Le Pasteur Réformé

2. Devoir de catéchiser et d’instruire le troupeau

Après cet aveu de nos fautes et ce témoignage de notre repentir, notre devoir nous est clairement tracé. Que Dieu nous préserve de retomber dans la même indifférence ! Il me reste maintenant à vous encourager à l’accomplissement de la grande tâche que vous avez entreprise ; je veux dire, le soin de catéchiser et d’instruire chaque membre de votre troupeau qui se montrera disposé à recevoir de vous l’instruction. En premier lieu, je vous exposerai quelques-uns des motifs qui vous engagent à la pratique de ce devoir ; — en second lieu, je répondrai à quelques-unes des objections au moyen desquelles on cherche à s’en dispenser ; — en troisième lieu, je vous donnerai quelques directions pour vous guider dans l’accomplissement de cette tâche.

2.1 Exposé des motifs

Nous considérerons successivement les motifs tirés de l’utilité de ce devoir, de sa difficulté et enfin de sa nécessité.

Article I : Utilité de ce devoir

Mon cœur est inondé d’allégresse, quand je considère les heureux résultats que peut obtenir, avec la bénédiction de Dieu, la pratique de ce devoir, si l’on s’en acquitte fidèlement. En vérité, mes frères, vous venez d’entreprendre une tâche qui peut être une source de joie et de félicité pour votre conscience, pour votre Église, pour la nature entière ; quand notre course sera achevée, des milliers d’âmes auront sujet d’en bénir le Seigneur. Et quoique nous devions nous humilier aujourd’hui, pour l’avoir si longtemps négligée, cependant j’ai une telle confiance dans l’heureuse réussite, que ce jour d’humiliation est pour moi un jour d’allégresse. Je rends grâces à Dieu de ce qu’il m’a permis de voir ce jour et d’être témoin de l’engagement solennel que viennent de prendre tant de ministres de Christ d’accomplir ce devoir. Il ne s’agit pas ici d’un point controversé, à l’occasion duquel nous ayons à lutter contre la passion ou la prévention. Il ne s’agit pas d’une discipline nouvelle, qui puisse donner lieu à l’envie de vous accuser comme des novateurs, ou à l’orgueil de se révolter contre vous. Non, c’est un devoir bien connu ; c’est la simple restauration d’une des anciennes fonctions du ministère. Et comme l’exercice de cette fonction est pour l’Église d’une immense utilité, mon intention est de vous exposer quelques-uns des avantages qui en découlent, afin que vous soyez conduits à vous demander si ce n’est pas pour vous une rigoureuse obligation de conscience de ne pas priver votre troupeau de ces avantages. Celui, en effet, qui a véritablement l’esprit d’un ministre de Christ, se réjouira lorsqu’on lui indiquera les moyens d’atteindre le but de son ministère, et rien ne lui sera plus précieux que d’être mis à portée de les employer.

1° L’exercice de ce devoir sera un puissant moyen pour la conversion des âmes. — En effet, quant à sa nature, il roule sur les principes essentiels de la foi chrétienne ; et quant à son mode d’exercice, il est tel qu’il vous fournit l’occasion d’en appeler de la manière la plus sérieuse au cœur et à la conscience des pécheurs.

L’œuvre de la conversion exige deux conditions : il faut que l’intelligence connaisse les grands principes de la religion ; il faut que la volonté soit transformée par cette connaissance de la vérité. Or, le devoir que nous vous recommandons facilite l’accomplissement de ces deux conditions. Il vous fournit l’occasion d’exposer aux pécheurs l’ensemble des vérités chrétiennes et de les fixer dans leur mémoire. Et quoique ces instructions ne puissent, si elles ne sont pas comprises, exercer une influence réelle, néanmoins, celui qui les a reçues a plus de chances que tout autre pour les comprendre. Les mots et les signes sont le seul moyen que nous ayons pour transmettre les idées des choses invisibles. Et sans aucun doute, les instructions élémentaires que les fidèles puisent dans la lecture du catéchisme ou sommaire, instructions qui sont sans cesse sous leurs yeux et qui se gravent dans leur mémoire, doivent avoir, pour leur faire connaître la vérité, autant et plus d’efficace que des sermons dont l’impression est nécessairement fugitive. Loin donc de mettre en doute l’utilité de ces modèles de saines instructions, tout nous porte à les considérer comme infiniment précieux.

En outre, ces conférences personnelles nous permettent de nous assurer si nos auditeurs comprennent bien la vérité, de la leur expliquer graduellement, et d’insister sur les points que nous regardons pour eux comme les plus essentiels. Ces deux choses réunies, l’exposition élémentaire de la vérité et l’explication qui l’accompagne se prêtent un mutuel secours.

Dans ces instructions catéchistiques, nous avons une excellente occasion de faire pénétrer la vérité dans le cœur des pécheurs, de parler à chacun selon le besoin de sa conscience, en cherchant à combattre sa faiblesse particulière et en lui disant : « Tu es cet homme-là. » Si quelque chose peut faire du bien aux pécheurs, c’est assurément ce genre d’enseignement. Tels qui ne comprendraient pas un sermon, comprendront une observation familière, et se feront plus facilement l’application de la vérité. En vous adressant leurs objections, ils vous découvriront eux-mêmes quelles sont les tentations auxquelles ils sont le plus exposés, les erreurs dans lesquelles ils sont le plus enclins à tomber, et vous fourniront ainsi le moyen de les redresser. Il vous sera plus facile de les amener à la repentance, de les presser de se convertir et de s’amender. C’est là ce que notre expérience journalière doit nous avoir appris. Pour ma part, je n’ai jamais entretenu un pécheur en particulier, qu’il ne soit sorti de cet entretien, en apparence plus convaincu de sa misère et plus disposé à la conversion et à l’amendement.

O mes frères ! quel coup nous porterions à la puissance du prince des ténèbres, si nous nous acquittions fidèlement et scrupuleusement de ce devoir ! Si donc vous voulez être les pères spirituels de ceux qui naissent de nouveau, si vous voulez au dernier jour pouvoir dire au Seigneur : « Me voici avec les enfants que tu m’as donnés, » ne négligez pas cette précieuse tâche. Si vous avez à cœur de rencontrer vos fidèles avec les saints dans la gloire, louant l’agneau devant le trône de Dieu ; — si vous avez à cœur de les présenter à Christ sans tache et sans souillure, saisissez avec ardeur et empressement le moyen qui vous est offert. — Si vous êtes véritablement ministres de Christ, vous devez désirer ardemment de perfectionner son corps, de recueillir ses élus ; vous devez aspirer à souffrir les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que Christ soit formé dans les âmes » qui vous sont confiées. — Si vous êtes véritablement ouvriers avec Christ, accomplissez son œuvre, et ne négligez pas les âmes pour lesquelles il a voulu mourir. Lorsque vous vous entretenez avec un homme inconverti, songez que vous avez l’occasion de sauver une âme, de réjouir les anges dans le ciel, de réjouir Christ lui-même, d’enlever une proie à Satan, d’augmenter le nombre des enfants de Dieu. « Car quelle est votre espérance ou votre joie, ou votre couronne de gloire ? Ne sera-ce pas votre peuple sauvé en la présence de Christ à son avènement ? Oui, sans doute, c’est là votre gloire et votre joie ! »

2° L’assiduité à remplir le devoir sur lequel nous insistons contribuera à édifier en Christ ceux qui sont convertis, et à les affermir dans la foi. En le remplissant mal, nous compromettons ou du moins nous retardons singulièrement le fruit de nos travaux. Comment pourrez-vous bâtir, si vous ne posez d’abord un solide fondement ? Comment pourrez-vous élever le faîte de l’édifice, si vous en avez négligé la base ? L’œuvre de la grâce, ainsi que celle de la nature, procède graduellement : Gratia non facit saltuma. Les vérités chrétiennes d’un degré supérieur dépendent si étroitement des vérités élémentaires, que si l’on ignore celles-ci, on ne peut arriver à la connaissance de celles-là. Vouloir y arriver de prime abord, c’est vouloir lire sans savoir épeler, et sans connaître ses lettres. De là, tant de gens qui apprennent toujours, sans pouvoir parvenir à la connaissance de la vérité ; qui sont faibles et faciles à ébranler ; qui succombent aux moindres tentations, faute d’être solidement établis dans la connaissance des vérités fondamentales de la religion. Et cependant, c’est par ces vérités qu’il faut commencer ; elles doivent servir de fondement aux autres. Ce sont elles qui augmentent les grâces, qui facilitent l’accomplissement des devoirs, qui donnent de la force contre les tentations. Celui qui les ignore, ignore tout ; celui qui les possède, possède des moyens de sanctification et de salut. Les chrétiens les plus avancés de votre troupeau ne doivent donc pas trouver au-dessous d’eux le soin d’apprendre les instructions élémentaires, et vous serez diligents à les leur inculquer si vous avez à cœur de les édifier et de les établir fermement dans la foi.

aLa Grâce ne fait pas de sauts. Allusion au Natura non facit saltum qui se trouve dans les œuvres de Leibnitz. (ThéoTEX)

3° Ces enseignements élémentaires les rendront plus attentifs à vos prédications, et leur en faciliteront l’intelligence. La connaissance des principes leur sera d’un grand secours pour aller plus avant. Si vous négligez les principes, vous vous exposez à perdre tout le fruit de votre travail ; et plus vous apportez de soin à vos prédications, moins vous faites de bien. Si donc vous ne voulez pas rendre inutiles vos enseignements publics, ne négligez pas le soin des enseignements particuliers.

4° Ces enseignements vous fourniront l’occasion d’entrer avec les membres de votre troupeau dans des rapports d’intimité et de gagner leurs affections.

Le défaut de ces rapports nuit singulièrement au succès de votre œuvre. L’éloignement et le manque d’intimité perpétuent la mésintelligence entre les pasteurs et le troupeau ; la familiarité, au contraire, fait naître chez les fidèles ces affections qui les rendent dociles à l’instruction ; elle les porte à vous ouvrir leur cœur, ce qu’ils ne feraient point s’ils vous demeuraient étrangers.

5° Cette connaissance de l’état spirituel de vos paroissiens vous rendra facile la surveillance à leur égard. — Elle rendra vos prédications plus appropriées à leur caractère et à leur situation spirituelle. Vous saurez mieux comment exercer envers eux cette « jalousie de Dieu » dont parle l’apôtre, et comment les mettre en garde contre les tentations qui les assaillent. Vous pourrez plus efficacement vous affliger ou vous réjouir avec eux et prier pour eux ; car, comme celui qui prie pour lui-même doit connaître ses propres besoins et les infirmités de son cœur, de même celui qui prie pour les autres doit également connaître leurs besoins et leurs infirmités.

6° Cette connaissance intime de l’état spirituel des membres de votre troupeau vous aidera à décider la question de leur admission à la sainte Cène.

Quoiqu’un ministre ait la faculté d’appeler auprès de lui tel ou tel de ses paroissiens, de s’enquérir de ses progrès dans la foi et dans la sanctification, de lui donner les instructions dont il a besoin, et, par ce moyen, de le préparer au sacrement de l’Eucharistie, — néanmoins, en assignant à ces entretiens particuliers un but trop spécial et trop limité, et en négligeant de les leur faire considérer comme l’exercice d’un droit général et permanent, les pasteurs ont quelquefois donné lieu à leurs paroissiens de se révolter contre ce genre d’examen. Ces communications familières, dirigées dans le sens que nous venons d’indiquer, vous mettront à même de reconnaître sûrement si vos paroissiens sont suffisamment préparés à la sainte Cène ; et sous ce rapport, nous les croyons plus efficaces qu’un examen partiel et ayant un but trop restreint.

7° Ces enseignements privés éclaireront à la fois les pasteurs et les fidèles sur la véritable nature du saint ministère.

Les hommes ne sont que trop enclins à se persuader que l’œuvre du ministère évangélique consiste exclusivement à prêcher, à baptiser, à administrer la communion et à visiter les malades. Ils permettent à peine que leurs pasteurs sortent de ce cercle limité, et malheureusement beaucoup de pasteurs ne sont que trop disposés à s’y renfermer. J’ai été souvent affligé en voyant les prédicateurs les plus éminents ne s’occuper qu’en chaire du salut de leurs congrégations : rarement je les ai vus s’en inquiéter ailleurs, comme si ce n’était pas pour eux une étroite obligation. La négligence de ce devoir est chose si commune, qu’elle ne porte plus aucune atteinte à la considération d’un pasteur. Et lorsque les choses en sont venues à ce point, que le péché n’est plus une honte pour celui qui le commet, ni un scandale pour celui qui en est témoin, on peut dire qu’il règne en maître dans l’Église et dans l’Etat. Mais, par la miséricorde de Dieu, j’espère que bientôt la plupart des pasteurs se convaincront qu’il est de leur devoir d’exercer constamment une surveillance personnelle sur leur troupeau ; et qu’ils se feront du ministère évangélique une autre idée que les prédicateurs dont je viens de parler. Que chacun de vous, mes frères, s’acquitte soigneusement de la pratique du devoir dont nous traitons, qu’il s’en acquitte en silence, et sans déverser le blâme sur ceux qui le négligent, et j’ai la confiance que le temps n’est pas éloigné où l’omission volontaire de ce devoir sera regardée comme une véritable honte pour un pasteur. Si un médecin se bornait à lire un cours public de médecine, ses malades n’en retireraient sans doute que peu de profit : si un homme de loi se bornait à pérorer sur la législation, il rendrait peu de services à ses clients. Or, l’office d’un pasteur n’exige pas moins que celui d’un médecin ou d’un homme de loi, des services particuliers et personnels.

Il faut le reconnaître, nous avons fait tort à l’Église, en nous jetant dans l’extrême opposé à celui des papistes, qui soumettent toutes leurs ouailles à la confession auriculaire. En abandonnant cette erreur de la communion romaine, nous avons donné dans un travers qui n’est pas moins dangereux. C’est avec un sentiment de trouble et de peine que j’ai lu dans un historien orthodoxe, que le désir de se soustraire à la gêne de la confession auriculaire contribua beaucoup au succès de la Réformation en Allemagne. — Je ne doute point, pour ma part, que la confession auriculaire ne soit une coupable innovation, une pratique inconnue à l’Église primitive. Cependant, si nous considérons cette confession en elle-même, et abstraction faite de sa relation aux doctrines du purgatoire et de la satisfaction pour le péché, nous trouverons qu’elle est encore moins dangereuse que le défaut de toute surveillance personnelle. Si donc quelqu’un de nous se persuadait que lorsqu’il a prêché, il a accompli toute sa tâche, montrons-lui par notre pratique qu’il a encore beaucoup à faire, et que la surveillance du troupeau exige bien plus de soins et d’activité qu’il ne se l’imagine.

8° L’exercice de cette surveillance éclairera les fidèles sur la nature de leurs devoirs envers leurs pasteurs, et les portera à s’en acquitter : en conséquence, elle contribuera puissamment à assurer leur salut.

Je suis convaincu par une douloureuse expérience, que l’ignorance des devoirs réciproques du pasteur et du troupeau est un des plus grands obstacles au salut des pécheurs et à la réformation de l’Église. Les fidèles se persuadent volontiers qu’un pasteur doit borner ses soins aux cérémonies publiques, et que pour eux, ils sont quittes envers lui quand ils ont entendu ses prédications et reçu les sacrements de sa main. Ils ignorent qu’un pasteur est, dans son église, ce qu’est dans son école un instituteur qui doit instruire et surveiller chacun de ses élèves. Ils ignorent qu’un pasteur est comme un médecin auquel tous doivent recourir dans leurs maladies, et que les lèvres du sacrificateur doivent garder la science, que le peuple doit rechercher la loi de sa bouche, parce qu’il est l’ange de l’Éternel des armées (Malachie.2.7). » Ils ignorent que tous les membres du troupeau doivent avoir recours à lui pour lui demander la solution de leurs doutes, des secours contre les tentations, des directions pour leurs consciences, des moyens de croître en connaissance et en grâce ; — que les ministres ne sont établis que pour cette fin, et qu’ils doivent être toujours prêts à conseiller et à secourir le troupeau. Si nos paroissiens connaissaient leurs devoirs, ils viendraient à nous d’eux-mêmes et sans être appelés, pour nous demander nos conseils et pour nous dire : Que ferons-nous pour être sauvés ? » Mais, hélas ! ils se persuadent qu’un ministre n’a rien à démêler avec eux : s’il les avertit, s’il les appelle pour les instruire, s’il veut s’enquérir de leurs progrès dans la foi et dans la sanctification, ils lui demanderaient volontiers par quelle autorité il le fait ? ils le regarderaient comme un indiscret, ou comme un orgueilleux qui a la prétention de dominer sur les consciences. Que ne lui demandent-ils aussi par quelle autorité il prêche, il prie, il administre les sacrements ? Ne savent-ils pas que toute notre autorité est pour notre œuvre, et que notre œuvre est pour eux et pour leur avantage spirituel ? Autant vaudrait chercher querelle à un homme qui viendrait leur aider à éteindre le feu dans un incendie, et lui demander par quelle autorité il le fait.

A qui devons-nous imputer cette ignorance de notre troupeau ? — A nous, qui l’avons accoutumé à ne considérer que les devoirs publics de notre ministère. Chez les catholiques romains, les fidèles n’hésitent pas à confesser leurs péchés à un prêtre, parce qu’ils y sont habitués : chez nous, ils dédaignent, par une raison toute semblable, de recevoir les instructions particulières du pasteur. Quel bonheur pour l’Église, si nous pouvions voir les fidèles de tout âge prendre l’habitude de venir nous demander des conseils et des directions particulières, comme ils ont celle de venir entendre la prédication et recevoir les sacrements ! Nous les y amènerons en nous acquittant fidèlement du devoir que je viens de signaler.

9° L’exercice de ce devoir facilitera l’œuvre du ministère évangélique pour les générations à venir.

La multitude se laisse surtout conduire par la coutume ; elle s’irrite contre quiconque tente d’y apporter quelque changement. Et cependant il faut que quelqu’un le tente. Si nous ne le faisons pas, nous laisserons cette tâche à nos successeurs ; et qui nous assure qu’ils seront plus courageux, plus résolus, plus fidèles que nous ? C’est nous qui avons senti le poids des jugements du Seigneur, — nous, qui avons passé par la fournaise ardente et qui sommes éprouvés par le feu, — nous, qui sommes le plus fortement obligés par les épreuves, les miséricordes et les délivrances merveilleuses de Dieu, et si nous hésitons, si nous reculons devant cette tâche, pourquoi attendrions-nous mieux de ceux qui n’ont pas subi de telles épreuves, qui n’auront pas ressenti de tels aiguillons ? — S’ils se montrent plus fidèles que nous, ils doivent s’attendre à la même haine et à la même opposition, devenues encore plus violentes à cause de notre négligence. Car, on ne manquera pas de leur représenter que leurs prédécesseurs n’exigeaient rien de semblable. Supportons pour eux tout le poids de cette haine ; et ils chériront notre nom, ils béniront notre mémoire ; chaque jour de leur ministère, ils goûteront le fruit de nos travaux. Nous aurons détruit le préjugé qui empêche les fidèles de se soumettre aux conseils, aux admonitions, aux règles de la discipline ; nous aurons anéanti les fâcheuses coutumes que nous ont léguées nos prédécesseurs. Nous aurons ainsi contribué dans le présent et dans l’avenir au salut d’une multitude de pécheurs.

10° Les instructions catéchistiques contribueront au bon ordre dans les familles, et à l’observation plus rigoureuse du jour du Seigneur.

Si nous pouvons amener les chefs de famille à instruire tous les dimanches leurs enfants et leurs serviteurs, à leur faire apprendre quelques pages du catéchisme ou sommaire, ou quelques passages de l’Écriture Sainte, nous leur aurons procuré le plus salutaire emploi de leur temps. Beaucoup d’entre eux, quoique peu instruits eux-mêmes, peuvent néanmoins s’acquitter de cette tâche et en retirer un grand avantage.

11° La pratique que nous recommandons ne sera pas moins avantageuse à beaucoup de ministres, qui consument leur temps à des discours, à des courses, à des divertissements frivoles. — Elle leur apprendra que leurs moments sont trop précieux pour les perdre ainsi. Elle mettra fin au scandale qui en résulte pour le troupeau, naturellement conduit à se demander s’il est obligé de mieux employer son temps que ne le fait le pasteur. Appliquons-nous donc soigneusement à cette partie de notre tâche, et nous verrons si nous avons encore du temps à perdre dans l’oisiveté ou la mondanité.

12° L’exercice de ce devoir nous fera à nous-mêmes beaucoup de bien. Il nous aidera à triompher des tentations, à croître dans la grâce et dans la sanctification. Il sera pour nous une source de consolation, lorsque nous examinerons notre conscience et que nous ferons le compte de nos voies.

En exhortant fréquemment les autres à la repentance et à la piété, nous ferons beaucoup pour produire en nous ces mêmes dispositions. En condamnant les péchés des autres, nous rougirons d’en commettre nous-mêmes, et notre conscience ne nous permettra pas de vivre dans l’habitude de ces transgressions, objet continuel de nos censures. Nos efforts constants pour la cause de Dieu, de Jésus-Christ, de la sainteté nous aideront à triompher de nos inclinations charnelles, en faisant diversion aux pensées coupables ou frivoles qui peuvent nous assaillir.

13° En agissant ainsi, ce ne sera pas pour nous un médiocre avantage d’éloigner nous-mêmes et nos paroissiens de ces controverses inutiles, de ces discussions sur les points secondaires qui ne contribuent en rien à l’édification spirituelle. — Continuellement occupés, nous à enseigner les vérités fondamentales, et eux à les apprendre, nous écarterons l’occasion de nous livrer à de vaines et stériles disputes. Car nous ne nous occupons généralement de choses inutiles que parce que nous négligeons celles qui sont nécessaires.

14° Les avantages que nous venons de signaler ont une portée immense : car ils s’étendent à l’amendement et au salut de toutes les âmes confiées à nos soins.

Nous donnerons l’instruction à tout homme qui voudra la recevoir ; et quoique nous ne puissions espérer que tous les hommes la reçoivent à salut, cependant, comme nos efforts s’étendront à tous, il y a lieu de penser qu’ils auront un résultat plus général que celui de nos autres soins pastoraux. Nous en avons pour garants les promesses et les préceptes de l’Évangile, qui nous recommande de prêcher Christ à toute créature, et qui assure la vie éternelle à tout homme, s’il veut l’accepter par la foi. Cette tâche a un but plus efficace et plus pratique que des conversations purement accidentelles, avec tel ou tel individu. Car, dans de tels entretiens, un pasteur se contente souvent d’avoir donné quelques conseils utiles, sans chercher à appliquer la vérité à la conscience du pécheur pour le convaincre de péché, de misère et de jugement. Et c’est là surtout ce que nous devons faire, et ce que nous ferons sans doute dans ces instructions familières.

15° J’ai la confiance que ceux qui ont entrepris cette tâche la poursuivront avec persévérance, et que leur exemple sera suivi par d’autres.

Si, dans ce moment, elle est généralement négligée, c’est sans doute par les motifs qui ont agi sur nous jusqu’à présent, je veux dire, l’insouciance et la paresse que nous déplorons, et surtout la crainte de voir le troupeau se révolter contre ce genre d’instructions. Mais, quand ceux de nos compagnons d’œuvre, qui manquent encore à ce devoir, auront été dûment avertis de son importance, — quand ils seront bien convaincus que la pratique en est possible, je m’assure qu’ils se mettront en mesure de le remplir, et qu’ils nous seconderont avec joie dans nos efforts ; — car ils sont comme nous, ils sont les serviteurs d’un même maître ; — comme nous, ils ont à cœur l’œuvre de Dieu, — comme nous, ils s’intéressent au salut des âmes, — comme nous, ils sont prêts à tout faire et à tout souffrir pour l’accomplissement de leur sainte tâche. Puis donc qu’ils sont animés du même esprit, qu’ils sont tenus des mêmes obligations, qu’ils servent le même Seigneur, il y aurait peu de charité à supposer qu’ils refuseront de se joindre à nous. Oh ! combien serait heureuse et bénie cette union dans la cause de Christ ! Combien il serait doux et consolant pour nos cœurs, de voir tant de fidèles serviteurs de Christ exhorter tous les pécheurs avec sérieux et avec insistance, comme des hommes déterminés à ne point souffrir de refus ! Il me semble déjà les voir résolus à commencer cette œuvre excellente, rendue plus facile par notre unanimité et notre concours.

16° Telle est l’importance du devoir que nous vous recommandons, que la réforme de l’Église dépend en grande partie de son fidèle accomplissement ; ce n’est que par ce moyen que l’Église pourra ne pas perdre le fruit de ses prières, de ses travaux, de ses souffrances, du sang de ses martyrs, des promesses que le Seigneur lui a faites. Si ce devoir continue à être mis en oubli, jamais l’Église n’atteindra au but de son institution, jamais elle ne sera complètement réformée ; jamais elle ne sortira de son abaissement et de sa langueur ; jamais, aux yeux de Dieu, ni l’Église ni ses conducteurs spirituels ne se laveront de leurs taches et de leurs souillures.

Hélas ! nous avons longtemps parlé de la réforme de l’Église : nous l’avons hâtée de nos vœux et de nos prières, et cependant nous l’avons négligée et nous la négligeons encore. Il semble, par notre conduite, que nous ignorions complètement en quoi consiste cette réforme, objet de tant de vœux. On voit souvent des hommes charnels se donner pour chrétiens, faire profession de croire en Christ et d’accepter son salut, lutter pour sa sainte cause, — et cependant n’avoir aucune part aux promesses de l’Évangile, parce que, dans leur aveuglement, ils espèrent arriver au salut sans la mortification de la chair, sans le renoncement au monde, au péché et à eux-mêmes, sans la sanctification, sans l’obéissance à l’esprit de Christ. ll en est de même d’une foule de ministres ; ils parlent, ils écrivent, ils prient, ils combattent pour la réforme ; ils se scandaliseraient, si quelqu’un venait à mettre en doute la sincérité de leurs désirs et de leurs efforts ; et cependant l’événement a montré combien ce doute était raisonnable et fondé.

D’où vient cet étrange aveuglement ? Comment des hommes pieux ont-ils pu s’abuser si grossièrement ? La cause en est facile à comprendre. Ils avaient en vue une réforme que Dieu lui-même devait opérer dans l’Église, mais ils ne songeaient point que cette réforme devait commencer par eux. Ils considéraient la fin, mais non les moyens. Ils espéraient sans doute que tout serait réformé, excepté eux et sans eux ; que le Saint-Esprit descendrait miraculeusement sur la terre ; qu’un ange ou qu’un prophète, venus du ciel, amèneraient le renouvellement et la restauration de l’Église ; que le glaive de la loi frapperait les pécheurs et les forcerait à l’amendement. Ils ne considéraient pas que cette réforme devait s’opérer par leurs soins et par leur activité, par le sérieux de leurs prédications et de leurs instructions, par une surveillance sans relâche sur le troupeau qui leur est confié. Nous nous étions tous un peu persuadé que lorsque les impies auraient été amenés à reconnaître notre autorité, ils seraient par cela même convertis et conduits de force dans le chemin du salut. Mais nous nous faisions d’étranges illusions ; et si nous avions exactement connu les moyens par lesquels la réforme devait s’effectuer, peut-être quelques-uns de nous auraient-ils été moins ardents à la demander. La réforme est pour plusieurs d’entre nous ce que le Messie était pour les Juifs. Avant sa venue, ils soupiraient après lui ; ils se glorifiaient en lui, ils se réjouissaient dans l’espérance de son avènement ; dès qu’il fut descendu sur la terre, ils ne purent le souffrir ; ils le persécutèrent de leur haine ; ils refusèrent de croire que c’était là celui qu’ils attendaient. Ils le persécutèrent et le firent mourir, attirant ainsi sur leur nation la malédiction de Dieu. « Le Seigneur que vous cherchez et l’ange de l’alliance que vous désirez entreront dans son temple : — Et qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra subsister quand il paraîtra ? Car il sera comme un feu qui raffine et comme le savon des foulons : et il sera assis comme celui qui affine et qui purifie l’argent ; il nettoiera les fils de Lévi ; il les purifiera comme l’or et l’argent, et ils apporteront à l’Éternel des oblations dans la justice (Malachie.3.1-3). »

La raison en est qu’ils attendaient un messie glorieux, qui devait leur apporter la puissance et la liberté. C’est ainsi que plusieurs d’entre nous envisageaient la réforme. Ils espéraient une réforme qui leur procurerait la richesse, l’honneur, le pouvoir ; ils reconnaissent maintenant qu’elle leur impose un surcroît de travail et de soins. Ils se flattaient qu’elle mettrait les impies à leurs pieds, ils s’aperçoivent maintenant que c’est à eux à jouer le rôle de suppliants, à se jeter aux pieds des pécheurs inconvertis, à solliciter humblement à la piété ceux qui autrefois menaçaient leur vie, à les gagner à force de mansuétude, de tendresse et de charité. Certes, ce n’est point là la réalisation de leurs espérances charnelles.

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