Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

93. LES ALTÉRATIONS SUPERSTITIEUSES DU CULTE DIVIN

  1. Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu quelque chose de pernicieux ?
  2. Peut-il y avoir quelque chose de superflu ?

1. Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu quelque chose de pernicieux ?

Objections

1. C'est impossible, car on lit en Joël (Joël 2.32) : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Or, lorsqu'on rend un culte à Dieu, de quelque manière qu'on le fasse, on invoque son nom. Donc tout culte rendu à Dieu nous est salutaire, et aucun n'est pernicieux.

2. C'est le même Dieu que les justes honorent de leur culte en n'importe quel âge du monde. Or avant la loi, les justes de cette époque, sans péché mortel, donnaient à leur hommage la forme qui leur plaisait. Ainsi Jacob par un vœu personnel s'obligea à un culte spécial (Genèse 28.20). Donc maintenant encore aucune forme du culte rendu à Dieu n'est pernicieuse.

3. L'Église ne donne son appui à rien de pernicieux. Or elle maintient une diversité de rites. Voici ce qu'écrit S. Grégoire S. Augustin, évêque de Cantorbery, qui lui exposait la diversité des coutumes suivies par les Églises dans la célébration de la messe : « J'approuve, si tu trouves dans les provinces romaines ou gauloises ou en n'importe quelle Église, quelque chose qui puisse plaire davantage au Dieu tout-puissant, que tu le recueilles avec soin. » Aucune forme du culte n'est donc pernicieuse.

En sens contraire, S. Augustin dit dans une lettre à S. Jérôme, et on le trouve dans la Glose sur l'épître aux Galates (Galates 2.14), que les observances légales, une fois connue la vérité de l'Évangile, donnent la mort. Pourtant ces observances appartiennent au culte de Dieu. Donc il peut y avoir dans le culte de Dieu quelque chose qui donne la mort.

Réponse

S. Augustin dit que le mensonge le plus pernicieux est celui qui touche à la religion chrétienne. Qu'est-ce donc que le mensonge ? Mentir c'est signifier extérieurement le contraire de la vérité. Or, on se sert de la parole pour s'exprimer, mais aussi de l'action ; et c'est cette sorte de signification qui constitue, nous l'avons dit le culte extérieur de religion. Donc, si le culte vient à exprimer quelque chose de faux, il sera pernicieux.

Or cela peut arriver de deux façons. L'une est un désaccord entre la réalité signifiée et les symboles cultuels. De cette façon, à l'âge de la loi nouvelle, l'accomplissement parfait des mystères du Christ ne permet plus d'employer les rites de l'Ancien Testament, parce que leur symbolisme regarde le mystère du Christ comme futur. Il serait aussi pernicieux de proclamer en paroles que la passion du Christ est encore à venir.

Le culte extérieur peut encore être mensonger d'une seconde manière, du fait de celui qui le pratique. Cela peut arriver surtout dans le culte public, où les ministres officient en tenant la place de toute l'Église. C'est être un faussaire que de présenter, de la part de quelqu'un, ce dont il ne vous a aucunement chargé. Ce serait le cas de celui qui offrirait à Dieu, de la part de l'Église, un culte en opposition avec les formes qu'elle a instituées par autorité divine, et que pratique cette même Église. Si bien que S. Ambroise déclare : « Il est indigne, celui qui célèbre les divins mystères sans se conformer à la tradition reçue du Christ. » Ce qu'exprime également la Glose, lorsqu'elle dit (Colossiens 2.23), qu'il y a superstition quand « on donne le nom de religion à une tradition humaine ».

Solutions

1. Dieu est vérité. Ceux-là l'invoquent qui lui rendent leur culte « en esprit et vérité », comme il est dit en S. Jean (Jean 4.24). C'est pourquoi un culte mêlé de fausseté ne se rattache pas à l'invocation de Dieu qui nous sauve.

2. Avant le temps de la loi les justes recevaient de Dieu une inspiration intérieure qui les instruisait sur la manière dont ils devaient l'honorer, et les autres suivaient leur exemple. Dans la suite, c'est par des préceptes extérieurs que les hommes ont été fixés sur ce point, et il est désastreux de les transgresser.

3. La diversité des coutumes de l'Église dans l'exercice du culte divin ne s'oppose en rien à la vérité. Il faut les suivre, et il est illicite de les transgresser.


2. Peut-il y avoir quelque chose de superflu dans le culte de Dieu ?

Objections

1. Ce n'est pas possible, puisque l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 43.10) nous dit : « Glorifiez Dieu tant que vous pouvez, il restera toujours à faire. » Glorifier Dieu, c'est ce que l'on se propose dans son culte. Donc rien ne pourra y être superflu.

2. Le culte extérieur est une manifestation du culte intérieur qui, selon S. Augustin honore Dieu « dans la foi, l'espérance et la charité ». Mais au sujet de ces vertus, on n'en fera jamais trop. Il en va de même pour le culte divin.

3. Le culte divin nous fait rendre à Dieu ce que nous avons reçu de lui. Or, nous avons tout reçu de lui. Nous pouvons donc faire tout ce que nous pouvons pour l'honorer : rien ne sera jamais de trop.

En sens contraire, S. Augustin affirme : « Le bon et véritable chrétien doit rejeter des saintes lettres elles-mêmes les fictions superstitieuses. » Or les saintes lettres nous montrent comment il faut honorer Dieu. Donc la superstition peut se glisser sous forme de superfluité dans le culte que nous lui rendons.

Réponse

On peut parler de superflu en deux sens. D'abord, par rapport à une mesure absolue. Rien ne peut être de trop, à ce point de vue, dans le culte de Dieu, parce que l'homme ne peut rien faire qui ne demeure en deçà de ce que nous lui devons.

Mais, d'une autre façon, quelque chose peut être superflu selon une mesure relative, lorsque ce n'est pas proportionné à la fin. Or la fin du culte divin est que l'homme glorifie Dieu et se soumette à lui, corps et âme. C'est pourquoi tout ce que l'homme peut faire qui se rattache à la glorification de Dieu, à la sujétion envers Dieu de son âme, et même de son corps, en refrénant avec mesure ses convoitises, selon les règles données par Dieu et l'Église et selon les coutumes de notre milieu, tout cela ne comporte rien de superflu dans le culte de Dieu.

Mais si nous y mêlons quelque chose qui, de soi, ne se rattache pas à la glorification de Dieu, au rapprochement de notre âme avec lui, au gouvernement mesuré de la convoitise charnelle; ou encore si c'est en dehors de l'institution de Dieu et de l'Église, ou contre la coutume générale qui, selon S. Augustin a force de loi : tout cela doit être tenu pour superflu ou superstitieux, parce que ce qui ne consiste qu'en pratiques extérieures ne ressortit pas au culte intérieur de Dieu. Aussi S. Augustin dit-il que la parole de Luc (Luc 17.21) « Le règne de Dieu est au-dedans de vous » condamne les « superstitieux », c'est-à-dire ceux qui s'attachent principalement aux pratiques extérieures.

Solutions

1. Si l'on prétend glorifier Dieu, il faut que ce qu'on fait ait rapport à sa gloire. Cela exclut par conséquent toute superfluité superstitieuse.

2. Par la foi, l'espérance et la charité, notre âme se soumet à Dieu. Rien ne peut donc y être superflu. Il en va autrement des actes extérieurs qui ne s'y rapportent pas toujours.

3. Cet argument vaut pour le superflu concernant la mesure des choses prises absolument.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant