Contre Marcion

LIVRE I

Chapitre IX

Je vous le demanderai d’abord, vous qui proclamez un Dieu du Créateur, en reconnaissant que du côté de la manifestation la priorité lui est acquise, comment se fait-il que vous ne pesiez pas les prétentions nouvelles, au poids et à la balance où vous fut démontrée la divinité d’un autre ? Tout antécédent fournil ; sa règle au conséquent. Voilà deux dieux en présence : un dieu inconnu, un dieu déjà connu. Quant à ce dernier, l’enquête est inutile, son existence est depuis longtemps établie. Serait-il connu, s’il n’existait pas ? La dispute se concentre donc sur l’inconnu. Il peut ne pas exister. S’il existait, il serait connu. Ce que l’ignorance cherche à pénétrer, demeure incertain aussi longtemps qu’elle doute. Aussi longtemps que demeure incertain ce qu’elle cherche, l’objet de ses investigations peut ne pas exister. Vous avez donc un dieu certain puisqu’il est connu, un dieu équivoque puisqu’il est inconnu. Dans cet état de cause, la justice veut que les êtres incertains et douteux, appelés par-là même à prouver leur existence, la prouvent d’après les principes, la forme et les règles que l’on applique aux êtres dont l’existence est certaine. Jetez au milieu de ces obscurités des raisonnements sans consistance, qu’arrivera-t-il ? On s’enlace dans des discussions inextricables ; l’incertitude des preuves se communique à la foi que l’on essaie d’établir ; puis viennent « ces questions interminables, que l’apôtre n’aime pas. »

Fort bien ! me dira-t-on. Des règles certaines, indubitables, absolues, l’emportent dans l’esprit des sages sur des opinions flottantes, douteuses et pleines d’obscurités. Mais l’essence fondamentale étant différente, vous ne pouvez exiger que l’incertitude fasse ses preuves à la manière de la certitude.

Erreur grossière ! admettre deux divinités, c’est donner à l’une et à l’autre l’essence divine. Ce qu’est un dieu, tous deux le sont également, sans principe, sans commencement, éternels. Voilà quelle est leur essence fondamentale.

Que nous importe que Marcion ait imaginé dans ses dieux des attributs qui se combattent ? C’est là un point de moindre conséquence. Il y a plus. Je n’aurai pas besoin de le réfuter, si nous sommes d’accord sur l’essence fondamentale. Or, qu’ils soient dieux l’un et l’autre, le fait demeure établi. Eh bien ! une fois que l’essence fondamentale est accordée, si on demande à des êtres incertains une preuve non équivoque, il faudra leur appliquer la règle des êtres certains, avec lesquels ils partagent l’essence fondamentale, afin qu’ils soient en communauté de preuves aussi bien que d’essence. Appuyé sur ce principe, j’établirai victorieusement que celui-là n’est pas dieu qui est encore incertain aujourd’hui, puisqu’un Dieu certain n’existe dans la conscience publique, qu’autant qu’il n’a jamais été ni incertain, ni inconnu.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant