Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre III

Puisque nous voici arrivés à la discussion du Dieu connu, si l’on demande à quel titre il l’est, il faudra débuter nécessairement par les œuvres antérieures à l’homme, afin que la bonté de ce Dieu, révélée aussitôt que lui-même, et reposant depuis lors sur une base indestructible, nous fournisse un moyen d’apprécier l’ordre et la sagesse des œuvres suivantes.

Disciples de Marcion, une fois instruits de la bonté de notre Dieu, vous pourrez la reconnaître digne de la divinité aux mêmes conditions qui tout à l’heure vous démontraient que cette vertu manquait de sagesse dans votre idole. D’abord ce vaste univers, par lequel il s’est révélé, notre Dieu loin de l’avoir mendié à autrui l’a tiré de son propre fonds, l’a créé pour lui-même. La première manifestation de sa bonté fut donc de ne pas permettre que le Dieu véritable restât éternellement sans témoin, qu’est-ce à dire ? d’appeler à la vie des intelligences capables de le connaître, Y a-t-il, en effet, un bien comparable à la connaissance et à la possession de la divinité ? Quoique ce bien sublime fût encore sans appréciateur, faute d’éléments auxquels il se manifestât, la prescience de Dieu contemplait dans l’avenir ce bien qui devait naître, et le confia à son infinie bonté, qui devait disposer l’apparition de ce bien, qui n’eut rien de précipité, rien qui ressemblât à une bonté fortuite, rien qui tînt d’une rivalité jalouse, et qu’il faut dater du jour où elle commença d’agir. C’est elle qui a fait le commencement des choses ; elle existait donc avant le premier moment où elle se mit à l’œuvre. De ce commencement qu’elle fit, naquit le temps dont les astres et les corps lumineux nous marquent la distinction, l’enchaînement et les révolutions diverses. « Ils vous serviront de signe, a-t-elle dit, pour supputer le temps, les mois, les années. » Ainsi point de temps avant le temps pour celle qui a fait le temps. Point de commencement avant le commencement pour celle qui a créé un commencement.

Ainsi, n’ayant pas commencé et n’étant pas soumise à la mesure du temps, on ne peut voir en elle qu’une durée immense et infinie, on ne peut la regarder comme soudaine, accidentelle, provoquée à agir ; elle n’a rien qui puisse lui donner quelque ressemblance avec le temps, elle est éternelle, sortie du sein de Dieu, et par conséquent regardée comme sans fin, et par là même digne de Dieu, couvrant de honte la prétendue bonté du dieu de Marcion qui est bien au-dessous d’elle, non-seulement sous le rapport du commencement et de la durée, intérieure même en malice, si toutefois la malice peut se mêler à l’idée de bonté.

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