Lettres aux chrétiens persécutés ou affligés

A Lady Kenmure

Indifférence quant au monde.
Il faut toujours vivre en vue du ciel.
Christ ne change jamais.

Anwoth, 26 novembre 1631

Madame,

La route que vous avez à parcourir est trop longue pour que vous n’ayez pas besoin d’être tenue en haleine ; vos jours, vous le savez, n’ont qu’une courte durée ; à mesure qu’ils s’écoulent, il faut que votre foi se développe et mûrisse pour la famille du Seigneur. Le souverain Laboureur donne à chaque fruit la saison qui lui est propice, et lorsqu’ils ont tiré de l’arbre tous les sucs qui leur sont nécessaires, Il vient les secouer et les rassembler pour son usage. Mais les mauvais y demeurent attachés, et leurs rameaux n’ont point de verdure. « Il périra avant que ses jours soient accomplis ; les branches ne verdiront point. On lui ravira son verjus comme à une vigne, et l’on fera tomber sa fleur comme à un olivier » (Job 15.32-33). Dans sa miséricorde, Dieu vous a largement abreuvée aux amertumes de ce monde, afin que vous n’ayez aucun regret de le quitter, et que vous soyez semblable à « ceux qui sont dans la joie comme s’ils n’étaient pas dans la joie, et à ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient rien » (1 Corinthiens 7.30). Comme un vaisseau démâté, vous arriverez au port du Seigneur, et vous y serez la bien-venue, car, vous êtes de ceux qui, ayant eu toujours un pied hors de cette terre, avez soupiré pour celle que vous atteindrez bientôt. C’est là que votre âme jouira du festin éternel en vue de la glorieuse et incompréhensible Trinité, alors vous verrez face à face l’homme-Christ, cette figure auguste qui à cause « de nous a été plus défaite que celle d’aucun fils des hommes » (Ésaïe 52.14). Vous voguez sur les eaux qui vous séparent de la gloire de Christ ; ne craignez rien, aussi longtemps que vous tiendrez sa main, vous ne pouvez vous noyer, alors même que votre barque périrait. Pendant votre course, vous verrez la route teinte du sang de Celui qui est le Précurseur. Ne redoutez pas d’approcher de cette sombre rivière de la mort. Jésus sera là pour vous aider à la franchir, et, quel qu’en soit le courant, elle ne saurait vous entraîner en enfer.

Le fils de Dieu, sa mort, sa résurrection, sont des bases sur lesquelles vous pouvez, par la foi, poser vos pieds et atteindre la terre-ferme. Si vous saviez ce qui vous attend, quelle serait votre joie ! Toutefois, peut-être, ne vous accordera-t-il pas une pleine mesure, jusqu’à ce que vous soyez en état de boire à ce fleuve de vie qui sort du trône de Dieu et de l’Agneau (Apocalypse 22.1).

Ne vous laissez aller ni au découragement, ni à l’impatience ; le Seigneur est votre sûreté, vous n’avez rien à craindre. Que sont quelques années de souffrances ici-bas, auprès de ce qui vous attend lorsque vous aurez rejoint le Fils de Dieu ? Si votre empressement de quitter cette terre tient au besoin de rejoindre le Seigneur, reconnaissez que c’est Lui qui en a mis le désir en vous. Pensez-vous qu’Il laisserait se perdre ce qui est à Lui ; qu’il oublierait sa promesse, qu’il changerait ses intentions comme s’Il était « homme pour mentir, ou fils d’homme pour se repentir ? » — Non, non, Il ne saurait changer, « Il est le même hier, aujourd’hui, éternellement. » Son Fils Jésus, qui a bu et mangé sur la terre avec les publicains et les pécheurs, qui a pardonné à la femme adultère, qui de sa sainte main a touché les lépreux et vécu au milieu des pécheurs, c’est le même qui aujourd’hui est souverainement glorifié. Sa brillante cour dans les cieux ne lui fait pas oublier ses pauvres amis sur la terre. Les honneurs ne le changent pas, et il désire toujours vous voir arriver. Acceptez-le donc pour le même Christ qui est venu vous chercher. Réclamez ses bienfaits, en lui disant : Oh ! oui, je reconnais que ce n’est pas Toi, mais moi qui suis changée. L’immuable amour de la Nouvelle-Alliance consiste en partie en ce que vous ne pouvez ni le vendre, ni disposer de Lui en aucune façon. Dans l’alliance de grâce, Il ne nous a ni joués, ni trahis, en sorte qu’il ne nous est point permis de nous éloigner de Lui à notre gré. C’est un marché tout d’amour qu’il a contracté. « Car Jésus, notre sûreté, a été fait garant de notre alliance » (Hébreux 7.22). Il ne saurait donc nous perdre, son honneur est engagé à nous rendre son Père quand Il lui restituera son royaume. Consentez donc à dire Amen à ses promesses : vous témoignerez ainsi que Dieu est fidèle et que Christ vous appartient. De votre côté le marché est facile à tenir ; il vous suffit de tout attendre avec foi de Celui qui a tout acquitté et tout souffert pour vous.

Priez pour moi, Madame, et pour cette Sion dont vous faites partie. Tenez en garde votre âme, votre corps et votre esprit, et présentez-vous devant la face du Seigneur comme sa fiancée sans tache et sans souillure.

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