Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

177. LE CHARISME DU DISCOURS

L'Apôtre le cite en ces termes (1 Corinthiens 12.8) : « À l'un l'Esprit donne le discours de la sagesse, à l'autre le discours de la science. »

À ce sujet, nous nous demandons :

  1. Y a-t-il un charisme du discours ?
  2. À qui ce charisme convient-il ?

1. Y a-t-il un charisme du discours ?

Objections

1. Il ne semble pas. En effet, la grâce donne à l'homme ce qui dépasse les forces de la nature. Or, c'est la raison naturelle qui a inventé l'art de la rhétorique, laquelle permet à l'homme « d'instruire, de plaire, de toucher », dit S. Augustin. Mais tout cela concerne la grâce du discours. Il semble donc que cette grâce ne soit pas un charisme.

2. Tout charisme se rapporte au règne de Dieu. Or l'Apôtre dit (1 Corinthiens 4.20) : « Le règne de Dieu ne consiste pas en discours, mais en puissance. » Il n'y a donc aucun charisme dans le discours.

3. Nulle grâce n'est donnée en raison des mérites ; car « si elle venait des œuvres, ce ne serait plus une grâce » (Romains 11.6). Or le discours est donné à chacun en raison de ses mérites. Commentant en effet le Psaume (Psaumes 119.43) : « Ne retirez pas de ma bouche la parole de vérité », S. Grégoire écrit : « Le Dieu tout-puissant accorde la parole de vérité à ceux qui la mettent en pratique, et il la retire à ceux qui ne le font pas. » Le don du discours n'est donc pas un don gratuit.

4. De même que l'homme doit exprimer par son discours ce qui relève du don de sagesse ou de science, de même doit-il exposer ce qui relève de la vertu de foi. Donc, si l'on admet que le discours de sagesse et le discours de science sont des dons gratuits, pour la même raison il faut aussi ranger le discours de foi parmi les charismes.

En sens contraire, on lit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 6.5 Vg) : « Le discours gracieux abondera chez l'homme de bien. » Or la bonté de l'homme vient de la grâce. Par suite aussi la grâce du discours.

Réponse

Les dons gratuits sont donnés en vue de l'utilité commune, on l'a dit. Or la connaissance que l'on reçoit de Dieu ne saurait servir à l'utilité d'autrui qu'au moyen du discours. Et comme le Saint-Esprit n'omet rien de ce qui est utile à l'Église, il assiste aussi ses membres dans leurs discours, non seulement pour qu'ils soient compris de tous, ce qui appartient au don des langues, mais encore pour qu'ils parlent avec efficacité, ce qui relève de la grâce du discours.

Cette grâce du discours a un triple effet : 1. Instruire l'intelligence des auditeurs. — 2. Plaire à leur cœur, afin qu'ils écoutent volontiers la parole divine. — 3. Toucher leur âme, pour qu'ils aiment la vérité et la mettent en pratique. Pour cela, le Saint-Esprit se sert de la langue humaine comme d'un instrument ; mais c'est lui-même qui achève intérieurement le travail. Aussi S. Grégoire dit-il dans une homélie de la Pentecôte : « Si le Saint-Esprit ne remplit pas le cœur des auditeurs, c'est en vain que la voix des prédicateurs résonne à leurs oreilles. »

Solutions

1. Dieu opère quelquefois miraculeusement, et d'une façon supérieure, ce que peut faire aussi la nature ; ainsi le Saint-Esprit réalise par le charisme du discours ce que l'art oratoire peut faire moins bien.

2. Nous venons de le dire, l'Apôtre parle du discours qui s'appuie sur l'éloquence humaine, sans le secours du Saint-Esprit. Aussi a-t-il écrit d'abord : « Je tiendrai compte, non pas du discours de ces orgueilleux, mais de leur puissance. » Et il avait dit de lui-même auparavant (1 Corinthiens 2.4) : « Mon discours et ma prédication ne s'appuyèrent pas sur les paroles persuasives de la sagesse humaine, mais sur la manifestation de l'Esprit et de sa puissance. »

3. Le charisme du discours, on vient de le dire, est donnée à certains pour l'utilité d'autrui. Aussi est-il parfois retirée par suite de la faute, soit de l'auditeur, soit de l'orateur. Ce ne sont pas les bonnes œuvres de l'un et de l'autre qui méritent directement cette grâce, mais elles écartent les obstacles. De même pour la grâce sanctifiante : on la perd par sa faute, mais on ne la méritait pas par ses bonnes œuvres, encore que celles-ci en enlèvent les obstacles.

4. Redisons-le, la grâce du discours a pour but l'utilité commune. Or celui qui communique sa foi le fait par le discours de la science ou de la sagesse. C'est pourquoi on lit dans S. Augustin : « Savoir les moyens que la foi emploie pour secourir les âmes pieuses et pour se défendre contre les impies, voilà ce que l'Apôtre semble appeler la science. » Aussi S. Paul n'a-t-il pas eu à mentionner un discours de foi ; il lui a suffi d'admettre un discours de science et de sagesse.


2. À qui ce charisme convient-il ?

Objections

1. Il semble que le charisme du discours de sagesse et de science convienne aussi aux femmes. On l'a vu en effet, l'enseignement se rattache à ce charisme. Or enseigner convient aux femmes, car il est dit dans les Proverbes (Proverbes 43.4 Vg) : « Fils unique, j'étais devant ma mère, et elle m'enseignait. »

2. La grâce de la prophétie l'emporte sur la grâce du discours, comme la contemplation de la vérité l'emporte sur son annonce. Or la prophétie est accordée aux femmes ; l'Écriture parle, en effet au livre des Juges (Juges 4.4), de Débora ; au livre des Rois (2 Rois 22.14), de Holda la prophétesse, femme de Sellum ; et dans les Actes des Apôtres (Actes 21.9) des quatre filles de Philippe. En outre l'Apôtre écrit (1 Corinthiens 11.5) : « Toute femme qui prie ou qui prophétise... »

À plus forte raison, semble-t-il, la grâce du discours convient-elle aux femmes.

3. S. Pierre écrit (1 Pierre 4.10) : « Que chacun mette au service des autres le don qu'il a reçu. » Or certaines femmes reçoivent le don de sagesse et de science, dont elles ne peuvent faire bénéficier les autres que par la grâce du discours. Celle-ci leur appartient donc aussi.

En sens contraire, l'Apôtre dit (1 Corinthiens 14.34) « Dans les assemblées, que les femmes se taisent », et (1 Timothée 2.12) : « je ne permets pas aux femmes d'enseigner. » Or c'est là le but principal de la grâce du discours. Celle-ci ne convient donc pas aux femmes.

Réponse

Le discours peut-être pratiqué de deux façons. 1. En particulier, à l'adresse d'une ou de quelques personnes, dans un entretien familier. Dans ce cas la grâce du discours peut convenir aux femmes.

2. En public, devant toute l'assemblée. Cela est interdit aux femmes : tout d'abord et principalement, parce que la femme doit être soumise à comme, selon la Genèse (Genèse 3.16). Or enseigner et persuader publiquement dans l'assemblée convient, non aux sujets, mais aux supérieurs. Si pendant des hommes qui sont des inférieurs peuvent accomplir cet office, c'est en vertu d'une d’une commission, et parce que leur sujétion ne leur vient pas, comme aux femmes, de la nature, mais par suite d'une cause accidentelle. — Ensuite, par crainte que le cœur des hommes ne soit séduit par désir, selon l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 9.11 Vg) : « Les entretiens des femmes sont comme un feu dévorant. » — Enfin, parce que les femmes, généralement, ne sont pas assez instruites en sagesse pour qu'il soit possible de leur confier sans inconvénient un enseignement public.

Solutions

1. L'Écriture parle ici de l’enseignement privé en vertu duquel la mère instruit son fils.

2. Dans la grâce de la prophétie, c'est l'esprit qui est illuminé par Dieu. Or, sous ce rapport de l'esprit, il n'y a pas de différence de sexe entre les humains, selon cette parole (Colossiens 3.10) : « Vous avez revêtu l'homme nouveau, qui se renouvelle suivant l'image de celui qui l'a créé. Dans ce renouvellement, il n'y a plus ni homme, ni femme. » Mais la grâce du discours a pour objet l'instruction des gens, et là se retrouve la différence des sexes. La comparaison n'est donc pas valable.

3. C'est de manière différente, et selon sa condition particulière, que chacun met au service des autres le don qu'il a reçu de Dieu. Aussi les femmes qui ont reçu le don de sagesse et de science peuvent-elles en faire usage pour l'enseignement privé, mais non pour l'enseignement public.

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