Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre V

Toutefois, ce ne sont là que les préludes du combat, des traits lancés de loin en quelque façon. Avant de serrer l’ennemi corps à corps dans une lutte véritable, il me semble à propos de l’enfermer d’avance dans quelques lignes où il faudra combattre. Ces lignes sont les Ecritures qui viennent du Créateur. Comme elles vont m’aider à prouver que le Christ est l’envoyé du Très-Haut, attendu qu’il a accompli tout ce qu’elles portent, il est nécessaire de fixer les idées sur la forme, j’allais dire, sur la nature de ces livres. Faute de cette précaution, comme ils pourraient être mis en cause eux-mêmes au moment où nous invoquerions leur autorité, la double apologie des livres et des principes fatiguerait l’attention du lecteur. Que nos adversaires le sachent bien ! Le langage prophétique a deux caractères qui lui sont particuliers. Par le premier, les événements de l’avenir sont racontés comme s’ils avaient eu déjà leur consommation. Méthode pleine de sagesse ! La divinité tient pour accomplis les décrets qu’elle a rendus, parce qu’elle ne connaît point la succession des âges et que son éternité règle uniformément le cours des temps. La divination prophétique, à son exemple, confond l’avenir avec le passé. Ce qu’elle découvre dans ces lointaines et mystérieuses ténèbres, elle le raconte ainsi qu’un fait déjà loin d’elle, afin de démontrer complètement l’avenir. Ecoutons Isaïe ! « J’ai abandonné mon corps aux bourreaux qui le déchirent, mes joues aux mains qui les meurtrissent ; je n’ai point détourné mon visage de l’ignominie des crachats. » Que le Christ parlât ainsi de lui-même en nous appliquant ces paroles, ou bien que le prophète se plaignît en son propre nom des violences de ses frères, toujours est-il qu’un fait encore à venir est donné pour accompli.

Le second caractère des livres saints tient à des énigmes, allégories, on paraboles qui cachent sous le sens naturel un sens figuré. » Les montagnes distilleront la douceur. » Vous attendez-vous à recueillir sur les pierres des vins parfumés, ou les fruits de nos tables sur des rochers arides ? « . Le lait et le miel couleront en abondance sur la terre. » La glèbe va-t-elle se convertir en mets succulents et en gâteaux de Samos ? « Je ferai couler des fleuves dans la plaine altérée ; je planterai dans la solitude le cèdre et le buis. » Verrai-je dans Dieu un laboureur réel conduisant les eaux sur le champ qu’il cultive ? Ainsi, quand il annonce la conversion des Gentils : « Les bêtes sauvages, les sirènes et les enfants des passereaux me béniront, » applique-t-il ces heureux présages aux petits des hirondelles, aux jeunes renards, ou à ces monstres fabuleux renommés pour leurs chants ? Mais pourquoi insister davantage ? N’avons-nous pas pour nous les aveux de l’apôtre qu’a usurpés l’hérésie ? Cette recommandation bienveillante : « Tu délieras la Louche du bœuf dans l’aire où il foule tes moissons, » nous concernait nous-mêmes, dit Paul. Selon lui, la pierre mystérieuse qui accompagnait les Juifs, pour étancher leur soif, était la personne de Jésus-Christ. Les deux fils d’Abraham, écrit-il aux Galates, sont une allégorie destinée à notre instruction ; enfin, il apprend aux Ephésiens à reconnaître la mystique alliance de Jésus-Christ et de l’Église dans ces paroles adressées au premier homme : « Et il abandonnera son père et sa mère ; ils seront deux dans une même chair. »

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