Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE II

CHAPITRE XIV
VIOLENCES COMMISES PAR GEORGE ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE

ATHANASE s'étant échappé de la sorte d'entre mains cruelles de ceux qui le cherchaient, la garde de son troupeau fut confiée à George qui était un véritable loup, et qui déchira les brebis avec une plus horrible cruauté que ni un loup, ni un ours, ni un léopard n'auraient pu faire. Il contraignit des filles qui avaient consacré à Dieu leur virginité, non seulement de renoncer à la communion d'Athanase, mais encore de condamner la foi de leurs Pères. Il avait pour compagnon, et pour ministre de si cruauté Sébastien Commandant des troupes, qui ayant fait allumer un grand feu au milieu de la Ville, y présentait des filles toutes nues et les pressait de renoncer à leur foi. Bien qu'elles servissent d'un spectacle fort triste, et fort déplorable aux yeux tant des fidèles, que des infidèles, elles trouvaient de l'honneur dans ces affronts, et recevaient avec joie les coups qu'on leur donnait en haine de leur Religion. Leur Pasteur racontera mieux que moi leurs tourments, et leur confiance, voici ses paroles.

« George étant ensuite arrivé au temps du carême, de Cappadoce d'où ils l'avaient envoyé, il enchérit sur les violences qu'ils avaient commises. Après la semaine de Pâque on vit de saintes Vierges mises en prison, de vénérables Prélats liés, et trainés par les soldats, les maisons des veuves, et des orphelins pillées, et les Chrétiens transportés pendant l'obscurité de la nuit, hors du lieu de leur demeure. On mit le scellé sur les portes de plusieurs maisons, et les frères des Ecclésiastiques furent inquiétés à leur sujet. Ces violences furent très fâcheuses. Mais celles qui furent commises depuis, le furent encore davantage. Le peuple ayant gardé le jeûne dans la semaine d'après la Fête de la Pentecôte, s'assembla au cimetière pour y faire sa prière, à cause qu'il évitait la communion de George. Ce scélérat en ayant eu avis anima contre cette sainte assemblée, le Duc Sébastien de la Secte des Manichéens, qui fondit dessus à main armée un jour de Dimanche. N'ayant trouvé qu'un petit nombre de Chrétiens qui n'avaient pas encore achevé leur prière, les autres s'étant retirés à cause que la nuit approchait, il se porta à tous les excès que l'on pouvait attendre du ministre de la fureur de ceux qui l'avaient envoyé. Il commanda d'allumer un grand bûcher, et en ayant fait approcher ces saintes Vierges, dont je ce viens de parler, il voulut les contraindre à faire profession de l'erreur d'Arius. Quand il vit que leur constance était inébranlable, il les fit dépouiller, et battre avec une si horrible violence, qu'on ne les pouvait plus reconnaître. Il se saisit après cela de quarante hommes, qu'il tourmenta d'un genre de supplice tout extraordinaire, et tout nouveau. Il leur fit déchirer le dos avec des branches de Palmier dont les pointes entrèrent si avant dans les chairs de quelques-uns, qu'ils demeurèrent fort longtemps entre les mains des Chirurgiens, et que d'autres qui ne purent supporter l'effet des remèdes, en moururent. Il transporta à Oasis ceux qui avaient été guéris et les saintes Vierges qui étaient demeurées fermes dans la foi. Ils refusèrent d'abord aux parents de ceux qui étaient morts par la violence des tourments, la permission de donner la sépulture à leurs corps. Ils les jetèrent, ou les cachèrent, à dessein de faire croire qu'ils n'avaient aucune connaissance de la cruauté qu'ils avaient exercée. Mais ils se trompèrent dans cette folle espérance. Car les parents des morts qui avaient d'un côté de la joie de la générosité de leur confession, et de l'autre du dépit du refus qu'on leur avait fait de leurs corps, pour leur rendre le devoir de la sépulture, ne manquèrent pas de publier une cruauté si inouïe. Ces impies exilèrent d'Égypte et des deux Libyes, Ammonius, Muïus, Caius, Philon, Hermès, Pline, Psinosiris, Nilammon, Agapius, Anagamse, Marc, Draconce, Adelphe, un autre Ammonius, un autre Marc, Athonodore Évêques, et Hierax, et Dioscore Prêtres, et les traitèrent avec une si étrange inhumanité que quelques uns moururent en chemin, et quelques autres au lieu de leur exil. Enfin il y eut plus de trente Évêques auxquels ils procurèrent une mort violente. Car ils n'avaient point d'autre dessein non plus qu'Acab, que d'ôter la vérité du monde, s'il leur eût été possible.

Le même Athanase a encore écrit ce qui suit dans une Épitre qu'il adressa à ces saintes filles, qui avaient souffert un si cruel traitement.

« Qu'aucune de vous ne s'afflige de ce que les impies vous privent de l'honneur de la sépulture. L'impiété des Ariens s'est portée jusques à ces excès, que d'assiéger les portes, et s'asseoir comme des Démons sur les tombeaux, pour empêcher que l'on n'y mette des corps. »

George commit alors ces violences dans Alexandrie, et d'autres semblables.

Le grand Athanase ne voyait point de lieu où il pût trouver aucune sûreté pour lui, parce que l'Empereur avait promis une fort grande récompense à celui qui le lui amènerait vif, ou qui lui apporterait sa tête.

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