Synonymes du Nouveau Testament

89.
Φωνή, λόγος
Voix, parole

Les grammairiens grecs et les philosophes naturalistes (v. Lersch, Sprachphilosophie der Allen, 3e part, p. 35, 45 et passim) ont beaucoup écrit sur ces mots et sur leurs rapports l’un avec l’autre. Φωνή, de φάω ὡς φωτίζουσα τὸ νοούμενον (Plutarch., De Plac. Phil. 19), se distingue de ψόφος en ce que φωνὴ est le cri d’une créature vivante (ἡ δὲ φωνὴ ψόφος τίς ἐστιν ἐμψύχου, Aristote) ; la φωνὴ est attribuée à Dieu (Matthieu 3.17), aux hommes (Matthieu 3.3), aux animaux (Matthieu 26.34). et, quoique improprement, aux choses inanimées (1 Corinthiens 14.7), comme à la trompette (Matthieu 24.31). au vent (Jean 3.8), au tonnerre (Apocalypse 6.1). Mais λόγος, parole, discours, ou expression rationnelle du νοῦς, parlée (προφορικός, et ainsi φωνὴ τῶν λόγων, Daniel 7.11), ou non-parlée (ἐνδιάθετος), étant le corrélatif de la raison, ne peut être attribué qu’à l’homme (λόγου κοινωνεῖ μόνον ἄνθρωπος τὰ δὲ ἄλλα φωνῆς, Arist., Probl. 2.55), aux anges ou à Dieu. Φωνή peut être un simple cri inarticulé, qu’il parte de l’homme ou de l’animal, et c’est pourquoi la définition des Stoïciens (Diog. Laert., 7.55) : ζώου μέν ἐστι φωνὴ ἀὴρ ὑπὸ ὁρμῆς πεπληγμένος ἀνθρώπου δέ ἐστιν ἔναρθρος καὶ ἀπὸ διανοίας ἐκπεμπομένη, ne saurait tenir. Elle transfère à φωνή, ce qui ne peut être constamment affirmé que de λόγος ; il y a plus, quand on voulut mettre les deux mots en antithèse l’un avec l’autre, le point qui fut surtout établi, c’est que φωνή est un πνεῦμα ἀδιάρθρωτον. Il en est autrement de λόγος, dont les Stoïciens disent eux mêmes : λόγος ἀεὶ σημανικός (§ 57), et de λέγειν qui est τὸ τὴν νοουμένου πράγματος σημαντικὴν προφέρεσθαι φωνήν. Comparez Plutarque (De Anim. Proc. 27) : φωνή τίς ἐσιν ἄλογος καὶ ἀσήμαντος λόγος δὲ λέξις ἐν φωνῇ σημαντικῇ διανοίαςa. Dans son traité De Genio Socratis Plutarque entre dans de longs détails sur les rapports de φωνή et de λόγος et sur les fonctions plus élevées de λόγος. Voici ce qu’il affirme avoir été le démon de Socrate (c. 20) : τὸ δὲ προσπίπτον οὐ φθόγγον ἀλλὰ λόγον ἄν τις εἰκάσειε δαίμονος ἄνευ φωνῆς ἐφαπτόμενον αὐτῷ τῷ δηλουμένῳ τοῦ νοοῦτος. Πληγῇ γὰρ ἡ φωνὴ προσέοικε τῆς ψωχῆς δι᾽ ὤτων βίᾳ τὸν λόγον εἰσδεχομένης ὅταν ἀλλήλοις ἐντυγχάνωμεν Ὁ δὲ τοῦ κρείττονος νοῦς ἄγει τὴν εὐφυᾶ ψυχήν ἐπιθιγγάνων τῷ νοηθέντι πληγῆς μὴ δεομένην. [Or, ce qui le frappait, c’était vraisemblablement, non une voix, mais la parole d’un démon, qui sans voix touchait par les révélations qu’il lui faisait sa faculté intellective. La voix, en effet, ressemble à un choc qui frappe l’âme, laquelle reçoit bon gré mal gré la parole par les oreilles quand nous parlons entre nous ; mais l’intelligence de l’être supérieur guide l’âme bien née, en la touchant par l’intelligible sans qu’elle ait besoin de choc.]

a – Sur la distinction entre λόγος et λέξις, dont le dernier mot ne se rencontre pas dans le N. T. voir Peteau, De Trin., 6.1.6

Tout le chapitre est du plus grand intérêt théologique, d’autant plus que les plus célèbres docteurs de l’Eglise des premiers siècles, surtout Origène, en grec (in Joan., tom., 2, § 26), et Augustin, en latin, aimaient à transférer cette antithèse de φωνή et de λόγος à Jésus-Christ et à Jean Baptiste, qui ne réclamait rien autre que d’être « la voix qui crie dans le désert » (Jean 1.23), comme son Maître, d’être proclamé la Parole par excellence, celle qui était avec Dieu et qui était Dieu (Jean 1.1). En établissant la relation entre Jésus et Jean, telle que l’expriment les termes de voix et de parole, « vox » et « verbum », φωνή et λόγος, Augustin, avec une singulière subtilité, fait voir de combien de manières ces termes sont propres à mettre au jour de telles relations. Une parole, fait-il observer, c’est quelque chose, même sans une voix, car une parole dans le cœur est aussi véritablement une parole qu’après qu’elle en est sortie ; tandis qu’une voix n’est rien qu’un simple son, un cri dans le vide, à moins quelle ne soit l’expression d’une parole. Mais unie à la parole, la voix précède d’une certaine manière la parole, car le son frappe l’oreille avant que le sens de la parole soit parvenu à l’esprit. Si cependant la voix précède la parole dans l’acte de la communication, elle ne la précède pas en réalité ; c’est l’inverse qui a lieu. Ainsi quand nous parlons, la parole qui est en nous doit précéder la voix qui passe sur nos lèvres et qui est encore le moyen par lequel la parole qui est en nous arrive à un autre et devient aussi une parole en lui ; mais cela fait, ou plutôt dans l’acte même, la voix a passé, elle n’existe plus ; mais la parole reçue dans le cœur de notre prochain aussi bien que dans le nôtre, cette parole demeure. Augustin applique ces phénomènes au Seigneur et à son précurseur. Jean n’est rien sans Jésus : Jésus est exactement ce qu’il était auparavant sans Jean ; quoi que ce soit par Jean que la connaissance de Jésus est parvenue aux hommes.

Jean fut le premier quant au temps, cependant celui qui vint après lui, avait été très réellement avant lui. Jean, sa mission finie, disparut, car il n’y avait pas de raison pour qu’il restât en permanence dans l’Église de Dieu ; mais Jésus, dont il avait parlé, et auquel il avait rendu témoignage, demeure à toujours (Serm. 293, § 3) : « Qu’est-ce que la voix ? Qu’est-ce que la parole ? Qu’est-ce ? Ecoutez ce dont vous allez reconnaître la vérité en vous-mêmes, en vous interrogeant et en vous répondant intérieurement. Il n’y a parole qu’autant qu’il y a signification. Quand on fait seulement un bruit de lèvres, un bruit qui n’a point de sens, comme le bruit qu’on fait en criant sans parler véritablement, on peut dire qu’il y a voix, mais il n’y a point parole. Un gémissement est une voix ; un cri plaintif est une voix. La voix est comme un son informe qui retentit aux oreilles sans rien dire à l’entendement; tandis qu’il n’y a parole qu’autant qu’il y a signification, qu’autant qu’on s’adresse à l’intelligence en frappant les oreilles. Je le répète, un cri jeté, c’est une voix; mais prononcer les mots homme, troupeau, Dieu, monde, ou tout autre semblable, c’est parler. Car ces émissions de voix signifient quelque chose, elles ont du sens; elles ne sont pas de sains sons qui n’apprennent rien. Si donc vous comprenez cette différence entre la voix et la parole, contemplez-la avec admiration dans saint Jean et dans le Christ. De plus, séparée même de la voix, la parole peut avoir son efficacité ; tandis que sans la parole la voix est vaine. Rendons compte de cette proposition, expliquons-la si nous le pouvons. Tu voulais dire quelque chose ; ce que tu veux dire est déjà conçu dans ton coeur ; ta mémoire le garde, ta volonté se dispose à l’exprimer, c’est une idée vivante de ton intelligence. Mais ce que tu veux dire n’est encore formulé dans aucune langue ; cette idée que tu veux émettre, que tu as conçue dans ton esprit n’est encore formulée dans aucune langue, ni grecque, ni latine, ni punique, ni hébraïque, aucune langue enfin ; l’idée n’est encore que dans l’esprit, dont elle se prépare à sortir. Remarquez bien : C’est une idée, c’est une pensée, c’est une raison que conçoit l’intelligence et qui se prépare à s’en échapper pour s’insinuer dans l’esprit de l’auditeur. Or, en tant que connue de celui qui la possède dans son entendement, cette idée est un verbe, une parole ; parole connue de celui qui doit la proférer, mais non de celui qui doit la recueillir. Voilà donc dans l’esprit une parole déjà formée, déjà entière et cherchant à s’en échapper pour se donner à qui l’entendra. Considère à qui il va s’adresser, celui qui a conçu cette parole intérieure qu’il veut manifester et qu’il voit distinctement en lui-même. »

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