Le Réveil Américain

Chapitre XIV

Du réveil parmi les négociants. — Lois du commerce. — Un marchand et son fournisseur. — Conscience. — Un négociant et son employé. — Un commis principal et son subalterne. — La conscience réveillée. — Pierre de touche du réveil.

On a dit souvent que « les lois du commerce » n’étaient autres que l’ensemble des moyens, disons mieux, des « roueries » qu’on emploie pour gagner de l’argent, et que les négociants, en particulier, mettent en usage pour s’exploiter les uns les autres. Aussi, l’un des sujets de prière les plus constamment proposés aux réunions est-il qu’aucun de ceux qui viennent y assister ne se permette de trafiquer d’après les principes trop généralement reçus dans le monde commercial. Les commerçants demandent fréquemment la grâce de pouvoir conduire toutes leurs transactions d’après les principes chrétiens, afin de mettre ainsi en pratique les préceptes de l’Evangile jusque dans leurs occupations journalières. A leur tour, ils exhortent leurs confrères à faire de même, et de la sorte la conscience commerciale (si l’on peut dire ainsi) se trouve fortement éveillée sur ce point important.

En effet, depuis quelque temps, on commençait à comprendre que la majeure partie des opérations qui se faisaient étaient en contravention flagrante avec les lois de la Maison de Dieu. A cause de cela, un grand nombre de gens d’affaires étaient cruellement torturés à l’égard de leur négoce. Plusieurs se sentaient en présence de ce dilemme : ou abandonner leur trafic ou perdre leur âme. D’autres prévoyaient qu’en soumettant leur genre d’affaires aux strictes exigences d’une probité chrétienne, ils marcheraient vers une faillite inévitable, faute de pouvoir, de cette manière, soutenir la concurrence de leurs anciens confrères.

— Un marchand adressa, un jour, à Fulton Street, un pressant appel à ses collègues sur ce sujet, les conjurant d’avoir pour leurs comptoirs la même religion que pour leurs réunions de prière, la même religion pour les jours ouvriers que pour les dimanches, la même, enfin, pour le coffre-fort que pour la table du Seigneur. L’allocution dura vingt-cinq minutes, contre toute habitude, et porta d’excellents fruits.

A l’issue du service, un fabricant le suivit jusqu’à son bureau. C’était un homme bien connu sur la place et avec lequel il faisait de grosses affaires depuis bien des années. « Vous ne saviez pas, lui dit-il, que j’étais à la réunion pendant que vous parliez, et que j’ai entendu vos observations. Maintenant, je dois vous dire que pendant les cinq dernières années je vous ai régulièrement fait payer plus cher qu’aux autres acheteurs. Vous voudrez bien revoir vos livres et me débiter, en compensation, d’un tant pour cent sur toutes mes factures pendant ces cinq dernières années. »

Le commerçant reparut à la réunion du lendemain ; il raconta ce qui s’était passé entre lui et le fabricant, et exhorta de nouveau ses confrères à imiter cet exemple et à trafiquer désormais d’une manière chrétienne.

— Quelques jours après, il rendit compte d’un nouvel incident survenu dans son propre comptoir. — « J’ai reçu aujourd’hui, dit-il, le paiement d’une créance de plusieurs centaines de dollars qui m’étaient dus depuis vingt-huit ans. Mon débiteur pouvait me les payer à cette époque avec la même facilité qu’aujourd’hui. J’avais abandonné depuis longtemps cette créance, n’espérant plus en recevoir le paiement, et je ne puis m’expliquer ce recouvrement si tardif qu’en supposant que le réveil a atteint la conscience de ce débiteur, et qu’il n’a pu obtenir la paix qu’en soldant cette dette légitime. »

— Un cas de même genre s’est présenté chez un nouveau converti, qui se trouvait à la tête d’un grand commerce. Quand il abandonna tout pour venir à Jésus, il abandonna réellement tout. Il crut à la lettre cette parole de Jésus : « Cherchez avant tout le royaume des cieux », et il le chercha avant tout, dans son commerce, aussi bien que dans tout le reste. Aussi, le royaume des cieux lui fut-il accordé sans retard. Il le réalisa dans son activité personnelle, dans ses discours, dans son comptoir, dans la réunion de prière, chez lui, au dehors, partout à la fois. C’était chose réjouissante que de le voir toujours souriant, toujours heureux, toujours content, et de lire sans cesse sur tous ses traits l’intarissable joie de son cœur.

Il avait un commis pieux, auquel il était très attaché, mais qui ne partageait cependant pas entièrement les opinions de son chef. Ce commis crut devoir lui adresser quelques remontrances.

— Les gens disent, Monsieur, que vous négligez votre commerce et qu’il s’en ressentira.

— Qui dit cela ? répondit le chef.

— Tous vos voisins, dans cette rue.

— Des chrétiens vous ont-ils tenu ce langage ?

— Mais…, je ne sais trop s’ils sont chrétiens. Je suppose que non. J’ai cru cependant devoir vous faire part des bruits qui courent. D’ailleurs, nous avons de fortes sommes à payer, et je ne vois pas d’où elles sortiront.

— Combien vous manque-t-il ?

— Pour aujourd’hui, au moins de 6 à 700 dollars, sans compter d’autres traites qu’on doit nous présenter demain et les jours suivants, et que je ne sais trop comment nous paierons.

— Croyez-vous que le Seigneur ait bien voulu dire ce qu’il a dit lorsqu’il a prononcé ces paroles : « Cherchez d’abord le royaume des cieux ? »

— Certainement, je le crois.

— Hé bien ! quelle a été la pensée du Seigneur ?

— Oh !… je ne sais pas …, je n’y ai pas réfléchi. Peut-être serais-je embarrassé de l’expliquer ; mais, en tous cas, les affaires ne doivent pas être négligées.

— Je suis bien étonné que vous, qui faites profession d’être chrétien, parliez de la sorte. Quant à moi, je crois que le Seigneur a voulu dire exactement ce qu’il a dit, et je veux accomplir à la lettre ce qu’il demande. Je ne néglige point mon commerce ; je sais fort bien ce que nous avons à payer ces jours-ci, mais je n’admets pas que cela doive me causer la moindre inquiétude. J’ai déjà pris mes précautions en toute diligence, et j’abandonne le reste entre les mains de Dieu.

En disant cela, le commerçant savait parfaitement où trouver cet argent, mais il ne voulait pas en informer son commis. Il se rendit, comme de coutume, à la réunion de midi, et, en rentrant chez lui à une heure, il lui demanda avec quoi ils paieraient les billets échus ce jour même.

— Oh ! dit le commis, tout va bien. M. B est venu payer 1 800 dollars, et il nous est rentré quelques autres petites sommes.

« Or, dit le commerçant, cette créance de 1 800 dollars était justement une non-valeur dont je n’espérais plus le recouvrement. Ainsi, vous le voyez : le Seigneur prend lui-même soin de mes affaires, pendant que je m’occupe de mon âme et des âmes qui m’entourent, et que je cherche premièrement le royaume de Dieu. »

Aujourd’hui, ce commerçant est l’un des plus zélés champions de la cause chrétienne. Ses mains, son cœur et son intelligence sont toujours prêts pour toute bonne œuvre, et il n’oublie aucun de ses devoirs.

— Un chef de comptoir, dans l’une de nos plus fortes maisons, s’adressant à un jeune commis, qui était un honnête disciple de Jésus, lui dit : Vous ne deviez pas parler comme vous venez de le faire à cet acheteur. Je lui avais vendu la marchandise à un bon prix, au comptant ; vous m’entendez ! au comptant ; et voilà qu’il ne la veut plus maintenant.

— Il m’a demandé ce qu’était cette marchandise, et je lui ai dit la vérité, à savoir qu’elle était avariée. Je ne dirais pas un mensonge pour toutes les marchandises qui sont en magasin ; non, Monsieur, je ne mentirai jamais.

— J’en suis bien fâché, réellement bien fâché, reprit le commis principal, mais je suis obligé d’en avertir les chefs de la maison. C’est mon devoir de le faire. Je ne puis pas consentir à être ainsi entravé par vous et à vous voir déranger et rompre par vos scrupules exagérés les marchés avantageux que je conclus dans l’intérêt des patrons. Je vais dans le cabinet faire mon rapport.

— Très bien ! dit le jeune commis ; j’y vais avec vous, et de ce pas. Je raconterai honnêtement aux patrons tout ce qui s’est passé, et nous verrons ce qu’ils diront de votre manière de tromper ainsi une pratique.

Le courage fit défaut au chef de comptoir, car, depuis quelques semaines, l’un des principaux directeurs de cette maison s’était converti, et il craignait de le trouver disposé à conduire son commerce d’après les principes chrétiens. Il ne jugea pas prudent, par conséquent, de risquer un appel ni un rapport.

Ce jeune commis n’avait que dix-neuf ans, et nous avons la joie de pouvoir ajouter qu’à notre connaissance beaucoup de jeunes gens ont résolu, à son exemple, d’honorer leur profession chrétienne, et de ne jamais se laisser aller à pactiser avec ce qu’on appelle les « lois du commerce. »

— Comme on le voit donc, le réveil fait sentir son influence jusque dans les diverses branches d’industrie. Il influe sur la manière de conduire les affaires, redresse la conscience publique et force les hommes à trafiquer d’une manière équitable.

Nous n’admettons pas que les négociants de New-York soient plus exposés que d’autres au reproche de déshonnêteté. Nous croyons, au contraire, qu’ils passent, à juste titre, pour les plus intègres et les plus loyaux. Nous devons le dire, en dehors de tout esprit de parti et de tout préjugé, c’est pure justice que de leur rendre ce beau témoignage. Mais nous devons reconnaître aussi, pour dire fidèlement toute la vérité, que la puissance de l’Evangile avait bien besoin de pénétrer dans ce vaste champ de l’activité humaine, où les principes de la probité et de l’honneur n’avaient pas encore été portés jusqu’à leurs dernières conséquences.

La véritable honorabilité d’une maison de commerce ne consiste pas seulement dans sa ponctualité à faire face à ses engagements, ni dans le fait que sa signature n’a jamais été protestée. Son honorabilité est nulle, si, à côté de cela, elle laisse, volontairement ou par négligence, introduire une foule d’abus et de fraudes dans le détail de ses opérations. Le principe vulgaire que « c’est à l’acheteur de faire attention à ce qu’on lui vend », ainsi qu’une foule d’autres maximes de ce genre qui avaient libre cours auparavant, et qui ne servaient qu’à recouvrir des escroqueries de la plus noire espèce, ne subsisteront plus désormais, sous l’influence de ce réveil. Dans cette ville, comme dans d’autres, des centaines de négociants avaient été dans l’habitude de laisser faire en leur nom, et sous prétexte de nécessité, des choses qui ne sauraient passer inaperçues devant l’éternelle Justice, et qui sont condamnées d’avance par toute âme réellement éclairée par la Parole et par l’Esprit du Seigneur.

Lorsqu’on s’avisa de mettre au jour, dans les réunions de prière, ces prétendues « fraudes innocentes », ces petites faussetés et ces petites tromperies (qui valent bien un vol ou un plat mensonge), ce fut là une découverte qui consterna les commerçants, qui les arracha violemment à leur fallacieuse sécurité, et qui les força à se repentir et à réformer leurs habitudes. On comprit alors que le devoir de conduire les affaires d’après les principes chrétiens n’était pas un vain mot, et que quand on parlait de la nécessité d’arrêter le mal et de mettre la cognée à la racine des péchés commerciaux, on s’engageait par cela même à relever l’honneur du commerce à un niveau tel, que l’interprétation la plus rigoureuse de l’Evangile n’y trouvât plus rien à condamner.

Il est clair que s’il n’y avait rien eu à réformer dans ce sens, on n’aurait pas parlé avec insistance, aux réunions de Fulton Street, de la nécessité de « conduire le commerce d’après le principe chrétien ». On peut supposer que les négociants qui venaient régulièrement, à midi, passer une heure en prière, devaient figurer parmi les plus honnêtes et les plus probes de leur classe, et néanmoins ils reconnaissaient eux-mêmes que l’exhortation à commercer selon le principe chrétien était d’urgence.

On se demande quels effets le réveil a produits à cet égard ? Son influence a corrigé et tend à corriger toujours davantage les abus établis dans tout le pays. A mesure qu’il pénètre plus profondément dans les consciences, il les éclaire sur leurs devoirs. La lumière qu’il a répandue sur toutes les branches d’industrie leur a révélé les exigences de la loi divine concernant les diverses relations de la vie commerciale. Il a fait comprendre à bien des gens qu’on ne saurait devenir chrétien aussi longtemps qu’on persiste dans un négoce illicite ou déloyal, et que celui-là est illicite et déloyal devant Dieu, qui nuit en une mesure quelconque aux intérêts de la communauté. L’effet produit a été assez puissant pour convaincre des hommes pieux et éclairés par l’Esprit de Dieu qu’ils ne pouvaient continuer leur commerce, et pour les contraindre à l’abandonner.

Nous espérons que le temps viendra bientôt où la première et la plus grande recommandation que l’on pourra donner en faveur d’une maison de commerce, sera « qu’elle traite les affaires d’après le principe chrétien ».

Si ce réveil religieux ne parvenait pas à exercer une influence permanente sur la conduite journalière et privée des gens d’affaires, et à les porter davantage à la réflexion, à la piété et à une vie sanctifiée ; si son énergie était impuissante à transformer les rapports des hommes entre eux, tant dans leurs relations sociales que dans leurs relations commerciales, et à rendre les négociants et les industriels de toute sorte plus probes, plus consciencieux et plus fidèles ; s’il ne réussissait pas à mettre le christianisme assez en honneur pour que le seul titre de chrétien devienne généralement la meilleure garantie de la droiture de quelqu’un ; si, en un mot, il échouait dans l’œuvre de la régénération des principes commerciaux qui sont en vogue de par le monde, il n’aurait absolument rien fait de ce que nous attendions de lui pour l’honneur de Jésus-Christ et pour le bien de l’humanité.

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