Le Réveil Américain

Chapitre VII

Cas surprenant d’un négociant prospère. — Les Madeleines. — Un jeune marin. — Danger des renvois. — Un fils unique. — Une réunion en plein air.

Il s’agit d’un riche négociant de New-York, qui, après avoir passé son enfance dans la Nouvelle-Ecosse, avait quitté la maison paternelle pour employer sa jeunesse et même une partie de son âge mûr à voyager. Une pieuse mère l’avait suivi de ses prières ardentes dans toutes ses nombreuses pérégrinations, et c’est à l’influence de ces prières, ainsi qu’à l’impression produite sur son esprit par la connaissance de cette vive sollicitude, qu’il attribue d’avoir été gardé d’une foule innombrable de tentations et d’être enfin parvenu à la foi chrétienne.

Pendant plusieurs années, il avait régulièrement fréquenté le culte public ; mais ce n’est que vers le commencement de 1858 qu’il avait commencé à se sentir réellement convaincu de péché et à s’inquiéter sérieusement de son état de juste condamnation devant Dieu. Vers ce même temps, le réveil religieux avait déjà fait des progrès tellement étendus dans New-York et dans les environs, qu’il eût été vraiment difficile de trouver quelqu’un qui ne fût pas préoccupé de son salut. Une foule de gens portaient dans les profondeurs de leur âme une si forte conviction du péché, qu’ils n’en avaient jamais éprouvé une semblable, et que ceux même qui s’étaient moqués de la piété se sentaient attirés vers elle d’une manière irrésistible.

Un grand nombre, toutefois, par pur orgueil, résistaient énergiquement à ce sentiment intérieur et faisaient tous leurs efforts pour le tenir caché. Ils n’osaient pas même révéler l’état de leur âme à leurs amis chrétiens les plus intimes, et ils préféraient dévorer en secret l’insurmontable chagrin qui les rongeait.

Le négociant dont nous parlons était de ce nombre. Pendant plusieurs semaines, il avait éprouvé des angoisses spirituelles cuisantes, et, tout en évitant, autant que possible, les moyens ordinaires de grâce, et en donnant toutes sortes d’excuses pour ne fréquenter aucun culte, il essayait en secret de faire sa paix avec Dieu. Il avait passé, dans ce but, bon nombre de soirées enfermé dans son comptoir, occupé à lire sa Bible et à prier. Ne réussissant pas par ce moyen à obtenir le soulagement dont il avait besoin, il eut recours aux réunions de prière et aux services religieux, en ayant soin de choisir les églises où il était entièrement inconnu et où il se sentait plus libre de paraître au nombre de ceux qui cherchent la vérité. Il employa ainsi, pendant des semaines, les heures de midi et du soir à courir de réunion en réunion, d’église en église, sans éprouver le moindre soulagement ; et il était sur le point de désespérer, lorsqu’il s’aperçut que ce qui faisait obstacle à ses progrès n’était ni plus ni moins que son orgueil. Il comprit que c’était là ce qui l’avait poussé à se cacher dans son comptoir pour prier, tandis qu’il aurait pu le faire chez lui, et à préférer des services dans les églises où il était inconnu, plutôt que d’aller aux services fréquentés par ses connaissances.

Une fois convaincu de son erreur et de son péché, il prit, avec l’aide de Dieu, la résolution de ne plus éviter ainsi la croix de l’humiliation, et de saisir la première occasion qui se présenterait pour renoncer à lui-même et pour avouer le triste état de son âme devant la congrégation dont il faisait partie.

Le dimanche suivant, il mit son projet à exécution pendant le culte du soir. Le service terminé, il alla se placer en face de la chaire, et il se mit à raconter de la manière la plus émouvante les luttes et les détresses intérieures par lesquelles il avait passé pendant plusieurs semaines, ainsi que les circonstances qui les avaient provoquées.

Comme on peut le penser, ce récit fit sur l’assemblée une impression difficile à décrire. En terminant son exposé, il ajouta qu’il n’avait pas encore demandé les prières du peuple de Dieu, et qu’en bonne conscience il ne se sentait pas autorisé à le faire avant de s’être profondément humilié devant tous et d’avoir prié lui-même. Cela dit, il s’agenouilla, et, donnant un libre cours à sa douleur et aux larmes qui le suffoquaient, il se mit à implorer le pardon du Seigneur avec sanglots.

Le lendemain de ce jour décisif, il pouvait déjà se réjouir en Christ son Sauveur et rendre témoignage, le soir, dans une assemblée d’amis, de la puissance étonnante et de l’inouïe miséricorde que Dieu avait fait éclater dans l’œuvre de sa conversion.

— La demande suivante est parvenue par l’intermédiaire de la directrice de l’asile des Madeleinesa, où la personne dont il est question s’est réfugiée. On nous a assuré qu’elle l’avait tracée elle-même, et que c’est spontanément qu’elle nous l’avait fait parvenir.

a – Asile pour les femmes repentantes.

« Pour la réunion de Fulton Street. — Je sens que j’ai été une grande pécheresse, que j’ai mené une vie des plus coupables, que j’ai besoin de Christ. Je désire devenir chrétienne, et je demande les prières de l’Eglise. »

— Autre requête :

« Les prières de cette assemblée sont humble- ment demandées par G. B…, qui a passé sa vie dans le vice et qui songeait, il n’y a que quelques jours encore, à se suicider, considérant ce crime horrible comme le seul moyen de mettre fin à son angoisse. »

En lisant ces requêtes à l’assemblée, celui qui présidait ajouta que si les personnes qui les avaient faites étaient dans l’assemblée (et nous savons que l’une d’elles y était), il devait leur proclamer que c’était pour de tels pécheurs que Jésus avait donné sa vie ; qu’il était venu pour chercher et pour sauver ceux qui étaient perdus, pour appeler à la repentance, non pas les justes (c’est-à-dire ceux qui se croient tels), mais les pécheurs.

Alors quelqu’un se leva et dit : « Je suis venu ici pour écouter, et non pas pour prendre la parole. Mais, en entrant dans la salle, j’ai lu sur la muraille cette déclaration : Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viennent à moi. En entendant lire ces requêtes, je sens qu’il y a dans l’assemblée des personnes qui ont besoin de se pénétrer de cette promesse de Jésus, et je ne puis m’empêcher de parler. J’appartiens aux contrées de l’Ouest, et dans la localité que j’habite j’accostai un jour une petite fille que je ne savais pas être chrétienne, et je lui demandai :

— « Aimez-vous la Bible ?

— Oui, Monsieur, j’aime la Bible.

— Avez-vous trouvé dans la Bible un passage qui vous plaise plus que le reste ?

— Oui, Monsieur. J’aime toute la Bible, mais, si j’ose le dire, j’aime surtout cette parole : « Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viennent à moi. »

Voilà quelle était l’assurance de cette enfant, reprit l’orateur, et voilà l’assurance sur laquelle chaque pécheur doit fonder son espérance pour l’éternité.

Je me crois obligé de parler, parce que je sens qu’en cet instant le sort de plusieurs âmes va se décider. Pécheurs, regardez ce passage écrit sur la muraille : il y a là plus qu’un sermon. Quelque grands qu’aient été vos péchés, quelque durs que soient vos cœurs, peu importe ! lisez : Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viennent à moi. Je suis profondément convaincu, aussi convaincu que de ma propre existence, qu’il y a ici plus d’un pécheur auquel cette certitude manque encore, et je les conjure de s’appuyer sur cette déclaration et de se laisser sauver. »

Plusieurs des assistants ne pouvaient retenir leurs larmes.

— Au même instant, un jeune lieutenant de la marine, appartenant au vaisseau de guerre la Sabine, se leva tout à côté de celui qui présidait, et dit : « Je dois ajouter un autre passage à celui qui est sur la muraille ; le voici : Quand vos péchés seraient rouges comme le vermillon, ils seront blanchis comme la neige. Que faut-il de plus pour convaincre tout pécheur que Dieu est prêt à pardonner ? »

On chanta deux versets de cette hymne :

Il en est Un au-dessus de tous,
Qui mérite seul le titre d’Ami, etc.

La prière suivit. L’assemblée sentait la présence de Dieu.

— Un jeune matelot écossais se leva. Sa voix et sa physionomie trahissaient une vive émotion, à la pensée que c’était là le moment décisif, le point tournant, pour plusieurs âmes angoissées.

« Accepterez-vous le conseil d’un marin, dit-il, d’un marin étranger, vous qui renvoyez à plus tard de devenir chrétiens ? Accueillerez-vous sa prière, qui est que vous ne remettiez pas cette décision, mais que vous vous tourniez à l’instant vers le Seigneur ? Jamais on ne saurait exagérer les dangers du renvoi ; jamais on ne s’en fera même une juste idée ! »

Et, à ce propos, il se mit à raconter le trait suivant, dont il avait été témoin :

« Je me souviens, dit-il, qu’étant à Panama, l’un de mes compagnons de service tomba gravement malade. Je l’avais exhorté bien des fois à prendre Jésus pour son guide, pour son conseiller et pour son ami ; mais il m’avait toujours répondu : « Nous avons bien le temps ! » Cette terrible habitude de renvoyer et de céder aux suggestions de Satan, qui lui répétait sans cesse : « Nous avons bien le temps ! », l’amena enfin à une effroyable crise. Tandis qu’il était couché sur son lit de maladie, ses convulsions et ses contorsions attestaient les tortures de son âme. Les angoisses de sa conscience y avaient plus de part que la fièvre qui le dévorait.

— « Voici le moment, lui dis-je, où vous avez besoin d’un Sauveur !

— Oh ! répondit-il, j’ai trop longtemps retardé de le chercher.

Je l’exhortai de toutes mes forces à regarder à Jésus crucifié, et à contempler ce qu’il avait souffert pour sauver de la perdition de pauvres pécheurs tels que lui, et pour leur ouvrir l’accès du pardon et de la vie éternelle. Mais il répondit avec des sanglots déchirants :

— C’est trop tard ! c’est trop tard ! Oh ! criait-il, point de repos pour moi ! Je ne sais en quel lieu je vais ! je ne sais où je vais !… Et sa tête retomba sur son oreiller.

— Allez-vous donc mourir ainsi, Ned ! m’écriai-je. Mais tout ce que j’entendis fut une sorte de râle profond, avec ces paroles : Point de repos ! — Mon compagnon de service n’était plus… »

Le jeune orateur raconta encore un autre fait qui se rattachait à sa propre conversion et qui montrait le danger des renvois. L’incident s’était passé dans sa maison paternelle. Sa mère était une pieuse chrétienne, qui n’avait négligé aucune occasion de lui faire comprendre la nécessité de chercher le Sauveur dès ses jeunes années. Il n’avait guère fait attention à toutes les instances de la pauvre femme, lorsqu’un dimanche elle invita la fille d’un voisin à venir avec elle à la maison de prière. La jeune fille répondit d’un air léger : « Oh non ! je ne pourrai y aller que dimanche prochain. Mon nouveau chapeau sera prêt ; le vieux est trop laid. » — « Hélas ! continua le marin, ce dimanche ne vint pas pour elle ! Elle tomba malade le lundi, et le mercredi elle était morte. Comme ma mère, qui avait passé la nuit auprès de la mourante, rentrait à la maison, elle me dit, tout en larmes : « Emma est partie, et partie, je le crains, sans conversion ! » — L’événement avait quelque chose de si subit, qu’il s’éleva un cri dans mon cœur : « Que dois-je faire pour être sauvé ? » Et grâces en soient rendues à Dieu, ce cri ne fut pas vain. Jésus eut pitié de moi, et, depuis lors, Il est devenu le rocher de mon salut. Oh ! venez donc à Lui, vous tous qui avez besoin d’un Sauveur mort et ressuscité ! Accueillerez-vous le conseil que vous donne un marin ? consentirez-vous à venir ? Dieu vous attend ! venez en ce moment même ! »

A l’ouïe de cet appel parti du cœur, toutes les consciences étaient émues et tous les visages sillonnés de larmes.

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