Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre VII

Par là tout s’explique. Tout est sauvé du côté de Dieu, c’est-à-dire l’économie de sa sagesse, les richesses de sa prescience et de son pouvoir. Cependant tu es en droit d’exiger de Dieu une grande constance, et une inviolable fidélité à ses institutions, afin que ce principe étant bien établi, tu cesses de nous demander si les événements peuvent maîtriser la volonté divine. Une fois convaincu de la constance et de la fidélité d’un dieu bon, constance, fidélité qu’il s’agit d’appuyer sur des œuvres empreintes de sagesse, tu ne t’étonneras plus que Dieu, pour conserver dans leur immutabilité les plans qu’il avait arrêtés, n’ait pas contrarié des événements qu’il ne voulait pas. En effet, si originairement il avait remis à l’homme, la liberté de se gouverner par lui-même, et s’il a été, digne de la majesté suprême d’investir la créature de cette noble indépendance, point que nous avons démontré, conséquemment il lui avait remis aussi le pouvoir d’en user. La force de l’institution le veut ainsi. Mais quelle jouissance lui laissait-il ? Une jouissance qui par rapport à Dieu, devait être réglée d’après Dieu lui-même, qu’est-ce à dire ? selon Dieu et pour le bien. Je le demande, remet-on des armes contre soi-même ? Par rapport à l’homme, elle était abandonnée aux mouvements de sa liberté elle-même. Quand on accorde une faculté, s’avise-t-on d’en contraindre ou d’en limiter l’exercice ?

Il était donc conséquent que Dieu n’intervînt plus dans la liberté qu’il avait une fois départie à l’homme, c’est-à-dire qu’il renfermât en lui-même la prescience et la toute-puissance par lesquelles il aurait pu empêcher que l’homme, essayant de faire un mauvais usage de sa liberté, ne tombât dans le mal. Intervenir dans celle circonstances c’était anéantir le libre arbitre qu’il lui avait confié avec tant de bonté et de sagesse. Supposons qu’il soit intervenu. Supposons qu’il eût étouffé le libre arbitre, en arrêtant la main prêle à toucher l’arbre fatal, en éloignant l’insidieux serpent de la présence de la femme, n’est-ce pas alors que Marcion se fût écrié : « O maître inconséquent avec lui-même ! caractère mobile, infidèle à son œuvre, brisant ce qu’il avait fait ! A quoi bon permettre le libre arbitre pour l’enchaîner ensuite ? A quoi bon l’enchaîner après l’avoir permis ? Intervention violente, ou institution maladroite, il n’a ici que le choix du blâme. Dès qu’il met des entraves à l’usage de la liberté, n’est-ce pas alors qu’il paraît s’être trompé, impuissant, qu’il était à prévenir l’avenir ? Qu’il ait départi cette faveur sans savoir quelle en serait l’issue, on ne peut manquer de le confesser. En vain sa prescience lui montrait l’homme abusant un jour de ses dons, quelle chose convenait mieux à la dignité suprême qu’une immuable fidélité à ses institutions, n’importe l’événement ? A l’homme de voir dans ce cas s’il n’avait pas follement dépensé le trésor qu’il avait reçu ! Lui seul eût désobéi à une loi qu’il n’aurait pas voulu suivre. Mais il n’appartenait point au législateur de frustrer lui-même sa loi en ne permettant pas l’accomplissement du précepte. »

Voilà quel langage tu tiendrais avec raison contre le Créateur, si en vertu de sa providence et du pouvoir que tu réclames de lui, il s’était opposé au libre arbitre de l’homme. Eh bien ! puisque le Créateur s’est conformé à des institutions empreintes de bonté et de sagesse dans leur origine, hâte-toi de rendre intérieurement hommage à sa gravité, à sa patience, à sa fidélité.

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