Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

3. L'ACTE EXTÉRIEUR DE LA FOI

Étudions maintenant cet acte extérieur de la foi qui consiste à la confesser.

  1. Confesser est-il un acte de la foi ?
  2. La confession de la foi est-elle nécessaire au salut ?

1. Confesser est-il un acte de la foi ?

Objections

1. Il semble que non, car le même acte ne se rattache pas à diverses vertus. Or la confession se rattache à la pénitence dont elle est une partie. Elle n'est donc pas un acte de la foi.

2. Ce qui retient l'homme de confesser sa foi, c'est parfois la crainte, ou encore de la honte ; aussi l'Apôtre (Éphésiens 6.19) demande-t-il qu'on prie pour lui, afin qu'il lui soit donné « d'annoncer hardiment le mystère de l'Évangile ». Mais le fait de ne pas s'éloigner du bien par honte ou par crainte relève de la force — c'est elle qui modère nos audaces et nos craintes. Il semble donc que la confession soit un acte, non pas de la foi, mais plutôt de la force ou de la constance.

3. Si quelqu'un est amené par la ferveur de sa foi à confesser sa foi extérieurement, il est amené aussi à faire d'autres bonnes œuvres extérieures : « La foi est agissante par la charité », dit l'Apôtre (Galates 5.6). Mais on ne range pas ces autres œuvres extérieures parmi les actes de la foi. Il n'y a donc pas de raison de le faire pour la confession.

En sens contraire, sur ces mots de la seconde épître aux Thessaloniciens (2 Thessaloniciens 1.11) : « Que Dieu mène à bien l'œuvre de la foi dans la puissance », la Glose dit : « C'est la confession, qui est proprement l'œuvre de la foi. »

Réponse

Les actes extérieurs sont proprement des actes de la vertu aux fins de laquelle ils se réfèrent selon leur espèce ; ainsi jeûner se réfère selon son espèce à cette fin de l'abstinence qui consiste à dompter la chair, et à cause de cela c'est un acte de la vertu d'abstinence. Or, selon son espèce, la confession des vérités de la foi est ordonnée comme à sa fin à ce qui est de foi, selon le mot de l'Apôtre (2 Corinthiens 4.13) : « Parce que nous possédons le même esprit de foi, nous croyons, et c'est aussi pour cela que nous parlons. » La parole extérieure a en effet pour but de signifier ce que l'on conçoit dans son cœur. Par conséquent, si la conception intérieure des vérités de la foi est proprement un acte de la vertu de foi, il en est de même de la confession extérieure.

Solutions

1. Il y a trois sortes de confessions qui sont louées dans les Écritures. L'une est la confession de foi, et celle-là est un acte propre de la vertu de foi, étant rapportée, comme nous venons de le dire, au but même de la foi. Une autre confession est celle de l'action de grâce ou de la louange, et celle-là est un acte du culte de latrie : elle tend à rendre extérieurement honneur à Dieu, ce qui est le but du culte de latrie. La troisième est la confession des péchés, et celle-là est ordonnée à l'effacement du péché, lequel est le but de la pénitence. Aussi concerne-t-elle la pénitence.

2. Ce qui écarte l'obstacle n'est pas cause par soi mais par accident, comme le montre le Philosophe. Aussi la force, qui écarte cet obstacle à la confession de la foi qu'est la crainte ou la honte, n'est pas proprement et par soi cause de la confession ; elle l'est comme par accident.

3. La foi intérieure, par l'intermédiaire de la charité, cause extérieurement toute l'activité des vertus par l'intermédiaire de ces autres vertus : cela est commandé par elle mais n'émane pas d'elle. Tandis que la foi produit la confession comme son acte propre, sans l'intermédiaire d'aucune autre vertu.


2. La confession de la foi est-elle nécessaire au salut ?

Objections

1. Il semble que non, car ce qui permet d'atteindre la fin de la vertu paraît suffire au salut. Mais la fin propre de la foi c'est d'unir l'esprit de l'homme à la vérité de Dieu, ce qui peut se faire même sans confession extérieure. La confession de la foi n'est donc pas nécessaire au salut.

2. Par la confession extérieure de la foi l'homme fait connaître sa foi à un autre homme. Mais cela n'est une nécessité que pour ceux qui ont à instruire les autres dans la foi. Il semble donc que les petits ne soient pas tenus de confesser la foi.

3. Du reste, ce qui peut tourner au scandale ou au trouble d'autrui n'est pas nécessaire au salut. L'Apôtre dit en effet (1 Corinthiens 10.32) : « Ne donnez scandale ni aux juifs ni aux païens, ni à l'Église de Dieu. » Mais il y a des cas où la confession de la foi ne fait que jeter le trouble parmi les infidèles. Elle n'est donc pas nécessaire au salut.

En sens contraire, l'Apôtre affirme (Romains 10.10) : « La foi du cœur mène à la justice, et la confession des lèvres au salut. »

Réponse

Ce qui est nécessaire au salut tombe sous les préceptes de la loi divine. La confession de la foi, étant quelque chose de positif, ne peut tomber que sous un précepte positif. Aussi se range-t-elle parmi les choses nécessaires au salut de la même façon dont elle peut tomber sous un précepte positif de la loi divine. Or les préceptes positifs, nous l’avons dit, n’obligent pas à tout instant, encore qu'ils obligent tout le temps : ils obligent à l'endroit et au moment voulus, et suivant les autres circonstances voulues auxquelles doit se limiter un acte humain pour pouvoir être un acte de la vertu. Ainsi donc confesser la foi n'est pas de nécessité de salut à tout moment ni en tout lieu ; mais il y a des endroits et des moments où c'est nécessaire : quand en omettant cette confession, on soustrairait à Dieu l'honneur qui lui est dû, ou bien au prochain l'utilité qu'on doit lui procurer. Par exemple si quelqu'un, alors qu'on l'interroge sur la foi, se tait, et si l'on peut croire par là ou qu'il n'a pas la foi ou que cette foi n'est pas vraie, ou que d'autres par son silence seraient détournés de la foi. Dans ces sortes de cas la confession de la foi est nécessaire au salut.

Solutions

1. La fin de la foi, comme celle des autres vertus doit être rapportée à la fin de la charité, qui est d'aimer Dieu et le prochain. Et c'est pourquoi, quand l'honneur de Dieu ou l'utilité du prochain le demande, on ne doit pas se contenter de s'unir à la vérité divine par sa foi, mais on doit confesser cette foi au-dehors.

2. En cas de nécessité, là où la foi est en péril, n'importe qui est tenu de faire connaître sa foi, soit pour instruire ou affermir les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des infidèles. Mais en d'autres temps, instruire les gens dans la foi n'est pas l'affaire de tous les fidèles.

3. Si le trouble chez les infidèles naît d'une profession de foi proclamée sans aucune utilité ni pour la foi ni pour les fidèles, il n'est pas louable de confesser la foi publiquement. D'où la parole du Seigneur (Matthieu 7.6) : « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur que, retournés contre vous, ils vous déchirent. » Mais, si l'on espère pour la foi quelque utilité, ou s'il y a nécessité, alors méprisant le trouble des infidèles, on doit publiquement confesser la foi. De là cette réponse du Seigneur (Matthieu 15.14), alors que les disciples lui avaient dit les pharisiens scandalisés par une de ses paroles : « Laissez-les », sous-entendu se troubler, « ce sont des aveugles et des conducteurs d'aveugles ».


LA VERTU DE FOI

Il faut passer à la vertu de foi en elle-même : 1° La vertu de foi (Q. 4). 2° Ceux qui ont la foi (Q. 5). 3° La cause de la foi (Q. 6). 4° Ses effets (Q. 7).

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