Somme théologique

Somme théologique — La tertia

51. L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST

  1. Convenait-il au Christ d'être enseveli ?
  2. Le mode de son ensevelissement.
  3. Dans le sépulcre son corps s'est-il décomposé ?
  4. Combien de temps est-il resté dans le sépulcre ?

1. Convenait-il au Christ d'être enseveli ?

Objections

1. Le Psaume (Psaumes 88.5) dit du Christ : « Il est devenu comme un homme sans secours, libre parmi les morts. » Or, dans le tombeau, les corps des morts sont enfermés ; ce qui est contraire à leur liberté. Il semble donc qu'il ne convenait pas d'ensevelir le corps du Christ.

2. Tout ce qui arrivait au Christ devait nous être salutaire. Or que le Christ ait été enseveli ne semble avoir aucun rapport avec notre salut.

3. Dieu est élevé au-dessus des cieux. Il est donc choquant qu'il soit enseveli dans la terre. Or ce qui convient au Christ mort est attribué à Dieu, en raison de l'union hypostatique. Il est donc choquant que le Christ ait été enseveli.

En sens contraire, le Seigneur dit de la femme qui l'avait oint (Matthieu 26.10) : « Elle a fait une bonne œuvre à mon égard » ; et il ajoute : « En répandant ce parfum sur mon corps, elle l'a fait en vue de mon ensevelissement. »

Réponse

Il convenait que le Christ soit enseveli : 1° Afin de prouver la réalité de sa mort : en effet, on ne met un corps au tombeau, que si l'on est certain de la réalité de la mort. Aussi lit-on dans S. Marc (Marc 15.44) que Pilate, avant de permettre que le Christ soit enseveli, s'assura, par une enquête soigneuse, qu'il était bien mort.

2° Afin de donner par sa résurrection du sépulcre, l'espoir de ressusciter par lui à ceux qui sont dans le tombeau, d'après ce texte de S. Jean (Jean 5.28) : « Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l'homme, et ceux qui l'auront entendue vivront. »

3° Afin de donner l'exemple à ceux qui par la mort du Christ meurent spirituellement aux péchés, c'est-à-dire à « ceux qui sont protégés contre les perturbations des hommes » (Psaumes 31.21). Aussi S. Paul dit-il (Colossiens 3.3) : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. » De là vient que les baptisés, qui par la mort du Christ meurent aux péchés, sont comme ensevelis avec le Christ par l'immersion, d'après cette parole : « Nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort par le baptême » (Romains 6.4).

Solutions

1. Le Christ enseveli a montré qu'il était resté libre parmi les morts, en ce que le tombeau n'a pu l'empêcher d'en sortir par la résurrection.

2. De même que la mort du Christ a opéré notre salut de façon efficiente, de même son ensevelissement. Aussi S. Jérôme écrit-il : « Nous ressuscitons par l'ensevelissement du Christ. » Le texte d'Isaïe (Ésaïe 53.9 Vg) : « Il donnera les impies pour sa sépulture », la Glose l'interprète de cette manière : « Il donnera à Dieu son Père les nations qui étaient sans pitié ; car il les a acquises par sa mort et son ensevelissement. »

3. Il est dit dans un sermon du concile d'Éphèse : « De tout ce qui sauve les hommes, rien ne fait insulte à Dieu, car cela montre non qu'il est passible, mais qu'il est clément. » Et dans un autre sermon du même concile on lit : « Dieu ne se juge insulté par rien de ce qui est occasion de salut pour les hommes. Et toi, garde-toi de tenir la nature de Dieu pour si vile qu'elle ait pu être exposée jamais à l'insulte. »


2. Le mode de l'ensevelissement du Christ

Objections

1. Son ensevelissement répond à sa mort. Or, le Christ a subi la mort la plus infâme, d'après cette parole : « Condamnons-le à la mort la plus honteuse » (Sagesse 2.29). Il semble donc incohérent qu'on ait offert au Christ une sépulture honorable, puisqu'il a été mis au tombeau par des notables, comme Joseph d'Arimathie, « noble décurion » d'après S. Marc (Marc 15.43 Vg), et Nicodème, « prince des Juifs » selon S. Jean (Jean 3.1).

2. On n'aurait pas dû, en faveur du Christ, donner un exemple de prodigalité. C'est ce que semble avoir fait « Nicodème venu porter un mélange de myrrhe et d'aloès d'environ cent livres » (Jean 19.39), d'autant plus que d'après S. Marc (Marc 14.8), « une femme avait par avance oint son corps en vue de la sépulture ».

3. Il ne convient pas qu'un fait comporte des éléments contradictoires. Or, d'un côté, l'ensevelissement du Christ fut simple, puisque Joseph « enveloppa le corps dans un linceul propre » (Matthieu 27.59) « et non dans l'or, les gemmes et la soie », dit S. Jérôme. Et d'un autre côté, il semble avoir été fastueux, en tant qu'on a enseveli le Christ avec des aromates.

4. D'après S. Paul (Romains 15.4), « tout ce qui se trouve dans l'Écriture a été écrit pour notre instruction ». Mais on trouve dans les évangiles des détails sur la sépulture du Christ qui semblent n'avoir aucun rapport avec notre instruction : qu'il a été enseveli dans un jardin, dans un sépulcre neuf qui ne lui appartenait pas, et taillé dans le roc...

En sens contraire, il est prédit dans Isaïe (Ésaïe 11.10 Vg) : « Son sépulcre sera glorieux. »

Réponse

On peut indiquer trois raisons qui justifient la manière dont le Christ a été enseveli : — 1° Confirmer la foi en sa mort et sa résurrection. — 2° Louer la piété de ceux qui l'ont enseveli : « C'est avec louange, écrit S. Augustin qu'on mentionne dans l'Évangile ceux qui ont pris soin d'envelopper et d'ensevelir avec sollicitude et honneur le corps du Christ descendu de la croix. » — 3° Instruire par ce mystère ceux qui sont ensevelis avec le Christ dans la mort.

Solutions

1. Dans la mort du Christ se manifestent sa patience et sa constance, et cela d'autant plus que sa mort a été ignominieuse. Mais dans son ensevelissement honorable se montre la vertu du Christ mourant, qui, même après sa mort, a été enseveli avec honneur contre l'intention de ses meurtriers ; en cette sépulture se trouve aussi symbolisée la dévotion des fidèles, qui se mettraient au service du Christ mort.

2. D'après S. Augustin en disant qu'« on a enseveli Jésus selon la coutume des Juifs », S. Jean « nous avertit qu'en ces sortes de devoirs rendus aux morts il faut suivre les usages de chaque nation. Or, c'était la coutume des Juifs d'oindre d'aromates divers les corps des morts, afin de les conserver plus longtemps intacts ». Ailleurs, S. Augustin remarque que « dans de tels cas ce n'est pas l'usage, mais la passion de celui qui en use, qui est coupable » ; et il ajoute : « Ce qui pour d'autres est le plus souvent un opprobre est, pour une personne divine ou pour un prophète, le signe d'un très grand honneur. » La myrrhe et l'aloès, en effet, à cause de leur amertume, symbolisent la pénitence, par laquelle on conserve en soi le Christ sans la corruption du péché. Et le parfum des aromates est le symbole d'une bonne renommée.

3. La myrrhe et l'aloès furent employés pour le corps du Christ, afin de le garder à l'abri de la corruption, ce qui paraissait une nécessité. Cela nous montre que nous pouvons user de certains remèdes coûteux afin de conserver notre corps. Mais, si l'on a enveloppé le corps du Christ, ce fut par décence, et en de telles circonstances il faut nous contenter de choses simples. Cependant, S. Jérôme apporte une raison mystique : « Celui-là enveloppe Jésus dans un linceul propre, qui le reçoit dans un cœur pur. » De là vient, d'après S. Bède, que « l'usage s'est établi dans l'Église de célébrer le sacrifice de l'autel, non pas sur des linges de soie ou de couleur, mais sur des linges de lin, comme le corps du Christ avait été enseveli dans un linge blanc ».

4. Le Christ est enseveli « dans un jardin » afin de symboliser que par sa mort et sa sépulture nous sommes libérés de la mort que nous avons encourue par le péché d'Adam commis dans le jardin du paradis.

Comme dit S. Augustin : « Si le Sauveur est déposé dans un tombeau étranger, c'est parce qu'il était mort pour le salut des autres ; or, le tombeau est la demeure de la mort. » — Par là aussi on peut mesurer le degré de la pauvreté acceptée pour nous par le Christ. Car celui qui durant sa vie n'avait pas eu de maison est enfermé aussi après sa mort dans un tombeau étranger et sa nudité est recouverte par le linceul de Joseph d'Arimathie.

Selon S. Jérôme, il est déposé dans un « tombeau neuf », « pour éviter qu'après la résurrection, s'il y avait eu d'autres cadavres dans le tombeau, on crût que c'était l'un d'entre eux qui était ressuscité. Le tombeau neuf peut aussi symboliser le sein virginal de Marie ». &lmdash; Autre symbolisme : par la sépulture du Christ, nous sommes « renouvelés », la mort et la corruption étant détruites.

Le Christ a été enfermé dans un tombeau « taillé dans le roc », afin que, « s'il avait été construit en pierres, qu'on ne puisse pas dire, écrit S. Jérôme qu'on avait dérobé le Christ en enlevant les fondements du tombeau ». Aussi la « grande pierre », qui fut roulée devant le tombeau, « prouve-t-elle que le sépulcre n'aurait pu être ouvert sans l'aide de plusieurs hommes ». « Pareillement, si le Christ avait été enseveli en terre, on aurait pu prétendre : ils ont fouillé la terre et ils ont dérobé le corps », note S. Augustin. — À ce dernier détail du tombeau taillé dans le roc, S. Hilaire trouve un sens mystique : « Par la doctrine des Apôtres, le Christ est introduit dans le cœur dur des païens, entamé par la prédication, cœur non taillé et nouveau, jadis impénétrable à la crainte de Dieu. Et, parce que rien, sauf lui, ne doit plus pénétrer dans notre cœur, une pierre est roulée devant l'entrée. »

Comme l'observe aussi Origène, « ce n'est point par hasard qu'il est écrit que Joseph enveloppa le corps du Christ dans un linceul blanc, le déposa dans un sépulcre neuf et roula une grande pierre ; car tout ce qui touche au corps du Christ, est pur, nouveau et aussi très grand ».


3. Dans le sépulcre, le corps du Christ s'est-il décomposé ?

Objections

1. Il est vraisemblable que dans le sépulcre le corps du Christ a été réduit en poussière. Car c'est là, comme de mourir, une peine du péché du premier père. Il a été dit au premier homme après son péché : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Or le Christ a subi la mort pour nous délivrer d'elle. Son corps devait donc aussi être réduit en poussière, afin de nous délivrer de la décomposition.

2. Le corps du Christ était de même nature que le nôtre. Or, notre corps, aussitôt après la mort, commence à se décomposer et est soumis à la corruption ; car, tandis que se dissipe la chaleur naturelle, survient une chaleur étrangère qui produit la corruption. Il semble donc qu'il en fut de même pour le corps du Christ.

3. On l'a dit, le Christ a voulu être enseveli pour donner aux hommes l'espoir qu'ils ressusciteraient aussi du tombeau. Il a donc dû aussi être réduit en poussière, afin de donner à tous l'espoir qu'ils en ressusciteraient.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (Psaumes 16.10) : « Tu ne permettras pas à ton Saint de voir la corruption », ce que S. Jean Damascène entend de la corruption qui se produit par le retour aux éléments naturels.

Réponse

Il ne convenait pas au corps du Christ de se corrompre ou d'être réduit en poussière, de quelque manière que ce fût. La corruption d'un corps provient de la faiblesse de sa nature, qui ne peut plus le maintenir dans son unité. Or, nous l'avons dit, la mort du Christ ne devait pas être causée par la faiblesse de sa nature, car on aurait pu croire que cette mort n'était pas volontaire. Aussi a-t-il voulu mourir non pas de maladie, mais par la Passion à laquelle il s'était offert spontanément. Et c'est pourquoi le Christ, afin d'éviter que l'on attribue sa mort à la faiblesse de sa nature, n'a pas voulu que son corps se corrompe, ou soit réduit en ses éléments, de quelque manière que ce fût. Afin de montrer sa vertu divine, il a voulu au contraire que son corps demeure sans corruption. S. Jean Chrysostome remarque : « Pour les hommes, s'ils agissent avec vaillance durant leur vie, leurs actions leur sourient ; mais avec leur mort tout disparaît. Dans le Christ, ce fut tout l'opposé. Car, avant la croix, tout est triste et faible ; mais dès qu'il a été crucifié, tout devient éclatant. Reconnais que ce n'est pas un pur homme qui a été crucifié. »

Solutions

1. N'ayant pas été soumis au péché, le Christ n'était nullement tenu de mourir ni d'être réduit en poussière. Toutefois, c'est volontairement qu'il a subi la mort à cause de notre salut, pour les raisons que nous avons exposées. Mais, si son corps avait été soumis à la corruption ou réduit en cendres, cela aurait plutôt tourné au détriment de notre salut : n'aurait-on pas pensé qu'il n'y avait pas en lui de vertu divine ? C'est en son nom que parle le Psalmiste (Psaumes 30.10) en s'écriant : « Quelle utilité y a-t-il dans mon sang, si je descends dans la corruption ? » C'est comme s'il disait : « Si mon corps se corrompt, l'utilité du sang que j'ai versé sera perdue. »

2. Par sa nature passible, le corps du Christ était apte à se corrompre ; mais cette corruption, il ne la méritait pas ; car c'est par le péché qu'on la mérite. Toutefois, la vertu divine a préservé le corps du Christ de la corruption, de même qu'elle l'a ressuscité.

3. Si le Christ est ressuscité du sépulcre, c'est par la vertu divine, qui ne connaît aucune limite. Voilà pourquoi il suffisait qu'il ressuscitât du tombeau pour prouver aux hommes que, par la vertu divine, ils ressusciteraient, non seulement de leurs sépulcres, mais aussi de n'importe quelles cendres.


4. Combien de temps le Christ est-il resté dans le sépulcre ?

Objections

1. Le Christ a dit lui-même « Comme Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits » (Matthieu 12.40).

2. S. Grégoire écrit : « De même que Samson enleva les portes de Gaza au milieu de la nuit, c'est aussi au milieu de la nuit que le Christ enleva les portes de l'enfer et ressuscita. » Il n'est donc pas resté dans le sépulcre deux nuits entières.

3. Par la mort du Christ la lumière a triomphé des ténèbres. Or, la nuit appartient aux ténèbres, tandis que le jour appartient à la lumière. Il aurait donc mieux valu que le Christ demeurât dans le sépulcre deux jours et une nuit, plutôt que deux nuits et un jour.

En sens contraire, S. Augustin écrit : « Du soir de la sépulture à l'aube de la résurrection se sont écoulées trente six-heures, c’est-à-dire une journée complète entre deux nuits entières. »

Réponse

Le temps où le Christ a demeuré au tombeau symbolise les effets de sa mort. Or, nous l'avons dit, par la mort du Christ nous sommes libérés d'une double mort, la mort de l'âme et la mort du corps ; ces deux morts sont symbolisées par les deux nuits que le Christ a passées au tombeau. Quant à sa mort, elle ne venait pas du péché, mais elle avait été acceptée par amour ; elle ressemblait donc au jour et non à la nuit ; aussi est-elle symbolisée par le jour complet que le Christ a passé dans le sépulcre. Il convenait donc que le Christ demeurât dans le tombeau un jour et deux nuits.

Solutions

1. S. Augustin écrit : « Certains ignorent le mode de parler des Écritures ; ils ont voulu compter pour une nuit les trois heures durant lesquelles, de sexte à none, le soleil s'est obscurci ; et pour un jour, les trois autres heures durant lesquelles le soleil a été rendu à la terre, c'est-à-dire de none à son coucher. Vient ensuite la nuit du samedi ; si on la compte avec son jour, on obtient comme total deux nuits et deux jours. Au samedi succède la nuit du dimanche, jour où le Seigneur ressuscita. Mais, même ainsi, on n'obtient pas le compte des trois jours et des trois nuits. On ne peut le trouver que si, d'après la manière de parler des Écritures, on admet que le tout est compris dans la partie. “Il faut donc prendre une nuit et un jour pour un jour naturel. De cette façon, le premier jour comprend la fin du vendredi, où le Christ est mort et a été enseveli ; le deuxième jour est entier avec ses vingt-quatre heures de nuit et de jour ; quant à la nuit suivante, elle fait partie du troisième jour.” Les premiers jours du monde étaient comptés de la lumière à la nuit, à cause de la future chute de l'homme ; mais les trois jours du tombeau sont comptés des ténèbres à la lumière à cause de la restauration de l'homme. »

2. Comme l'observe S. Augustin, le Christ ressuscita au matin, alors que la lumière apparaît déjà, mais qu'il reste encore un peu des ténèbres de la nuit. Aussi S. Jean (Jean 20.1) écrit-il à propos des femmes : « Elles vinrent au tombeau tandis qu'il y avait encore des ténèbres. » À cause de ces ténèbres, S. Grégoire écrit que le Christ ressuscita en pleine nuit, non pas juste au milieu, mais au cours de la nuit ; car l'aube peut-être appelée une partie de la nuit ou une partie du jour, à cause de son union avec la nuit et avec le jour.

3. Dans la mort du Christ, la lumière (désignée par un seul jour) a prévalu pour autant qu'elle a écarté les ténèbres de deux nuits, c'est-à-dire de notre double mort, nous l'avons dit dans la réponse.

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