Somme théologique

Somme théologique — La prima secundae

49. LA NATURE DES HABITUS

  1. L'habitus est-il une qualité ?
  2. Est-il une espèce déterminée de la qualité ?
  3. Implique-t-il une tendance à l'action ?
  4. La nécessité des habitus.

1. L'habitus est-il une qualité ?

Objections

1. D'après S. Augustin, il ne semble pas. En effet il dit que « ce substantif habitus vient du verbe habere, avoir, posséder ». Or posséder ne se rapporte pas seulement à l'ordre de la qualité mais à bien d'autres genres ; nous disons que nous avons ou possédons quantité de choses, de l'argent, etc. L'habitus n'est donc pas une qualité.

2. Le Philosophe montre au livre des Prédicaments que l'habitus est un de ceux-ci. Mais un prédicament ne rentre pas dans un autre. L'habitus n'est donc pas la qualité.

3. Le Philosophe dit au même livre que « tout habitus est une disposition ». Mais une disposition c'est « l'arrangement d'un être composé de plusieurs parties ». Or ceci se rapporte au prédicament situs non à la qualité.

En sens contraire, le Philosophe affirme dans les Prédicaments « que l'habitus est une qualité qui ne change pas facilement ».

Réponse

Ce nom d'habitus est tiré du verbe habere, avoir. Il en dérive de deux manières :

1° au sens où l'on dit qu'on possède quelque chose on, c'est-à-dire l'homme ou quelque autre réalité.

2° au sens où une réalité en quelque sorte se possède, en elle-même ou à l'égard d'autre chose.

Dans la première acception il faut considérer que le fait d'avoir ou de posséder, selon qu'il est appliqué à n'importe quel objet de possession est commun à divers genres. Aussi le Philosophe le range-t-il parmi ces choses dites « postprédicamentales ». c'est-à-dire consécutives aux différents prédicaments, comme sont les oppositions, l'avant et l'après, etc. — Mais pour ce qui est des choses qu'on a en sa possession, il semble y avoir entre elles la distinction que voici. Il y a des cas où rien d'intermédiaire n'existe entre le possesseur et la réalité possédée : ainsi entre un sujet et sa qualité ou sa quantité il n'y a aucun intermédiaire. Dans d'autres cas au contraire il y a bien entre le possesseur et ce qu'il possède quelque chose d'intermédiaire, mais c'est seulement une relation, comme on dit de quelqu'un qu'il a un compagnon ou un ami. Entre d'autres choses enfin une réalité intermédiaire existe : elle n'est pas à vrai dire action ou passion, mais elle se présente par manière d'action ou de passion, c'est-à-dire qu'on a d'un côté quelque chose qui orne ou qui couvre, et de l'autre quelque chose qui est orné ou couvert ; ce qui fait dire au Philosophe que « cet habitus est pour ainsi dire une adaptation entre celui qui possède et ce qu'il possède », comme pour les objets que nous avons sur nous et autour de nous. Et c'est là précisément ce qui donne lieu à un genre spécial de réalités qu'on appelle le prédicament habitus, dont le Philosophe dit que « entre celui qui a un vêtement et le vêtement qu'il a, il existe l'intermédiaire d'un habitus ».

Mais, si posséder est pris dans le sens où l'on dit qu'une réalité en quelque sorte se possède, en elle-même ou à l'égard d'autre chose, comme cette façon de posséder suppose de la qualité, c'est là un habitus qui est de l'ordre de la qualité. Et c'est de celui-là que le Philosophe dit : « On appelle habitus l'arrangement suivant lequel un être est bien ou mal disposé, ou par rapport à soi ou à l'égard d'autre chose ; ainsi la santé est un habitus. » Et c'est en ce sens que nous parlons maintenant de l'habitus. Il faut donc conclure que l'habitus est une qualité.

Solutions

1. Cette objection prend « posséder » dans son acception générale ; en ce sens, c'est en effet chose commune à plusieurs catégories, comme on vient de le dire.

2. Cet argument est valable pour l'habitus entendu comme quelque chose d'intermédiaire entre possédant et possédé ; c'est même alors un prédicament à part, nous venons de le dire.

3. Il est vrai que la disposition implique toujours l'arrangement d'un être composé de parties. Mais cela peut se faire de trois façons, ajoute aussitôt le Philosophe : « selon le lieu, en puissance, ou selon l'espèce ». « En quoi, dit Simplicius, il comprend toutes les sortes de dispositions. Les corporelles, dans ces mots : “selon le lieu” — et c'est là le prédicament situs, qui est l'ordre des parties dans l'espace. — Par ces mots : “en puissance”, il comprend les dispositions qui consistent dans les préparations et aptitudes à l'état encore imparfait — telles que la science et la vertu commençantes. — Enfin par ces mots : “selon l'espèce”, il comprend les dispositions parfaites appelées habitus — comme la science et la vertu achevées. »


2. L'habitus est-il une espèce déterminée de la qualité ?

Objections

1. Non, semble-t-il. Car s'il est vrai, comme on vient de le dire, que l'habitus en tant que qualité est « l'état suivant lequel un être est bien ou mal disposé », cela arrive en n'importe quel genre de qualité : même par la figure on peut être en bon ou mauvais état, pareillement pour le froid et le chaud, etc. L'habitus n'est donc pas une espèce à part de la qualité.

2. Le Philosophe dit que le froid et le chaud sont des dispositions ou habitus au même titre que la maladie et la santé. Mais la chaleur et le froid sont dans la troisième espèce de qualité. L'habitus, pas plus que la disposition, ne se distingue donc des autres espèces de qualités.

3. Le fait de « changer difficilement » n'est pas une différence de l'ordre de la qualité, mais se rapporte plutôt au mouvement ou à la passion. Or aucun genre n'est déterminé à une espèce par une différence tirée d'un autre genre ; il faut au contraire, dit le Philosophe, que les différences s'ajoutent de soi au genre. Donc, dire que l'habitus est « la-qualité-qui-ne-change-pas-facilement » ne suffit pas, semble-t-il, à en faire une espèce déterminée de qualité.

En sens contraire, le Philosophe affirme « qu'une espèce de qualité, c'est l'habitus et la disposition ».

Réponse

Le Philosophe dans ses Prédicaments met au premier rang des quatre espèces de qualités la disposition et l'habitus. Et Simplicius dans son commentaire définit en ces termes la différence des quatre espèces : « Parmi les qualités, certaines sont naturelles : celles qu'on a par nature et toujours ; mais certaines sont adventices : celles qui viennent du dehors et peuvent être perdues. Ces dernières (les adventices) sont les habitus et les dispositions qui diffèrent selon qu'elles sont chose facile ou difficile à perdre. Quant aux qualités naturelles, certaines sont l'indice que quelque chose est en puissance, et c'est la deuxième espèce de qualité. Certaines au contraire sont l'indice que quelque chose est en acte, et cela, soit en profondeur soit en surface. En profondeur, c'est la troisième espèce de qualité ; en surface, c'est la quatrième, la figure des choses et la forme qui est la figure des êtres animés. » — Mais cette distinction des espèces de qualité ne semble pas bonne, car il y a beaucoup de figures et aussi beaucoup de qualités de la même espèce, dites « de passibilité », qui ne sont pas naturelles, mais adventices ; comme il y a beaucoup de dispositions, santé, beauté, etc., qui ne sont pas adventices mais naturelles. En outre, ce n'est pas là une bonne façon de ranger des espèces ; ce qui est plus naturel doit toujours passer en premier.

Voilà pourquoi il faut s'y prendre autrement pour distinguer les dispositions et habitus d'avec les autres qualités. Proprement, en effet, une qualité c'est une modalité de la substance. Or une modalité, dit S. Augustin, c'est « ce qui est délimité avec mesure ». Une qualité, c'est donc une certaine détermination mesurée. Aussi, de même que ce qui détermine la puissance de la matière dans l'ordre substantiel de l'existence s'appelle une qualité, qui fait la différence spécifique de la substance ; de même, ce qui détermine la puissance du sujet dans l'ordre accidentel de l'existence s'appelle une qualité parmi les accidents, qualité qui constitue aussi une sorte de différence, comme le montre Aristote.

Mais la modalité ou détermination du sujet dans l'ordre accidentel peut être prise, soit par rapport à la nature même du sujet ; soit sur le plan de l'action et de la passion, qui sont deux effets consécutifs à ces principes de la nature que constituent la matière et la forme, soit sur le plan de la quantité. — S'il s'agit d'une détermination relative à la quantité, on a ainsi la quatrième espèce de qualité. Et comme la quantité est de soi en dehors du mouvement, en dehors aussi de la notion du bien et du mal, il n'appartient pas à cette quatrième espèce de qualité que cela soit bien ou mal, que cela passe vite ou lentement. — Pour ce qui est de la détermination sur le plan de l'action et de la passion, elle s'observe dans la deuxième et la troisième espèce de qualité, et c'est pourquoi dans l'une comme dans l'autre on considère que c'est de formation facile ou difficile, que c'est transitoire ou durable ; mais là encore il n'est question de rien qui se rapporte à la notion du bien et du mal, parce que les mouvements et les passions ne sont pas en eux-mêmes une fin, et que le bien comme le mal se définit par sa relation à une fin.

Mais si la détermination ou la modalité du sujet est en fonction de la nature même, on a cette première espèce de qualité qui n'est autre que l'habitus et la disposition. Parlant en effet des habitus de l'âme et du corps, le Philosophe dit que ce sont « dans un être parfait des dispositions au meilleur ; quand je dis parfait, cela s'entend de l'état de la nature ». Cette fois, parce que « la forme même d'une chose, sa nature, est réellement une fin et la cause pour laquelle la chose existe », inévitablement dans cette première espèce de qualité on regarde le bien et le mal ; et aussi, puisqu'une nature est la fin d'une génération et d'un changement, on regarde si c'est facilement ou difficilement changeant. De là cette définition donnée par le Philosophe : « L'habitus est l'état suivant lequel on est en bonne ou mauvaise disposition » ; et celle-ci : « Les habitus sont ce qui nous fait réagir bien ou mal dans les passions. » En effet, quand c'est un mode d'être qui s'accorde avec la nature de la réalité, alors il a raison de bien ; mais quand il ne s'accorde pas, alors il a raison de mal. Et parce que la nature est ce que l'on regarde en premier lieu dans une réalité, il s'ensuit que l'habitus constitue la première espèce de qualité.

Solutions

1. Une disposition avons-nous dit, c'est une mise en ordre. On n'est donc jamais disposé, au moyen de la qualité, que dans une mise en ordre pour quelque chose. Et si l'on ajoute « bien ou mal », ce que demande la notion de l'habitus, il faut qu'il s'agisse d'une mise en ordre par rapport à la nature qui est sa fin. C'est pourquoi, quant à la figure extérieure ou quant à la température, on ne dit pas de quelqu'un qu'il est en bon ou mauvais état, sinon par rapport à sa nature, selon que son état lui convient ou non. De là vient que même la figure d'un être et ses qualités dites de passibilité en tant qu'on les regarde comme convenant ou non à sa nature, se rattachent aux habitus ou dispositions ; car un aspect et un teint en harmonie avec la nature contribuent à la beauté; un état bien équilibré de température, contribue à la santé. Voilà comment le Philosophe met le chaud et le froid dans la première espèce de qualité.

2. On voit ainsi comment se résout la seconde objection, bien que certains la résolvent autrement, à la manière de Simplicius.

3. Cette différence, le « difficilement changeant », distingue l'habitus non pas des autres espèces de qualité mais de la disposition. Disposition a une double acception ; tantôt c'est le genre dont fait partie l'habitus puisque, dans la Métaphysique, la disposition entre dans la définition de l'habitus ; tantôt c'est quelque chose qui se distingue de l'habitus et qui s'y oppose. Et cette opposition entre la disposition proprement dite et l'habitus peut s'entendre de deux façons.

1° Comme le parfait et l'imparfait dans la même espèce ; c'est-à-dire qu'on retient le nom commun de disposition quand la qualité existe à l'état imparfait, de telle sorte qu'on la perd facilement ; mais on l'appelle habitus quand elle existe à l'état parfait au point de n'être pas facilement perdue. Dans ce sens, la disposition devient habitus comme l'enfant devient homme.

2° Comme espèces différentes dans un genre en gradation ; de sorte qu'on donnera le nom de disposition à ces qualités de la première espèce auxquelles il appartient essentiellement d'être faciles à perdre parce qu'elles ont des causes changeantes — telles sont la maladie et la santé ; tandis qu'on appelle habitus ces qualités dont l'essence veut qu'il ne soit pas facile de les perdre, leurs causes n'étant pas changeantes : telles sont les sciences et les vertus. En cette dernière acception, la disposition ne devient pas habitus. Et ceci paraît être plus conforme à la pensée d'Aristote. De là vient qu'il invoque pour prouver cette distinction, le langage courant : même des qualités par elles-mêmes facilement changeantes, si par accident elles sont rendues difficilement changeantes, on les appelle et elles deviennent des habitus ; et l'on fait l'inverse pour des qualités par elles-mêmes difficiles à changer, car si quelqu'un possède imparfaitement une science au point de pouvoir facilement la perdre, on dit qu'il a des dispositions pour cette science ; on ne dit pas qu'il la possède. Par là il est évident que le terme d'habitus, mais non celui de disposition, implique une certaine durée.

Le fait que ce trait d'être « facilement et difficilement changeant » se rattache à la passion et au mouvement, et non au genre qualité, n'empêche pas qu'on ne tire de là des différences spécifiques. Car de telles différences, bien qu'elles paraissent ne se rapporter à la qualité que par accident, désignent cependant entre les qualités des différences qui sont propres et essentielles. De même, dans le genre substance, on prend souvent des différences accidentelles au lieu de différences substantielles, en tant qu'elles font connaître des principes essentiels.


3. L'habitus implique-t-il une tendance à l'action ?

Objections

1. Non, semble-t-il. Chaque être agit dans la mesure où il est en acte. « Mais, dit le Philosophe, quand on devient savant par habitus, on l'est encore en puissance, bien que d'une autre manière qu'avant de commencer ses études. » L'habitus n'implique donc pas la relation d'un principe à l'acte.

2. Ce qui sert à définir une chose lui convient essentiellement. Mais être principe d'action, cela entre dans la définition de la puissance, d'après Aristote. Cela lui convient donc essentiellement. Or ce qui existe par soi est premier dans n'importe quel genre. Donc, si l'habitus aussi est principe d'action, il ne l'est qu'après la puissance. Et ainsi la première espèce de qualité ne sera pas l'habitus ni la disposition.

3. La santé est quelquefois à l'état d'habitus et pareillement la maigreur et la beauté. Mais il n'y a rien en cela qui signifie une tendance à l'action. Il n'est donc pas essentiel à l'habitus d'être principe d'action.

En sens contraire, S. Augustin dite que « l'habitus est ce qui fait agir quand besoin est ». Le Commentateur d'Aristote dit de son côté : « L'habitus est ce qui permet d'agir quand on veut. »

Réponse

Avoir tendance à l'action peut convenir à l'habitus, et comme habitus et en raison du sujet dans lequel il se trouve. — Déjà, par définition il convient à tout habitus d'avoir en quelque manière tendance à l'action. Il lui est essentiel en effet d'impliquer une certaine relation ordonnée à la nature du sujet, selon que telle chose convient ou non. Mais une nature, fin de la génération, est ordonnée à son tour à une autre fin qui est tantôt une opération, tantôt le résultat de l'opération. Aussi l'habitus implique-t-il non seulement un ordre à la nature même d'une réalité mais aussi, par voie de conséquence, à l'opération qui est la fin de cette nature ou qui achemine à cette fin. Et c'est pourquoi Aristote dit dans la définition de l'habitus que c'est « l'état selon lequel on est bien ou mal disposé, ou en soi » c'est-à-dire dans sa nature, « ou à l'égard d'autre chose » c'est-à-dire par rapport à une fin.

Mais il y a certains habitus qui impliquent d'abord et principalement tendance à l'acte en raison du sujet qui les possède. Et c'est encore parce que l'habitus, comme nous venons de le dire, implique premièrement et par soi une adaptation à la nature d'une chose. Donc, si cette nature dotée d'habitus consiste elle-même en une tendance à l'action, il s'ensuit que l'habitus implique principalement, lui aussi, tendance à l'action. Or il est évident que la nature et l'essence d'une puissance c'est d'être principe d'action. Dès lors tout habitus qui a pour sujet une puissance implique principalement tendance à l'action.

Solutions

1. Comme qualité, l'habitus est un acte, et à ce titre il peut être principe d'opération. Mais il est en puissance par rapport à l'opération. D'où le nom d'« acte premier » pour l'habitus, et d'« acte second » pour l'opération.

2. Il n'appartient pas à la notion d'habitus de regarder la puissance, mais la nature. Et parce que la nature précède l'action que vise la puissance, il convient que la première espèce de qualité soit l'habitus plutôt que la puissance.

3. La santé est habitus ou disposition habituelle par rapport à une nature, comme nous l'avons expliqué. Néanmoins, en tant que cette nature est principe d'action, la santé implique par conséquent tendance à l'acte. De là cette phrase du Philosophe : « On dit qu'un homme ou un membre est sain quand il peut avoir l'activité de celui qui est sain. » Et pour les autres états habituels c'est pareil.


4. La nécessité des habitus

Objections

1. On ne voit pas bien cette nécessité. L'habitus est ce par quoi un être est bien ou mal disposé à quelque chose, nous l'avons dit. Mais par sa forme il est déjà bien ou mal disposé, car c'est par elle qu'il est bon, comme c'est par elle qu'il est être. Donc aucune nécessité d'avoir des habitus.

2. L'habitus implique tendance à l'action. Mais la puissance est déjà suffisamment principe d'activité, puisque, même en dehors des habitus, les puissances naturelles sont principes d'actes. Il n'est donc pas nécessaire qu'il y ait des habitus.

3. De même que la puissance est capable du bien et du mal, l'habitus aussi ; et de même que la puissance n'agit pas toujours, l'habitus non plus. Donc, puisqu'il existe des puissances, il est superflu qu'il y ait des habitus.

En sens contraire, les habitus sont des perfections, dit le Philosophe. Mais la perfection est ce qu'il y a de plus nécessaire à une réalité, puisqu'elle a raison de fin. Il était donc nécessaire qu'il y eût des habitus.

Réponse

Comme nous l'avons dit, l'habitus est une certaine disposition ordonnée à la nature d'une chose, et à l'opération ou la fin de cette chose, disposition qui fait qu'on est bien ou mal adapté à cela. Mais pour qu'une chose ait besoin d'être adaptée à une autre il faut trois conditions.

1° Que ce qui s'adapte soit autre que ce à quoi il s'adapte et se trouve ainsi envers lui dans le rapport de puissance à acte. Par suite, s'il y a un être dont la nature ne soit pas composée de puissance et d'acte, en qui la substance se confonde avec l'opération et qui soit à lui-meme sa fin, l'habitus ou disposition n'y a pas de place, comme c'est évidemment le cas en Dieu.

2° Il est requis que l'être en puissance à autre chose puisse être déterminé de plusieurs manières et à diverses choses. Par suite, s'il y a un être en puissance à autre chose, mais de telle façon qu'il ne soit en puissance qu'à cela, habitus et disposition n'y ont pas de place, puisqu'un tel sujet possède par sa nature même la relation qu'il doit avoir à un tel acte ; ainsi, bien que le corps céleste soit composé de matière et de forme, comme cette matière n'est pas en puissance à une autre forme, la disposition ou habitus n'y a pas de place, ni pour une forme ni même pour une opération, puisque la nature du corps céleste n'est en puissance qu'à un seul mouvement déterminé.

3° Il est requis que plusieurs facteurs concourent à adapter le sujet à l'une de ces choses auxquelles il est en puissance, et que ces facteurs puissent s'harmoniser de plusieurs façons de manière à s'adapter, bien ou mal, à la forme ou à l'opération. Aussi, les qualités simples des éléments, qui s'accordent avec la nature de ceux-ci et suivant un mode unique et déterminé, nous ne les appelons pas dispositions ou habitus mais simples qualités ; nous appelons dispositions ou habitus la santé, la beauté et les autres qualités qui impliquent un certain état d'harmonisation entre plusieurs parties pouvant s'harmoniser diversement. C'est pourquoi le Philosophe dit que « l'habitus est une disposition », et la disposition est « l'arrangement d'un être composé de parties, arrangement selon le lieu, ou selon les puissances, ou selon l'espèce », comme nous l'avons dit plus haut.

Donc, puisqu'il y a beaucoup d'êtres dont la nature et l'opération exigent le concours de plusieurs facteurs pouvant s'harmoniser de diverses manières, il est nécessaire qu'il y ait des habitus.

Solutions

1. La nature d'une réalité est achevée par la forme, mais comme préparation à la forme elle-même il faut que le sujet soit dans une certaine disposition. — Cependant, la forme à son tour est orientée vers l'opération qui est soit une fin, soit l'acheminement vers une fin. Et si la forme n'a qu'une seule opération déterminée, aucune autre disposition n'est requise pour celle-ci en dehors de la forme elle-même. Mais si la forme est telle qu'elle puisse opérer diversement, comme c'est le cas de l'âme, il faut qu'elle soit adaptée à ses opérations par des habitus.

2. La puissance se prête parfois à beaucoup de réalisations ; et à cause de cela il faut qu'elle soit déterminée en vertu de quelque chose d'autre. Mais s'il y a une puissance qui ne se prête pas à beaucoup de réalisations, elle n'a pas besoin, avons-nous dit, d'un habitus qui la détermine. Et c'est pour cela que les forces de la nature n'accomplissent pas leurs opérations au moyen d'habitus, puisqu'elles sont déterminées par elles-mêmes dans un seul sens.

3. Ce n'est pas le même habitus, on le verra plus loin qui se porte au bien et au mal. Mais c'est la même puissance ; et voilà précisément pourquoi les habitus sont nécessaires : afin que les puissances soient déterminées au bien.

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