Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

XVII.
Le bon samaritain

Luc 10.30-37

Il n’est pas nécessaire d’attribuer une intention perfide au légiste qui « se leva » pour interroger Jésus. La question elle-même : « Que me faudra-t-il avoir fait pour hériter de la vie éternelle ? » ne pouvait être un piège ; « Jésus aima » celui qui la lui adressa dans une autre circonstance (Marc 10.21). La réponse du Seigneur prouve qu’il s’agit de paroles sincères, qui méritent d’être prises en considération. Il est vrai que le légiste « se leva pour tenter » Jésus, mais il est dit la même chose d’un autre légiste (Matthieu 22.35), qui n’était cependant « pas loin du royaume de Dieu » (Marc 12.34). Le mot « tenter » signifie proprement éprouver, et tout dépend ici du mobile. Ainsi Dieu « tente » l’homme quand Il lui fait subir une épreuve salutaire, pour lui révéler les secrets de son propre cœur ; Il « tente l’homme pour manifester le bien qui est en lui (Genèse 22.1 ; Hébreux 11.7), pour lui montrer son péché, pour l’humilier et lui faire à la fin du bien (Deutéronome 8.3-13). Le tentateur seul (Matthieu 4.3) « tente » dans le but unique d’irriter l’homme et de faire abonder son péché. L’intention du légiste est simplement louable. Il est probable que la renommée de ce jeune docteur galiléen était parvenue à ses oreilles, et qu’il voulait éprouver son habileté ; dans ce but, il lui adresse cette question : « Que me faudra-t-il avoir fait pour hériter de la vie éternelle ? »

Le Seigneur répond à cette question par une autre : « Qu’est-il écrit dans la loi ? comment lis-tu ? » Comme s’il disait : « Qu’est-il besoin de m’interroger ? La réponse que tu désires n’est-elle pas dans la loi que tu médites ? » Le légiste se montre digne de son titre, car il cite avec raison Deutéronome 6.5 et Lévitique 19.18 comme renfermant le sommaire de la loi. Il fait preuve d’un vrai discernement spirituel. Mais il ne se doute pas de toute la portée de ses paroles ; le Seigneur le lui fait comprendre : « Tu as très bien répondu ; fais cela et tu vivras ». Il faut que sa connaissance se traduise en vie ; alors tout ira bien pour lui. Sa conscience est atteinte : « Voulant se justifier, il dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? » Cette question, ainsi que celle de Pierre (Matthieu 18.21), témoignait d’un fâcheux état intérieur, de l’ignorance du véritable amour, qui ne connaît pas de limites, et ne reçoit de loi que de lui-même.

Le Seigneur donna au légiste ce dont il avait besoin, dans la parabole suivante : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho ». Il est probable que cet « homme » est un Juif, alors même que cela ne nous est pas dit expressément. Il « descendait », car Jérusalem est beaucoup plus élevée que Jéricho ; on disait toujours : « monter » quand il s’agissait d’y aller. La distance entre ces deux villes était d’environ cent cinquante stades ; la route traversait une contrée aride, « un désert » (Deutéronome 34.3 ; Josué 16.1). La plaine de Jéricho, véritable oasis dans le désert, était d’une grande fertilité (Juges 1.16 ; 2 Chroniques 28.15), renommée pour ses roses, son miel et les meilleurs produits de la Palestine. Le misérable village de Riha occupe aujourd’hui l’emplacement de l’ancienne Jéricho. Pendant son voyage, « il tomba entre les mains des brigands, qui, après l’avoir dépouillé et couvert de plaies, s’en allèrent, le laissant demi-mort ». Josèphe raconte que la Palestine était alors infestée de brigands, et Jérôme nous apprend qu’une partie de la route de Jérusalem à Jéricho était appelée le chemin du sang, à cause du sang qui y avait été répandu ; il y avait là une garnison romaine, pour la protection des voyageurs. Aujourd’hui encore, les Arabes du désert pillent fréquemment ceux qui parcourent cette contrée.

Tandis que le pauvre voyageur gisait sur la route, baigné dans son sang, « accidentellement un sacrificateur descendit dans ce chemin » ; c’était une coïncidence, comme il y en a dans la vie de chacun, et qui ne doit pas être attribuée au hasard. C’est la main même de Dieu qui amène les besoins de quelqu’un en contact avec le secours qui lui est nécessaire. Celui qui « descendait dans le chemin » négligea l’occasion qui lui était fournie ; c’était un sacrificateur, peut-être l’un de ceux qui résidaient à Jéricho ; il allait à Jérusalem pour remplir ses fonctions, ou bien, il retournait chez lui après s’en être acquitté. Quoi qu’il en soit, jamais il n’avait compris le sens de cette parole : « Je veux miséricorde, et non sacrifice », car « lorsqu’il l’eut vu, il passa du côté opposé. Pareillement aussi un lévite qui arrivait en ce lieu, venant et voyant, passa du côté opposé ». Tacite dépeint sous les couleurs les plus sombres le caractère peu bienveillant des Juifs ; il reconnaît cependant qu’ils étaient miséricordieux envers ceux de leur nation ; ici, cette miséricorde elle-même fait défaut ; ils se détournent de leur frère qui gisait dans son sang.

On ne peut douter qu’ils ne cherchassent à se justifier vis-à-vis de leur conscience par la crainte qu’ils avaient des brigands, ou bien, tout secours, pensaient-ils, était inutile ; on pourrait d’ailleurs les accuser eux-mêmes du meurtre. Le sacrificateur se disait peut-être qu’il n’avait pas le temps de s’arrêter, que le service du temple ne pouvait être retardé ; que le lévite qui venait derrière lui pouvait aussi bien soulager ce malheureux. De son côté, le lévite peut s’être dit à lui-même qu’il n’était pas obligé de remplir un devoir dont le sacrificateur s’était dispensé. C’est pourquoi ils abandonnèrent leur compatriote.

« Mais un Samaritain qui voyageait, vint vers lui. » Cet homme était exposé aux mêmes dangers que ceux qui l’avaient précédé ; d’ailleurs ce n’était pas un compatriote qui réclamait son aide, mais un membre d’une nation hostile ; toutefois il ne céda pas à de telles pensées ; lorsqu’il le vit, « il fut ému de compassion ». C’était la meilleure chose qu’il pût donner, avant tout le reste. Il lui était réservé de montrer ce qu’est le véritable amour, qui ne tient aucun compte de la différence ethniquee. Le Juif appelait le Samaritain : un prosélyte des lions, un idolâtre qui adorait l’image d’une colombe ; il le maudissait publiquement dans la synagogue, priait qu’il n’eût aucune part à la résurrection de vie ; le Samaritain, de son côté, rendait outrage pour outrage. Nous en avons des preuves dans les évangiles (Jean 4.9 ; Luc 9.53). Josèphe raconte que les Samaritains ne se contentaient pas de refuser l’hospitalité aux Juifs qui se rendaient aux fêtes de Jérusalem ; ils cherchaient quelquefois à les tuer.

e – Notre Seigneur appelle le Samaritain « un étranger ». (Luc 17.18) Dans l’antiquité on regardait ce peuple comme païen. (2 Rois 21.13 ; 17.6, 23-24 ; Jérémie 17.15).

Mais le cœur du Samaritain de la parabole n’était pas dur. « Il banda ses blessures en y versant de l’huile et du vin », (remède employés en Orient) et ne craignit pas d’y consacrer tout le temps nécessaire. « Ensuite il le mit sur sa propre monture et le mena dans une hôtellerie. » Il ne voulut pas le confier à des étrangers aussi longtemps qu’il put le soigner lui-même ; « il prit soin de lui ». « Le lendemain, en partant, il tira deux deniers et les donna à l’hôte, et lui dit : Aie soin de lui, et tout ce que tu dépenseras au delà je te le rendrai à mon retour. » Il allait sans doute à Jérusalem pour quelque affaire importante et reviendrait dans peu de jours.

Cette parabole, qui nous invite à « revêtir des entrailles de miséricorde, » à accomplir tous les devoirs de la charité, est surtout magnifique et puissante pour nous exciter à la charité et aux bonnes œuvres lorsque nous y voyons l’œuvre de Christ, du Fils de l’homme plein de miséricorde. Tous les détails de la parabole conviennent à une telle interprétation. Jésus-Christ seul a parfaitement accompli la loi ; Il nous a montré qui nous devons aimer et comment nous devons aimer ; Il peut bien se proposer Lui-même en exemple, car son œuvre est de sauver tous ceux qui périssent.

Le voyageur représente la nature humaine, ou Adam, comme chef de notre race. Il a abandonné Jérusalem, la cité céleste, et descend à Jéricho, la cité profane, qui est sous la malédiction (Josué 6.26 ; 1 Rois 16.34). Mais dès qu’il a quitté la sainte cité et qu’il a tourné ses désirs du côté du monde, il tombe entre les mains de celui qui est à la fois un voleur et un meurtrier (Jean 8.44) ; il est dépouillé de la robe de sa justice originelle, blessé grièvement, frappé de coups mortels ; chaque passion coupable est une plaie par laquelle s’échappe la vie de son âme. Mais il n’est pourtant pas tout à fait mort ; le relèvement de l’homme aurait été impossible s’il n’y avait plus en lui aucune étincelle de vie divine, aucune vérité qui pût être dégagée de son injustice. L’homme est « demi-mort » ; il a toujours une conscience qui témoigne en faveur de Dieu ; il a le sentiment d’avoir perdu quelque chose et quelquefois un désir de délivrance. Son cas n’est pas désespéré entre les mains du Médecin tout-puissant et miséricordieux. Lui seul peut rendre à l’homme ce qu’il a perdu, bander les blessures de son âme ; la Loi ne pouvait le faire. « S’il eût été donné une loi qui pût faire vivre, la justice serait réellement par une loi » (Galates 3.21). Elle est semblable au bâton d’Elisée mis sur le visage de l’enfant mort, mais sans pouvoir le ramener à la vie (2 Rois 4.31) ; il fallut, pour cela, la présence d’Elisée lui-même. Les sacrifices ne pouvaient non plus délivrer du péché, ni purifier la conscience. Prêtre et lévite furent également impuissants à secourir.

S’il faut absolument donner un sens précis à « l’huile » et au « vin », nous dirons avec Chrysostome que l’huile représente l’onction du saint Esprit et le vin le sang de la Passion. Les sacrements ont été souvent appelés les pansements pour les blessures de l’âme ; c’est Dieu Lui-même qui les pose. Le Samaritain qui place l’homme blessé sur sa propre monture et marche à ses côtés nous rappelle Celui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous, afin que par sa pauvreté nous fussions enrichis, et qui est venu pour servir. « L’hôtellerie » est une image de l’Église qui prend soin des âmes guéries ; on l’a appelée un hospice, dans lequel le Fils de l’homme place tous ceux qu’il a délivrés du pouvoir de Satan et où Il les soigne jusqu’à ce qu’ils aient retrouvé une santé parfaite (Malachie 4.2 ; Osée 14.4 ; Matthieu 13.15 ; Apocalypse 22.2). Comme le Samaritain, Jésus ne peut être toujours présent de corps auprès de ceux dont Il a commencé la guérison ; il faut qu’il « s’en aille », mais non pas sans leur laisser une riche provision de grâce jusqu’au moment de son retour.

Les « deux deniers » comprennent tous les dons et les grâces que le Seigneur a confiés à son Église. Le Samaritain « tira deux deniers et les donna à l’hôte, et lui dit : Aie soin de lui ; » de même, Jésus-Christ a dit à Pierre et à tous les apôtres : « Pais mes brebis », « Pais mes agneaux » (Jean 21.15-17 ; cf. Jean 20.22-23). Il leur a remis, ainsi qu’à leurs successeurs, la dispensation des mystères de l’Évangile pour le salut de son peuple. Aucun travail accompli pour Lui ne sera vain ; Il regardera comme fait à Lui-même ce qui sera fait pour le moindre de ses frères (1 Pierre 5.2,4).

Admirons la divine sagesse avec laquelle, après avoir terminé la parabole, Christ reprend la question du légiste et dit : « Lequel donc de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des brigands ? » Qui est le prochain, celui qui témoigne de l’amour ou celui qui n’en témoigne pas ? L’amour est comme le soleil, qui ne s’informe pas de ce qu’il éclaire ou réchauffe, mais luit et réchauffe par la loi de sa propre nature, en sorte qu’il est bienfaisant pour tous. La parabole est une réponse à l’esprit qui avait dicté la question du légiste plutôt qu’à cette question elle-même. Le Seigneur ajoute : « Va, et toi fais de même » (Luc 6.36 ; Colossiens 3.12 ; 1 Pierre 3.8). Il a voulu faire sentir à ce légiste l’abîme qui existait entre sa connaissance et sa vie.

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