Somme théologique

Somme théologique — La tertia

73. LE SACREMENT D'EUCHARISTIE EN TANT QUE TEL

  1. L'eucharistie est-elle un sacrement ?
  2. Est-elle un seul sacrement ou plusieurs ?
  3. Est-elle nécessaire au salut ?
  4. Ses noms.
  5. Son institution.
  6. Ses figures.

1. L'eucharistie est-elle un sacrement ?

Objections

1. Il semble que non. Car deux sacrements ne doivent pas avoir la même fin, puisque tout sacrement est capable de produire son effet. Si la perfection est le but de la confirmation comme de l'eucharistie, selon Denys, il semble que l'eucharistie n'est pas un sacrement, puisque la confirmation en est déjà un, comme nous venons de le voir.

2. Dans tout sacrement de la loi nouvelle, l'objet visible proposé aux sens produit l'effet invisible du sacrement. Ainsi l'ablution d'eau produit, nous l'avons vue, et le caractère sacramentel et l'ablution spirituelle. Mais les espèces du pain et du vin, qui sont proposées aux sens dans ce sacrement, ne produisent ni le vrai corps du Christ en lui-même (qui est réalité et signe) ni le corps mystique (qui est réalité seulement) dans l'eucharistie d. Il semble donc que l'eucharistie n'est pas un sacrement de la loi nouvelle.

3. Les sacrements de la loi nouvelle qui ont une matière sont pleinement réalisés dans l'usage de cette matière : ainsi le baptême dans l'ablution, et la confirmation dans la consignation avec le chrême. Donc, si l'eucharistie était un sacrement, elle se réaliserait dans l'usage de la matière, et non dans sa consécration. Or cela est évidemment faux puisque la forme de ce sacrement consiste dans les paroles qu'on prononce en consacrant sa matière, comme on le verra plus loin. L'eucharistie n'est donc pas un sacrement.

En sens contraire, on dit dans une collecte « Votre sacrement que voici puisse-t-il ne pas nous rendre coupables de peine ».

Réponse

Les sacrements de l'Église ont pour fin de soutenir l'homme dans sa vie spirituelle ; or la vie spirituelle s'harmonise à la vie corporelle, du fait que les réalités corporelles portent la ressemblance des réalités spirituelles. Il est bien évident que la vie corporelle, si elle requiert la génération par quoi l'homme reçoit la vie, et la croissance par quoi l'homme est conduit à la perfection de sa vie, requiert aussi la nourriture par quoi l'homme est conservé en vie. Par conséquent, de même que la vie spirituelle a requis le baptême, qui est génération spirituelle, et la confirmation, qui est croissance spirituelle, de même elle a requis le sacrement d'eucharistie, qui est nourriture spirituelle.

Solutions

1. Il y a deux espèces de perfection. L'une est dans l'homme lui-même, il y est amené par la croissance, et telle est la perfection qui revient à la confirmation. L'autre est obtenue par l'homme du fait qu'on lui ajoute un élément extérieur qui le conserve, par exemple, de la nourriture, un vêtement, etc. Telle est la perfection qui revient à l'eucharistie, réfection spirituelle.

2. L'eau du baptême ne cause pas d'effet spirituel par elle-même, mais à cause de la vertu du Saint-Esprit qui se trouve en elle. Aussi S. Jean Chrysostome sur le texte de S. Jean (Jean 5.4) : « L'ange du Seigneur par moment... », fait-il ce commentaire : « Dans les baptisés ce n'est pas l'eau toute seule qui opère : mais celle-ci, lorsqu'elle a reçu la grâce du Saint-Esprit, efface tous les péchés ». La vertu du Saint-Esprit est dans le même rapport avec l'eau du baptême que le véritable corps du Christ avec les espèces du pain et du vin ; ainsi les espèces du pain et du vin ne produisent-elles aucun effet sinon par la vertu du véritable corps du Christ.

3. On appelle sacrement ce qui contient quelque chose de sacré. Et une chose peut être sacrée de deux façons : en elle-même, absolument, ou bien par relation à autre chose. Or il y a cette différences, entre l'eucharistie et les autres sacrements qui ont une matière sensible, que l'eucharistie contient quelque chose de sacré en elle-même, absolument, à savoir le Christ lui-même ; tandis que l'eau du baptême contient quelque chose de sacré par relation à autre chose, c'est-à-dire qu'elle contient une vertu capable de sanctifier l'âme ; et il en est de même pour le chrême et les éléments analogues. C'est pourquoi le sacrement de l'eucharistie est pleinement réalisé dans la consécration même de la matière, tandis que les autres sacrements ne sont pleinement réalisés que dans l'application de la matière à l'homme qu'il s'agit de sanctifier. De là résulte une autre différence : dans le sacrement de l'eucharistie, ce qui est réalité et signe réside dans la matière elle-même, mais ce qui est réalité seulement, c'est-à-dire la grâce conférée, réside en celui qui reçoit l'eucharistie. Dans le baptême, au contraire, l'un et l'autre résident dans le sujet du sacrement : le caractère, qui est réalité et signe, la grâce de la rémission des péchés, qui est réalité seulement. On retrouve la même structure dans les autres sacrements.


2. L'eucharistie est-elle un seul sacrement ou plusieurs ?

Objections

1. Il semble que l'eucharistie ne soit pas un seul sacrement mais plusieurs. Car on dit dans une collecte : « Qu'ils nous purifient, Seigneur, les sacrements que nous avons consommés », en référence à la réception de l'eucharistie. Celle-ci n'est donc pas un seul sacrement, mais plusieurs.

2. Il est impossible, lorsqu'on multiplie le genre, que l'espèce ne soit pas multipliée : qu'il n'y ait qu'un seul homme en plusieurs animaux. Mais on a vu, que le signe joue le rôle de genre dans le sacrement ; et puisqu'il y a dans l'eucharistie plusieurs signes, à savoir le pain et le vin, il apparaît par conséquent qu'il y a là plusieurs sacrements.

3. Ce sacrement, on vient de le voir, est pleinement réalisé dans la consécration de la matière ; mais ce sacrement comporte double consécration de matière ; c'est donc un sacrement double.

En sens contraire, l'Apôtre dit (1 Corinthiens 10.17) « Tous, si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu'un seul pain et un seul corps, nous qui prenons part à un seul pain et à une seule coupe. » Ce texte établit clairement que l'eucharistie est le sacrement de l'unité ecclésiale ; or le sacrement ressemble à la réalité dont il est le signe ; donc l'eucharistie est un sacrement unique.

Réponse

Selon Aristote, on attribue l'unité non seulement à ce qui possède une unité matérielle par indivision ou continuité, mais encore à ce qui possède une unité d'intégrité et de perfection ; ainsi dit-on « une » maison et « un » homme. Cette unité de perfection est celle d'un être qui rassemble intégralement tous les éléments requis à sa fin. Un homme est complet s'il rassemble tous les membres nécessaires à l'opération de l'âme. Une maison est complète si elle comporte toutes les parties nécessaires pour qu'on puisse y habiter. C'est en ce sens que ce sacrement est un, car il est ordonné à la réfection spirituelle, qui ressemble à la réfection corporelle. Or celle-ci réclame deux choses : la nourriture, qui est l'aliment sec, et la boisson, qui est l'aliment humide. De même, deux choses concourent à l'intégrité de ce sacrement : la nourriture spirituelle et la boisson spirituelle, selon la parole de Notre Seigneur en S. Jean (Jean 6.56) : « Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson. » Si ce sacrement comporte une pluralité du côté de la matière, il est donc un du côté de la forme et de la perfection.

Solutions

1. Dans la même collecte on parle d'abord au pluriel : « Qu'ils nous purifient, les sacrements que nous avons consommés », et on ajoute ensuite au singulier : « Votre sacrement, que voici, puisse-t-il ne pas nous rendre coupables de peine » pour montrer que si ce sacrement, à un certain point de vue, est multiple, il est pourtant un, en définitive.

2. Le pain et le vin, pris matériellement, constituent plusieurs signes, mais, pris formellement et du côté de la perfection finale, ils n'en font qu'un, en tant qu'ils aboutissent à accomplir une seule réfection.

3. De ce que ce sacrement comporte une double consécration de matière, tout ce qu'on peut déduire, c'est que, du côté de la matière, il est multiple, comme on l'a vu.


3. Ce sacrement est-il nécessaire au salut ?

Objections

1. Il apparaît que ce sacrement est nécessaire au salut. Car le Seigneur dit en S. Jean (Jean 6.54) : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. » Or c'est dans ce sacrement qu'on mange la chair du Christ et qu'on boit son sang. Sans ce sacrement l'homme ne peut donc avoir le salut de la vie spirituelle.

2. Ce sacrement est un aliment spirituel. Or l'aliment corporel est nécessaire au salut du corps. Donc ce sacrement est nécessaire lui aussi au salut spirituel.

3. Le baptême est le sacrement de la passion du Seigneur, sans laquelle il n'est pas de salut. Il en est de même de l'eucharistie, car l'Apôtre dit (1 Corinthiens 11.26) : « Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous proclamerez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. » Donc, si le baptême est nécessaire au salut, ce sacrement l'est aussi.

En sens contraire, S. Augustin a écrit : « Ne vous imaginez pas que les tout-petits ne peuvent avoir la vie, eux qui n'ont pas reçu le corps et le sang du Christ. »

Réponse

Dans ce sacrement il faut considérer deux choses : le sacrement lui-même et la réalité du sacrement. Or on vient de voir que la réalité de ce sacrement est l'unité du corps mystique, sans laquelle il ne peut y avoir de salut ; car personne ne peut accéder au salut hors de l'Église, de même que dans le déluge il n'y avait pas de salut hors de l'arche de Noé, qui figure l'Église, dit S. Pierre (1 Pierre 3.20). Or on a vu précédemment que la réalité d'un sacrement peut être obtenue avant la réception rituelle de ce sacrement, du fait même qu'on aspire à le recevoir. Par conséquent on peut obtenir le salut avant de recevoir ce sacrement du fait qu'on y aspire, de même qu'avant le baptême, si l'on aspire au baptême, comme nous l'avons dit.

Il y a cependant une différence et elle porte sur deux points. Premièrement, le baptême est le principe de la vie spirituelle et la porte des sacrements ; tandis que l'eucharistie est comme la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacrements, nous l'avons déjà dit. En effet, les sanctifications procurées par tous les sacrements préparent à recevoir ou à consacrer l'eucharistie. Par conséquent la réception du baptême est nécessaire à l'inauguration de la vie spirituelle, tandis que la réception de l'eucharistie est nécessaire à sa consommation, mais non à sa possession pure et simple : il suffit pour cela de la posséder dans l'aspiration qui nous y porte. C'est ainsi que la fin est possédée par le désir et l'intention. L'autre différence vient de ce que, par le baptême, on est ordonné à l'eucharistie. Par conséquent, du fait que les enfants sont baptisés, ils sont ordonnés par l'Église à l'eucharistie. Et, de même qu'ils croient par la foi de l'Église, par son intention ils désirent l'eucharistie et en reçoivent la réalité. Mais ils ne sont pas ordonnés au baptême par un sacrement antérieur, et c'est pourquoi, avant la réception du baptême, les enfants ne possèdent aucunement la réalité du baptême en y aspirant : cela est réservé aux adultes. Ils ne peuvent donc recevoir la réalité du sacrement sans recevoir extérieurement le sacrement. Par conséquent l'eucharistie n'est pas nécessaire au salut de la même façon que le baptême.

Solutions

1. En commentant la parole de S. Jean : « Cette nourriture et cette boisson » (de sa chair et de son sang), S. Augustin donne cette explication : « Notre Seigneur veut faire entendre par là la société de son corps et de ses membres, qui est l'Église dans les saints prédestinés, appelés et justifiés, et dans ses fidèles. » Aussi, comme il le dit dans sa lettre à Boniface (sur le texte de l'épître aux Corinthiens : « La coupe de bénédiction ») : « Personne ne doit aucunement hésiter à admettre que tout fidèle participe au corps et au sang du Seigneur quand, par le baptême, il devient membre du corps du Christ ; et on ne doit pas le juger étranger à la communion de ce pain et de cette coupe, même s'il quitte ce monde avant de manger ce pain et de boire cette coupe, lui qui est établi dans l'unité du corps du Christ. »

2. Il y a cette différence, entre l'aliment corporel et l'aliment spirituel, que l'aliment corporel est transformé en la substance de celui qui s'en nourrit. Par conséquent l'aliment corporel ne peut servir à la conservation de la vie s'il n'est pas réellement consommé. Mais l'aliment spirituel transforme en lui-même celui qui le mange, selon S. Augustin qui attribue au Christ cette parole : « Tu ne me changes pas en toi, comme tu fais pour la nourriture de ta chair, mais c'est toi qui seras changé en moi. » Quelqu'un peut donc être assimilé au Christ et lui être incorporé par une aspiration purement intérieure même sans recevoir ce sacrement. Le cas de l'aliment corporel n'est donc pas comparable.

3. Le baptême est le sacrement de la mort et de la passion du Christ en tant que l'homme est régénéré dans le Christ en vertu de sa passion. Tandis que l'eucharistie est le sacrement de la passion du Christ en tant que l'homme est rendu parfait par son union au Christ dans la passion. Par suite, comme le baptême est appelé sacrement de la foi, laquelle est le fondement de la vie spirituelle, l'eucharistie est appelée sacrement de la charité, laquelle est le lien de la perfection selon l'épître aux Colossiens (Colossiens 3.14).


4. Convient-il que ce sacrement soit désigné par plusieurs noms ?

Objections

1. Il paraît illogique que ce sacrement soit désigné par plusieurs noms, car les noms doivent correspondre aux réalités qu'ils désignent. Ce sacrement est un, nous l'avons vu ; il ne doit donc pas être désigné par plusieurs noms.

2. Il n'est pas à propos de faire connaître l'espèce par ce qui est commun à tout le genre. Mais l'eucharistie est un sacrement de la loi nouvelle. Or il est commun à tous ces sacrements que la grâce soit conférée par eux, ce que signifie le nom d'« eucharistie », synonyme de « bonne grâce ». En outre, tous les sacrements nous apportent un remède dans le voyage de la vie présente: telle est la signification du nom de « viatique ». Puis, dans tous les sacrements s'accomplit quelque chose de sacré, ce que signifie le nom de « sacrifice » ; et tous les sacrements établissent une communication des fidèles entre eux, ce que signifie le nom grec de « synaxe », ou le nom latin de « communion ». Par conséquent tous ces noms ne sont pas logiquement appropriés à ce sacrement.

3. Hostie est synonyme de sacrifice. Puisque le nom de sacrifice ne peut lui convenir en propre, de même le nom d'« hostie ».

En sens contraire, il y a l'usage des fidèles.

Réponse

Ce sacrement a une triple signification : la première à l'égard du passé, en tant qu'il commémore la passion du Seigneur, qui fut un véritable sacrifice, nous l'avons vu ; et à ce point de vue il est appelé un sacrifice.

Il a une deuxième signification à l'égard de la réalité présente, qui est l'unité ecclésiale à laquelle les hommes s'agrègent par ce sacrement ; et à ce titre on l'appelle communion ou synaxe ; en effet, selon S. Jean Damascène, « on le nomme ainsi parce que c'est lui qui nous unit au Christ, nous fait participer à sa chair et à sa divinité, et c'est lui qui nous relie, nous met en communication les uns avec les autres ».

Ce sacrement a une troisième signification à l'égard de l'avenir, en tant qu'il préfigure la jouissance de Dieu dans la patrie. À ce titre, il est appelé viatique parce qu'il nous donne ici-bas la voie pour y parvenir ; à ce titre encore il est appelé eucharistie, c'est-à-dire bonne grâce, parce que « la grâce de Dieu c'est la vie éternelle », selon l'épître aux Romains (Romains 6.23) ; ou encore parce qu'il contient réellement le Christ, qui possède la grâce en plénitude. On l'appelle encore en grec métalepsis, c'est-à-dire assomption, parce que, selon S. Jean Damascène, « par lui nous assumons la divinité du Fils ».

Solutions

1. Rien n'empêche que le même être porte plusieurs noms, selon des propriétés ou des effets divers.

2. Ce qui est commun à tous les sacrements est attribué à celui-ci par antonomase, à cause de son excellence.

3. Ce sacrement est appelé sacrifice en tant qu'il représente la passion même du Christ, et il est appelé hostie en tant qu'il contient le Christ lui-même, qui est une victime salutaire selon l'épître aux Éphésiens (Éphésiens 5.2).


5. Ce sacrement a-t-il été judicieusement institué ?

Objections

1. Il semble que non, car, selon le Philosophe, « nous sommes nourris des mêmes éléments qui nous font exister. » Or. par le baptême, qui est une régénération spirituelle, nous avons reçu l'existence spirituelle, selon Denys. Nous sommes donc nourris par le baptême également, et il n'était pas nécessaire d'instituer ce sacrement comme une nutrition spirituelle.

2. Par ce sacrement les hommes sont unis au Christ comme les membres à la tête. Mais le Christ est tête de tous les hommes, même de ceux qui ont existé depuis l'origine du monde, nous l'avons vu. Il ne fallait donc pas différer l'institution de ce sacrement jusqu'à la Cène du Seigneur.

3. Ce sacrement est appelé le mémorial de la passion du Seigneur, comme il est dit en S. Luc (Luc 22.19) : « Faites cela en mémoire de moi. » Mais la mémoire regarde les événements passés. Ce sacrement n'aurait donc pas dû être institué avant la passion du Christ.

4. C'est par le baptême que nous sommes ordonnés à l'eucharistie, laquelle ne doit être donnée qu'aux baptisés. Mais le baptême, comme on le voit au dernier chapitre de S. Matthieu (Matthieu 19), fut institué après la passion et la résurrection du Christ. On ne peut donc pas justifier que ce sacrement ait été institué avant la passion.

En sens contraire, ce sacrement a été institué par le Christ dont il est dit en S. Marc (Marc 7.17) « Il a bien fait toutes choses. »

Réponse

Il est très logique que ce sacrement ait été institué à la Cène, où le Christ eut son dernier entretien avec ses disciples.

1° En raison du contenu de ce sacrement. C'est le Christ lui-même qui est contenu sacramentellement dans l'eucharistie. C'est pourquoi, au moment où le Christ, sous son aspect naturel, allait quitter ses disciples, il se légua à eux sous son aspect sacramentel, de même qu'en l'absence de l'empereur on offre son image à la vénération de ses sujets. Ce qui fait dire à Eusèbe : « Puisque, relativement au corps assumé par l'incarnation, il devait être ôté de leurs yeux et emporté au ciel, il était nécessaire qu'au jour de la Cène le Christ consacrât pour nous le sacrement de son corps et de son sang, afin qu'on honore continuellement par mode de mystère ce qui était offert une seule fois en rançon. »

2° Parce que, sans la foi à la passion du Christ, le salut a toujours été impossible, selon l'épître aux Romains (Romains 3.25) : « Celui que Dieu a présenté comme propitiateur par la foi en son sang... » Il fallait donc qu'il y eût en tout temps chez les hommes quelque chose qui représentât la passion du Seigneur dont, sous l'Ancien Testament, la principale figure sacramentelle était l'agneau pascal, ce qui fait dire à S. Paul (1 Corinthiens 5.7) : « Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé. » Cette figure a été remplacée dans le Nouveau Testament par le sacrement d'eucharistie, qui commémore la passion passée comme l'agneau pascal avait préfiguré la passion future. C'est pourquoi il a été logique qu'à l'approche de la passion, le premier sacrement ayant été célébré, un nouveau sacrement fût institué. D'où la parole de S. Léon : « Pour que les ombres disparaissent devant le corps, l'antique observance est éliminée par le nouveau sacrement ; l'hostie disparaît devant l'hostie ; le sang est enlevé par le sang, et la fête légale, en étant changée, est accomplie. »

3° Parce que les paroles suprêmes, particulièrement lorsqu'elles sont prononcées par des amis qui s’en vont, s’imposent davantage à la mémoire, surtout parce qu'alors nous portons à nos amis une affection plus ardente. En effet, ce qui nous touche davantage s'imprime plus profondément dans le cœur. Et donc, parce que, selon la parole du pape S. Alexandre, « il ne peut y avoir de sacrifice plus grand que celui du corps et du sang du Christ et aucune oblation n'est supérieure », afin que ce sacrement fût tenu en plus grande vénération, le Seigneur l'institua au moment de quitter ses disciples. C'est ce que dit S. Augustin : « Le Sauveur, pour mettre plus fortement en valeur la profondeur de ce mystère, voulut l'imprimer le dernier dans les cœurs et dans la mémoire de ses disciples, qu'il allait quitter pour subir sa passion. »

Solutions

1. Nous sommes nourris par les mêmes éléments qui nous font exister, mais ils ne nous sont pas fournis de la même façon. Car les éléments qui nous font exister nous sont fournis par la génération. Les mêmes éléments, en tant qu'ils nous alimentent, nous sont fournis par la manducation. Ainsi, comme nous sommes régénérés dans le Christ par le baptême, de même nous mangeons le Christ par l'eucharistie.

2. L'eucharistie est le sacrement parfait de la passion du Seigneur, en tant qu'elle contient le Christ dans sa passion. Elle n'a donc pu être instituée avant l'incarnation. Mais alors sa place était tenue par ces sacrements qui se bornaient à préfigurer la Passion.

3. Ce sacrement fut institué à la Cène pour être dans l'avenir le mémorial de la passion du Seigneur, une fois que celle-ci serait accomplie. C'est pourquoi il dit expressément : « Toutes les fois que vous ferez cela » en parlant de l'avenir.

4. L'institution répond à l'ordre d'intention. Or le sacrement d'eucharistie, quoiqu'il soit postérieur au baptême dans sa réception, est cependant premier en intention. Il devait donc être institué le premier. Ou bien on peut répondre que le baptême était déjà, d'une certaine façon, institué dans le baptême du Christ, si bien que quelques-uns avaient déjà été baptisés du baptême du Christ, comme on le lit en S. Jean (Jean 3.22).


6. L'agneau pascal fut-il la principale figure de ce sacrement ?

Objections

1. Il semble que non. Car le Christ est appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Psaumes 110.4), et cela parce que Melchisédech a préfiguré le sacrifice du Christ en offrant du pain et du vin (Genèse 14.18). Or, si l'on transfère le nom d'un être à un autre, c'est pour exprimer la ressemblance qui existe entre eux. Il semble donc que l'oblation de Melchisédech fut la meilleure figure de ce sacrement.

2. Le passage de la mer Rouge fut une préfiguration du baptême (1 Corinthiens 10.2) : « Tous furent baptisés dans la nuée et dans la mer. » Mais l'immolation de l'agneau pascal a précédé le passage de la mer Rouge ; la manne, au contraire, l'a suivi, comme l'eucharistie suit le baptême. La manne est donc une figure plus éloquente de ce sacrement.

3. La plus puissante vertu de ce sacrement, c'est qu'il nous introduit dans le royaume des cieux, comme un viatique. Mais ce qui a le mieux préfiguré cette vertu, c'est le sacrement de l'Expiation, lorsque le grand prêtre entrait une fois par an, avec le sang, dans le saint des saints, comme le prouve S. Paul dans l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.7). Il semble donc que ce sacrifice préfigura l'eucharistie de façon plus expressive que l'agneau pascal.

En sens contraire, S. Paul écrit (1 Corinthiens 5.5) « Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé ; festoyons donc avec les azymes de la sincérité et de la vérité. »

Réponse

Dans ce sacrement, nous pouvons considérer trois choses: ce qui est sacrement seul, et c'est le pain et le vin ; ce qui est réalité et sacrement, et c'est le véritable corps du Christ ; et ce qui est réalité seule : c'est l'effet de ce sacrement.

Or, en ce qui concerne le sacrement seul, la plus claire figure en fut l'oblation de ce sacrement par Melchisédech, qui offrit du pain et du vin. Mais pour ce qui est du Christ en sa passion, qui est contenu dans ce sacrement, tous les sacrifices de l'Ancien Testament l'ont préfiguré, et principalement le sacrifice de l'Expiation, qui était le plus solennel. Enfin, quant à l'effet, sa principale figure fut la manne qui, dit la Sagesse (Sagesse 16.20), « avait en soi la douceur de tous les goûts », de même que la grâce de ce sacrement restaure l'âme selon tous ses besoins.

Mais l'agneau pascal préfigurait le sacrement d'eucharistie selon ces trois aspects : quant au premier, parce qu'on le mangeait avec des pains azymes selon le précepte de l'Exode (Exode 12.8) : « Ils mangeront les chairs et les pains azymes. » Selon le second, parce qu'il était immolé le quatorzième jour du mois par toute l'assemblée des enfants d'Israël, et c'était là une figure de la passion du Christ, qui est appelé agneau à cause de son innocence. Enfin, quant à l'effet c'est par le sang de l'agneau que les enfants d'Israël furent protégés contre l'ange exterminateur et délivrés de la servitude d’Égypte. C'est pourquoi l'agneau pascal est donné comme la principale figure de ce sacrement, puisqu'il le représente sous tous ses aspects.

Solutions

Et cela donne la réponse aux Objections.


Il faut ensuite étudier la matière de ce sacrement. 1° Ce qui détermine cette matière (Q. 74). 2° La conversion du pain et du vin au corps du Christ (Q. 75). 3° Le mode selon lequel le corps du Christ existe dans ce sacrement (Q. 76). 4° Les accidents du pain et du vin qui subsistent dans ce sacrement (Q. 77).

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