Apologétique

Chapitre XLV

A nous seuls donc, oui, à nous seuls l’innocence ! Qu’y a-t-il là qui doive vous surprendre ? L’innocence est pour nous une nécessité, une impérieuse nécessité. Nous la connaissons parfaitement, l’ayant apprise de Dieu même qui en est un maître parfait : nous la gardons fidèlement, ordonnée qu’elle est par un juge qu’on ne saurait mépriser. Vous, ce sont des hommes qui vous l’ont enseignée ; ce sont des hommes qui vous l’ont ordonnée. De là vient que vous ne pouvez ni la connaître comme nous, ni appréhender comme nous de la perdre. Eh ! peut-on compter sur les lumières de l’homme pour connaître la vertu véritable, sur son autorité pour la faire pratiquer ? Lumières qui égarent ! autorité que l’on méprise !

D’ailleurs quel est le code le plus sage, de celui qui dit : Vous ne tuerez point ; ou de celui qui étouffe la colère ? Lequel est le plus parfait, ou de condamner l’adultère, ou de ne pas permettre la simple concupiscence des yeux ? Lequel creuse avec plus de sagacité et plus profondément dans le cœur humain, de celui qui interdit l’action mauvaise, ou de celui qui interdit la parole malveillante ; de celui qui défend le mal, ou de celui qui défend les représailles ? Et remarquez-le bien, ce que vos lois renferment de bon, elles l’ont emprunté à une loi plus ancienne, à la loi divine ! Je vous ai parlé plus haut de l’antiquité de Moïse.

Mais, encore une fois, ô impuissance des lois humaines ! presque toujours le coupable leur échappe, soit que le crime s’enveloppe d’impénétrables ténèbres, soit que la passion ou la nécessité les brave. Si elles atteignent, comment punissent-elles ? par un supplice nécessairement court, puisqu’il meurt avec la vie. Telle est la raison par laquelle Epicure se riait de la torture et de la douleur. Légères, disait-il, elles sont aisées à supporter ; violentes, elles ne durent pas. Il n’en va pas ainsi des Chrétiens. Vivant sous l’œil scrutateur auquel rien n’échappe, avant toujours à la pensée les flammes éternelles qu’il faut éviter, nous avons raison de dire que nous seuls allons au-devant de la vertu ; et parce que nous la connaissons parfaitement, et parce qu’il n’y a ni ombre, ni ténèbres pour notre juge, et parce qu’un avenir, non pas limité à quelques années, mais un avenir éternel, nous environne de ses terreurs. Nous craignons l’Etre souverain que doit craindre celui qui juge des hommes tremblant devant lui ; nous craignons Dieu, et non le proconsul.

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