Contre Marcion

LIVRE I

Chapitre II

Brisant son navire contre le double écueil du Bosphore, le pilote du Pont imagine deux dieux, un Dieu qu’il n’a pu nier, c’est-à-dire le Dieu créateur, le Dieu des chrétiens, et un autre dont il ne démontrera jamais l’existence, le dieu de Marcion. Déplorable invention de l’orgueil ! L’Evangile parle d’un arbre bon et d’un arbre mauvais : « Un arbre bon, est-il dit, ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais en produire de bons. » L’oracle divin applique aux hommes et non à des dieux opposés, cette comparaison qui signifie simplement que d’une âme fidèle, et d’une foi pure, ne peuvent sortir des œuvres mauvaises, pas plus que des œuvres bonnes d’une foi ou d’une âme dépravée. Que fait Marcion ? impuissant comme la plupart des hommes, et surtout comme les sectaires, à résoudre ce problème : D’où vient le mal ? les yeux affaiblis par les efforts même d’une curiosité orgueilleuse, et arrêté dès le premier pas devant cette parole du Créateur : « Je suis celui qui envoie les maux ; » le voilà qui se confirme dans ses fatales croyances, se laisse persuader par des arguments qui ne manquent jamais de persuader les arides les plus perverses, et applique audacieusement au Dieu créateur cette comparaison évangélique d’un arbre produisant de mauvais fruits, c’est-à-dire le mal. Mais quel autre dieu répondra à l’autre terme de la similitude ? Il imagine je ne sais quelle autre substance, d’une bonté sans mélange, opposée aux dispositions du créateur, divinité nouvelle et étrangère, qui s’est révélée récemment dans son christ. C’est ainsi qu’il corrompt la masse de la foi par le mauvais levain de l’hérésie. Un nommé Cerdon, père de ce scandale, le revêtit de sa première forme. Les aveugles ! ils s’imaginèrent qu’il leur était plus facile d’entrevoir deux divinités, eux qui n’avaient pu en contempler une seule dans sa plénitude ! on sait qu’un flambeau unique se peint double à des yeux malades. Ainsi, l’un de ces dieux que le sectaire était contraint d’avouer, il l’anéantit en lui attribuant tout le mal. A l’autre qu’il élève péniblement sur un vain échafaudage, il confie le gouvernement du bien. Sur quel ressort a-t-il établi ces deux natures rivales ? Notre réfutation l’apprendra.

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