Théologie Systématique – IV. De l’Église

2. Détermination des points fondamentaux

Le fondement donné 1 Corinthiens 3.11 — Points fondamentaux de premier ordre : « État anormal des fils d’Adam », « Rédemption en Jésus-Christ », « Régénération par le Saint-Esprit » ; de second ordre : « Péché originel », « Divinité de Jésus-Christ », « le Saint-Esprit », « la Trinité », « les Doctrines de la théologie générale ». — Erreur des systèmes qui posent ces dernières doctrines comme seules fondamentales. — Bien distinguer les « données de la Révélation » des « théories théologiques ». — Notre classification légitimée aux points de vue « biblique », « historique », « rationnel et moral ».

Quelles sont dans le Christianisme les vérités fondamentales, ou constitutives, qui doivent, à ce titre, être érigées en lois de l’Église ? — Là est la grande difficulté. C’est là que les partisans de la doctrine se divisent ; c’est par là surtout que ses adversaires l’attaquent ; c’est ce qui a le plus contribué au discrédit et à l’abandon où elle est tombée. En principe, elle est aussi simple qu’évidente ; elle ne l’est plus dans l’application. Voyons cependant s’il n’est pas possible de la dégager à un degré suffisant, en nous tenant au point de vue pratique, qui est celui des Ecritures, et en nous souvenant que nous cherchons uniquement les bases de la charte constitutionnelle de l’Église.

Les vérités fondamentales sont, d’après la définition, celles qui tiennent au fondement, de telle sorte qu’on ne saurait les rejeter sans renverser ou ébranler le fondement lui-même. Une fois donc le fondement reconnu, il n’y a qu’à constater ce qui le porte et ce qu’il emporte, ce qu’il suppose et ce qu’il pose ou impose : travail simple, quoique délicat, dont les résultats doivent, ce semble, se légitimer d’eux-mêmes, du moins quant à ces points principaux, seuls en question ici.

Or le fondement nous est donné, de la manière la plus expresse, dans cette parole de saint Paul : « Nul ne peut poser d’autre fondement que celai qui a été posé, savoir Jésus-Christ. » (1 Corinthiens 3.11).

La vérité de cette déclaration ressort d’ailleurs de tout l’enseignement évangélique. Jésus-Christ est la pierre de l’angle sur laquelle repose l’édifice sacré (Éphésiens 2.19 ; 1Pier.2.6), — le seul médiateur entre Dieu et les hommes, — la source des grâces spirituelles (Jean 1.16 ; 15.1-7 ; Éphésiens 4.16 etc.), — le chemin, la vérité et la vie. — Tout vient de lui dans la Nouvelle Alliance ; tout s’y fait en lui et par lui. Le Christianisme est en un sens la connaissance de Christ (1 Corinthiens 2.2 ; Jean 17.3 ; Philippiens 3.9).– Ainsi, tout explique et confirme la déclaration si catégorique de l’Apôtre : Jésus-Christ est le fondement, et, par suite, le principe générateur de la doctrine et de la vie chrétienne.

Ce point capital établi, — et autant il nous était vivement contesté autrefois, autant il nous est facilement et universellement accordé maintenant, — examinons ce qu’il implique.

Le grand but de la venue de Jésus-Christ, de son incarnation, de sa passion, de son œuvre tout entière, est le salut du monde. « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19.10). « Dieu a tant aimé Je monde, etc. » (Jean 3.16, etc.). Croire en Jésus-Christ, c’est donc reconnaître qu’on avait besoin de ce salut qu’il nous apporte, c’est confesser qu’on ne peut être admis dans le Royaume des Cieux qu’en son Nom, que de lui dérivent l’amnistie et le secours divin, le pardon et la conversion, sans lesquels les éternelles demeures de la sainteté et de la félicité parfaites ne sauraient s’ouvrir devant des êtres tels que nous (Jean 1.12 ; Hébreux 4.12 ; 1Cor.1.30, etc.). Ainsi, l’homme condamné par la loi mais justifié par grâce, recevant la vie éternelle comme le don de Dieu en Jésus-Christ (Romains 3.19-24 ; 6.23), voilà l’Évangile, la Bonne nouvelle. D’où, pour doctrines fondamentales de premier ordre : l’« état anormal des fils d’Adam » ; la « rédemption en Christ », Fils de Dieu, devenu par amour le Fils de l’homme ; le renouvellement du cœur ou la « régénération par le Saint-Esprit ».

Ce sont là les trois grands faits sur lesquels porte le Christianisme. Tout va s’y rattacher dans le Nouveau Testament : théodicée, anthropologie, christologie, pneumatologie, sacrements. La théologie évangélique aboutit de toutes parts à ces points constitutifs de la dispensation de grâce ; et dans l’Église, le baptême et la Cène les représentent incessamment.

Nous rangeons, en seconde ligne, parmi les articles fondamentaux, le « péché originel », la « divinité de Jésus-Christ », le « Saint-Esprit », la « Trinité » ; dogmes d’une haute importance pour la doctrine et pour la vie chrétienne, qu’un lien étroit unit aux points fondamentaux de premier ordre, dont ils sont tout ensemble le complément et l’appui. — Le dogme du « péché originel », ou de la « chute », met en évidence cette donnée invincible de la conscience et de la Bible, que le mal ne vient point de Dieu ; — le dogme de la « Trinité » rend en quelque sorte sensibles les grands faits de la grâce et les bases de notre relation avec le Dieu de notre salut, qui nous appelle, nous pardonne et nous sanctifie ; il motive le baptême chrétien, la bénédiction chrétienne, la doxologie chrétienne, telle qu’elle se montre dans l’Église dès les premiers temps ; — le dogme de la « divinité de Jésus-Christ » fonde la valeur infinie de la rédemption ; il légitime seul l’ensemble de rapports établis entre le fidèle et son Sauveur, ainsi que les nombreux devoirs qui en naissent ; il tient, de plus, indissolublement, nous l’avons vu, au fond vital du système chrétien ou aux doctrines constitutives de l’Évangile, qui s’altèrent ou tombent avec lui. D’ailleurs, au point de vue où nous sommes placés, il se pose comme fondamental à un autre titre : il intéresse trop directement et trop profondément l’enseignement théologique, la prédication et le culte, pour qu’il fût possible de le laisser sans péril parmi les opinions libres.

Nous disons ces derniers articles fondamentaux parce qu’ils tiennent tellement à l’essence du Christianisme que l’Église est dans la nécessité et dans l’obligation de les conserver par son Symbole ; mais nous les disons fondamentaux de second ordre, parce qu’à la rigueur on peut les méconnaître à divers égards et nourrir pourtant dans son cœur les sentiments auxquels est liée la promesse, savoir : la conviction de péché et le recours à Dieu en Jésus-Christ, pour en obtenir la double grâce du pardon et de la conversion. On peut admettre pleinement la culpabilité et la corruption humaine, de même que ses conséquences pénales, sans avoir compris ou reçu l’enseignement biblique sur l’origine de cet état moral ; on peut croire en Jésus-Christ, sauveur et médiateur, s’attacher à lui par la foi, placer en lui seul sa confiance et son espoir, sans avoir des notions exactes de sa divinité ; on peut croire au secours divin, ou à la grâce, et n’attendre que de là son renouvellement intérieur, sans être arrivé à des vues nettes et positives relativement à la personnalité du Saint-Esprit. Ces dogmes sont essentiels au système chrétien (ou objectivement), car l’expérience montre que la doctrine évangélique s’altère et tend à se dénaturer de fond en comble lorsqu’on les en élague. En outre, appartenant à la sphère de la religion et de la vie autant, ou même plus, qu’à celle de la théologie et de la spéculation, ils pénètrent profondément la prédication et l’œuvre pastorale, la liturgie, les cantiques et le culte tout entier. L’Église doit donc les conserver pour garantir son enseignement général. Mais ils ne sont pas absolument essentiels à la vie chrétienne individuelle (c’est-à-dire subjectivement), car l’expérience prouve aussi que cette vie peut exister avec un certain degré d’ignorance ou d’erreur à l’égard de ces dogmes ; et les anciens justes ne les connurent point. Aussi n’occupent-ils que le second plan dans l’Ecriture.

Il y a d’autres articles fondamentaux, qu’il suffira d’indiquer parce qu’ils ne sont point un objet de débat : ainsi la « Providence », la « spiritualité et l’immortalité de l’âme », la « résurrection », le « jugement », les « rétributions éternelles » doctrines constamment et universellement professées par les diverses églises, que la foi chrétienne suppose, et qui sont données dans l’Évangile sans être l’Évangile lui-même, puisque l’Évangile, au sens propre, est la dispensation de grâce, avec l’ensemble de dogmes ou de faits qu’elle a amenés, tandis que les doctrines en question constituent essentiellement la dispensation de justice et la religion dite « naturelle ». Nous voyons là l’erreur de ceux qui ont voulu faire de ces doctrines les seules vérités fondamentales, sous prétexte qu’étant rationnelles en même temps que bibliques elles sont le plus généralement reçues. C’est l’erreur des tendances et des systèmes théologiques (socinianisme, rationalisme) qui, oubliant que le Christianisme est la religion d’un monde déchu, en méconnaissent par cela même la nature et le caractère propre. Sans doute, le Christianisme n’est pas sans ces doctrines ; il y a sa base et sa fin ; il les suppose en même temps qu’il les enseigne, et c’est lui qui les a rendues à l’homme dans leur intégrité ; mais on peut les admettre sans être arrivé encore au Christianisme proprement dit. Si elles le constituaient, comme on le veut, si elles en formaient l’élément foncier, l’Évangile ne serait plus la Bonne nouvelle, car en nous éclairant sur notre état de péché par sa morale, il ne ferait, par sa dogmatique, que nous révéler plus vivement notre misère future ; il ne serait plus pour nous le Ministère de réconciliation, la Parole de grâce, de paix et de vie. Cette tendance à faire de la théologie générale le fondamental de premier ordre caractérise le christianisme philosophique, en opposition avec le christianisme biblique qui cherche et place les articles constitutifs dans la théologie spéciale.

Le point extrême de cette tendance se montre dans le rationalisme vulgaire. Wegscheider, par exemple, dit qu’on peut ramener toute la doctrine chrétienne à l’idée de Dieu, créateur et régulateur, tel qu’il se révèle dans la conscience et dans l’Ecriture. Il joint à cet article l’admission de la Bible comme source du Christianisme, de Jésus-Christ comme Sauveur, de l’immortalité de l’âme et d’un état futur de rétributions. La foi en Jésus-Christ-Sauveur pourrait sembler emporter à quelque degré la notion commune, l’idée ecclésiastique qui résume l’Évangile, si l’on ne savait ce que sont dans ce système Jésus-Christ et le salut. — Bien des rationalistes de cette école ont posé en fait que Jésus-Christ n’avait voulu enseigner que le pur théisme (Paulus, Rœhr, etc). Et si l’on ne l’a pas toujours déclaré, on l’a toujours supposé, puisque la philosophie déiste, érigée en principe et en critère suprême des vérités religieuses, demeurait seule au terme de l’élaboration dialectique ou exégétique. — Le caractère du nouveau rationalisme est tout autre, parce qu’il s’appuie sur une philosophie toute différente. Avec l’orthodoxie, il place le fondamental de l’Évangile dans ses dogmes particuliers, surtout dans la « révélation historique de Dieu en Christ » ; seulement, il se réserve d’interpréter cela à sa manière, et nous savons ce qu’il en fait généralement ! Il n’y laisse, en fin de compte, qu’un humanisme panthéistique ou mystique, une pure notion idéale que chacun façonne à son gré ; tout reste en apparence, en réalité tout s’en va.

Rappelons un principe dont l’application est ici d’une importance extrême. Dans chaque doctrine, le fondamental c’est uniquement la donnée formelle de l’Ecriture ; c’est le fait de révélation, non la conception qu’on s’en forme ou la théorie à laquelle il a pu servir de base ; c’est la partie biblique, non la partie théologique.

Ainsi, dans le dogme de la « corruption » et du « péché originel », la règle de foi ecclésiastique doit déterminer que cette dégradation morale, qui éloigne les âmes de Dieu et leur ferme le Ciel, est universelle, que l’homme ne l’a point reçue du Créateur, qu’elle est en lui le résultat d’une chute volontaire (Genèse ch. 3 ; Romains ch. 5). Voilà les éléments constitutifs du dogme, les points vraiment essentiels, ceux que donne décidément la Révélation, ceux qu’il importe par conséquent de garantir. Quant au siège du penchant au mal, à sa nature exacte, à son caractère propre, au degré précis de son étendue et de sa force, à son mode de transmission, etc., etc, ce sont là des questions qui ont, certes, de l’intérêt et de la valeur, mais qui n’exigent pas de solution officielle ; le Christianisme pratique et le formulaire ecclésiastique pouvant s’en passer doivent, par cela même, s’en abstenira.

a – Quelle diversité de vues à cet égard entre les églises, et même entre les théologiens orthodoxes !

Dans le dogme de la « rédemption », la donnée biblique essentielle, par conséquent le point réellement fondamental, est que « Jésus-Christ est mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification », et que nous participons par la foi aux fruits de son sacrifice ; les théories de « la satisfaction », de « l’imputation », etc., etc, ne sont que des conceptions hypothétiques qui doivent être laissées dans le libre domaine de l’opinion.

Dans le dogme de la « régénération », ce qu’il importe de mettre et de tenir hors de cause, c’est la réalité et la nécessité de la grâce divine, en laissant dans le domaine des théories théologiques tout ce qui tient au mode ou au degré de ses opérations, toutes les distinctions qu’on en a faites en « résistible et « irrésistible », « suffisante et insuffisante », « prévenante », « concomitante », « subséquente », etc., etc.

Dans le dogme de la « Trinité », ce qu’il faut établir c’est ce qui intéresse directement la doctrine, la vie et le culte évangélique, c’est ce qui fonde le baptême chrétien (Matthieu 28.19), la bénédiction et la prière chrétienne (2 Corinthiens 13.13), c’est, en particulier, la divinité du Sauveur et l’adoration religieuse que lui rend l’Église. Mais pour les rapports mystérieux du Fils avec le Père et des Trois personnes divines entre elles, pour les rapports, non moins insondables, de Dieu et de l’homme en Christ, objet inépuisable des spéculations et des luttes théologiques, le formulaire ne doit rien décider ni déterminer, d’abord parce que la Bible ne détermine et ne décide rien, ensuite parce que la vie pratique n’exige nullement que ces points soient réglementés. —

Ainsi de tous les autres dogmes. —

Cette détermination générale suffit pour garantir l’enseignement, le culte, la direction générale de l’Église, parce qu’elle garantit les bases et les sources de la vie chrétienne. C’est prouvé par l’exemple des deux ou trois premiers siècles qui s’en tinrent aussi presque uniquement aux faits révélés. Sans doute, on pourra coordonner et systématiser différemment les articles réglementaires (en développant isolément et démesurément l’un ou l’autre, en faisant prédominer celui-ci ou celui-là), mais aussi longtemps que tous seront franchement admis, ces vues dogmatiques, ces tendances religieuses seront diverses sans être hostiles ; elles se balanceront dans des limites où l’ordre ne sera point compromis ; elles manifesteront cette variété dans l’unité qui constitue une des grandes lois du monde moral aussi bien que du monde physique, et en dehors de laquelle ne saurait se placer l’Église ; elles pourront et devront se supporter.

Ces considérations démontreraient à elles seules l’obligation de circonscrire les points fondamentaux dans les bornes que nous avons posées ; car ce triage entre les doctrines évangéliques n’est légitime qu’en tant et autant qu’il est nécessaire. Or, tel que nous l’indiquons, il atteint son but, qui est le maintien de la vérité dans la liberté et dans la vie. Il faut donc s’y arrêter.

Mais bien d’autres considérations, tout aussi graves, viendraient se joindre à celles-là et les confirmer s’il en était besoin. Le respect des Ecritures exige qu’on ne place rien sur la même ligne que ses attestations positives dans les choses de Dieu et du Ciel ; et l’on manque à ce grand principe du Protestantisme quand on introduit dans la règle de foi, à côté des données bibliques formelles, les théories qu’en tire l’intelligence et qu’elle y ajoute ensuite pour les compléter.

Dans sa détermination des points fondamentaux, une Église ne peut poser en même temps et les faits constitutifs de l’Évangile et la conception systématique que s’en forment ses docteurs ; elle ne peut présenter ces deux éléments au même titre à la foi des peuples, qu’en dérivant presque jusqu’au principe romain. Ce reproche a été souvent adressé à nos Confessions de foi, et elles l’ont trop légitimé en fait, soit par l’autorité excessive dont elles se sont emparées en certains temps, soit par la partie purement théologique qu’elles renferment toutes plus ou moins.

On ne doit pas oublier que la détermination des points fondamentaux, ou, ce qui revient au même, l’établissement des symboles, a pour but de réunir autour des grands principes évangéliques en assurant dans l’Église la communauté de croyance nécessaire à la communauté de vie, que, par conséquent, le vrai problème est de combiner l’unité dogmatique avec l’unité morale, de telle sorte que cette dernière ne soit sacrifiée à l’autre que lorsque quelqu’une des bases de la doctrine salutaire serait décidément renversée, ou sérieusement compromise, et que l’édification se trouverait en péril. Tout ce qui, sous ce rapport, dépasse le devoir, dépasse aussi le droit. Il est évident, dès lors, qu’il faut être très circonspect, pour ne pas placer parmi l’essentiel ce qui n’est qu’accessoire, et parmi le divin ce qui n’est qu’humain. Il existe un rapport trop peu remarqué entre la position des églises vis-à-vis des chrétiens, et la position des chrétiens vis-à-vis des églises. Nous avons vu quelle large condescendance le chrétien doit joindre à la fidélité dans son jugement des églises, à quel support il est tenu dans l’intérêt de l’union. De son côté, l’Église, sorte de personne chrétienne collective, a manifestement des obligations analogues ; (elle aurait pu l’apprendre mieux qu’elle ne l’a fait du grand exemple des temps apostoliques). Le droit d’exclusion (consacré et légalisé dans ses formulaires) est pour elle ce qu’est pour le chrétien le droit de séparation ; et l’un et l’autre ne sauraient être trop sévèrement contrôlés.

On abuse singulièrement aujourd’hui du mot de fidélité. D’abord, on perd de vue que nous sommes dans l’obligation d’être fidèles à la charité comme à la vérité ; ensuite on confond, sans le moindre scrupule, ses opinions propres, ses vues particulières avec la vérité évangélique elle-même, et, pour les faire triompher, on foule aux pieds, sans hésitation ni crainte, le devoir du support et de l’union, se reposant avec une pleine confiance sur ce qu’on nomme sa fidélité. La fidélité ainsi comprise peut être de l’infidélité.

La classification des articles de foi, telle que nous avons essayé de l’établir, se légitime pleinement, ce nous semble, qu’on la considère au point de vue biblique, ou au point de vue historique, ou au point de vue rationnel et moral. Tout conduit à considérer comme fondamentaux de premier ordre les trois grands faits que nous avons distingués par cette désignation.

1° Point de vue biblique. — Le Nouveau Testament rappelle d’un bout à l’autre que l’homme est sous la condamnation de la loi, qu’il a besoin de pardon et de régénération, et que ce double bienfait, sans lequel il n’y a point de Ciel pour lui, lui est offert en Christ.

2° Point de vue historique. — L’Église générale a de tout temps professé, comme le fond principal de sa foi, les dogmes de la chute, de la rédemption et de la grâce divine ; en d’autres termes le salut, offert de la part de Dieu, en Christ et par le Saint-Esprit, à un monde tombé. C’est là ce qui constitue, dans un sens spécial, la doctrine orthodoxe, que nous voyons, plus ou moins pure et complète, traverser les siècles et les écoles. Partout où la vie chrétienne s’est manifestée avec quelque intensité et quelque étendue, c’est sous l’influence de cette doctrine. Mille fausses tendances, théoriques et pratiques, l’ont sérieusement compromise à diverses époques, elle s’est toujours relevée avec une force nouvelle. Elle domina et détermina le grand mouvement du xvie siècle. Elle respire dans tous les anciens symboles des églises de la Réformation. C’est avec elle et par elle que s’est opéré le Réveil. Elle préside toutes les grandes œuvres chrétiennes. Elle résume la profession de foi de nos principales associations religieuses (Société Evangélique, — Société Centrale, — Alliance Evangélique, — Société des Missions, etc.).

3° Point de vue rationnel et moral. — Qu’est l’Évangile, sinon la proclamation de l’amour qui justifie et régénère ? Que sollicite l’âme éclairée sur les obligations et les sanctions de la loi, sinon le pardon et le secours divin, qui la font passer de la mort à la vie ? Qu’est le chrétien, sinon l’homme profondément convaincu de sa misère spirituelle, qui s’applique par la foi le salut tel qu’il est en Jésus-Christ, et sert Dieu, non plus seulement par intérêt et par devoir, mais par amour et parce qu’il a été racheté à grand prix ? (1 Corinthiens 6.20).

Ainsi, l’esprit du Nouveau Testament, l’histoire de l’Église, les réclamations de la conscience chez l’homme qui se voit tel qu’il est devant Dieu, le témoignage des fidèles, le caractère et le but essentiels de la doctrine évangélique, tout confirme nos vues relativement à ces vérités capitales dont nous avons fait comme le fond du Christianisme, tout s’accorde à montrer que ce sont bien les articles fondamentaux de premier ordre, les articles essentiellement constitutifs.

Des considérations semblables nous conduiraient à reconnaître aux articles fondamentaux de second ordre (ou articles conservateurs), la place que nous leur avons assignée ; elles nous les montreraient affermissant, développant, complétant les premières, de telle sorte que là où ils manquent les autres s’altèrent, s’ébranlent ou tombent même entièrement. L’histoire de l’Église et de la dogmatique nous prouve, par exemple, que lorsque la doctrine de la chute ou du péché originel n’est point admise, celle de la corruption de notre nature finit par être niée, comme dans le pélagianisme et le socinianisme, ou par être dépouillée de son caractère et de sa portée véritable, comme dans le rationalisme, et que, dès lors, l’édifice chrétien s’écroule pièce à pièce. Ainsi de la divinité de Jésus-Christ et de la Trinité.

Nous pourrions justifier aussi par les mêmes moyens notre principe que ce qui est vraiment fondamental, ce qui doit seul être posé comme tel, ce sont les grandes données bibliques, dégagées autant que possible de toute interprétation humaine, de tout système particulier ; car nous verrions que ces données constitutives, partout où elles ont été franchement reçues, ont suffi comme base de la foi, comme principe et aliment de la vie, que les systématisations qu’on en a essayées n’ont guère abouti qu’à les altérer, en élevant plus ou moins les unes aux dépens des autres, et que les conceptions ou les constructions théologiques insérées dans les formulaires n’ont eu d’autre effet que de diviser là où l’on aurait pu et dû rester unis.

Soyons attentifs à l’enseignement que nous donne à cet égard le Réveil, et qui confirme si visiblement la pensée ou l’aspiration d’où sortit l’Alliance Evangélique ; pensée dont je disais à l’origine qu’elle était plus grande que l’association elle-même. Que se montre-t-il en effet dans le Réveil, ou qu’y reste-t-il partout où il se produit avec quelque intensité, que ce qui nous est apparu comme le fond central et vital du Christianisme ; l’homme convaincu de péché, de justice et de jugement, recevant la vie éternelle comme le don de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur, s’appropriant la grâce réconciliatrice par la foi, la grâce régénératrice par la prière, et se consacrant au Dieu de son salut, le Dieu trois fois saint ?

Là-dessus, Anglicans et Presbytériens, Luthériens, Calvinistes. Baptistes, Méthodistes, Moraves, etc., etc. se donnent la main et s’unissent dans un même sentiment et une même adoration. N’y a-t-il pas là une démonstration de ce qui pourrait être, et par cela même une révélation de ce qui sera tôt ou tard ?

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