Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre XXIII

– Veux-tu l’accuser d’inconstance, à l’égard des personnes, parce qu’il réprouve ceux qu’il avait élus, et d’imprévoyance parce qu’il élit ceux qu’il doit réprouver un jour, comme s’il condamnait ses jugements passés, ou qu’il ignorât ses jugements à venir ? – Rien de plus conforme à la bonté et à la justice que de rejeter ou d’élire d’après les mérites actuels. Saul est élu ; mais Saul n’a point encore méprisé le prophète Samuel. Salomon est rejeté ; mais Salomon, esclave des femmes étrangères, Salomon prostitué aux idoles de Moab et de Sidon. Que devra donc faire le Créateur pour échapper au blâme des Marcionites ? Condamner d’avance les prévarications futures dans le serviteur encore fidèle ? mais il répugne à la bonté divine de déshériter qui n’a pas encore mérité la haine. Epargner le pécheur à cause de sa justice passée ? mais il ne répugne pas moins à l’éternelle justice de remettre le crime quand les mérites précédents sont anéantis. Où est donc l’impeccabilité ici-bas pour que Dieu maintienne constamment tel ou tel dans sa faveur sans pouvoir jamais la lui retirer ? ou quel homme est assez dépourvu de bonnes œuvres pour que Dieu le répudie à tout jamais sans pouvoir un jour l’admettre au nombre de ses enfants ? Change la nature de l’homme. Alors, pour une bonté indéfectible, jamais de répudiation ; pour une perversité constante, jamais d’élection. Au reste, si dans l’une ou dans l’autre voie, le serviteur est récompensé ou puni selon les temps, par un Dieu à la fois bon et juste, ce même Dieu ne change donc point d’avis, par légèreté ou par imprévoyance. Loin de là ! Une censure équitable et providentielle dispense à chaque période ses mérites particuliers.

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