Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre XIV

Suis le Créateur dans l’ensemble de ses opérations. Partout c’est le même Dieu « qui frappe, mais qui guérit ; qui tue, mais qui vivifie ; qui abaisse, mais qui élève ; qui crée le mal, mais qui crée également le bien. » Car il ne faut pas laisser sans réponse l’objection des hérétiques.

— « Voilà, s’écrient-ils, qu’il le déclare lui-même : C’est moi qui crée le mal. »

— Abusant d’un terme commun qui confond dans son ambiguïté les deux espèces de maux, et s’applique au péché non moins qu’au châtiment, nos adversaires attribuent ce double mal au Créateur pour le répudier ensuite comme auteur de la prévarication. Pour nous, nous distinguons ici. Séparant, comme il convient, le mal de la contravention d’avec le mal du supplice, le mal de la faute d’avec le mal du châtiment, nous renvoyons à chacun des auteurs ce qui le regarde, au démon la prévarication et la faute, au Dieu créateur le supplice et le châtiment. D’une part œuvre de malignité, de l’autre œuvre de justice. Enfin, des jugements et des rigueurs après la révolte et la transgression, voilà de quels maux le Créateur a entendu parler ; mais ce sont des maux inhérents aux attributions du juge.

Il est bien vrai que ses sentences deviennent des maux terribles pour ceux qu’elles atteignent : mais, considérées en elles-mêmes, elles sont des biens, parce qu’elles sont l’expression de la justice, la protection de l’innocence, la sanction de la loi, la répression du crime, et sous ce point de vue, elles sont dignes de Dieu.

Prouve donc qu’elles sont injustes, afin de prouver qu’il faut les imputer à malice, c’est-à-dire les regarder comme des maux de l’injustice. Car dès-lors qu’il y a justice, elles deviennent des biens véritables. Ces maux prétendus ne demeurent tels que pour ceux qui condamnent sans examen et abusent du langage. Viens donc affirmer que c’est injustement que l’homme, contempteur volontaire de la loi divine, a reçu le triste salaire que le Seigneur voulut lui épargner ; injustement que les iniquités des générations précédentes ont disparu sous les eaux, ou les flammes vengeresses ; injustement que l’Égypte, ici honteux repaire de la superstition, et là despote impitoyable du peuple qu’elle avait recueilli, fut frappée par les dix plaies. « Il endurcit le cœur de Pharaon. » – Mais l’impie qui avait nié Dieu, qui s’était tant de fois orgueilleusement révolté contre ses ambassadeurs, qui écrasait le juif par de nouvelles, charges, ne méritait – il pas que sa mort servît d’exemple ? Que dire encore ? Il y avait longtemps que l’Egyptien, à genoux devant l’ibis et le crocodile, qu’il préférait au Dieu vivant, était coupable envers le Très-Haut du crime de l’idolâtrie. Le Seigneur n’épargna pas plus sa nation, mais sa nation ingrate. Il déchaîna deux ours contre des enfants ; mais les enfants avaient insulté son prophète.

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