Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre II

Ma première attaque, la voici : L’apparition de ton messie a-t-elle dû être si soudaine ? D’abord, il était fils de Dieu ; il était donc dans l’ordre que le père annonçât le fils avant que le fils annonçât le père ; que le père rendît témoignage au fils avant que le fils rendit témoignage au père. En second lieu, à sa divine filiation, il joignait le litre d’ambassadeur. Ici encore l’autorité qui envoyait devait couvrir de son patronage celui qu’elle déléguait pour lui rendre hommage ici-bas, parce que nul représentant d’une autorité étrangère ne s’accrédite par ses déclarations personnelles. Loin de là ! L’ambassadeur attend que son maître le devance et le protège par sa déclaration même. D’ailleurs, quel moyen de reconnaître pour fils celui que son père n’a jamais avoué, ou de se fier à un mandataire dont l’auteur du mandat n’a jamais prononcé le nom ? Le père se fût-il abstenu de le nommer, ou l’auteur du mandat de le désigner, s’il eut existé réellement ? Tout ce qui s’affranchit, des règles communes éveille le soupçon. L’ordre et l’enchaînement des idées ne me permettent pas de reconnaître le père après le fils, l’auteur du mandat après le mandataire, le Dieu après le Christ. Rien, dans la reconnaissance, ne doit précéder l’origine, parce que rien ne la précède dans les dispositions. Fils improvisé ! ambassadeur improvisé ! christ improvisé ! Mais la Providence ne procède pas avec cette brusque précipitation. Elle prépare les éléments de longue main. Si ton christ a été préordonné d’avance, pourquoi n’a-t-il pas été annoncé, afin qu’il pût être prouvé par la prédication qu’il avait été préordonné, et par la préordination, qu’il était divin ? Assurément, une œuvre si merveilleuse, élaborée dans les conseils éternels, n’aurait pas dû surgir à l’improviste, puisqu’elle était destinée à sauver le monde par la foi. Plus elle devait s’enraciner dans la créance humaine, pour devenir profitable, plus elle exigeait, pour atteindre ce but, une suite de préparatifs appuyés sur les fondements de l’économie divine et de la prophétie. Dans cette progression tout s’explique. La foi se forme ; Dieu a droit de l’imposer à l’homme ; l’homme en doit l’hommage à Dieu. Nous croyons, par l’accomplissement des faits, ce que nous avons appris à croire par la voix de la prophétie.

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