Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre IV

Ainsi lorsque, du fond de son éternité, la bonté divine eut destiné l’homme à connaître Dieu, elle mérita sa reconnaissance par un autre point. Avant de l’arracher au néant, elle lui prépara pour domicile passager la masse imposante de l’univers, et dans l’avenir un séjour plus magnifique encore, afin que la sagesse éternelle se jouât dans les petites choses comme dans les grandes, se révélât de toutes parts, et que la créature passât des merveilles de la terre aux ineffables merveilles de l’éternité. Dieu couronne une œuvre bonne, par son Verbe, ministre excellent.

« Mon cœur, dit-il, a produit une parole excellente. » Que Marcion reconnaisse déjà l’excellence du fruit à l’excellence de l’arbre. Cultivateur inhabile, c’est toi qui sur l’arbre du bien entas une greffe mauvaise. Mais la greffe du blasphème ne prévaudra point, elle séchera avec la main qui l’a faite : et attestera ainsi la nature d’un arbre bon.

Voyez rapidement à quel point cette parole a fructifié. « Dieu dit : Que cela soit, et cela fut, et Dieu vit que cela était bon. » Non qu’il ait besoin d’y arrêter ses yeux pour en apercevoir la bonté. Mais, son œuvre étant bonne, il la voit telle qu’elle est, il l’honore d’un regard de complaisance, il souscrit à sa perfection, il y contemple les traits de sa sagesse. Ainsi appelle-t-il bon ce qu’il a créé bon, pour te montrer que Dieu tout entier est bonté, soit qu’il parle, soit qu’il agisse. La parole ne savait pas maudire encore, parce que le mal n’était pas né. Nous verrons quelles causes contraignirent le Créateur à maudire. En attendant, quels que soient les rêves des sectaires, le monde était composé d’éléments bons, authentique témoignage de l’immensité du bien qui attendait l’homme pour qui seul avaient été créés ces prodiges. En effet, quel hôte plus digne d’habiter les œuvres de Dieu que « l’image et la ressemblance de Dieu, » à laquelle la bonté souveraine apporta plus de soin qu’à tout le reste, qu’elle façonna, non point avec l’accent impérieux d’un maître, mais d’une main amie, et commençant par cette douce parole : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » Tu l’entends ! c’est la bonté qui a parlé : c’est la bonté qui, pétrissant, l’homme d’un vil limon, a élevé la poussière jusqu’à cette chair pleine de merveilles et a doté une matière unique de tant de facultés. C’est la bonté qui a inspiré à l’homme une âme vivante et non pas inanimée. C’est la bonté qui a dit à ce roi de la création : « Jouis de tous les êtres ; commande-leur en souverain ; impose-leur des noms. » Après le nécessaire vint l’agrément. Voulant que le possesseur de l’univers résidât dans un séjour plus agréable, elle le transporta dans un jardin de délices, antique symbole de l’Église. Il lui manquait encore un bien au milieu de tant de biens. La même bonté donna une compagne au maître de la terre : « Il n’est pas bon que l’homme demeure seul. » Elle savait que ce sexe serait celui de Marie, et serait un grand bien pour l’Église.

Cette loi même que tu blâmes, que tu tortures en injurieuses controverses, c’est encore la bonté qui l’a imposée à l’homme, pour enchaîner l’homme à son Dieu par son propre intérêt. Livré à lui-même et affranchi du joug divin, qu’eût-il semblé ? un objet de dégoût pour son maître, un autre animal jeté pêle-mêle parmi ces animaux stupides qui devaient lui obéir, et que Dieu n’abandonne à leurs libres penchants que pour attester le mépris où il les fient. Au lieu de cela l’éternelle Sagesse a voulu que l’homme seul pût se glorifier d’avoir été jugé digne de tenir sa loi de Dieu, et que, créature raisonnable, élevée à l’intelligence et au discernement, il fût contenu par une liberté raisonnable, soumis au monarque qui lui avait soumis la nature.

Les bienveillantes prévisions de la bonté ne s’arrêtèrent point là. « Le jour où vous mangerez de ce fruit, dit-elle à nos premiers parents, vous mourrez de mort. » Dernier acte de miséricorde qui leur signalait les funestes conséquences de la transgression, de peur que l’ignorance du péril ne favorisât l’infraction du précepte. Si la promulgation de la loi était marquée au coin de la sagesse, la même sagesse demandait que, pour faire respecter la loi, un châtiment fût assigné à la prévarication. Mais ne l’oublions pas ! annoncer d’avance le châtiment, c’était ne pas le vouloir. Reconnais donc la bonté de notre Dieu. Elle se manifeste de toutes parts, dans les œuvres, dans le langage, dans les miséricordes, dans les prévisions, dans les préceptes, dans les avertissements.

Abordons les difficultés.

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