Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE IV

CHAPITRE XXVI
PETIT DIALOGUE DE L'EMPEREUR VALENS ET D'APRATÈS

Le Palais de la ville d'Antioche est arrosé par le fleuve Oronte, du côté de Septentrion du côté de Midi, il y aune grande galerie à deux étages, qui touche aux murailles de la ville, et qui est défendue de deux tours. Entre le Palais, et le fleuve il y a une grande rue, par où l'on sort de la ville. L'Empereur ayant aperçu du haut de la galerie, Aphratès qui passait fort vite par cette rue, couvert d'un méchant manteau, et qui allait au champ où s'exercent les soldats, à dessein d'y prendre soin des nécessités spirituelles du peuple fidèle, qui y était assemblé, et quelqu'un lui ayant dit que cet Aphratès gouvernait toute la ville, il lui demanda où il allait.

Je vais, lui répondit-il, prier Dieu pour la prospérité de votre Empire.

Vous feriez mieux, lui repartit l'Empereur, de demeurer dans votre Cellule, et d'y prier selon la règle des Solitaires.

J'avoue, lui dit le saint homme, que ce que vous dites est véritable, et tandis que le troupeau du Sauveur a été en sûreté, j'en ai toujours usé de la sorte ; mais maintenant qu'il est en danger d'être attaqué par les bêtes farouches, je dois employer toute sorte de moyens pour le conserver. Si une fille qui garde la maison de son père, la voyait en feu, que devrait-elle faire ? Devrait-elle attendre sur son siège, que le feu la vînt confirmer ? Ne devrait-elle pas courir de tous côtés, aller quérir de l'eau, et éteindre l'embrasement ? Je ne doute point que vous ne demeuriez d'accord qu'elle devrait faire ce que je dis, parce que c'est en effet ce que la prudence demanderait d'elle en cette occasion. Je fais présentement quelque chose de semblable : je cours pour éteindre le feu, que vous avez mis à la maison de mon père.

L'Empereur ne répondit rien, mais un de ses Valets de chambre, ayant menacé le saint Solitaire, il fut châtié sur le champ de son insolence.

Étant entré dans le lieu du bain, à dessein de le préparer pour l'Empereur, il perdit le jugement, se jeta dans l'eau chaude, et y mourut. L'Empereur attendait qu'il le vînt avertir quand le bain serait prêt, et parce qu'il n'y venait point, il envoya voir d'où procédait ce retardement. Ceux qu'il y envoya le trouvèrent mort, et admirèrent la puissance des prières d'Aphratès mais ils ne renoncèrent pas pour cela à leurs erreurs. Au contraire bien que l'Empereur eût appris ce miracle, il ne laissa pas d'endurcir son cœur comme Pharaon, et de faire la guerre à la piété, avec une plus grande fureur que jamais.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant