’il soit, à divers égards, dans son dogme. Ce sont trois conceptions de la vérité chrétienne et par suite de la communauté chrétienne, ayant chacune sa base, sa règle, son autorité spéciale ; l’une, l’Église ; l’autre, l’Ecriture ; la troisième, la raison ou la conscience.

Construisant sur des fondements si différents, elles aboutissent à des dogmatiques non seulement différentes, mais contraires. Le moyen le plus direct, le seul réellement effectif de les juger, est la constatation du vrai principe chrétien.

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