Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

34. LA HAINE

  1. Est-il possible d'avoir de la haine contre Dieu ?
  2. La haine de Dieu est-elle le plus grand des péchés ?
  3. La haine du prochain est-elle toujours un péché ?
  4. Est-elle le péché le plus grand parmi ceux qui se commettent contre le prochain ?
  5. Est-elle un vice capital ?
  6. De quel vice capital tire-t-elle son origine ?

1. Est-il possible d'avoir de la haine contre Dieu ?

Objections

1. Il semble que non. Denys a dit en effet que « ce qui est bon et beau en soi-même est aimé et apprécié par tous ». Or Dieu est la bonté et la beauté mêmes. On ne peut donc pas le haïr.

2. Il est dit au livre apocryphe d'Esdras que « toute chose aspire à la vérité et se réjouit dans ses œuvres ». Or, Dieu est la vérité même, selon S. Jean (Jean 13.6). Donc Dieu est aimé de tous et personne ne peut avoir de haine contre lui.

3. La haine est une aversion. Or, selon Denys, Dieu « tourne toutes choses vers lui ». Personne ne peut donc le haïr.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (Psaumes 74.23) : « L'orgueil de ceux qui te haïssent ne cesse de croître », et en S. Jean (Jean 15.24) : « Maintenant ils ont vu, et ils me haïssent, moi et mon Père. »

Réponse

Il résulte de ce que nous avons dit précédemment que la haine est un mouvement de la puissance appétitive, laquelle a besoin pour se mouvoir d'une appréhension préalable. Mais Dieu peut être saisi par l'homme de deux façons. Ou bien il est saisi en lui-même par la vision de son essence, ou bien il est saisi dans ses effets, lorsque « ses œuvres rendent visibles à l'intelligence ses attributs invisibles » (Romains 1.20). Dieu est par essence la bonté même. On ne peut haïr la bonté même, car, par définition, le bien est ce qu'on aime. C'est pourquoi il est impossible à celui qui voit Dieu dans son essence d'avoir pour lui de la haine.

Mais pour ses effets, certains ne peuvent en aucune façon contrarier la volonté humaine. Ainsi l'existence, la vie, l'intelligence sont désirées et aimées de tous. On ne peut haïr Dieu lorsqu'on le considère comme l'auteur de ces biens.

En revanche, il y a des œuvres de Dieu qui contrarient une volonté mal ordonnée, par exemple lorsqu'il inflige une peine, ou encore lorsque la loi divine interdit de pécher. Cela répugne à une volonté dépravée par le péché. En considération de tels effets, il se peut que Dieu soit haï par certains lorsqu'on le considère comme celui qui prohibe les péchés et qui inflige des peines.

Solutions

1. L'argument est valable lorsqu'il s'agit de ceux qui voient l'essence de Dieu, c'est-à-dire l'essence même de la bonté.

2. L'argument est valable lorsque l'on considère Dieu comme l'auteur de ces effets qui sont aimés naturellement des hommes, effets parmi lesquels se situent les œuvres que la vérité offre à leur connaissance.

3. Dieu tourne toutes choses vers lui-même en tant qu'il est le principe de l'être ; toutes choses, en effet, en tant qu'elles existent, tendent à une similitude avec Dieu, qui est l'être même.


2. La haine de Dieu est-elle le plus grand des péchés ?

Objections

1. Non, semble-t-il. Car le plus grave est le péché contre l'Esprit Saint, qui est un péché irrémissible, comme il est écrit en S. Matthieu (Matthieu 12.32). Mais la haine de Dieu n'est pas comptée parmi les espèces de péché contre l'Esprit Saint, on a pu le voir précédemment.

2. Le péché consiste à s'éloigner de Dieu. Mais l'infidèle qui n'a pas la connaissance de Dieu semble plus éloigné de Dieu que le fidèle, qui, tout en éprouvant de la haine contre Dieu, le connaît néanmoins. Le péché d'infidélité semble donc plus grave que la haine contre Dieu.

3. On ne peut haïr Dieu qu'en raison de ses œuvres parmi lesquelles il faut principalement citer la punition. Mais haïr la punition n'est pas le plus grand des péchés.

En sens contraire, au meilleur s'oppose le pire, dit le Philosophe. Or la haine de Dieu s'oppose à l'amour de Dieu, en quoi consiste le meilleur de l'homme. La haine de Dieu est donc le pire des péchés de l'homme.

Réponse

La déficience propre au péché consiste dans le fait qu'il détourne de Dieu, nous l'avons dit précédemment. Cette aversion ne serait pas coupable si elle n'était pas volontaire. C'est pourquoi la faute consiste dans le fait de se détourner de Dieu volontairement.

Cette aversion volontaire de Dieu est directement impliquée dans la haine de Dieu, alors que les autres péchés ne la réalisent que par participation et indirectement. En effet, de même que la volonté s'attache par soi à ce qu'elle aime, de même par soi, elle fuit ce qu'elle hait. C'est pourquoi, lorsque quelqu'un hait Dieu, sa volonté essentiellement se détourne de lui. Dans les autres péchés au contraire, la fornication par exemple, on ne se détourne pas directement de Dieu, mais sous un certain rapport, dans la mesure où l'appétit se porte vers un plaisir désordonné, avec cette conséquence qu'on se détourne de Dieu. Toujours, en effet, ce qui est essentiel a plus d'importance que ce qui est accidentel. C'est pourquoi, parmi tous les péchés, la haine de Dieu est le plus grave.

Solutions

1. Comme dit S. Grégoire : « c'est une chose de ne pas faire le bien, c'en est une autre de haïr l'auteur du bien ; tout comme pécher par précipitation, et pécher de propos délibéré ». Ce qui donne à entendre que la haine de Dieu, dispensateur de tout bien, est un péché délibéré, c'est-à-dire un péché contre l'Esprit Saint. Il est donc clair que la haine contre Dieu est par excellence le péché contre l'Esprit Saint, si tant est que celui-ci désigne un genre particulier de péché. Si cependant on ne la compte pas parmi les espèces de péché contre l'Esprit Saint, c'est parce qu'on la trouve généralement dans toutes ces espèces.

2. L'infidélité n'est coupable que dans la mesure où elle est volontaire. Et c'est pourquoi elle est d'autant plus grave qu'elle est plus volontaire. Or, son caractère volontaire provient de ce qu'on a de la haine contre la vérité proposée. Il est donc clair que la raison de péché, dans l'infidélité, vient de la haine de Dieu, dont la foi reconnaît la vérité. Et c'est pourquoi, de même qu'une cause est plus importante que son effet, ainsi la haine de Dieu est un péché plus grand que l'infidélité.

3. Quiconque déteste le châtiment, ne hait pas pour autant Dieu son auteur. Beaucoup en effet haïssent les châtiments et les supportent cependant avec patience, par respect pour la justice divine. C'est pourquoi S. Augustin dit que « Dieu nous ordonne de supporter les maux qui nous châtient, non de les aimer. » Mais quand on fait éclater sa haine contre Dieu qui punit, c'est la justice elle-même qu'on hait. C'est là un péché très grave. C'est pourquoi S. Grégoire dit : « De même qu'il est parfois plus grave d'aimer le péché que de le commettre, de même parfois il est pire de haïr la justice que d'y manquer. »


3. La haine du prochain est-elle toujours un péché ?

Objections

1. Il semble que non. En effet, il n'y a pas de péché dans les préceptes ou les conseils de la loi divine. Comme disent les Proverbes (Proverbes 8.8) : « Toutes les paroles de Dieu sont droites ; en elles rien de mauvais ni de pervers. » Or, il est écrit en S. Luc (Luc 14.26) : « Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père et sa mère, il ne peut être mon disciple. » La haine du prochain n'est donc pas toujours un péché.

2. Il ne peut pas y avoir de péché à imiter Dieu.

Or l'imitation de Dieu nous conduit à avoir de la haine pour certains. On peut lire en effet dans l'épître aux Romains (Romains 1.30) : « Les médisants haïs de Dieu. » Nous pouvons donc avoir de la haine pour certains sans pécher pour autant.

3. Rien de ce qui relève de la nature n'est péché, puisque le péché consiste à « s'écarter de ce qui est conforme à la nature », selon S. Jean Damascène. Or il est naturel à tout être de haïr ce qui lui est contraire et ce qui travaille à sa destruction. Il semble donc qu'il n'y a pas de péché à haïr ses ennemis.

En sens contraire, il est écrit dans la 1ère épître de S. Jean (1 Jean 2.9) : « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres. » Or les ténèbres spirituelles sont les péchés. La haine du prochain ne peut donc exister sans péché.

Réponse

La haine est opposée à l'amour, nous l'avons vu. C'est pourquoi la haine a raison de mal dans la mesure où l'amour a raison de bien. Or on doit aimer le prochain en considération de ce qu'il tient de Dieu, c'est-à-dire en considération de la nature et de la grâce ; on ne lui doit pas d'amour en considération de ce qu'il tient de lui-même et du diable, c'est-à-dire en considération du péché et du manquement à la justice. C'est pourquoi il est permis de haïr chez son frère le péché et tout ce qui est manquement à la justice divine, mais on ne peut haïr sans péché la nature et la grâce de son frère. Haïr chez son frère la faute et ses manquements au bien, relève de l'amour du prochain, car il y a une même raison pour vouloir du bien à quelqu'un et pour haïr le mal qui est en lui. Ainsi donc, si l'on considère de façon absolue la haine de son frère, elle s'accompagne toujours de péché.

Solutions

1. Selon la nature et les affinités que nous avons avec nos parents, nous sommes tenus de les honorer. C'est le commandement de Dieu, comme le montre le livre de l'Exode (Exode 20.12). Mais nous devons les haïr selon qu'ils sont pour nous un obstacle dans notre montée vers la perfection de la justice divine.

2. Ce que Dieu hait chez les médisants, c'est leur faute, non leur nature. Ainsi nous pouvons haïr les médisants sans commettre de faute.

3. Les hommes ne s'opposent pas à nous en raison des biens qu'ils tiennent de Dieu. C'est pourquoi, sous ce rapport, nous devons les aimer. Mais ils s'opposent à nous quand ils se font nos ennemis, ce qui est une faute de leur part. À ce titre, nous devons les haïr. Nous devons haïr en eux le fait qu'ils sont nos ennemis.


4. La haine du prochain est-elle le péché le plus grand parmi ceux qui se commettent contre lui ?

Objections

1. Il semble bien que oui. On peut lire en effet dans la 1ère épître de S. Jean (1 Jean 3.15) : « Celui qui hait son frère est un homicide. » Or l'homicide est le plus grave des péchés que l'on commette contre le prochain. La haine aussi par conséquent.

2. Ce qu'il y a de pire s'oppose à ce qu'il y a de meilleur. Or, ce qu'il y a de meilleur parmi ce que nous témoignons au prochain, c'est l'amour. Tout le reste, en effet, se ramène à l'amour. La haine est donc ce qu'il y a de pire.

En sens contraire, le mal « c'est ce qui nuit », d'après S. Augustin. Or, il y a des péchés autres que la haine, qui nuisent davantage au prochain : le vol, par exemple, l'homicide ou l'adultère. La haine n'est donc pas le péché le plus grave.

2. De même, dans son commentaire de la phrase de S. Matthieu (Matthieu 5.19) : « Celui qui violera un seul de ces commandements, même des plus petits... », S. Jean Chrysostome s'exprime ainsi : « Les commandements de Moïse : ‘Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère’, ne sont pas très importants si l'on considère leur rétribution, mais ils le sont si l'on considère la faute. Les commandements du Christ : ‘Tu ne te mettras pas en colère, tu n'auras pas de mauvais désirs’, sont de grande importance si l'on considère leur rétribution, et de peu d'importance si l'on considère la faute. » Or, la haine est un mouvement intérieur de l'âme, comme la colère et la concupiscence. La haine du prochain est donc un péché moins grand que l'homicide.

Réponse

Le péché que l'on commet contre le prochain a raison de mal pour deux motifs : d'abord, parce qu'il manifeste un désordre chez celui qui pèche ; ensuite parce qu'il cause un dommage à celui contre qui l'on pèche. Sous le premier aspect, la haine est un péché plus grand que les dommages extérieurs infligés au prochain. La haine, en effet, manifeste le désordre de la volonté humaine, ce qu'il y a de plus précieux dans l'homme, ce en quoi le péché trouve sa racine. Aussi, même lorsqu'il y a désordre dans les actions extérieures, mais sans désordre dans la volonté, il n'y a pas péché. C'est le cas par exemple de celui qui tue un homme par ignorance ou par passion de la justice. Et s'il y a quelque culpabilité dans les fautes extérieures que l'on commet contre le prochain, tout vient de la haine intérieure. Mais quand on considère le dommage que l'on fait subir au prochain, il y a des péchés extérieurs qui sont plus graves que la haine intérieure.

Solution

Cela montre comment répondre aux Objections.


5. La haine est-elle un vice capital ?

Objections

1. Oui, semble-t-il. Car elle s'oppose directement à la charité. Mais la charité est la principale et la mère des autres vertus. La haine est donc éminemment un vice capital, et le principe de tous les autres.

2. Les péchés naissent en nous de l'inclination des passions, d'après l'épître aux Romains (Romains 7.5) : « Les passions des péchés agissaient en nos membres et portaient ainsi des fruits de mort. » Or, nous l'avons vu précédemment, dans le domaine des passions de l'âme, c'est de l'amour et de la haine que toutes les autres semblent découler. La haine est donc à placer parmi les vices capitaux.

3. Le vice est un mal moral. Or, la haine, dans l'ordre du mal, a une primauté sur toutes les autres passions. Il semble donc que la haine doive être considérée comme un vice capital.

En sens contraire, S. Grégoire ne compte pas la haine parmi les sept vices capitaux.

Réponse

Comme on l'a dit plus haut, le vice capital est celui qui, le plus fréquemment, donne naissance à d'autres vices. Or, le vice s'oppose à la nature de l'homme en tant que celui-ci est un animal raisonnable. Et quand on agit contre la nature, ce qui appartient à la nature se corrompt petit à petit. Ainsi s'éloigne-t-on d'abord de ce qui appartient à la nature à un moindre titre, et pour terminer, de ce qui appartient à la nature à titre principal. Ce qui, en effet, vient en premier au cours de la formation, vient en dernier au cours de la désagrégation. Or, ce qui est d'abord et avant tout naturel à l'homme, c'est d'aimer le bien, surtout le bien divin et le bien du prochain. C'est pourquoi la haine, qui s'oppose à cet amour, ne vient pas en premier au cours de la destruction de la vertu par les vices, mais en dernier. La haine n'est donc pas un vice capital.

Solutions

1. Aristote écrit : « La vertu d'une chose consiste en sa bonne disposition par rapport à sa nature. » C'est pourquoi dans l'ordre vertueux il faut que soit premier et joue le rôle de principe ce qui est premier et joue le rôle de principe dans l'ordre naturel. En raison de quoi la charité est considérée comme la principale des vertus. Pour une raison analogue, la haine ne peut venir en premier parmi les vices, on vient de le dire.

2. La haine du mal qui s'oppose au bien naturel vient en premier parmi les passions de l'âme, de même que l'amour du bien naturel. Mais la haine d'un bien conforme à la nature ne peut venir en premier ; elle vient en dernier lieu, car une haine de cette sorte témoigne que la nature est déjà corrompue. Il en est de même de l'amour d'un bien étranger à la nature.

3. Le mal est double. Il y a le mal qui est véritable, celui qui s'oppose au bien de la nature. À l'égard de ce mal, la haine peut avoir raison de priorité parmi les passions. Et il y a aussi un autre mal qui n'est pas véritable mais apparent, celui qui en fait est un véritable bien, un bien conforme à la nature, mais que l'on considère comme un mal parce que la nature est corrompue. La haine de ce mal-là ne peut venir qu'en dernier lieu. Cette haine est vicieuse, mais elle n'est pas première.


6. De quel vice capital la haine tire-t-elle son origine ?

Objections

1. Il semble que la haine ne naît pas de l'envie, car l'envie est une certaine tristesse que nous inspire le bien d'autrui. Or, la haine ne naît pas de la tristesse ; c'est plutôt l'inverse. Car nous nous attristons de la présence de maux que nous haïssons. La haine ne naît donc pas de l'envie.

2. La haine s'oppose à l'amour. Or, l'amour du prochain se ramène à l'amour de Dieu, comme nous l'avons vu plus haut. Donc la haine du prochain se ramène à la haine de Dieu. Or, la haine de Dieu n'a pas l'envie pour cause ; car nous n'envions pas ce qui est à une distance infinie de nous, comme l'a montré le Philosophe. Ainsi donc, la haine n'est pas causée par l'envie.

3. Un effet unique a une cause unique. Or, la haine a pour cause la colère. En effet, dit S. Augustin, « une colère qui monte se transforme en haine ». La haine n'a donc pas l'envie pour cause.

En sens contraire, S. Grégoire affirme : « La haine naît de l'envie. »

Réponse

La haine du prochain, nous venons de le dire, est l'ultime développement du péché, parce qu'elle est à l'opposé de l'amour, qui est un sentiment naturel à l'égard du prochain. Si l'on s'éloigne de ce qui est naturel, cela arrive parce qu'on veut éviter ce qu'il est naturel de fuir. Ainsi, il est naturel pour un animal de fuir la tristesse et de rechercher le plaisir, comme le montre Aristote. C'est pourquoi, de même que l'amour a pour cause le plaisir, la haine a pour cause la tristesse. De même, en effet que nous sommes poussés à aimer les choses qui nous font plaisir, pour la raison qu'elles nous apparaissent alors sous la raison de bien, de même nous sommes poussés à détester les choses qui nous attristent, pour la raison qu'elles nous apparaissent alors sous la raison de mal. Aussi, puisque l'envie est une tristesse provoquée par le bien du prochain, elle a pour résultat de nous rendre haïssable le bien du prochain. De là vient que la haine naît de l'envie.

Solutions

1. Parce que la puissance d'appétit, comme la puissance d'appréhension, fait retour sur ses actes, il en résulte, dans les mouvements de l'appétit comme une espèce de circuit.

Suivant le premier processus du mouvement appétitif, l'amour engendre le désir, et le désir engendre le plaisir, quand on a obtenu ce que l'on désirait. Et parce que le fait même de se délecter d'un bien qu'on aime a raison de bien, il s'ensuit que le plaisir cause l'amour. Pour la même raison, la tristesse cause la haine.

2. Les choses ne se présentent pas de la même façon selon qu'il s'agit de l'amour ou de la haine. Car l'amour a pour objet le bien, qui découle de Dieu sur les créatures. C'est pourquoi la dilection concerne d'abord Dieu, et ensuite le prochain. Tandis que la haine a pour objet le mal, qui n'a pas de place en Dieu lui-même, mais seulement dans ses œuvres. Aussi avons-nous dit précédemment qu'on ne peut avoir de la haine pour Dieu à moins de le considérer dans ses œuvres. C'est pourquoi la haine du prochain existe avant la haine de Dieu. Aussi, puisque l'envie que l'on a pour le prochain est cause de la haine que l'on a contre lui, elle devient par voie de conséquence cause de la haine que l'on a contre Dieu.

3. Rien n'empêche qu'une même chose provienne, selon des raisons diverses, de diverses causes. C'est ainsi que la haine peut naître et de la colère et de l'envie. Elle naît cependant plus directement de l'envie qui rend le bien du prochain attristant et par conséquent haïssable. Mais la haine naît aussi de la colère par une certaine progression. Tout d'abord la colère nous fait désirer le mal du prochain d'une manière mesurée, selon qu'elle a raison de vengeance ; ensuite, si la haine persiste, on en arrive à désirer absolument le mal du prochain, ce qui par définition est de la haine. Il est donc clair que la haine naît formellement de l'envie à titre objectif, et de la colère à titre de disposition.


Il faut étudier maintenant les vices qui s'opposent à la joie de la charité. À la joie que donne le bien divin s'oppose l'acédie (Q. 35) ; à la joie que donne le bien du prochain s'oppose l'envie (Q. 36). C'est pourquoi nous étudierons d'abord l'acédie, puis l'envie.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant