Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

II. L’enseignement parabolique

Quoique notre Seigneur ait en plus d’une occasion enseigné par des paraboles, avec l’intention de cacher à une partie de ses auditeurs certaines vérités, qu’ils étaient indignes ou incapables d’entendrem, de telle sorte que, comme le dit Fuller, les paraboles étaient alors semblables à la colonne de nuée et de feu qui éclairait les Israélites, mais plongeait les Égyptiens dans l’obscurité, cependant nous pouvons admettre que son but général était le même que celui des autres docteurs qui ont employé cette méthode d’enseignement et qui ont voulu ainsi illustrer ou démontrer les vérités qu’ils avaient à proclamer. (Quintilien a dit : « les similitudes sont un admirable moyen d’éclairer un sujet. Sénèque les nomme : « les béquilles qui soutiennent notre infirmité. » Tertullien n’accorde pas qu’elles obscurcissent la lumière de l’Évangile.) Je dis illustrer ou démontrer, car la parabole n’est pas seulement une illustration mais aussi, en quelque mesure, une preuve. Ces analogies ne servent pas seulement à rendre la vérité intelligible ou plus frappante, comme quelques-uns le prétendentn. L’efficacité des paraboles gît dans l’harmonie pressentie par chacun (mais que les esprits cultivés se plaisent à constater), entre le monde matériel et le spirituel ; harmonie telle que les comparaisons tirées du premier pour faire comprendre les vérités du second sont quelque chose de plus que des images heureusement mais arbitrairement choisies. Ces deux mondes, créés par la même main, tirés du même fond et établis en vue du même but, se rendent témoignage l’un à l’autre. Les choses terrestres sont la copie des célestes. Le tabernacle d’Israël a été construit selon le modèle vu au Sinaï (Exode 25.40 ; 1 Chroniques 28.11-12). La question que Milton met sur les lèvres de l’ange se présente forcément ici : « La terre ne serait-elle que l’ombre du ciel, et les choses qui se trouvent dans ces deux demeures se ressembleraient-elles plus qu’on ne le croito ? »

m – Macrobe (Somn. Scipionis) : « Par des figures qui protègent son secret des esprits vils. » On ne peut nier, sans faire violence à de nombreuses déclarations, que Jésus-Christ ait eu ce but en vue en se servant de l’enseignement parabolique (Marc 4.11-12 ; Luc 8.9-10). Si l’on pouvait échapper à la force de ἵνα et de μήποτε qui se trouvent dans les versets cités, il resterait la citation Ésaïe 6.10. Il est évident que le prophète y parle d’un aveuglement qui est une peine infligée pour des péchés, et une punition telle que le peuple serait incapable d’en reconnaître le dispensateur et le caractère.

n – Stellini : « En règle générale nous sommes ainsi constitués que nous confondons la vivacité de l’impression créée par une idée avec sa preuve, nous pensons comprendre mieux ce qui frappe particulièrement notre imagination. »

o – On trouve souvent une idée semblable chez les écrivains kabbalistes ; par exemple dans le livre du Sohar : « Tout ce qui existe sur la terre a sa contrepartie dans le ciel, et il n’y a rien d’insignifiant ici-bas qui ne trouve sa correspondance là-haut. »

Entre le type et la chose typifiée il existe plus qu’une correspondance recherchée, ils sont unis par la loi d’une secrète affinité. La relation du Christ avec l’Église, dont il se dit l’époux, nous en offre un exemple (Éphésiens 5.23-32). Et celles du mari et de la femme en ce monde sont une forme inférieure des relations spirituelles de Jésus avec l’Église. Elles reposent sur cette dernière et n’en sont que l’expression.

Quand le Seigneur parle à Nicodème de la nouvelle naissance (Jean 3), ce n’est pas uniquement parce que l’introduction de l’homme dans le monde offre une figure convenable pour représenter ce qui, sans aucun acte de notre part, s’accomplit en nous lorsque nous sommes introduits dans le royaume de Dieu. Les circonstances de notre naissance naturelle ont été préordonnées pour illustrer le mystère de la régénération. Le Seigneur est Roi. Il n’a pas emprunté ce titre aux gouverneurs des États. C’est lui, au contraire, qui leur a prêté le sien. Et non seulement cela, mais il a encore ordonné toutes choses pour que tout vrai gouvernement terrestre, avec ses lois et ses jugements, ses punitions et ses grâces, sa majesté et la crainte qu’il inspire, nous parle de Celui dont le règne s’étend par-dessus tout ; en sorte que l’expression royaume de Dieu n’est pas figurée mais littérale. Ce sont plutôt les royaumes et les rois terrestres qui sont les figures des véritables. Il en est de même du monde de la nature. Le sol inculte, qui ne produit que des ronces, est un type permanent du cœur de l’homme, soumis à la même malédiction ; il ne produira que des épines sans une culture spirituelle vigilante. L’ivraie qui est mélangée au froment pendant un certain temps est également un type du mélange des justes et des méchants. La corruption de la semence dans la terre et son développement du sein de cette corruption est une prophétie de la résurrection ; tous ces rapprochements que nous trouvons dans l’Écriture sont des types très exacts.

Il sera toujours possible à ceux qui n’aiment pas à contempler un monde supérieur de nier cette harmonie. On dira que c’est nous qui transportons dans le ciel les images tirées de la terre ; que la terre n’est pas une ombre du ciel, mais que c’est le ciel, tel que nous l’avons imaginé, qui est une figure de la terre ; que les noms de Père et de Fils, par exemple, sont employés mal à propos quand on les applique aux personnes divines et qu’il vaudrait mieux ne jamais les employer. Mais on répondra que c’est le même Dieu qui siège dans le ciel, sur un trône éclatant, qui remplit aussi des pans de sa robe le temple de Jérusalem et que les caractères qu’il a imprimés sur la nature constituent une écriture sacrée, les hiéroglyphes du Très-Haut. L’homme est placé dans un monde visible, dont il ne doit pas être nécessairement l’esclave, mais qui peut lui servir à s’élever à la contemplation de la vérité éternelle. Il peut s’approprier cette vérité au milieu des choses les plus ordinaires et par leur moyen, en cherchant à découvrir le sens profond qu’elles renferment.

Dieu nous présente donc, outre sa Révélation écrite, une autre révélation plus ancienne encore, sans laquelle on ne peut comprendre celle qui lui a succédé, car la Bible lui emprunte son vocabulaire. Les rois et les sujets, les parents et les enfants, le soleil, la lune, les semailles, la moisson, la lumière et les ténèbres, le sommeil et le réveil, la naissance et la mort, forment une chaîne continue de paraboles pour l’enseignement des vérités révélées qui sont supra-sensibles ; c’est un secours pour notre foi et pour notre intelligencep.

p – Abélard dit à ce sujet : « Dieu prend tellement de plaisir dans les œuvres qu’il a créées, que fréquemment il préfère se révéler par les objets de la création, plutôt que par un langage scientifique et abstrait. Il jouit plus de la ressemblance des choses avec lui-même, que de la convenance de nos termes, et il se sert pour embellir son éloquence de comparaisons tirées de la nature, dont il est auteur, plutôt que de raisonnements appropriés au sujet. »

Il est vrai que l’homme est toujours en danger de perdre « la clef de la science » qui doit lui ouvrir les portes de ce palais ; son œil intérieur peut être obscurci, son oreille devenir pesante, en sorte qu’aucune des voix de la nature ne parvient jusqu’à lui, et c’est là, du plus ou moins, la situation de chacun. Pour aucun de nous la nature ne donne tout son enseignement d’une manière habituelle. C’est pourquoi la Bible, avec son emploi presque continuel du langage figuré, est destinée à réveiller dans nos esprits l’intelligence des choses et leur rend la clef de la connaissance obscurcie par le péché, la vraie signatura rerum ; ce sont surtout les paraboles qui doivent produire cet heureux résultat.

Elles ont en outre un rapport frappant avec les miracles. Ceux-ci appelaient l’attention sur les lois de la nature qui, par leurs fonctions journalières, perdent leur caractère merveilleux et n’attirent plus les regards. Les hommes, en effet, avaient besoin d’être stimulés à la contemplation et à l’étude des puissances énergiques qui travaillent en leur faveur. Les paraboles aussi dirigeaient les esprits vers les faits spirituels et vers les enseignements qui sont au fond de tous les procédés de la nature et de toutes les institutions sociales, et qui, quoique invisibles, servent de fondement à toutes choses. Le Christ se mouvait dans ce qui, à l’œil humain, ne semblait plus qu’un monde usé ; il le rajeunit par sa présence et son contact ; alors se révèlent à l’homme les secrets les plus cachés de son existence et de sa destinée. Les hommes durent avouer que le monde extérieur correspondait merveilleusement à un autre monde qu’ils portent au-dedans d’eux et le leur expliquait, et que ces deux mondes se réfléchissaient et projetaient l’un sur l’autre l’éclat le plus glorieux.

C’est sur une telle base que repose l’enseignement parabolique. Ce n’est donc point bâtir en l’air, peindre sur les nuages, que d’affirmer, touchant le monde sensible, qu’il est divin, que c’est le monde de Dieu, de ce même Dieu qui nous enseigne les vérités spirituelles et nous les approprie. Il n’est par conséquent qu’un mensonge, l’affreux rêve des gnostiques et des manichéens, qui voyaient un abîme entre le monde de la nature et celui de la grâce, et donnaient pour auteur au premier un Être imparfait et méchant, et au second un Être bon et parfait. Ce monde, étant celui de Dieu, a part à sa rédemption ; cependant, ce monde racheté, ne l’est, à certains égards, qu’en espérance (Romains 8.20) ; il soupire après l’entière délivrance. Il ne faut pas oublier que la nature, dans sa condition actuelle, de même que l’homme, ne possède encore que la prophétie de sa gloire future, dans l’attente de laquelle « elle gémit et est en travail, » dit saint Paul ; elle a le pressentiment de quelque chose qui doit arriver. Elle souffre de notre malédiction et en cela même elle nous offre les symboles les plus frappants de nos maux ainsi que des moyens d’y remédier. Avec ses orages et ses désolations, ses lions et ses vipères, ses catastrophes et ses fléaux, elle nous annonce la mort et nous en montre les causes, de même que ses opérations bienfaisantes nous prêchent la vie et tout ce qui tend à la restaurer et à la maintenir.

Mais la nature, dans son état actuel, ne rend pas toujours un témoignage très distinct à la vérité de Dieu et à son amour ; quelquefois même elle paraît ne pas les proclamer du tout, mais parler plutôt de discorde et de guerre, et de toutes les funestes conséquences de la chute. Un jour il en sera autrement, un jour elle sera l’expression parfaite de la pensée de Dieu, le pur reflet de sa gloire. Car, sans aucun doute, à la fin des temps la nature ne sera pas détruite, mais transformée ; ce qui est maintenant nature (natura), c’est-à-dire un devenir, aura atteint sa pleine réalisation. La nouvelle création sera le glorieux enfant issu des soupirs et des angoisses de l’ancienne ; pareil au serpent qui rejette sa peau rugueuse et desséchée, le monde actuel déposera ses vêtements souillés pour se parer d’un vêtement saint et glorieux. Quand elle aura été délivrée de la servitude de la corruption, tout ce qu’elle renferme actuellement d’obscur et de navrant disparaîtra. La nature sera un miroir qui réfléchira parfaitement Dieu, car elle ne racontera plus que les merveilles de sa sagesse, de sa puissance et de son amour.

Mais, en attendant, le monde qui subit les conséquences de la chute, n’est plus entièrement propre à exprimer les choses du monde supérieur. Les relations humaines et toute la constitution des choses terrestres, participent à la fragilité qui distingue tout ce qui est de la terre. Sujettes au changement, souillées par le péché, enfermées dans d’étroites limites par la mort, elles sont souvent faibles et passagères ; elles contiennent un élément de péché, tandis qu’elles demeurent des symboles de ce qui est pur et céleste. Elles sont accablées sous le fardeau qui les oppresse. Le père châtie selon son bon plaisir, et non pas uniquement pour le bien de son enfant ; en cela, il n’est pas l’image du Père céleste, qu’il devrait représenter. La semence qui devrait représenter la parole de Dieu, cette parole qui demeure éternellement, finit toujours par périr. Les fêtes, qui sont souvent considérées comme l’image de la pure joie du royaume, de la communion parfaite des fidèles avec leur Seigneur et entre eux, sont mélangées de beaucoup d’éléments charnels, et ne durent que peu de temps. Il y a quelque chose d’analogue à tout cela chez les personnages typiques de l’Écriture, chez ces hommes qui doivent préfigurer l’Homme-Dieu. A cause de leurs péchés, de leurs infirmités et de leur courte durée, ils ne peuvent être des types très exacts. Salomon est un de ces types ; son règne de paix, la splendeur de sa cour, sa sagesse, le temple qu’il construisit, faisaient pressentir celui qui devait venir. Et toutefois, cette gloire de Salomon ne brille que peu de temps ; sa sagesse et la paix de son territoire ne tardent pas à disparaître (1 Rois 11.14, 23, 26) ; ce n’était là qu’une image passagère, et non pas la vraie réalité du royaume de paix.

Nous voyons aussi, dans l’Écriture, des hommes qui ne sont des types de Christ que dans une seule époque de leur vie ; ainsi, Jonas, type de la résurrection ; d’autres qui semblent apparaître subitement comme symboliques, mais qui disparaissent aussitôt comme tels, ainsi Samson. Aucun homme ne peut représenter l’idée divine d’une manière parfaite. On peut bien dire, en parlant de la vérité de Dieu, que « nous portons ce trésor dans des vases de terre » ; le vase de terre apparaît toujours ; l’imperfection est attachée à tout ce qui est humainq. Nul doute que ce ne fût l’imperfection des moyens humains et des choses terrestres, pour caractériser ce qui est spirituel ou céleste, qui inspirait à saint Paul ce désir si vif de « contempler face à face » (1 Corinthiens 13.12)r, et qui pressait les mystiques de se retirer le plus possible du présent siècle, pour pouvoir s’élever librement à la connaissance de la vérité. (Thauler « Que nous nous dépouillions et nous nous détournions de toutes les images » ; Fénelon tient le même langage). En faisant de cet isolement la condition indispensable du progrès spirituel, ils ne pouvait qu’égarer les hommes. Car, séparer dans la pensée la forme de son essence, envisager comme un clair symbole telle ou telle image, cela ne dépend pas du plus ou moins de progrès dans la connaissance spirituelle, mais de causes qui peuvent être indépendantes du développement religieux. Celui qui ne possède la vérité que sous l’enveloppe d’un symbole, peut la saisir bien plus fortement, en subir l’influence d’une manière bien plus profonde que tel autre, proclamé très supérieur par les mystiques. Il est vrai cependant, que ceux qui doivent dispenser la vérité aux autres, les conduire aux sources de la vie spirituelle, doivent s’efforcer de devenir maîtres du langage, et de distinguer la forme, l’enveloppe de ce qui est contenu, comme aussi d’être experts dans leurs rapports.

q – « Maintenant nous connaissons en partie, énigmatiquement, par le moyen d’un miroir, par comparaison. » (1 Corinthiens 13.12 ; Jean 16.25).

r – John Smith dit que les néo-platoniciens avaient trois termes pour exprimer les différents degrés de connaissance divine : κατ’ ἐπιστήμην, κατà νόησιν, κατὰ παρουσίαν. Si nous les adoptions dans notre théologie, nous dirions que le premier se rapporte à tout homme qui a simplement entendu parler de Dieu ; le second est le privilège du croyant qui connaît réellement Dieu ; le troisième désignerait la vue de Dieu dans le ciel ; Videre Videntem. (voir Celui qui voit) ainsi que le formule saint Augustin. C’est ce que désirait Moïse quand il demandait à « voir la gloire de Dieu. » (Exode 33.18-20). Une tradition musulmane dit que l’Éternel, pour faire comprendre son refus à Moïse, envoya un rayon de sa gloire sur une montagne qui fut aussitôt brisée en mille fragments.

On a dit que le grain semé se débarrasse après un certain temps de son enveloppe. Celle-ci alors se détruit, tandis que le germe pousse et fructifie. De même la Parole de Dieu, déposée dans un cœur d’homme, se dégage de son enveloppe littérale, et produit ses effets sanctifiants. Mais l’image n’est pas très exacte ; elle pourrait facilement conduire au mépris de la parole écrite, sous prétexte qu’on possède la vie spirituelle. L’enveloppe extérieure ne doit pas périr, mais être glorifiée, étant pénétrée entièrement par l’esprit. L’homme est composé d’un corps et d’une âme ; la vérité a besoin également pour lui d’un corps et d’une âme ; mais il doit savoir les distinguer, sans mépriser le corps. C’est ainsi que la sagesse divine a pourvu à ce qui nous concerne ; tous nos efforts pour nous passer d’images sensibles seraient vains. Nous ne pourrions que changer d’images, abandonner les réalités vivantes dont notre cœur a besoin, pour nous plonger dans de métaphysiques abstractions. Le docteur qui voudra donc atteindre l’intelligence et le cœur de ses disciples, ne rejettera pas de ses discours l’élément parabolique ; il en fera au contraire l’usage le plus fréquent possible. Cela exige de nombreux efforts ; car, si tout langage est figuré, cependant un long usage peut facilement lui enlever son trait, ce qui le rendrait propre à éveiller l’attention et à produire une impression profonde, en sorte qu’il faut rechercher de nouvelles formes, comme le faisait celui qui employait habituellement les paraboles ; Il ne présenta aucune doctrine d’une manière abstraite, mais Il les rendait toutes vivantes. Il fit ce qu’il commandait à ses apôtres de faire aussi, pour être des docteurs bien instruits pour le royaume, et capables d’en instruire d’autres (Matthieu 13.52) ; Il tirait de son trésor des choses vieilles et des choses nouvelles ; au moyen des vieilles, Il faisait comprendre les nouvelles ; Il proclamait l’extraordinaire en se servant des choses familières ; Il aimait à s’élever du connu à l’inconnu. Par sa méthode, Il nous a confié le secret de l’enseignement vraiment utile, propre à remuer les cœurs et les esprits. Il y a un grand charme dans cette manière d’enseigner, qui s’adresse non seulement à l’intelligence, mais aussi au sentiment, à l’imagination, poussant l’homme à l’action ; les choses apprises ainsi restent gravées dans la mémoires.

s – Ainsi Jérôme dans son commentaire sur Matthieu : « Afin que ce que les auditeurs ne pourraient retenir sous forme de commandement direct, ils le retiennent grâce à des similitudes et des exemples. »

Si notre Seigneur avait présenté la vérité sans aucune image, plusieurs de ses enseignements auraient été perdus pour ses auditeurs ; ils n’auraient laissé aucune tracet. Mais, leur étant présentés sous une image frappante, ou sous la forme de quelque maxime paradoxale, ils éveillaient l’attention, excitaient l’interrogation, et si la vérité n’était pas toujours immédiatement comprise, les paroles restaient cependant gravées dans la mémoire. (Saint Bernard dit : « Ne faut-il pas tenir voilé ce que tu ne comprends pas dans sa nudité ? ») Les paroles du Sauveur, conservées dans le souvenir des siens, furent pour eux comme une monnaie étrangère qui ne peut être employée que plus tard et dans le pays où elle peut être échangée, mais qui cependant garde toute sa valeur. Lorsque le saint Esprit descendit sur les apôtres, il leur remit en mémoire ce qu’ils avaient vu et entendu, il donna un corps aux enseignements du Maître et les vivifia. Ils ne comprirent pas tout à coup, mais graduellement, à mesure qu’ils croissaient dans la vie spirituelle. Il en est ainsi de toute vraie connaissance, qui ouvre des sources vives dans le cœur, répand des semences de vérité, qui germeront dans ce nouveau sol, et deviendront un grand arbre.

t – Les cabalistes Juifs disaient : « Jamais une vérité supérieure ne descend sans être revêtue d’un voile ». A quoi se rapporte aussi cette sentence du pseudo Denys, souvent citée : « Il est impossible que pour nous brille un rayon divin, à moins qu’il ne soit dissimulé sous la variété des voiles sacrés. »

En dehors des paraboles prononcées, il y a eu la parabole en action ; car tout type est une véritable parabole. La constitution lévitique, avec son temple, ses prêtres et ses sacrifices, est appelée de ce nom dans Hébreux 9.9. Le voyage des enfants d’Israël est un type de la vie du chrétien. Dans l’Ancien Testament, on rencontre des personnages qui ne se doutaient point que, dans certains actes de leur vie, ils représentaient un personnage bien plus grand qu’eux et des événements d’une portée infiniment supérieure. Ex. : Abraham chassant Agar et Ismaël (Galates 4.30), David à l’heure du péril et de la détresse (Psaumes 22), Jonas dans le ventre de la baleine. Dieu a voulu que ses serviteurs enseignassent, quelquefois par une parabole en action, plutôt que d’une autre manière, afin de produire une impression plus profonde. Ainsi, Jérémie brise un vase de potier, pour annoncer la destruction complète de son peuple (Jérémie 19.1-11) ; il porte un joug, pour représenter l’esclavage prochain d’Israël (Jérémie 27.2 ; 28.10) ; on pourrait multiplier ces exemples. Dieu enseigne continuellement ses serviteurs par ces mêmes signes. Les grandes vérités du royaume de Dieu passent quelquefois sous les yeux des prophètes en symboles plutôt qu’en paroles. De là leur nom de voyants. Dans le Nouveau Testament, nous en avons des exemples : la vision de Pierre (Actes 10.9, 16), et toutes les visions de l’Apocalypse. Il en fut ainsi de la manifestation de Dieu en chair, qui rendait l’invisible visible, en montrant la vie divine.

Quant aux paraboles de Jésus-Christ, il y aurait une intéressante étude à faire en caractérisant chacun de nos Évangiles selon les paraboles particulières qu’il contient, et en indiquant, lorsque les mêmes paraboles sont rapportées par plusieurs évangélistes, les traits spéciaux de chaque récit. En essayant une comparaison entre les synoptiques, on dira que les paraboles de Matthieu sont plus théocratiques et celles de Luc plus éthiques, que celles du premier sont plus de jugement et celle du second plus de miséricorde. En conséquence, les premières sont plus majestueuses et les secondes plus touchantes. Matthieu introduit souvent ses paraboles pour expliquer les mystères du royaume de Dieu. C’est un langage inconnu à Luc. Dans les paraboles de Matthieu, Dieu apparaît comme le Roi qui, assis sur le trône, a le mal en horreur, et se tient prêt à punir toute désobéissance des hommes ; plusieurs d’entre elles se terminent par des actes de jugement plus ou moins sévères (Matthieu 13.42, 49 ; 18.34 ; 20.14 ; 21.41 ; 22.7, 13 ; 25.12, 30). De tels actes de jugement se retrouvent aussi dans les paraboles de Luc, mais moins souvent ; ce dernier proclame surtout la grâce. Telles sont les paraboles de l’arbre épargné par le cultivateur, du Samaritain qui verse l’huile et le vin sur les plaies du voyageur, du père qui tend ses bras à son fils repentant. Même celle de Lazare et du mauvais riche offre aussi un point de vue miséricordieux. On peut donc affirmer qu’à cet égard surtout, les traits caractéristiques des deux évangélistes apparaissent dans toute leur force. Les différences que présentent dans les synoptiques les paraboles du même genre le prouvent encore. Comparez le mariage du fils du roi (Matthieu 22) et le grand souper (Luc 14). Il y a des rapports entre eux et aussi de notables différences. Comme rien n’est plus ductile que l’or fin, ainsi en était-il de l’enseignement du Christ. Il se prêtait à être diversement moulé et façonné selon les personnes et les besoins des temps. Les évangélistes ont donc diversement reproduit ce qui correspondait le mieux à leurs dispositions d’esprit et au but qu’ils se proposaient. Exemple : dans Matthieu nous avons un roi pour personnage principal, puis un prince royal dont on célèbre les noces. Tout y porte une empreinte monarchique et procède de l’Ancien Testament. Ensuite il y a une double condamnation : celle des ennemis et celle des faux amis. Dans Luc, c’est tout simplement un riche qui donne un festin. Les deux actes de jugement sont sur l’arrière-plan, tandis que la grâce et la compassion de celui qui célèbre la fête sont les motifs qui le pressent d’envoyer à diverses reprises des messagers pour rassembler autour de sa table les plus pauvres et les plus misérables du pays.

Ce sont là quelques directions destinées à encourager les lecteurs de l’Écriture à étudier les paraboles et à tirer un nouveau parti de leur contenuu.

u – Papias, disciple de saint Jean, dit avoir reçu de la tradition quelques autres paraboles de notre Seigneur, que celles qui sont contenues dans les Évangiles.

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