Lettres aux chrétiens persécutés ou affligés

Au Laird de Cally

Il faut éviter une froide recherche du ciel.
Impossibilité d’y entrer sans vaincre le péché.
Il faut se vaincre soi-même et s’abandonner à Christ.

Aberdeen, 1637

Très honoré Monsieur,

J’attends avec impatience des nouvelles de votre âme, espérant que vous cherchez votre salut en Christ uniquement. Je vous en supplie, donnez-vous plus de peine que vous ne l’avez fait jusqu’à cette heure pour entrer au ciel ; n’imitez pas ces lâches et paresseux professeurs de la foi qui ont plus confiance en ce qu’ils font eux-mêmes qu’en la vertu de Christ ; ils se contentent de ces formes extérieures qui satisfont la foule, et se montrent ardents en été, glacés en hiver, selon les impulsions de la chair. Leur boussole semble être dirigée vers le ciel, mais elle tend ailleurs.

Digne et cher Monsieur, séparez-vous de ces vaines pratiques ; usez de violence, s’il le faut, pour entrer dans le royaume de Dieu. Le Seigneur, et tous ses disciples avec Lui, ne sont parvenus au sommet de la montagne qu’après avoir supporté la chaleur du jour. Et nous, nous semblons croire que le ciel s’inclinera auprès de la couche où nous dormons, et que nous y entrerons sans coup férir. Cependant on n’y est pas admis sans traverser une route semée d’épines, des orages terribles y éclatent tout à coup, on y rencontre des ennemis à chaque pas ; il en est de redoutables qu’il faut combattre corps à corps. Impossible de porter ses convoitises au ciel, elles n’y ont pas entrée. Ah ! que nous tardons à nous débarrasser du fardeau qui ralentit notre course ! Croyez-le, ce n’est pas peu de chose d’en venir à se déplaire à soi-même et à plaire au Seigneur. C’est si difficile de faire un pas en dehors de sa volonté propre, de son bien-être, de la direction naturelle de son esprit et de renoncer tellement à soi-même qu’on puisse dire : « Non point à moi, mais à Christ ; non point par moi, mais par la grâce ; non point pour moi, mais pour la gloire de Dieu, parce que son amour m’y contraint, parce que sa Parole le veut ainsi ; non, rien de moi, mais tout parce que Christ l’a ainsi ordonné, car Il est Roi en moi. » Quelle douleur, quelle mort pour notre état naturel quand il faut abandonner sa convoitise, son aisance, son crédit et en venir à considérer Christ comme son Sauveur, son Roi, son Dieu, en reconnaissant que toute grâce est un don de la volonté propre du Seigneur ! L’idole que nous adorons tous, et par-dessus tout, c’est nous-mêmes. Qu’est-ce qui causa la chute d’Eve, qu’est-ce qui lui fit toucher au fruit défendu, si ce n’est cette misérable chose, elle-même ? Qu’est-ce qui conduisit la main du frère meurtrier à tuer Abel ? Qu’est-ce qui entraîna l’ancien monde dans la corruption, sinon ce monde lui-même, agissant sous l’impulsion de son bon plaisir ? Qu’est-ce ce qui fit tomber Salomon dans l’idolâtrie et le porta à se choisir des femmes étrangères, sinon lui-même en recherchant sa propre satisfaction et non celle de Dieu ? Quel appât séduisit David et le fit tomber dans l’adultère, sinon la convoitise de ses yeux ? Qu’est-ce qui le rendit meurtrier, sinon son crédit, son honneur mondain ? Qu’est-ce qui poussa Pierre à renier son Sauveur ? me fut-ce pas sa crainte pour lui-même ? Qu’est-ce qui entraîna Judas à vendre son Maître pour trente pièces d’argent, sinon l’amour des richesses, l’idole qu’il chérissait ? Qu’est-ce qui décida Démas à abandonner l’Évangile pour ce présent siècle, sinon l’amour de lui-même et de l’argent ? A cause de ses péchés particuliers, tout homme blâme le diable. Mais la demeure principale du démon est au fond de tout cœur d’homme, et il tue tout, puisqu’il le tue lui-même.

Heureux est celui qui renonce à soi-même pour Jésus ! Puissé je ne plus m’obéir à moi-même, mais à Christ ; ne plus suivre ma convoitise, mais mon Sauveur ; ne plus rechercher mon bien-être, mais la possession de Christ ! Précieuses paroles que celles-ci : « Je vis, non plus moi-même, mais Christ vit en moi » (Galates 2.20). Oh ! si tous quittaient ce qu’ils aiment, ce qui les tente, toutes ces mille choses qui nous étreignent de partout, et qui sont les idoles qu’on place au-dessus de Christ ! Cher Monsieur, pardonnez ma liberté, elle est le résultat de l’amour que je vous porte. Dieu m’est témoin que le salut éternel de votre âme est ce que j’ai le plus à cœur en m’exprimant ainsi. Appliquez-vous à rechercher devant le Seigneur les péchés de votre jeunesse. Le soir de votre vie est plus près maintenant qu’à notre dernière entrevue. Hâtez-vous de terminer votre tâche avant la nuit. Faites en sorte que Christ soit votre tout, et que votre cœur se donne entièrement à Lui. Tenez-vous ferme à sa doctrine ; il en est tant qui L’abandonnent lâchement et Le trahissent. Mais j’espère que vous aimez le Sauveur. Permettez-moi de vous affermir dans sa vérité. La douce voix de mon Sauveur m’est plus précieuse qu’une couronne d’or avec la possession d’un royaume.

Selon ma promesse, je me souviens de vous dans mes prières. Ne m’oubliez pas non plus dans les vôtres ; demandez au Seigneur de me ramener au milieu de vous avec l’Évangile à la main.

Que la grâce soit avec vous.

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