Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

XXX.
Les mines

Luc 19.11-27

Nous avons déjà parlé de cette parabole à propos de celle des Talents, et montré qu’elles sont entièrement distinctes l’une de l’autre ; il ne s’agit donc pas simplement de deux versions différentes d’une même parabole, comme on l’a prétendu. Les mots du verset 11 sont très importants pour l’intelligence de notre parabole : « Jésus dit encore une parabole, parce qu’il était près de Jérusalem, et qu’ils pensaient qu’à l’instant même le royaume de Dieu allait être manifesté ». Jésus voulait donc réprimer l’impatience de ses disciples, et leur enseigner à attendre patiemment son retour, en travaillant pour Luie. Mais il avait d’autres auditeurs encore, à savoir la multitude qui le suivait pour voir des miracles et pour d’autres motifs. Elle était exposée à toutes les funestes influences du monde, en particulier à l’inimitié contre Jésus, lorsqu’il aurait disparu. Les versets 14 et 27 la concernent spécialement.

e – Godet : « L’idée dominante de cette parabole est celle d’un temps d’épreuve nécessaire entre le départ et le retour du Seigneur pour préparer la sentence qui fixera la position de chacun dans l’état de choses qui suivra la Parousie ».

« Il dit donc : Un homme de grande naissance s’en alla dans une contrée éloignée pour recevoir un royaume, et puis s’en revenir. » Dans le grand empire romain, où le Sénat avait le pouvoir d’établir les rois et de les détrôner, un fait tel que celui qui est mentionné ici pouvait avoir lieu fréquemment. Hérode le Grand n’était auparavant qu’un simple officier en Judée ; étant à Rome (car il fuyait de devant Antigone), le Sénat le proclama roi des Juifs. L’histoire fournit plusieurs autres exemples pareils. Il était donc naturel qu’un « homme de grande naissance » aspirât au trône ; ces expressions sont bien choisies, car qui fut de plus grande naissance que le Fils de David selon la chair, qui était en même temps le Fils unique de Dieu ?

Le royaume que cet homme noble va recevoir ne peut être un autre que celui qu’il avait habité comme simple citoyen ; il y revient, après un certain temps, pour y régner. De même, Jésus a été « couronné de gloire et d’honneur, et toutes choses ont été mises sous ses pieds » (Hébreux 2.7-8 ; Philippiens 2.9-11). Mais on peut affirmer également qu’il a reçu l’investiture de ce royaume terrestre qu’il s’était acquis au prix de son sang ; c’est là le royaume dont il est ici question. L’homme noble de la parabole doit régner sur ses concitoyens, c’est ce qui explique les paroles du verset 14.

Mais, avant de partir, « il appela dix de ses serviteurs, et leur donna dix mines, et leur dit : Faites des affaires jusqu’à ce que je revienne ». La somme qui leur est confiée est plus petite que celle dont parle saint Matthieu. Ce sont donc des occupations paisibles auxquelles vont se livrer les serviteurs du roi futur, tandis qu’une révolte se prépare. « Il aurait dû leur distribuer des armes », a-t-on dit. Mais il ne s’agit pas de combattre le monde avec ses propres armes ; « la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu ». Les papistes et les anabaptistes ont voulu identifier l’Église avec un royaume terrestre. D’autres ont pensé que le royaume de Dieu devait apparaître immédiatement, et qu’ils étaient chargés de lui donner son organisation extérieure, ou bien de faire simplement valoir les talents qui leur étaient confiés.

« Mais ses concitoyens le haïssaient ; et ils envoyèrent une ambassade après lui, pour dire : Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous. » On a pensé que ses concitoyens, connaissant d’avance ses intentions, lui font savoir qu’en aucun cas ils ne se soumettront à lui. Mais les mots du verset 14 font plutôt allusion à une ambassade que les citoyens envoyèrent à la cour, pour empêcher que le nouveau roi régnât sur eux. Ainsi, une faction juive, au temps d’Archélaüs, envoya des ambassadeurs à la cour d’Auguste pour empêcher la royauté du premier. Les Juifs étaient spécialement les concitoyens de Christ, car, selon la chair, Il était de la semence d’Abraham (Romains 9.5 ; Jean 4.22), membre de la nation juive ; ils le haïrent jusqu’à la mort et ensuite dans la personne de ses serviteurs (Jean 19.21 ; Actes 17.7 ; 12.3 ; 13.45 ; 14.18 ; 17.5 ; 18.6 ; 22.22 ; 1 Thessaloniciens 2.15). Si nous plaçons la réalisation complète de la parabole au jour du jugement, alors on peut dire que ces concitoyens révoltés représentent tous ceux, Juifs et Gentils, qui refusent de se soumettre à Jésus comme à leur Seigneur ; telle sera l’apostasie des derniers jours (Apocalypse 13.5-6 ; Daniel 7.25 ; 2 Thessaloniciens 2.1-10) ; on résistera alors ouvertement à Jésus-Christ.

Nous avons déjà expliqué les versets suivants (15-23), à propos de la parabole des Talents. A son retour, l’homme noble, devenu roi, distribue des récompenses à tous ceux qui lui ont été fidèles, et des châtiments plus ou moins sévères à ceux qui ont profité de son absence pour le tromper. Les récompenses sont dignes d’un roi ; il les établit sur plusieurs villes ; ces récompenses sont proportionnées à la fidélité des serviteurs. Il dit à celui dont la mine en avait produit dix : « Parce que tu as été fidèle en peu de chose, reçois autorité sur dix villes » ; à celui dont la mine en avait produit cinq, il dit : « Sois établi sur cinq villes ». Ces paroles sont un commentaire exact de 2 Timothée 2.12 ; M. Godet dit : « Les dix, les cinq villes représentent des êtres moraux qui sont dans un état de développement inférieur, mais que les fidèles glorifiés ont mission d’élever à leur divine destination ». Il n’est pas parlé des sept autres serviteurs ; nous ne devons pas en conclure qu’ils aient été infidèles. « Ceux qui étaient présents », et qui doivent ôter la mine au serviteur paresseux pour la donner au plus fidèle ou au plus habile, ce sont les anges, qui apparaissent toujours lorsqu’il est question du jugement final (Matthieu 13.41 ; 16.27 ; 24.31 ; 2 Thessaloniciens 1.7 ; Jude 1.14). Leur remarque : « Seigneur, il a dix mines », doit fixer notre attention sur cette loi paradoxale du royaume, en vertu de laquelle le pauvre devient encore plus pauvre, et le riche, toujours plus riche. C’est la loi que Christ déclare être de la plus grande justice (Proverbes 9.8-9). Après avoir distribué les peines et les récompenses, le roi va exercer la vengeance contre ses ennemis, contre tous ceux qui lui ont refusé leur soumission (Proverbes 20.8). « Amenez ici ces gens, mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et égorgez-les devant moif. » Ce massacre des ennemis en présence du roi, appartient à l’essence même de la parabole. Ces paroles expriment la colère du Seigneur Jésus contre ses ennemis, colère qui se manifestera au jour du jugement sans miséricorde (Apocalypse 14.10 ; 19.11-16 ; 2 Thessaloniciens 1.7-9 ; Hébreux 10.27). Ce jugement commença à s’accomplir lors de la destruction de Jérusalem, mais il s’accomplira surtout au temps de l’Antéchrist. D’après M. Godet, le verset 27 représente le règlement de compte du Messie avec le peuple juif, comme les versets 15-26, son règlement de compte avec l’Église.

f – Augustin se sert de ce passage dans sa controverse avec les manichéens, qui prétendaient que le Dieu sévère et vengeur de l’Ancien Testament n’était pas le même que du Nouveau, débonnaire et pardonnant tout n’étaient pas le même Dieu.

Thomas Jackson, le grand théologien arminien du dix-septième siècle, a dit : « Les paraboles de notre Seigneur, en tant qu’elles contiennent les mystères du royaume céleste, me paraîtront toujours être la règle souveraine de la foi, les sujets qu’elles traitent sont dignes des plus sérieuses méditations du chrétien ».

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