Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

XXII.
La brebis perdue

Matthieu 18.12-14 ; Luc 15.3-7

Les premiers mots du quinzième chapitre de Luc : « Tous les péagers et les pécheurs s’approchaient de lui pour l’entendre, » n’indiquent pas un moment précis, mais plutôt le caractère distinctif du ministère de Christ dans cette période (Marc 2.15 ; Luc 7.37), à savoir que, par une secrète attraction, Il entraînait sur ses pas les méprisés du peuple. Les péagers étaient méprisés, en effet, parmi leurs concitoyens, à cause de la nature même de leurs occupationsm ; les pécheurs étaient des transgresseurs déclarés de la sainte loi de Dieu (Luc 8.39). Jésus ne les repoussait pas, mais les accueillait avec bonté, les introduisait et vivait avec eux dans des relations familières. Aussi les scribes et les pharisiens murmuraient et se scandalisaient. Ils comprenaient mieux un Jean-Baptiste fuyant au désert, se séparant entièrement des pécheurs. Mais Christ était le Médecin venu pour guérir et pour communiquer sa justice aux pécheurs. Les murmures des pharisiens fournissent l’occasion des trois paraboles suivantes. Jésus leur montre les anges de Dieu, Dieu Lui-même, se réjouissant de la conversion d’un pécheur ; il met en opposition cette joie du ciel avec les murmures de la terre. Mais il y a plus. La joie du ciel est même plus grande au sujet d’un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance.

m – Il y avait deux catégories de péagers : les publicains, qui étaient ordinairement des chevaliers romains, chargés de percevoir les impôts ; ils étaient en honneur au peuple. Puis il y avait les exacteurs, hommes d’une condition inférieure qui se tenaient sur les frontières, aux portes des villes, près des rivières, sur les ports ; ils étaient haïs à cause de leur rudesse, de leurs fraudes ; ils se liguaient avec les Romains par amour du gain.

Il reconnaît qu’il peut y avoir quelque bien chez ces justes, du zèle pour Dieu, une recherche de la justice selon la loi ; mais ils rejettent obstinément une justice supérieure, la justice qui est par la foi. Ceux qui consentent à recevoir la vie nouvelle, quelque égarés qu’ils puissent avoir été, seront infiniment plus près de Dieu que les autres. Les scribes et les pharisiens doivent prendre garde que l’esprit qui les anime ne les exclue pas du nouveau royaume de justice, de paix et de joie par le saint Esprit.

Les deux premières paraboles de ce chapitre nous présentent l’amour de Dieu qui cherche le pécheur ; la troisième décrit plutôt le développement de la repentance dans le cœur de l’homme. La même vérité est ainsi présentée sous divers aspects, et les trois paraboles forment un tout harmonique. Il y a d’autres rapports entre elles. Le possesseur des cent brebis est un homme riche, qui ne s’apercevra pas autant de la disparition d’une seule que la femme qui n’a que dix petites pièces de monnaie et qui en perdrait une ; toutefois, sa tristesse est bien moins grande que celle d’un père qui se voit abandonné par son enfant.

Chaque parabole nous montre chez l’homme une culpabilité toujours plus grande et en Dieu une grâce toujours plus merveilleuse. Dans la première, la faute est la moins grave ; le pécheur est une brebis égarée ; le péché est souvent une ignorance, et même il est toujours tel à divers degrés (Luc 23.34 ; Actes 3.17 ; 1 Timothée 1.13) ; le pécheur ne sait pas ce qu’il fait, il a besoin de miséricorde, alors même qu’il mérite la colère. C’est une brebis qui s’est égarée, souvent sans se douter qu’elle a un berger. Mais il en est d’autres, désignés ici par la drachme perdue ; sachant que l’image de Dieu est gravée dans leurs âmes et qu’ils Lui appartiennent, ils s’éloignent volontairement de Lui, oublient leur origine céleste et se perdent dans le monde. Leur culpabilité est plus grande, mais pas encore autant que celle de l’enfant prodigue. Avoir connu l’amour de Dieu et avoir méprisé cet amour, abandonné la maison du Père, c’est là le péché par excellence, et toutefois la grâce de Dieu peut encore le pardonner et ramener ce pécheur.

Nous allons maintenant examiner successivement chacune de ces paraboles, en commençant par celle de la Brebis perdue : « Quel est l’homme d’entre vous qui, ayant cent brebis, s’il en a perdu une seule, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert et ne s’en aille après celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée ? » Il peut sembler étrange, au premier abord, que le berger laisse ses brebis exposées à tous les dangers du désert pour courir après une seule. Mais « le désert » ne signifie pas ici un lieu aride, repaire des bêtes fauves ou des brigands, mais plutôt des plaines herbeuses, des steppes ou savanes, sans habitations et très propices pour y paître les brebis. Nous lisons dans Jean 6.10 « qu’il y avait beaucoup d’herbe », dans un lieu que saint Matthieu nomme un « désert » (Matthieu 14.15) ; il est vrai que quelques portions des plus grands déserts de Palestine ou d’Arabie sont entièrement désolées ; mais ils renferment, en fait, bien plus de contrées fertiles qu’on ne le pense généralement. Le berger de la parabole laisse donc le troupeau dans un bon pâturage, en parfaite sûreté, tandis qu’il cherche la brebis perdue. Cette image s’applique bien aux conducteurs spirituels du peuple juif. Ils étaient aussi bergers (Ézéchiel 34 ; Zacharie 11.16) ; dépendant de Celui qui veille sur son peuple (Jérémie 31.10 ; Ézéchiel 34.12 ; 37.24 ; Zacharie 13.7 ; Psaumes 23.1) ; mais ils ne cherchaient pas ce qui était perdu, ne ramenaient pas les égarés ; ils murmuraient contre le « Berger d’Israël, » le « grand Berger des brebis, » parce qu’il faisait ce qu’ils avaient négligé si longtemps.

En général, dans la vie ordinaire, la brebis qui s’éloigne du bercail peut aussi y retourner. Mais il n’en est pas de même des brebis du Seigneur. Elles peuvent s’égarer, mais sont incapables de revenir. Le péché est une force centrifuge ; ce qui s’égare s’éloigne toujours plus. Il ne peut être ramené que par le Berger, autrement il est perdu pour toujours. Le Fils de Dieu est venu en chair pour accomplir cette œuvre, à laquelle Il a consacré toute sa vie terrestre. Il ne fut pas lassé par le chemin à parcourir ; Il ne recula pas lorsque les épines déchiraient ses pieds ; Il nous a suivis jusque dans l’abîme de notre misère, il s’est chargé de notre malédiction, car Il est venu pour chercher les siens « jusqu’à ce qu’il les ait trouvés ». « Et, lorsqu’il l’a trouvée », le berger de la parabole traite avec tendresse la brebis qui lui a coûté tant d’efforts ; il ne la frappe pas, ni ne la pousse rudement devant lui, mais « il la met sur ses épaules » et la ramène au bercail. (Deutéronome 32.10) Nous avons là une image de la grâce de Christ qui agit continuellement, jusqu’à ce que les égarés aient obtenu le salut final. Et voici maintenant le récit de son retour triomphant au ciel, avec son trophée. Le berger, étant venu dans la maison, « rassemble ses amis et ses voisins en leur disant : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue » ; il veut qu’ils participent à sa joie, comme ils ont participé à sa crainte ; de même, il y a de la joie dans le ciel lorsqu’un égaré est ramené au bercail céleste, car le ciel et la terre rachetée ne forment qu’un seul royaume, uni par cet amour qui est « le lien de la perfection ». « Je vous dis que de même il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. » Par ces mots : « Je vous dis », le Seigneur affirme la dignité de sa personne ; « Moi qui connais, Moi qui, lorsque je vous parle des choses célestes, vous parle de ce qui est à moi (Jean 1.51 ; 3.11), c’est Moi qui vous le dis ». Cette joie est encore à venir ; « il y aura de la joie dans le ciel » ; le Bon Berger n’était pas encore ressuscité, ni monté au ciel, emmenant « une multitude de captifs, » ceux qu’il a rachetés. Mais, non seulement il y aura de la joie pour un seul pécheur, il y en aura même « plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion ». Nous comprenons facilement que, parmi les hommes, il y a plus de joie à recouvrer ce qui a été en péril que dans la possession assurée de biens plus considérables. Une mère concentre pour un moment toute son affection sur son enfant malade ; elle se réjouit plus de sa guérison que de la santé des autres. Cette joie résulte de l’incertitude qui aboutit à une heureuse solution. Mais une telle incertitude n’existe pas pour Celui qui connaît toutes choses, en sorte que les analogies empruntées à notre monde n’écartent pas la difficulté du texte. De plus, comment peut-on dire de quelqu’un « qu’il n’a pas besoin de conversion », puisque « nous nous sommes tous égarés comme des brebis », et que, par conséquent, nous avons tous besoin de retrouver le vrai chemin ? Les explications ordinaires ne satisfont pas complètement. Mais ces difficultés disparaissent lorsque nous envisageons ces « justes » comme l’étant réellement ; seulement leur justice est purement légale, en sorte que le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand qu’eux. La loi a accompli son œuvre en partie à leur égard, en les préservant des grossières transgressions ; ils n’avaient donc pas besoin, comme les péagers et les pécheurs, de repentance quant à ces choses ; mais la loi ne les avait pas amenés à Christ, en leur faisant sentir leur péché et le besoin d’un Sauveur. Les péagers et les pécheurs étaient venus à Lui, quoique par un autre chemin ; Jésus déclare alors qu’il y a un plus grand sujet de se réjouir à l’égard de l’un d’eux, qui est entré dans le sanctuaire de la foi, qu’à l’égard des autres qui demeuraient dans le vestibule légal et refusaient d’aller plus loin.

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