Le don de parler diverses langues

CHAPITRE 18

ANALYSE DU TEXTE DE

DE 1 CORINTHIENS 14.18 À 20

Nous allons maintenant examiner de nouveau un passage très controversé. Il s'agit des trois versets suivants :

« Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous, mais dans l'église j'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues. Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais pour la malice, soyez des enfants et, à l'égard du jugement, soyez des hommes faits » (versets 18 à 20).

TEXTE DU VERSET 18 AVEC COMMENTAIRE

« Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous »...

εὐχαριστῶτῷθεῷ,
eucharistô tôï theôï
je remercie Dieu

πάντων ὑμῶνμᾶλλον
pantôn hymônmallon
(4) que vous tous(3) plus

γλώσσαιςλαλῶ·
glôssaïslalô
(2) (dans) des langues(1) je parle

* * *

Voici le sens normal de cette phrase : « Je remercie Dieu de ce que je parle plus de langues [ou : que je parle plus souvent des langues étrangères] que vous tous ».

Nous étudions encore une de ces phrases incomplètes qui semblent à première vue justifier la glossolalie. Si le texte signifiait réellement que Paul parlait encore plus que les chrétiens de Corinthe en langues inintelligibles, cela suffirait pour que ce soit également notre objectif.

Pourtant, rien dans l'argumentation de Paul ne nous laisse supposer qu'il le faisait — exception faite de cette seule phrase. Il serait donc étonnant qu'il dise uniquement ici le contraire de ce qu'il dit dans l'ensemble du chapitre et dans le reste de son enseignement. Il nous incombe d'examiner de bien près ce verset dans son contexte pour en déterminer le vrai sens. Ni les versets précédents, ni ceux qui suivent ne nous laissent croire que Paul ait l'intention d'encourager la glossolalie à Corinthe. Pourquoi donc le ferait-il ici ?

Puisque le Nouveau Testament ne reconnaît qu'un seul don de parler diverses langues d'origine divine, (Voir chapitre 5) celui du chapitre 2 des Actes comme également celui du chapitre 19 que Paul connaissait, pourquoi chercherions-nous à voir autre chose dans ce passage ? Puisque pour Paul ce don consiste à parler de véritables langues humaines, comme au jour de la Pentecôte, ne devons-nous pas conclure que, dans ce passage aussi, il fait allusion à des langues réelles ?

Il faut reconnaître, comme nous l'avons déjà vu, que la traduction normale de cette phrase de Paul serait : « je parle [diverses] langues plus que vous tous » ; ou : « je parle plus de langues que vous tous ; » ou bien : « je suis plus polyglotte que vous tous ! » Il ne dit pas qu'il parle en langues incompréhensibles.

Non seulement cette traduction est parfaitement légitime, mais elle a le grand avantage d'accorder au mot « langue » son sens normal. À celui qui voudra contester, je rappelle que Paul lui-même définit ce don comme étant celui de parler « diverses langues » (1 Corinthiens 12.10,28).

C'est un fait que Paul était polyglotte et grand voyageur. Il avait certainement bien plus souvent l'occasion de s'exprimer en langues étrangères que les chrétiens qui restaient localisés dans une seule ville comme Corinthe. Nous savons qu'il connaissait à fond l'hébreu et le grec et, sans aucun doute, l'araméen qu'il dut parler en Judée pendant ses années d'études aux pieds de Gamaliel. Il devait très bien connaître le dialecte cilicien de sa ville natale de Tarse. En tant que citoyen romain, il avait très probablement une certaine connaissance du latin. Outre cela, il avait sûrement acquis au cours de ses voyages des notions de plusieurs autres langues, peut-être même de l'arabe puisqu'il a fait un long séjour en Arabie (Galates 1.17).

Pourquoi interpréterions-nous cette phrase de Paul de manière à donner au mot « langues » un sens qui ne correspondrait ni à l'usage de l'époque, ni à l’usage du reste de la Bible ? La façon dont je traduis la phrase est, je pense, tout à fait correcte. Paul ne rappelle-t-il pas aux chrétiens de Corinthe (verset 6) qu'il ne leur serait d'aucune utilité s’il allait chez eux en parlant une langue qui leur soit inintelligible, comme le cilicien ou l’arabe ? À combien plus forte raison serait-ce le cas s'il employait un langage mystique provenant de son subconscient ou de l'au-delà et qui ne serait compris par personne, ni même par lui-même. Pourquoi chercherait-il à les édifier par un moyen aussi peu efficace, puisque lui-même insiste sur la coordination entre l'intelligence et l'esprit (verset 15) ?

Paul a souvent dû affronter, au cours de sa vie, des foules dont les langues lui étaient inconnues et qu'il a dû lui-même apprendre. Et il est très probable qu'à certaines occasions Dieu lui ait permis de s'adresser miraculeusement à ces foules dans leur propre langue, ne serait-ce qu'en prononçant quelques phrases inspirées qui les ont convaincus de l'origine divine de son message.

Mais de là, aller jusqu'à bâtir sur ce demi-verset de Paul l'affirmation catégorique qu'il utilisait constamment des langues incompréhensibles dans son culte personnel comme le font certains, c'est vraiment extravaguer. Restons dans le cadre clair du texte biblique.

Cette phrase de Paul, prise à part, est souvent citée pour justifier l'idée d'une glossolalie générale ; mais, replacée dans le contexte du chapitre ou plutôt des chapitres en question, et vue en parallèle avec le reste de la phrase au verset suivant, elle se prête très difficilement à ce genre d'interprétation.

Que Paul ait en vue dans ce verset des langues apprises ou des langues miraculeuses — et il est fort possible qu'il pense aux deux formes — je suis sûr qu'il entend néanmoins des langues humaines authentiques et qu'il voit leur utilité essentiellement dans l'évangélisation des nations ne parlant pas le grec et surtout face à l'incrédulité du peuple juif.

Par contre, quand il se trouve à Corinthe, il s'adresse à ses frères en grec, leur langue maternelle. D'ailleurs c'est encore en langue grecque qu'il rédige l'épître qu'il leur destine.

Et maintenant, voyons la suite de sa pensée ! Complétons la phrase pour bien saisir l'optique de l'apôtre !

TEXTE DU VERSET 19 AVEC COMMENTAIRE

« ... mais dans l'église, j'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues, »

ἀλλὰ
alla
mais, bien au contraire (ou : pourtant)
[alla indique un fort contraste]

ἐνἐκκλησίᾳθέλω
enekklêsiaïthélô
dansl'assembléeje désire

πέντελόγουςτῷνοῒμουλαλῆσαι,
pentélogoustôïnoïmoulalêsaï
(2) cinq parolesavecmonintelligence(1) dire
(ou : parler,
ou : prononcer)

ἵνακαὶἄλλουςκατηχήσω,
hinakaïallouskatêchêsô
(1) afin(3) aussi(4) les autres
(ou : d'autres)
(2) que j'instruise

μυρίουςλόγους
êmyriouslogous
plutôt quedix mille
(ou : un nombre infini)
de paroles

ἐν γλώσσῃ.
en glôssêï
dans une langue
[c'est-à-dire : inconnue].

* * *

Il faut retenir le fait que le Nouveau Testament ne mentionne pas une seule occasion où Paul ait parlé en langues. Ce silence est remarquable. L'unique passage qui nous permettrait de supposer qu'il en avait l'habitude se trouve dans le verset 18 que nous venons d'examiner et dont l'affirmation est incomplète ; car elle est contrebalancée par le verset 19, où Paul termine sa phrase :

« et pourtant ! dit-il, dans l'église j'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence que dix mille paroles en langue ».

Il introduit sa pensée par un adversatif très fort : alla, qui signifie un contraste fondamental.

Il est vrai que l’apôtre parle plus de langues que ses enfants à Corinthe et pourtant ! il préfère... autre chose ! Il leur dit de chercher autre chose ! Et ce qu'il préfère est en opposition avec ce qui précède.

Il est impossible de contourner ce verset en faveur d'une glossolalie générale. L'insistance avec laquelle on se sert de ce passage dans ce but est nettement contraire aux intentions de l'apôtre. Entre « cinq » paroles et « dix mille » il y a un écart énorme. Paul reconnaît la valeur du don des langues, mais uniquement à sa place : et cette place se trouve face aux inconvertis d'un autre groupe linguistique, comme dans Actes 2 et 10.

Ce verset 19 nous révèle l'équilibre de Paul. Dans l'église, il préfère dire cinq paroles avec son intelligence que dix mille en langue. Et pourquoi ? « C'est afin, dit-il, d’instruire aussi les autres ». Ce refrain de Paul devient presque monotone : l'édification de l'église. Cette vision domine son enseignement ; il veut fixer l'attention des Corinthiens sur cet objectif. Il n'attache que peu d'importance à sa propre érudition Philippiens 3.4-7, ou à ses capacités linguistiques : au milieu de ses frères à Corinthe, à Philippes, ou à Éphèse, la seule chose qui lui importe, c'est la connaissance de Christ et le besoin d'enseigner de la manière la plus claire et la plus durable « tout le conseil de Dieu ». Il n'a pas une minute à perdre avec des futilités.

Quoi de plus clair que ce verset ? Prétendre que Paul, ici, encourage la glossolalie dans l’église, c'est aborder cette lecture avec de véritables « œillères », des idées préconçues extraordinairement tenaces. Pour lui, cinq paroles intelligentes inspirées du Saint-Esprit valent mieux que des myriades de paroles inintelligibles. Eh oui, quoi de plus clair ?

Or, s'il était vrai que Paul employait la glossolalie plus que tout le monde et qu'il ait voulu que tous l'emploient, si elle occupait en réalité une place aussi importante dans sa vie et dans son ministère que l'on voudrait nous le faire croire, il nous l'aurait dit avec une clarté absolue. Comment alors expliquer son silence total à ce sujet partout ailleurs dans ses écrits ? Avec un tel objectif, ses épitres n'auraient-elles pas foisonné d'enseignements et d'exhortations à parler « en langues »... comme le font certains ouvrages contemporains ?

Au contraire, il ne touche même pas au sujet sauf dans sa lettre écrite à Corinthe dont le but consiste à rétablir l’ordre là où l'ennemi fait semé la confusion. Gardons-nous de faire dire à la Parole de Dieu ce qu'elle ne dit pas.

Deux choses demeurent indiscutables :

— Paul n'accorde que peu d'utilité au « parler en langues » dans l'assemblée ;

— à ses yeux, le don des langues, comme les autres dons, est conçu pour en faire bénéficier autrui et non soi-même et surtout l'inconverti.

TEXTE DU VERSET 20 AVEC COMMENTAIRE

« Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais pour la malice, soyez des enfants et, à l'égard du jugement, soyez des hommes faits. »

Ἀδελφοί,μὴπαιδίαγίνεσθε
adelphoïpaïdiaguinesthé
(1) frères,(2) ne (pas)(4) de tous petits enfants(3) soyez (ou : devenez)

ταῖςφρεσίν,
taïsphrêsin
(5) sous le rapport
de votre jugement
(littéralement :
dans vos compréhensions)

ἀλλὰτῇ κακίᾳνηπιάζετε,
allatêï kakiaïnêpiazété
(1) par contre,(3) pour la méchanceté(2) soyez des
(véritables) bébés

ταῖς δὲ φρεσὶν
taïs dé phrésin
pourtant (dé), sous le rapport du jugement
(littéralement : dans les compréhensions)

τέλειοιγίνεσθε.
téléioïguinesthé
(2) adulte
(ou : des hommes
complets, accomplis)
(1) devenez

* * *

Ce que nous venons de dire sur le verset 19 est puissamment confirmé par ce verset 20 où Paul gronde sévèrement les croyants de Corinthe. Il leur reproche leur infantilisme spirituel, leur état de « tout petits enfants » en ce qui concerne leur compréhension des choses de Dieu. Leur désir de parler en « langues » incompréhensibles, surtout dans l'assemblée, était loin d'être aux yeux de Paul une marque de maturité spirituelle ; c'était, au contraire, de l'enfantillage.

C'est pourquoi, Paul leur ordonne (c'est un commandement) de devenir adultes. On nous répondra peut-être par la parole de Christ, qu'à moins de devenir comme des enfants, nul ne pourra entrer dans le royaume de Dieu Matthieu 18.3. Cela est vrai, mais il est tout aussi vrai que le Seigneur ne voulait certainement pas que ses disciples manquent d'intelligence ! Car il leur a dit d'être, non seulement simples comme des colombes, mais prudents (grec : phronimos = perspicace, sagace) comme des serpents Matthieu 10.16. En réalité, l'acte de croire en Christ est le plus intelligent, le plus sage qui soit à la portée de l'homme... ou de l'enfant ! Si Jésus veut que nous soyons comme un enfant, c'est parce qu'il exige la simplicité, la spontanéité, la clarté d'esprit, le cœur entier qui caractérisent la jeunesse qui n'a pas encore appris à tripoter la vérité par de faux raisonnements. En ce qui concerne le mal : Oui ! dit Paul, que Dieu nous garde enfants, de véritables bébés ! C'est le sens du terme grec employé par l'apôtre.

Mais, continue-t-il, quand il s'agit des choses de Dieu, et surtout de sa Parole, nous devons être vraiment mûrs, aussi adultes que possible. L'intelligence de Dieu est infinie ; lui offrir le peu d'intelligence que nous avons pour qu'il la sanctifie et l'utilise, c'est le moindre des sacrifices que nous puissions lui apporter. Nier l'intelligence, c'est, en réalité, insulter celui qui l'a donnée.

« À l'égard du jugement (littéralement : « de vos compréhensions »), dit Paul, soyez des hommes faits ». Le mot grec phrên qui donne l'adjectif phronimos et que Segond traduit « jugement », correspond, dans la version grecque des LXX, au mot hébreu lêbb qui signifie essentiellement : « le cœur », une expression qui comprend, dans la Bible, surtout les notions de la pensée, la raison, l'intelligence, le jugement et la volonté. Elle signifie aussi, mais de façon très secondaire, les sentiments. C'est le contraire de l'usage moderne.

Pour l'apôtre Paul, cette recherche d'une expérience irrationnelle, d'une expression inintelligible, révèle un manque de maturité. Il ne veut pas que les croyants perdent leur vie à poursuivre un objectif inutile ; il y a des choses beaucoup plus importantes à faire. Il voit que les années de persécution approchent ; il est donc nécessaire d'instruire tous les chrétiens de la manière la plus complète concernant les doctrines bibliques essentielles ; l'église doit être préparée afin de pouvoir résister et subsister face à la colère de Satan. En effet, dix ans après la rédaction de cette lettre de Paul, les grandes persécutions commençaient ; Néron brûlait vifs les chrétiens à Rome et Paul lui-même perdait la vie dans cette persécution. Paul était réaliste. Il rachetait le temps. Il faut grandir disait-il, il faut devenir adulte.

Or, Il est évident que les chrétiens de Corinthe avaient adopté une attitude infantile à l'égard des dons spirituels. Et c'est précisément dans le contexte du « parler en langue » que Paul leur fait ce reproche. Chercher à exploiter un « don » semblable, qui n'avait pas de sens évident dans le cadre de l'assemblée, c'était aux yeux de Paul un enfantillage indigne d'une foi adulte.

Le don des langues, dit-il, est très bien dans son vrai contexte, comme dans Actes 2. Mais votre façon de le concevoir démontre un manque total d'équilibre. Vous êtes encore des bébés spirituels.

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