Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE V

CHAPITRE XXXIV
PERSÉCUTION EXCITÉE CONTRE JEAN ÉVÊQUE DE CONSTANTINOPLE

L'Envie ne pouvant supporter l'éclat de ses vertus, usa de ses artifices ordinaires pour priver non seulement la ville Impériale, mais tout le monde, des fruits de son éloquence, et de sa doctrine. J'avoue qu'il ne m'est pas aisé de représenter fidèlement l'état où je me trouve en cet endroit de mon histoire. Car lorsque j'entreprends d'écrire les injustices que ce grand homme a souffertes, je suis en quelque sorte retenu par le respect des autres vertus de ceux qui ont commis ces injustices, et c'est ce qui m'obligera à passer leurs noms sous silence, autant qu'il me sera possible de le faire. Étant tellement aveuglés de la haine, qu'ils avaient contre lui, qu'ils ne pouvaient plus rien voir de ses excellentes qualités, ils cherchèrent des accusateurs. Mais parce que les accusations n'avaient rien de probable, ils tinrent un Concile hors de la ville, et le condamnèrent. L'Empereur ajoutant foi aux discours des Évêques, qu'il n'avait garde de prendre pour des imposteurs, l'envoya en exil. Ainsi Jean sans avoir été convaincu d'aucun crime, sans avoir eu le moyen de se justifier, et sans avoir même appris les chefs de l'accusation qu'on formait contre lui, fut contraint de partir de Constantinople, et d'aller à Hiero, qui est un lieu où l'on met les vaisseaux à l'embouchure du Pont. La terre ayant été ébranlée la nuit suivante par un furieux tremblement, et l'Impératrice ayant été saisie d'une grande crainte, on envoya sans cesse diverses personnes pour rappeler Jean, jusques à ce que le Bosphore fût tout rempli de ceux qui allaient le supplier de retourner à Constantinople, et de la garantir par sa présence, du péril dont elle était menacée. L'embouchure de la Propontide fut couverte en un moment de vaisseaux, et tout le peuple alla au devant de lui avec des flambeaux, et ainsi la faction de ses ennemis fut dissipée. Quelques mois après ils s'assemblèrent une seconde fois, et oubliant tous les crimes dont ils l'avaient chargé la première fois, ils ne l'accusèrent que d'avoir exercé les fonctions Épiscopales depuis qu'il avait été déposé. Il répondit qu'il n'avait point été déposé dans les formes, que jamais on ne lui avait proposé aucun chefs d'accusation, que jamais on ne l'avait interrogé, qu'on ne l'avait point condamné en sa présence ; mais que l'Empereur l'avait chassé de la ville, et l'avait ensuite rappelé. Les ennemis de Jean ayant assemblé un second Concile, ne prirent pas seulement la peine de prononcer une seconde condamnation, ils persuadèrent à l'Empereur que la première était très-juste, et firent exiler ce célèbre Évêque à Cucuse bourg désert d'Arménie, et ensuite à Pityonte, ville assise aux extrémités de Pont, et habitée par les plus sauvages de tous les peuples. Mais Dieu ne permit pas qu'il allât jusque-là, et il lui fit trouver à Comanes dans le chemin, une vie exempte de lassitude, et de douleur. Le corps fut déposé proche de celui de saint Basilisque Martyr, selon ce que ce saint Martyr l'avait ordonné. Je crois ne devoir parler ni des Évêques, qui furent chassés de leur Siège à son occasion, et exilés aux extrémités de l'Empire, ni des Solitaires qui souffrirent de cruelles persécutions, parce qu'il faut dissimuler ce qui est odieux, et cacher les défauts de nos frères. La plus grande partie de ses ennemis furent punis comme ils méritaient, et l'exemple de leur châtiment fut utile aux autres. Les Évêques d'Europe témoignèrent une si grande indignation de cette injustice, qu'ils se séparent de la communion de ceux qui l'avaient commise. L'Illyrie suivit leur sentiment. La plupart des villes d'Orient se préservèrent du crime de cette violente persécution, sans se séparer extérieurement de ceux qui l'avaient exercée. Les Évêques d'Occident n'admirent point à leur communion ceux d'Égypte, d'Orient, de Bosphore, et de Thrace, jusques à ce qu'ils eussent fait mention du nom de ce grand Docteur de l'Univers, avec les noms des autres saints Évêques. Ils ne reconnurent point Arsace, qui fut ordonné en sa place. Mais ils reconnurent Attique, successeur d'Arsace, après qu'il leur eut envoyé demander plusieurs fois leur communion, et qu'il eut rétabli le nom de Jean dans les Diptyques.

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