Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

88. LE VŒU

Étudions maintenant le vœu, par lequel on promet quelque chose à Dieu.

  1. Qu'est-ce que le vœu ?
  2. Sur quoi porte-t-il ?
  3. Son obligation.
  4. Son utilité.
  5. De quelle vertu est-il l'acte ?
  6. Est-il plus méritoire d'accomplir quelque chose avec vœu ou sans vœu ?
  7. La solennité du vœu.
  8. Ceux qui sont soumis à une autorité peuvent-ils faire des vœux ?
  9. Les enfants peuvent-ils s'obliger par vœu à entrer en religion ?
  10. Peut-on dispenser d'un vœu ou le commuer ?
  11. Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ?
  12. Faut-il, pour dispenser d'un vœu, recourir à une autorité supérieure ?

1. Qu'est-ce que le vœu ?

Objections

1. Il semble qu'il consiste seulement dans un projet de la volonté, car certains définissent ainsi le vœu : « Concevoir un bon projet, assuré par une délibération, en s'obligeant envers Dieu à faire ou ne pas faire une chose. » Mais concevoir un bon projet, avec tout ce qu'on ajoute, cela peut consister exclusivement dans un mouvement du vouloir. Donc le vœu est uniquement un projet de la volonté.

2. Le mot même de « vœu » (votum) paraît venir de « volonté ». On dit que quelqu'un agit selon ses vœux quand il agit volontairement. Or le projet est un acte de la volonté, tandis que la promesse est un acte de la raison. Le vœu est donc uniquement un acte de la volonté.

3. Notre Seigneur a dit (Luc 9.62) : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas apte au royaume de Dieu. » Mais du fait même qu'on a le projet de bien faire, on met la main à la charrue ; et si l'on regarde en arrière, abandonnant le bien projeté, on n'est pas apte au royaume de Dieu. Donc le bon projet oblige à lui seul devant Dieu, indépendamment de toute promesse. On voit ainsi que le simple projet de la volonté suffit à constituer le vœu.

En sens contraire, nous lisons dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 5.3) : « Si tu as fait un vœu à Dieu, ne tarde pas à l'accomplir, car la promesse infidèle et imprudente lui déplaît. » Vouer, c'est donc promettre, et le vœu est une promesse.

Réponse

Le vœu implique l'obligation de faire une chose ou d'y renoncer. On s'oblige entre hommes par le moyen d'une promesse, qui est un acte de la raison, faculté de l'ordre ; de même que par le commandement et la prière nous ordonnons d'une certaine manière ce que les autres doivent faire pour nous, par la promesse nous ordonnons ce que nous-mêmes devons faire pour autrui. Mais, alors que la promesse faite d'homme à homme exige des paroles ou d'autres signes extérieurs, on peut faire à Dieu une promesse par un simple acte intérieur de pensée, car il est écrit (1 Samuel 16.7) : « Les hommes voient ce qui paraît au-dehors, Dieu pénètre le cœur. » Pourtant, on s'exprime parfois en paroles, soit pour s'exciter soi-même comme nous l'avons vu à propos de la prières ; soit pour prendre à témoin d'autres hommes, en sorte qu'on soit retenu de rompre ses vœux non seulement par crainte de Dieu, mais aussi par respect des hommes. La promesse elle-même procède du projet de faire quelque chose, et ce projet exige une délibération préalable, puisqu'il est un acte de volonté délibérée. Trois éléments sont donc requis pour qu'il y ait vœu : la délibération, le projet de la volonté, enfin la promesse qui porte à sa perfection la raison de vœu. On y ajoute quelquefois deux autres éléments, comme confirmation du vœu par une formule verbale, selon le Psaume (Psaumes 66.13) : « J'acquitterai envers toi les vœux que mes lèvres ont formulés » ; — et l'assistance de témoins. Ainsi le Maître des Sentences définit le vœu : « L'attestation d'une promesse volontaire, qui doit être faite à Dieu, et porter sur ce qui le concerne. » On peut d'ailleurs rapporter cette définition au vœu lui-même, en l'entendant d'un témoignage intérieur.

Solutions

1. Le bon projet qu'on a conçu n'est rendu ferme, du fait de la délibération, que par la promesse qui fait suite à celle-ci.

2. C'est la volonté qui meut la raison à promettre quelqu'une des choses soumises à son empire. Voilà pourquoi et dans quelle mesure le nom de « vœu » se rattache au mot « volonté » elle est le premier moteur de celui-ci.

3. Celui qui met la main à la charrue fait déjà quelque chose, mais celui qui se borne à projeter ne fait rien encore. C'est quand il promet qu'il commence à s'y mettre vraiment, bien qu'il n'accomplisse pas encore ce qu'il promet ; comme celui qui met la main à la charrue ne laboure pas encore, mais prépare déjà sa main au labour.


2. Sur quoi le vœu porte-t-il ?

Objections

1. Il ne semble pas que le vœu doive toujours porter sur un bien meilleur. Car on appelle ainsi ce qui est surérogatoire. Mais le vœu concerne aussi ce qui concerne le salut. On fait vœu au baptême de renoncer à Satan et à son cortège, et de garder la foi, comme le dit la Glose sur le texte du Psaume (Psaumes 76.12) : « Faites des vœux et tenez vos promesses au Seigneur votre Dieu. » De même, Jacob fit vœu de tenir le Seigneur pour son Dieu (Genèse 28.21), ce qui est nécessaire au salut. Le vœu n'a donc pas pour seul objet un bien supérieur.

2. L'épître aux Hébreux (Hébreux 11.32) met Jephté au nombre des saints. Or, en exécution d'un vœu, cet homme immola sa fille innocente (Juges 11.39). Mettre à mort un innocent, loin d'être un bien supérieur, est une action défendue. Il apparaît donc par cet exemple qu'on peut faire vœu d'accomplir non seulement un plus grand bien, mais même ce qui est défendu.

3. On ne peut regarder comme un bien supérieur ce qui nous nuit ou ne sert à rien. Or, par suite d'un vœu, on se livre à des veilles immodérées ou à des jeûnes qui risquent d'être dangereux. Parfois aussi on s'engage à des choses indifférentes et qui ne sont bonnes à rien. Le vœu ne porte donc pas toujours sur un bien supérieur.

En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (Deutéronome 23.23) : « Si tu t'abstiens de promettre, ce ne sera pas un péché. »

Réponse

Nous avons défini le vœu : une promesse faite à Dieu. Une promesse porte toujours sur quelque chose qu'on fait volontairement en faveur de quelqu'un : ce ne serait plus promettre, mais menacer, que d'exprimer son dessein d'agir contre cette personne. De même il serait inutile de lui promettre ce qui ne lui plairait pas. C'est pourquoi, puisque tout péché va contre Dieu, et que Dieu ne peut agréer que des œuvres vertueuses, il faut en conclure que le vœu ne peut porter sur rien d'illicite ni sur rien d'indifférent, mais seulement sur un acte de vertu.

Mais, parce que le vœu implique promesse volontaire et que la nécessité inclut la volonté libre, ce dont l'existence ou la non-existence est absolument nécessaire ne peut donner lieu à un vœu. Car il serait insensé de faire le vœu de mourir un jour, ou de ne pas voler comme un oiseau.

Pourtant il y a des actions qui n'ont pas une nécessité absolue, mais une nécessité à l'égard de la fin, par exemple parce que sans elles le salut est impossible. Elles peuvent faire l'objet d'un vœu en tant qu'elles sont volontaires, non en raison de leur nécessité. — Reste ce qui ne tombe ni sous une nécessité absolue ni sous une nécessité conditionnelle : ce sont des actions entièrement volontaires, c'est pourquoi le vœu y trouve sa matière la plus appropriée. Or c'est là aussi ce qu'on nomme un bien supérieur, par comparaison avec le bien communément nécessaire au salut. On dira donc, en termes propres, que le vœu a pour matière un bien supérieur.

Solutions

1. C'est ainsi que les baptisés font vœu de renoncer au diable et à son cortège, et de garder la foi au Christ, parce que c'est un acte volontaire, quoique nécessaire au salut. On peut en dire autant du vœu de Jacob. Bien qu'on puisse aussi l'entendre du vœu de reconnaître le Seigneur pour son Dieu par un culte spécial auquel il n'était pas tenu, comme l'offrande des dîmes et les autres actions mentionnées ensuite.

2. Il y a des actions qui sont bonnes en toute occurrence, comme les œuvres vertueuses et les autres biens, qui peuvent absolument être matière d'un vœu. D'autres sont mauvaises en toute occurrence comme ce qui de soi est péché. Et celles-là ne peuvent aucunement être la matière d'un vœu. Mais d'autres sont bonnes considérées en elles-mêmes, et à ce titre peuvent être l'objet d'un vœu. Mais elles peuvent avoir un mauvais résultat qui détourne d'observer ce vœu. C'est ce qui est arrivé avec le vœu de Jephté. D'après le livre des Juges (Juges 11.30) « il fit ce vœu au Seigneur : ‘Si tu livres entre mes mains les Ammonites, celui qui sortira le premier de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai vainqueur, je l'offrirai en holocauste au Seigneur’ ». Cela pouvait avoir un mauvais résultat, si venait à sa rencontre un être vivant qu'on ne peut immoler, comme un âne ou un être humain ; et c'est ce qui arriva. Aussi S. Jérôme dit-il : « En faisant ce vœu il fut insensé » par son manque de jugement, « et en l'accomplissant il fut impie ». On avait pourtant dit auparavant (Juges 11.29) : « L'Esprit du Seigneur fut sur Jephté. » C'est parce que la foi et la dévotion qui l'ont poussé à faire son vœu venaient de l'Esprit Saint. C'est pourquoi il est mis au nombre des saints par l'épître aux Hébreux, et aussi à cause de sa victoire ; et parce qu'il est probable qu'il se repentit de cette action criminelle, qui pourtant préfigurait un bien.

3. Dieu n'agrée les macérations qu'on inflige à son corps par les veilles et les jeûnes que dans la mesure où c'est un acte de vertu, parce qu'on y met une juste discrétion, pour réprimer la concupiscence sans trop charger la nature. Avec ces garanties on peut faire de ces choses l'objet d'un vœu. Aussi l'Apôtre après ces mots (Romains 12.1) : « Offrez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu », ajoute-t-il : « Que votre hommage soit raisonnable. » Mais on est facilement mauvais juge en sa propre cause. Il vaut donc mieux pour ces sortes de vœux s'en remettre à un supérieur qui décide ce qu'on doit en tenir ou en rejeter. En notant toutefois que si l'on éprouvait à garder un tel vœu une charge manifestement trop lourde, sans avoir la faculté de recourir à un supérieur, on ne devrait pas observer ce vœu. Quant à ceux qui portent sur des choses vaines et inutiles, mieux vaut en rire que les observer.


3. Obligation du vœu

Objections

1. Il semble que tout vœu n'oblige pas à l'observer. En effet, si quelqu'un a besoin qu'on fasse quelque chose pour lui, c'est l'homme plutôt que Dieu, qui n'a nul besoin de nos biens. Or l'accomplissement d'une simple promesse faite à un homme n'est pas obligatoire, selon le droit humain, qui semble avoir tenu compte en cela de la mobilité de la volonté humaine. À plus forte raison la promesse faite à Dieu, que nous appelons vœu, n'oblige-t-elle pas à la tenir.

2. À l'impossible nul n’est tenu. Or il arrive que ce qu'on a promis par vœu devient impossible parce que cela dépend d'une volonté étrangère, si par exemple on a fait vœu d'entrer dans un monastère et que les moines ne veulent pas vous recevoir ; ou bien surgit quelque défaut : voici une femme qui avait fait vœu de garder la virginité et qui l'a perdue, un homme qui avait fait vœu de donner une somme d'argent et qui est ruiné. Le vœu n'est donc pas toujours obligatoire.

3. Ce qu'on est obligé de payer, on doit l'acquitter sans retard. Mais on n'est pas tenu de s'acquitter tout de suite de ses vœux, surtout lorsque l'on s'engage sous une condition portant sur l'avenir. Le vœu n'est donc pas toujours obligatoire.

En sens contraire, on lit dans l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 5.3) : « Tout ce que tu as voué, acquitte-le. Il vaut beaucoup mieux ne pas faire de vœu, que d'en faire un sans l'accomplir. »

Réponse

C'est à la fidélité qu'il revient de nous faire acquitter c que nous avons promis ; aussi, selon S. Augustin, « la fidélité (fides) s'appelle ainsi parce qu'on fait ce qu'on a dit (fiunt dicta) »

Or c'est surtout à Dieu que l'on doit fidélité, en raison de son autorité sur nous, en raison aussi des bienfaits que nous recevons de lui. C'est donc une obligation souveraine d'accomplir les vœux faits à Dieu ; cela relève de la fidélité que l'homme doit à Dieu, et l'infraction au vœu est une espèce de l'infidélité. Aussi Salomon marque-t-il bien le motif qui doit faire acquitter les vœux, lorsqu'il dit : « La promesse infidèle déplaît à Dieu » (Ecclésiaste 5.3 Vg).

Solutions

1. Honnêtement, toute promesse échangée d'homme à homme oblige ; et c'est une obligation de droit naturel. Mais pour que la promesse obtienne des effets juridiques, d'autres conditions sont requises. Quant à Dieu, bien qu'il n'ait aucun besoin de nos biens, nous avons envers lui la plus stricte obligation. Aussi le vœu qu'on lui fait est-il tout à fait obligatoire.

2. Si ce dont on a fait vœu est pour une raison quelconque rendu impossible, on doit faire ce qu'on peut, et avoir au moins la volonté prête à faire ce qui est possible. Celui qui a fait vœu d'entrer dans un monastère doit mettre tout en œuvre pour y être reçu. Si son intention fut principalement de s'obliger à entrer en religion, et que dans la suite il n'ait choisi tel ordre, ou tel lieu comme lui convenant le mieux, qu'à la suite de ce projet, il est tenu, si on ne peut l'admettre là, d'entrer ailleurs. Mais si son intention principale était de s'engager à tel ordre ou à tel monastère par suite d'un attrait particulier, il n'est pas tenu d'entrer dans un autre ordre religieux, si on ne veut pas le recevoir dans celui-là. Mais celui qui tombe dans l'impossibilité d'accomplir son vœu par sa propre faute, est tenu, en outre, de faire pénitence de la faute qui a précédé. Une femme qui a fait vœu de garder la virginité et qui vient ensuite à la perdre doit non seulement garder ce qu'elle peut, c'est-à-dire la continence perpétuelle, mais encore faire pénitence du péché qu'elle a accepté.

3. Le vœu tire son obligation de la volonté personnelle et de l'intention ; aussi lit-on dans le Deutéronome (Deutéronome 23.23) : « Ce qui est sorti de tes lèvres, tu l'observeras, et tu feras comme tu l'as promis au Seigneur ton Dieu et selon ce que, volontairement, tu as déclaré de ta bouche. » C'est pourquoi, si celui qui fait un vœu a l'intention et la volonté de s'obliger à l'acquitter immédiatement, il est tenu de le faire aussitôt. S'il s'engage pour une date déterminée, ou sous telle condition, il n'est pas tenu de l'acquitter sur-le-champ. Mais il ne doit pas non plus dépasser le délai auquel il a voulu s'obliger, car il est écrit au même endroit : « Quand tu auras fait un vœu au Seigneur, tu ne tarderas pas à l'accomplir, car le Seigneur ton Dieu t'en demandera compte, et si tu apportes du retard, on te l'imputera à péché. »


4. L'utilité du vœu

Objections

1. Il semble que le vœu ne serve à rien. Car il n'y a pas d'avantage à se priver des biens que Dieu nous a donnés. Or la liberté est un des plus grands biens que l'homme ait reçus de Dieu, et nous en sommes privés par l'obligation que le vœu impose. Il ne paraît donc pas avantageux de faire des vœux.

2. Nul ne doit s'exposer au danger. Or c'est ce qui arrive à tous ceux qui font des vœux; ce qu'on pouvait avant le vœu omettre sans péril devient dangereux, si l'on manque à accomplir sa promesse. « Maintenant que tu as fait vœu, écrit S. Augustin, tu t'es lié, il ne t'est pas permis de faire autre chose. Si tu ne fais pas ce que tu as voué, tu ne resteras pas le même que si tu n'avais pas pris cet engagement. Car tu serais resté moins parfait, mais tu ne serais pas devenu pire. Au lieu que désormais, si malheureusement tu rompais la foi donnée à Dieu, tu serais d'autant plus misérable qu'un bonheur plus grand t'attendait si tu lui étais fidèle. » Il n'y a donc pas d'avantage à faire des vœux.

3. L'Apôtre nous dit (1 Corinthiens 4.16) : « Soyez mes imitateurs comme moi-même je le suis du Christ. » Mais on ne lit nulle part que le Christ ait fait des vœux, pas plus que les Apôtres. Il ne paraît donc pas expédient de faire des vœux.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (Psaumes 76.12) : « Faites des vœux et acquittez-les envers le Seigneur votre Dieu. »

Réponse

Nous l'avons dit, le vœu est une promesse faite à Dieu. Or, la promesse n'a pas la même raison d'être s'il s'agit d'un homme de Dieu. Un homme, cela lui sert : il a intérêt ce que nous lui donnions quelque chose, et à c que nous l'assurions par avance du service que nous lui rendrons. Mais nous ne prétendons pas être utiles à Dieu, quand nous lui faisons un promesse ; c'est à nous que cela sert. Aussi S. Augustin dit-il encore : « Il est un créancier généreux, et qui n'a besoin de rien. Il ne s'accroît pas de ce qu'on lui donne, mais fait s'accroître en lui ses donateurs. » Et de même que les dons que nous faisons à Dieu tournent non à son utilité à notre avantage, selon cette parole de S. Augustin : « S'acquitter envers lui c'est s'enrichir », la promesse en quoi consistent nos vœux ne lui est d'aucun usage ; il n'a pas besoin des assurances que nous lui donnons. Mais nous y trouvons ce profit que par le vœu nous fixons immuablement notre volonté à faire ce qui nous avantage. Il est donc profitable de faire des vœux .

Solutions

1. De même que ne pouvoir pécher ne diminue pas la liberté, de même la nécessité qu'éprouve la volonté fixée dans le bien ne diminue pas la liberté, comme on peut le voir en Dieu et chez les bienheureux. Telle est l'obligation du vœu, qui a quelque similitude avec la confirmation des bienheureux dans le bien. S. Augustin dit à ce propos que « c'est une heureuse nécessité, celle qui nous pousse à mieux agir ».

2. Quand le péril naît du fait lui-même, il n'est pas expédient de s'y engager ; mieux vaut ne point passer le fleuve sur un pont qui menace ruine ; mais si le danger ne vous guette que par votre défaillance possible en cette affaire, celle-ci n'en perd pas pour autant ses avantages : il est utile d'aller à cheval, bien qu'on risque de tomber de cheval. Ou alors il faudrait laisser là tout ce qui est bon et qui peut d'aventure nous exposer à quelque risque. Comme dit l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 11.4) : « Celui qui observe le vent ne sème pas, et celui qui regarde les nuages ne moissonnera jamais. » Aucun danger ne vient du vœu lui-même pour ceux qui s'y engagent. S'il en est, ce danger ne peut tenir qu'à la faute de l'homme, dont la volonté change, et qui transgresse son vœu. Aussi S. Augustin poursuit-il dans la même lettre : « Ne regrette pas tes vœux. Bien au contraire, réjouis-toi qu'il ne te soit plus permis de faire ce dont la licence t'était dommageable. »

3. Le Christ étant ce qu'il est n'avait pas à faire de vœux. Parce qu'il était Dieu. Et aussi parce que, comme homme, il avait la volonté fixée dans le bien, lui qui possédait la vision de Dieu. Pourtant, par une certaine assimilation c'est en son nom que le Psaume (Psaumes 22.55), selon la Glose, dit ces mots : « Je rendrai mes vœux au Seigneur en présence de ceux qui le craignent. » Mais il parle pour son corps, qui est l'Église. Quant aux Apôtres, on peut entendre qu'ils ont fait vœu de ce qui constitue l'état de perfection quand, ayant tout quitté, ils suivirent le Christ.


5. De quelle vertu le vœu est-il l'acte ?

Objections

1. Il semble que le vœu ne soit pas un acte de latrie ou de religion. Car tout acte de vertu peut faire l'objet d'un vœu. Or il semble que ce soit à la même vertu d'assurer la promesse et son accomplissement. Le vœu peut donc être attribué à n'importe quelle vertu et non point à la seule religion.

2. Cicéron attribue à la religion « d'offrir à Dieu culte et cérémonie ». Mais celui qui fait un vœu n'offre encore rien à Dieu, il promet seulement. Donc le vœu n'est pas un acte de religion.

3. La religion réserve à Dieu son culte. Or on fait vœu non seulement à Dieu, mais aux saints et aux prélats, à qui les religieux, dans leur profession, font vœu d'obéissance. Donc le vœu n'est pas un acte de religion.

En sens contraire, nous lisons dans Isaïe (Ésaïe 19.21) : « Ils rendront leur culte à Dieu par des sacrifices et des offrandes ; ils feront des vœux au Seigneur et les acquitteront. » Mais le culte de Dieu est l'objet propre de la religion ou latrie. Le vœu est donc un acte de cette vertu.

Réponse

Toute œuvre de vertu, nous l'avons dit plus haut, peut dépendre de la religion ou vertu de latrie, par mode de commandement, en tant qu'elle est ordonnée à Dieu, fin propre de cette vertu. Or cette ordre à une finalité nouvelle est le fait de la vertu qui commande, et non des vertus soumises à celle-ci. L'acte même d'ordonner les actes d'une vertu quelconque au service de Dieu sera donc propre à la religion. Nous savons déjà que le vœu est une promesse faite à Dieu ; nous savons aussi que la promesse est un acte par lequel on destine à quelqu'un ce qu'on lui promet. Il s'ensuit que le vœu consiste à ordonner son objet au culte et au service de Dieu. Ainsi le vœu est évidemment un acte de religion.

Solutions

1. La matière du vœu est parfois l'acte d'une autre vertu : jeûner, garder la continence; d'autres fois c'est un acte de religion, offrir un sacrifice, prier. Mais dans les deux cas la promesse faite à Dieu est l'acte de la religion, pour la raison qu'on vient de dire. Nous voyons par là que certains vœux relèvent de la religion uniquement en raison de la promesse faite à Dieu, qui est l'essence du vœu, tandis que d'autres dépendent aussi de cette vertu pour leur matière.

2. Qui promet s'oblige à donner, ce qui en un sens est déjà donner, car on dit qu'une chose se fait quand sa cause se produit, parce que l'effet est virtuellement contenu dans sa cause. De là vient que l'on remercie non seulement celui qui donne, mais celui qui promet.

3. Le vœu ne se fait qu'à Dieu, alors que la promesse peut s'adresser à un homme. Mais cette promesse elle-même, faite à un homme, peut tomber sous un vœu, étant œuvre de vertu. C'est ainsi qu'il faut comprendre les vœux par lesquels on s'engage envers des saints et des prélats : la promesse qu'on leur fait tombe sous le vœu à titre de matière, en tant qu'on fait vœu à Dieu d'accomplir ce qu'on leur promet.


6. Est-il plus méritoire d'accomplir quelque chose avec ou sans vœu ?

Objections

1. Il semble que ce soit d'agir sans vœu. Car S. Prosper nous dit : « Nous devons faire abstinence ou jeûner, mais sans que ce soit par soumission à une nécessité, de peur que nous fassions sans dévotion et à contrecœur ce qu'on doit faire de plein gré. » Mais celui qui fait vœu de jeûner se soumet à la nécessité de le faire. Il vaudrait mieux par conséquent qu'il jeûnât sans en faire le vœu.

2. L'Apôtre nous dit (2 Corinthiens 9.7) : « Que chacun donne comme il l'a résolu dans son cœur, non pas avec tristesse et par contrainte. Dieu aime celui qui donne avec joie. » Or il est des gens qui accomplissent avec tristesse ce qu'ils ont voué, précisément semble-t-il parce qu'ils y sont tenus; Aristote n voyait dans la nécessité une source de tristesse. Il vaut donc mieux agir sans avoir fait de vœu.

3. Le vœu est nécessaire pour fixer inébranlablement la volonté de l'homme à ce qu'il promet de faire. Mais la volonté ne sera jamais plus fermement déterminée à faire quelque chose qu'au moment même où elle l'accomplit. On ne fera donc pas mieux avec un vœu que sans vœu.

En sens contraire, sur ce texte (Psaumes 76.12) : « Faite des vœux et acquittez-les », la Glose explique : « C'est un conseil qui s'adresse à notre volonté. » Mais le conseil ne porte que sur un bien supérieur ; ce sera donc encore mieux, quand nous avons affaire à quelque chose qui est déjà un bien supérieur, de l'accomplir en vertu d'un vœu ; sans cela, en effet, on remplit un seul conseil, relatif à cette œuvre meilleure ; tandis que celui qui agit sous l'empire d'un vœu accomplit deux conseils : l'un relatif au vœu, l'autre à l'œuvre accomplie.

Réponse

La même œuvre accomplie en exécution d'un vœu est plus méritoire et meilleure que si on l'eût faite sans vœu, et cela pour trois raisons.

1° Le vœu est, nous venons de le voir, un acte de la vertu de religion, laquelle tient le premier rang parmi les vertus morales. Plus haute est la qualité de la vertu, plus grande est la bonté et le mérite de l'acte. Donc l'acte d'une vertu inférieure devient meilleur et plus méritoire, du fait qu'il est commandé par une vertu supérieure, puisque par ce commandement il en devient l'acte. Nous reconnaissons par exemple plus de bonté et de mérite à l'acte de foi ou d'espérance, lorsqu'ils sont commandés par la charité. C'est pourquoi les actes des vertus morales autres que la religion : le jeûne, acte de l'abstinence, la continence, acte de la chasteté, sont meilleurs et plus méritoires s'ils sont accomplis en exécution d'un vœu, car ainsi ils appartiennent au culte de Dieu, comme des sacrifices. « La virginité elle-même, dit S. Augustin, n'est pas honorée pour ce qu'elle est, mais pour l'hommage qu'on en fait à Dieu, elle que favorise et conserve la continence religieuse. »

2° Celui qui accomplit une chose après en avoir fait le vœu se soumet plus entièrement à Dieu que celui qui se contente de l'accomplir. Sa sujétion s'étend en effet non seulement à l'acte, mais au pouvoir, puisque désormais il ne peut plus faire autre chose. Qui donne l'arbre avec les fruits fait un présent plus grand que s'il donnait seulement les fruits, remarque S. Anselme. C'est pourquoi l'on remercie aussi ceux qui promettent, comme nous l'avons déjà remarqué.

3° Le vœu confirme de façon stable notre volonté de bien faire. Or, agir avec une volonté ainsi stabilisée dans le bien, c'est faire acte de vertu parfaite, comme le montre Aristote. De même encore dans le cas du péché, où l'obstination spirituelle aggrave la faute. C'est ce qu'on appelle pécher contre le Saint-Esprit, comme on l'a vu précédemment.

Solutions

1. Ce texte doit s'entendre de la nécessité de contrainte qui rend l'acte involontaire et exclut la dévotion. C'est ce qui ressort de la suite : « De peur que nous ne fassions sans dévotion et à contrecœur ce qu'on doit faire de plein gré. » L'obligation du vœu vient en réalité d'une volonté rendue inébranlable. Renforçant la volonté, il accroît la dévotion. On ne peut donc tirer argument de ce texte.

2. C'est la nécessité de contrainte qui cause de la tristesse parce qu'elle contrarie la volonté. Telle est la pensée d'Aristote. Mais l'obligation du vœu chez ceux qui sont bien disposés, par le fait qu'il affermit leur volonté, ne cause pas de tristesse, mais de la joie. « N'aie point regret de tes vœux : réjouis-toi de ce que désormais il ne te soit plus permis de faire ce dont la licence t'était dommageable », dit S. Augustin.

Si cependant l'œuvre considérée en elle-même devenait triste et contraignante, une fois le vœu prononcé, tant que subsiste la volonté d'accomplir le vœu, c'est encore plus méritoire que de l'accomplir sans vœu, parce que l'accomplissement du vœu est un acte de la religion, vertu supérieure à l'abstinence, dont le jeûne est l'acte.

3. Lorsqu'on fait une chose sans vœu, on a une volonté fixe envers l'œuvre particulière que l'on fait, et au moment où on la fait. Mais cette volonté ne demeure aucunement fixée pour l'avenir, comme dans le vœu qui oblige la volonté à faire quelque chose avant d'accomplir cette œuvre particulière, et peut-être à la renouveler plusieurs fois.


7. La solennité du vœu

Objections

1. Il semble que le vœu ne soit pas solennisé par la réception d'un ordre sacré et par la profession d'une règle déterminée. En effet, le vœu, on l'a dit, est une promesse faite à Dieu. Or les solennités extérieures ne sont pas ordonnées à Dieu, mais aux hommes. C'est donc par accident qu'elles s'ajoutent au vœu, et cette solennité n'est pas une condition propre au vœu.

2. Ce qui est relatif à la condition d'une chose doit pouvoir se rencontrer partout où se trouver cette chose. Mais bien des œuvres peuvent faire l’objet d'un vœu, qui sont sans rapport avec une règle de vie religieuse, le vœu de pèlerinage, par exemple, ou d'une œuvre analogue. La solennité réalisée dans la réception d'un ordre sacré ou la profession d'une règle terminée n'appartient donc pas à la nature du vœu.

3. vœu solennel et vœu public, c'est, semble-t-il, la même chose. Mais on peut faire en public beaucoup de vœux autres que celui que l'on émet en recevant un ordre sacré ou en faisant profession d'une règle particulière. Ceux-ci, d'autre part, peuvent être faits en secret. Donc il n'y a pas que ces vœux qui soient solennels.

En sens contraire, ces vœux sont les seuls qui empêchent de contracter mariage et diriment le mariage contracté, ce qui est l'effet du vœu solennel comme nous le dirons dans la troisième Partie.

Réponse

Chaque chose reçoit la solennité qui convient à sa condition. Autre est la solennité militaire pour la réception des nouvelles recrues, avec tout un appareil d'armes et de chevaux et un rassemblement de soldats ; autre est la solennité nuptiale qui consiste dans l'apparat qui environne les jeunes époux et la réunion de leurs proches. Or le vœu est une promesse faite à Dieu. Il tirera donc sa solennité de quelque chose de spirituel, où Dieu soit engagé, c'est-à-dire d'une bénédiction ou consécration spirituelle, laquelle a lieu, par l'institution des Apôtres, dans la profession d'une règle déterminée, et vient au second rang après la réception d'un ordre sacré, selon Denys.

En voici la raison. On n'a coutume d'user de solennités que lorsque quelqu'un se consacre totalement à quelque chose. Ainsi la solennité des noces n'est-elle employée que dans la célébration du mariage, lorsque chacun des deux époux livre à l'autre pouvoir sur son corps. De même la solennité est donnée au vœu lorsque la réception d'un ordre sacré attache quelqu'un au ministère divin, et dans la profession de la vie régulière lorsque renonçant au siècle et à sa volonté propre on assume l'état de perfection.

Solutions

1. Cette solennité tient non seulement aux hommes, mais à Dieu, en tant qu'elle comporte une certaine consécration ou bénédiction spirituelle, dont Dieu est l'auteur, bien que l'homme en soit le ministre selon ce texte des Nombres (Nombres 6.27) : « Ils invoqueront mon nom sur les fils d'Israël, et je les bénirai. » Le vœu solennel a donc une obligation plus forte devant Dieu que le vœu simple, et celui qui le transgresse pèche plus gravement. Quant à dire que le vœu simple n'oblige pas moins auprès de Dieu que le vœu solennel, il faut l'entendre en ce que la transgression est dans les deux cas péché mortel.

2. Les actes particuliers ne comportent pas ordinairement de solennité, mais seulement l'entrée dans un nouvel état. Aussi, lorsqu'on fait vœu de quelque œuvre particulière comme un pèlerinage ou un jeûne spécial, la solennité ne lui convient pas, mais seulement au vœu par lequel on s'assujettit totalement au ministère divin ou au service de Dieu, vœu qui d'ailleurs embrasse beaucoup d'œuvres particulières.

3. Le caractère public d'un vœu peut lui conférer une certaine solennité humaine, non une solennité spirituelle et divine comme celle qui est attachée aux vœux dont nous avons parlé, même s'ils ont peu de témoins. Il est donc différent, pour un vœu, d'être public, et d'être solennel.


8. Ceux qui sont soumis à une autorité peuvent-ils faire des vœux ?

Objections

1. Cela n'empêche pas de faire des vœux, car un lien plus faible est dominé par un plus fort. Or l'obligation contractée envers un homme à qui nous sommes soumis est un moindre lien que le vœu qui nous lie envers Dieu. Donc ceux qui sont soumis au pouvoir d'autrui ne sont pas empêchés de faire des vœux.

2. Les enfants sont sous la puissance paternelle. Mais ils peuvent faire profession dans un ordre religieux sans le consentement de leurs parents. Donc ce n'est pas un empêchement au vœu que d'être sous la puissance d'autrui.

3. Faire, c'est plus que promettre. Or les religieux qui sont sous la puissance de leurs supérieurs peuvent faire certaines choses sans leur permission, comme dire des psaumes ou s'imposer quelque abstinence. À plus forte raison pourront-ils en faire la promesse à Dieu.

4. Quiconque fait ce qu'il n'a pas le droit de faire commet un péché. Or les sujets ne pèchent pas quand ils font des vœux, car on ne trouve nulle part de défense sur ce point. Il parait donc qu'ils ont le droit de faire des vœux.

En sens contraire, il est stipulé dans le livre des Nombres (Nombres 30.4) : « Si une femme, étant dans la maison de son père et encore jeune, fait un vœu, elle n'est point engagée à moins que son père y consente. » Même solution pour la femme qui a un mari. Donc, pour la même raison, toute autre personne soumise à la puissance d'autrui ne peut d'elle-même contracter l'obligation d'un vœu.

Réponse

Le vœu, disons-le à nouveau, est une promesse faite à Dieu. Personne ne peut faire une promesse qui l'oblige de façon ferme à ce qui est au pouvoir d'un autre : il faut que ce soit totalement en son propre pouvoir. Or, celui qui est soumis à une autre personne, n'a pas pouvoir de faire ce qu'il veut dans le cadre de sa sujétion, il dépend de la volonté d'autrui. Il ne peut donc, dans le domaine où il est soumis à autrui, s'obliger efficacement par un vœu sans le consentement de son supérieur.

Solutions

1. La promesse qu'on fait à Dieu ne peut porter que sur des œuvres vertueuses, nous l'avons dit. Nous avons vu également que la vertu s'oppose à ce qu'on offre à Dieu le bien d'autrui. Les conditions requises pour qu'il y ait vœu ne sont donc pas entièrement sauvegardées lorsque quelqu'un qui est en état de dépendance s'engage à ce qui relève du pouvoir d'autrui. A moins qu'il ne le fasse sous la condition que le détenteur de ce pouvoir n'y contredira pas.

2. Parvenu à l'âge de la puberté, l'homme de condition libre peut disposer de lui-même et de ce qui le concerne personnellement, par exemple s'engager par des vœux dans la vie religieuse ou contracter mariage. Mais il n'a pas autorité dans l'économie familiale. Dans ce domaine il ne peut faire de vœu valable sans le consentement paternel. Quant à l'esclave, même ses actions personnelles sont soumises à la disposition de son maître. Il ne peut donc s'obliger par vœu à la vie religieuse, qui l'enlèverait au service de celui-ci.

3. Le religieux est, dans ses activités, soumis à son supérieur, conformément à la règle qu'il professe. Même si un religieux, de lui-même, peut faire momentanément telle chose, dans le temps où il n'est pas occupé à telle autre par son supérieur, comme il n'est aucun moment où son supérieur ne puisse lui imposer telle occupation, il ne peut, sans son consentement, faire aucun vœu qui tienne. De même le vœu d'une jeune fille encore à la maison paternelle ne vaut pas sans le consentement du père, et celui d'une épouse sans le consentement du mari.

4. Le vœu de gens soumis à la puissance d'autrui n'a pas de force sans le consentement du supérieur. Mais ce n'est pas pour autant un péché ; ce vœu sous-entend en effet la condition requise : « Si cela plaît aux supérieurs, ou s'ils ne s'y opposent pas. »


9. Les enfants peuvent-ils s'obliger par vœu à entrer en religion ?

Objections

1. Il semble que non. Puisque, pour faire un vœu il faut délibérer, cela convient seulement à ceux qui ont l'usage de la raison. Or celui-ci manque aux enfants comme aux idiots et aux fous. De même que ces derniers ne peuvent s'astreindre à quoi que ce soit par vœu, il doit en être de même pour les enfants qui, semble-t-il, ne peuvent s'obliger par vœu à la vie religieuse.

2. Ce qui a été légitimement fait par quelqu'un ne peut être déclaré nul par un autre. Or les parents ou le tuteur peuvent révoquer le vœu fait par un petit garçon ou une petite fille avant l'âge de la puberté; garçons et filles ne peuvent donc avant quatorze ans faire des vœux valides.

3. La règle de S. Benoît et le décret d'Innocent IV accordent une année de probation à ceux qui entrent en religion, pour que cette épreuve précède l'engagement du vœu. Il paraît donc illicite que des enfants s'engagent par vœu avant cette année de probation.

En sens contraire, ce qui n'est pas fait selon les formes du droit n'est pas valide, même si personne ne le révoque. Mais, selon le droit, le vœu émis par une fillette, même avant l'âge de puberté, est valide s'il n'est pas révoqué dans l'année par ses parents. Donc, licitement et conformément au droit, les enfants peuvent s'obliger la vie religieuse par un vœu émis avant l'âge de puberté.

Réponse

Nous avons reconnus deux sortes de vœu : le vœu simple et le vœu solennel. La solennité du vœu, avons-nous dit également, consiste en une certaine bénédiction et consécration spirituelle conférée par le ministère de l'Église. C'est donc à celle-ci de régler les conditions du vœu solennel. Quant au vœu simple, il tient tout son effet de la délibération personnelle, en vertu de laquelle on entend s'obliger. Cette obligation peut dès lors se trouver infirmée en deux cas. D'abord le défaut de raison : c'est le fait des fous et des gens hors de sens, qui ne peuvent se lier par aucun vœu tant que dure leur folie ou leur égarement. L'autre cas est celui, précédemment étudié de la personne soumise au pouvoir d'autrui. Ces deux conditions se trouvent réunies chez les enfants qui n'ont pas atteint l'âge de puberté, parce que, ordinairement, la raison leur fait encore défaut; et ils sont, par condition naturelle, sous la garde de leurs parents ou des tuteurs qui remplacent ceux-ci. Et c'est pourquoi leurs vœux sont sans valeur pour un double motif.

Mais par une disposition de la nature, qui n'obéit pas aux lois humaines, il arrive que certains, peu nombreux, atteignent de bonne heure l'usage de la raison : on les appelle alors « capables de dol ». Toutefois, cela ne les soustrait en rien au régime paternel réglé par la loi humaine qui envisage les conditions les plus courantes.

Voici donc ce que l'on doit dire : si le garçon ou la fillette, avant l'âge de la puberté, n'a pas l'usage de la raison, il ne peut aucunement se lier par un vœu. S'il a atteint l'usage de la raison avant l'âge de la puberté, il peut bien, en ce qui dépend de lui, se lier, mais son vœu peut être annulé par ses parents, auxquels il demeure soumis. Mais serait-il « capable de dol » avant l'âge de la puberté, il ne peut se lier par le vœu solennel de religion à cause de la loi de l'Église, qui envisage les cas les plus fréquents. Après l'âge de la puberté, les enfants peuvent se lier par le vœu de la religion, simple ou solennel, sans le consentement des parents.

Solutions

1. Le cas envisagé par l'objection est celui des enfants qui n'ont pas encore l'usage de la raison, et dont les vœux sont invalides, nous venons de le dire.

2. Ceux qui, étant sous la puissance d'autrui, font des vœux, s'obligent sous la condition implicite que ces vœux ne seront pas révoqués par leur supérieur. Cette condition les rend licites, et sa réalisation assure leur validité, nous l'avons dite.

3. Il s'agit du vœu solennel, qui se fait par la profession religieuse.


10. Peut-on dispenser d'un vœu ou le commuer ?

Objections

1. Cela paraît impossible. Il est moins grave en effet de commuer un vœu que d'en dispenser. Or on ne peut le commuer d'après le Lévitique (Lévitique 27.9) : « L'animal qui peut être immolé au Seigneur, si c'est par vœu, il sera chose consacrée et on ne pourra le changer par un autre qui soit meilleur ou pire. » Donc, à plus forte raison, ne peut-on dispenser d'un vœu.

2. L'homme ne peut dispenser de ce qui relève de la loi naturelle et des préceptes divins, surtout s'il s'agit des préceptes de la première table, directement relatifs à l'amour de Dieu, fin ultime de tous les commandements. Or la loi naturelle exige qu'on acquitte ses vœux, et la loi divine en fait un précepte, nous le savons déjà. C'est même un précepte de la première table, car il s'agit d'un acte de latrie. On ne peut donc dispenser d'un vœu.

3. L'obligation du vœu est fondée sur la fidélité qu'on doit à Dieu, nous l'avons dit. Or de cette fidélité nul ne peut dispenser. Du vœu, pas davantage.

En sens contraire, ce qui émane de la volonté commune a plus de fermeté, semble-t-il, que ce qui procède d'une initiative particulière. Or l'homme peut dispenser de la loi qui tient sa force de la volonté commune. Il apparaît donc que l'homme peut dispenser du vœu.

Réponse

Il faut concevoir la dispense du vœu à la manière de la dispense concédée dans l'observation d'une loi. La teneur de la loi regarde en effet ce qui est bon dans la pluralité des cash. Mais parce qu'il arrive en telle circonstance que ce qui était bon ne le soit plus, il a fallu que quelqu'un vînt déterminer que dans ce cas particulier la loi ne devrait pas être observée. C'est là proprement dispenser en matière de loi. La notion de « dispense » comporte en effet une répartition bien proportionnée, l'adaptation d'une chose générale aux éléments particuliers qu'elle embrasse : c'est ainsi qu'on parle de « dispenser » la nourriture à sa famille. De même celui qui fait un vœu s'impose en quelque sorte une loi, en s'obligeant à quelque chose qui est bon en soi et dans la majorité des cas. Cependant tel cas peut se présenter où la chose deviendrait absolument mauvaise ou inutile, ou opposée à un bien plus grand ; ce qui est contraire aux conditions essentielles que nous avons requises pour la matière du vœu. Il est donc nécessaire de déterminer qu'en pareil cas le vœu ne doit pas être observé. Si l'on détermine de façon absolue la non-exécution d'un vœu, c'est ce qu'on nomme dispense. Si l'on remplace l'obligation par une autre, on appelle cela commuer le vœu. La commutation du vœu est donc moindre que la dispense. L'une et l'autre toutefois font appel au pouvoir de l'Église.

Solutions

1. L'animal propre à l'immolation, par le seul fait qu'on le vouait au Seigneur, était tenu pour sacré, comme appartenant au culte divin. C'est pour cette raison qu'on ne pouvait pas le changer. De même maintenant on ne peut changer pour une chose meilleure ou moindre un objet qu'on a voué, lorsqu'il est consacré, un calice par exemple, ou une maison. Quant à l'animal qui ne pouvait être consacré parce qu'il était impropre au sacrifice, on pouvait et on devait le racheter comme la loi le prescrit (Lévitique 26.11). Ainsi peut-on encore changer ce qu'on a donné par vœu, si nulle consécration n'intervient.

2. De même que l'obligation d'acquitter un vœu, celle d'obéir à la loi et aux ordres promulgués par les supérieurs relève du droit naturel et d'un précepte divin. Et cependant la dispense relative à une loi humaine ne contrarie pas ce devoir d'obéissance, car elle s'opposerait ainsi à la loi naturelle et au précepte de Dieu. Elle fait simplement que ce qui était la loi ne le soit plus en ce cas. De même encore, le supérieur ayant autorité pour dispenser, fait que ce qui était compris sous un vœu cesse de l'être ; par là même il détermine qu'il n'y a pas, en tel cas, matière convenable pour un vœu. C'est pourquoi, lorsqu'un supérieur ecclésiastique dispense d'un vœu, il ne dispense pas d'un précepte naturel ou de droit divin ; mais sa décision est relative à ce qui tombait sous l'obligation issue d'une délibération humaine qui n'a pu tout prévoir.

3. La fidélité due à Dieu n'exige pas qu'on accomplisse ce qui, faisant l'objet d'un vœu, est mauvais, inutile, ou opposé à un plus grand bien. C'est le sens de la dispense ; celle-ci n'est donc pas contraire à la fidélité qu'on doit à Dieu.


11. Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ?

Objections

1. Il semble que oui, car la seule raison qui permette de dispenser d'un vœu, c'est qu'il s'oppose à un bien meilleur. Or ce peut être le cas du vœu de continence, même solennel, car « le bien commun est plus divin que le bien d'un seul ». Or le bien de tout un peuple peut être contrarié parce qu'un individu gardera la continence, par exemple lorsqu'un mariage contracté entre personnes ayant fait vœu de continence assurerait la paix de la patrie. Il semble donc que l'on puisse dispenser du vœu solennel de continence.

2. La religion est une vertu plus noble que la chasteté. Or on peut dispenser d'un vœu portant sur un acte de culte, l'oblation d'un sacrifice par exemple. À plus forte raison du vœu de continence qui porte sur un acte de la vertu de chasteté.

3. Le vœu d'abstinence peut, si on l'accomplit, mettre en danger la personne qui l'a fait. De même le vœu de continence. Mais on peut dispenser du vœu d'abstinence s'il porte atteinte à la santé. Donc la même raison doit permettre de dispenser du vœu de continence.

4. La profession religieuse qui confère au vœu sa solennité embrasse non seulement le vœu de continence mais celui de pauvreté et d'obéissance. Or de ces deux derniers vœux on peut dispenser, comme on le voit chez ceux qui après avoir fait profession sont élevés à l'épiscopat. Il paraît donc qu'on puisse dispenser du vœu solennel de continence.

En sens contraire, 1° on lit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 26.15) : « Une âme chaste est un trésor inestimable. »

2° On lit dans un décret d'Innocent III : « Le renoncement à la propriété comme aussi la garde de la chasteté sont à ce point liés à la vie monastique, que le souverain pontife lui-même ne peut permettre aucun relâchement à cet égard ».

Réponse

Trois éléments sont à considérer dans le vœu solennel de continence : la matière du vœu, c'est-à-dire la continence elle-même ; la perpétuité du vœu, c'est-à-dire l'engagement de garder perpétuellement la continence; enfin la solennité du vœu.

Pour certains, si l'on ne peut dispenser du vœu solennel, c'est en raison de la continence, dont rien ne peut égaler le prix, ainsi qu'il ressort du texte de l’Écriture allégué ci-dessus. Ils en donnent ce motif que, par la continence, l'homme triomphe de son ennemi domestique ; ou qu'elle assure notre parfaite conformité au Christ, dans la pureté de l'âme et du corps. Mais ces propos sont sans portée. Car les biens de l'âme comme la contemplation et la prière sont bien supérieurs à ceux du corps, et nous font bien davantage ressembler à Dieu. Et pourtant on peut dispenser d'un vœu portant sur des actes de prière ou de contemplation. Il n'y a donc pas de raison de ne pas dispenser du vœu de continence, si l'on envisage de façon absolue la dignité même de la continence. D'autant plus que l'Apôtre nous engage à la pratiquer en vue de la contemplation, lorsqu'il dit (1 Corinthiens 7.34) : « La femme sans mari a souci des affaires du Seigneur. » Or la fin l'emporte toujours sur les moyens.

C'est pourquoi d'autres ont donné pour raison la perpétuité et l'universalité de ce vœu. Si l'on cesse d'observer le vœu de continence, disent-ils, ce ne peut-être qu'en posant l'acte qui lui est tout à fait contraire, ce qui n'est jamais permis dans aucun vœu. Mais cela est manifestement faux. Si l'union charnelle est contraire à la continence, il est tout aussi contraire à l'abstinence de manger de la viande ou de boire du vin. Pourtant, on peut dispenser des vœux de cette espèce.

Aussi apparaît-il à d'autres auteurs qu'on puisse dispenser du vœu solennel de continence pour un intérêt ou une nécessité sociale, comme dans le cas, cité en exemple, d'un mariage assurant la pacification d'un pays.

Mais puisque la décrétale citée en sens contraire dit expressément que le souverain pontife lui-même ne peut dispenser un moine de garder la chasteté, il semble qu'on doive parler autrement et dire ceci comme on l'a dit plus haut et selon le Lévitique (Lévitique 26.9, 28) : « Ce qui a été une fois consacré au Seigneur ne peut être aliéné à d'autre usages. » Or nul supérieur ecclésiastique ne peut faire que ce qui a été consacré perde sa consécration, même dans les choses inanimées : par exemple qu'un calice consacré cesse d'être consacré, s'il demeure intact. Aussi, bien moins encore, un supérieur ne peut-il faire qu'un homme consacré à Dieu, tant qu'il vit, cesse d'être consacré. Or la solennité du vœu consiste en une certaine consécration ou bénédiction de celui qui fait le vœu consiste en une certaine consécration ou bénédiction de celui qui fait le vœu, nous l’avons dit. Nul supérieur ecclésiastique ne peut donc faire que le sujet d'un vœu solennel soit soustrait aux effets de la consécration qu'il a reçue ; par exemple que celui qui est prêtre ne le soit plus, bien qu'un supérieur puisse, pour un motif donné, empêcher l'exercice de l'ordre sacré. Pour la même raison, le pape ne peut pas faire que celui qui a fait profession religieuse ne soit plus religieux, bien que certains juristes disent le contraire par ignorance.

Il s'agit donc de voir si la continence est essentiellement liée à ce que le vœu solennise parce que, si cette liaison n'est pas essentielle, la consécration peut demeurer sans l'obligation de la continence, ce qui ne peut se faire dans le cas contraire. Or, l'obligation de la continence n'est pas liée aux ordres sacrés par essence, mais par décision de l'Église. Cela montre que l'Église peut dispenser du vœu de continence solennisé par la réception d'un ordre sacré. Mais le devoir de la continence est essentiel à l'état religieux, par lequel l'homme renonce au siècle, en se donnant totalement au service de Dieu; cela est incompatible avec le mariage, qui impose la nécessité de veiller sur son épouse, de ses enfants et toute la maisonnée, avec ce que cela entraîne. Comme dit l'Apôtre (1 Corinthiens 7.33) : « Celui qui est marié a souci des choses du monde, des moyens de plaire à son épouse, et il est partagé. » C'est pourquoi le nom de moine vient de monos, « un », par opposition à la division dont parle S. Paul. En conséquence le vœu solennisé par la profession religieuse ne peut recevoir dispense de l'Église, et la décrétale en indique la raison : « Parce que la chasteté est liée à la règle monastique. »

Solutions

1. Aux périls qui menacent les affaires humaines on doit obvier par des moyens humains, et non en affectant à un usage humain les réalités divines. Or ceux qui ont fait profession religieuse sont morts au monde et vivent pour Dieu. On ne doit donc pas les faire revenir à la vie humaine, quoi qu'il arrive.

2. On peut dispenser du vœu temporaire de continence, de même qu'on peut dispenser du vœu portant sur une prière ou une abstinence temporaires. Mais le vœu de continence solennisé par la profession religieuse ne souffre pas dispense, non parce qu'il s'agit d'un acte de chasteté, mais parce que, du fait de la profession religieuse, il est entré dans le domaine du culte divin.

3. La nourriture a pour but direct la conservation de l'individu, si bien qu'il peut y avoir danger direct et personnel à s'en abstenir. C'est pour cette raison que l'on dispense du vœu d'abstinence. Mais les relations conjugales ne sont pas ordonnées directement à la conservation de l'individu, mais à celle de l'espèce. Il ne peut donc y avoir de danger pour celui qui s'en abstient. Si pour une raison accidentelle il y avait péril, il est d'autres moyens d'y subvenir : l'abstinence par exemple ou d'autres remèdes corporels.

4. Le religieux élevé à l'épiscopat n'est pas plus délié de son vœu de pauvreté que de son vœu de continence, parce qu'il ne doit rien avoir en propre, mais se considérer comme intendant des biens communs de l'Église. De même il n'est pas délié du vœu d'obéissance. S'il lui arrive de n'être plus tenu d'obéir, c'est pour une raison accidentelle, faute de supérieur : tel est le cas de l'abbé d'un monastère, qui n'est pas pour autant délié du vœu d'obéissance.

5. Quant au texte invoqué en sens contraire contre la dispense du vœu, il faut l'entendre en ce sens que ni la fécondité charnelle, ni aucun bien du corps, ne peuvent se comparer à la continence, qu'on range avec S. Augustin parmi les biens de l'âme. C'est ce que le texte lui-même explique clairement en parlant non de la chair, mais d'une « âme chaste ».


12. Faut-il, pour dispenser d'un vœu, recourir à une autorité supérieure ?

Objections

1. Il ne semble pas, car on peut entrer en religion sans recourir à l'autorité d'un supérieur. Or l'entrée en religion délie de tous les vœux qu'on a faits dans le monde, même du vœu d'aller en Terre sainte. Il peut donc y avoir dispense ou commutation d'un vœu sans intervention d'un supérieur.

2. Dispenser d'un vœu, c'est déterminer en quel cas l'on n'a pas à l'observer. Mais si la décision du prélat porte à faux, il ne semble pas qu'on soit exempté du vœu qu'on avait fait, car nul supérieur ne peut par sa dispense contredire le précepte divin exigeant l'exécution du vœu, on vient de le dire. Pareillement, si l'on détermine comme il faut, de son propre chef, qu'en tel cas il n'y a pas à remplir le vœu, il semble qu'on n'est plus tenu de l'exécuter ; car le vœu n'oblige pas au cas où il produirait de mauvais effets, on l'a dit. La dispense d'un vœu n'exige donc pas l'autorité d'un prélat.

3. Si le pouvoir de dispenser tenait à leur charge, tous les prélats pourraient également l'exercer. Or tous ne peuvent pas dispenser de n'importe quel vœu. Donc la dispense du vœu ne dépend pas du pouvoir des prélats.

En sens contraire, le vœu oblige à la façon d'une loi. Or nous savons que pour dispenser d'un commandement de la loi il faut l'autorité du supérieur, nous l'avons déjà dit. Il en va de même du vœu, à titre égal.

Réponse

Le vœu est, nous l'avons dit, la promesse faite à Dieu d'une chose qu'il agrée. Que cela lui agrée, c'est au destinataire de cette promesse d'en juger. Or, dans l'Église, le supérieur tient la place de Dieu. C'est pourquoi, s'il s'agit de commuer un vœu ou d'en dispenser on doit recourir à l'autorité d'un prélat qui, en la personne de Dieu, détermine ce que Dieu agrée. Ainsi S. Paul écrit (2 Corinthiens 2.10) : « Moi-même j'ai pardonné à cause de vous, en tenant la place du Christ. » Et c'est à dessein qu'il dit « à cause de vous ». Car toute dispense demandée à un supérieur doit avoir pour but l'honneur du Christ au nom de qui il l'accorde, ou l'intérêt de l'Église qui est son corps.

Solutions

1. Tous les autres vœux portent sur des œuvres particulières, tandis qu'en entrant en religion on livre sa vie tout entière au service de Dieu. Or le particulier est inclus dans l'universel. C'est pourquoi la décrétale dit qu'on « ne manque pas à son vœu lorsqu'on remplace un service momentané par la perpétuelle observance de la vie religieuse ». Celui qui entre en religion n'est cependant pas tenu d'accomplir les jeûnes, les prières et autres bonnes œuvres dont il a fait vœu quand il était dans le monde, car en entrant en religion on meurt à sa vie antérieure. En outre, ces pratiques particulières ne conviennent pas à la vie religieuse, et le poids de celle-ci est déjà assez lourd pour qu'il ne faille pas le surcharger encore.

2. D'après certains auteurs, les prélats pourraient à leur gré dispenser des vœux, parce que tout vœu inclurait comme condition la volonté d'un supérieur, à la manière des vœux des subordonnés, serviteurs ou enfants, dont nous avons dit qu'ils sous-entendent cette condition : « Si cela plaît à mon père ou à mon maître, s'ils ne s'y opposent pas. » L'inférieur pourrait ainsi sans aucun remords de conscience ne plus tenir compte de son vœu, du moment que le prélat le lui dirait.

Cette thèse a une base fausse. Parce que le prélat spirituel n'est pas un maître, mais un intendant : son pouvoir lui est donné « pour édifier et non pour détruire » (2 Corinthiens 10.8) ; de même que le prélat ne peut commander ce qui de soi déplaît à Dieu, le péché, de même il ne peut empêcher d'accomplir les œuvres de vertu, celles qui plaisent à Dieu. On peut donc en faire vœu de façon absolue. C'est au prélat toutefois qu'il appartient de juger ce qui est plus vertueux et plus agréable à Dieu.

Et c'est pourquoi, dans les cas évidents, la dispense d'un prélat n'excuserait pas du péché, par exemple s'il dispensait quelqu'un d'entrer en religion, sans nulle cause apparente qui s'y oppose. Si cependant il y avait quelque motif apparent qui rendît la chose au moins douteuse, on pourrait s'en tenir au jugement du prélat qui accorde dispense ou commutation. On ne peut toutefois s'en tenir à son jugement propre, car on ne tient pas soi-même la place de Dieu, sauf dans le cas où le vœu porterait sur une chose illicite, et qu'on ne puisse recourir au supérieur.

3. Le souverain pontife tient la place du Christ d'une façon plénière et pour toute l'Église. Aussi a-t-il plein pouvoir de dispenser de tous les vœux susceptibles de dispense. Aux autres prélats inférieurs est remis le pouvoir de dispenser des vœux que l'on fait communément et qui nécessitent fréquemment une dispense : le recours est ainsi facilité. C'est le cas des vœux de pèlerinages, jeûnes, et œuvres analogues. Mais les grands vœux de continence et de pèlerinage en Terre sainte sont réservés au souverain pontife.


L'USAGE DU NOM DIVIN : LE SERMENT, L'ADJURATION ET L'INVOCATION

Il faut étudier maintenant les actes extérieurs de latrie où l'homme emploie quelque chose de divin, soit un sacrement, soit le nom de Dieu.

L'étude des sacrements trouvera sa place dans la troisième Partie de notre ouvrage (Q. 60 et suivantes).

Quant à l'usage du nom divin, c'est ici qu'il faut en traiter. On y a recours de trois manières. 1°. Par mode de serment, pour confirmer ses propres paroles (Q. 89). — 2°. Par mode d'adjuration, pour amener les autres à faire quelque chose (Q. 90). — 3°. Par mode d'invocation pour prier et louer Dieu (Q. 91).

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