Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre XI

Tous ces vains prestiges d’une substance impalpable, pourquoi Marcion les rassemble-t-il autour du Christ ? Pourquoi ? Afin d’enlever à la certitude de sa naissance le témoignage de sa vie. Afin qu’à travers ces ombres mensongères il ne puisse être reconnu pour l’envoyé du Créateur qui nous était annoncé comme destiné à naître et conséquemment à prendre un corps de chair. Nouvelle extravagance de l’habitant du Pont ! Un Dieu sous une chair véritable, quoique n’ayant pas pris naissance, n’est-il pas plus facile à admettre qu’un Dieu homme sous une chair illusoire, surtout quand les anges du Créateur, conversant jadis avec les mortels sous une chair véritable, mais formée hors des voies communes, préludaient à ce mystère ? Philumène le sentit bien ! Elle sut persuader à Apelle et aux autres transfuges de Marcion, que le Christ s’était montré, selon la foi commune, dans la réalité de la chair, mais que ce corps, étranger à toute naissance, avait été emprunté aux éléments. Tu craignais, Marcion, que de la réalité de la chair, on ne conclût la réalité de la naissance ; on supposait donc né celui qu’on croyait un homme ? « Heureux le sein qui vous a porté, s’écria une femme de la foule ; bienheureuses les mamelles qui vous ont allaité ! » Et ailleurs : « Voilà votre mère et vos frères hors de la porte, qui vous cherchent. » Ces témoignages reviendront en leur lien. Assurément quand il se proclamait fils de l’homme, il déclarait bien qu’il était vraiment né. Quoique notre dessein soit de renvoyer ces détails à l’examen de l’Evangile, j’ajouterai cependant que, si, comme je viens de l’établir, de son apparence humaine on devait invinciblement arguer sa naissance, c’est vainement qu’il a cru réaliser son incarnation par la supercherie d’une chair, pleine d’impostures. Quel avantage trouvait-il à l’illusion d’une naissance et d’un corps qui passaient pour réels ?

— « Eh ! qu’importe l’opinion humaine, réponds-tu ? »

— Mais alors tu fais honneur à ton dieu de la fourberie, s’il se connaissait bien différent de l’idée que les hommes avaient de lui. Pour échapper à cet embarras, que ne lui as-tu aussi forgé une naissance imaginaire ? N’avais-tu pas l’autorité de quelques femmes maladives, qui travaillées par le sang ou ayant quelque tumeur, s’imaginent qu’elles sont enceintes ? Ton Dieu aurait dû nous promener sur ce théâtre de fantôme en fantôme, et adapter tant bien que mal à qui avait joué le rôle d’une chair illusoire une naissance de même genre ! Tu as reculé devant le mensonge de sa naissance : donc tu lui as donné une chair véritable.

— Mais une naissance réelle dégrade la majesté divine.

— Courage ! Elève-toi contre les saintes et vénérables opérations de la nature ! Immole à tes invectives tout ce que tu es ! Entraîne dans la fange l’origine de l’âme et du corps ! Appelle cloaque les flancs maternels, où s’élabore l’homme, cet animal sublime ; attaque l’enfantement et ses supplices impurs et cruels, et cette enveloppe immonde de sang, et ce combat douloureux de l’entrée de l’homme dans le monde. Quand tu auras décrié toutes ces circonstances pour me prouver qu’elles sont indignes d’un Dieu, tu n’auras rien fait. Sa naissance ne sera pas plus honteuse que sa mort, son enfance que sa croix, son châtiment que sa nature, et sa condamnation que sa chair. Ton christ a-t-il enduré véritablement ces outrages ? Crois-moi ; il y avait moins d’avilissement à naître. N’a-t-il souffert qu’en apparence ? Fantôme sur le Calvaire, il a pu n’être qu’un fantôme à son berceau.

Nous avons renversé, il nous semble, les grands arguments à l’aide desquels Marcion introduit un autre christ. Son échafaudage croule de toutes parts devant la simple démonstration que la vérité était bien plus honorable pour la divinité que ces apparences mensongères sous lesquelles il a fait apparaître son christ. S’il y a eu vérité, il y a eu chair véritable. S’il y a eu chair véritable, il y a eu naissance réelle. En effet les principes que l’hérésie cherche à ébranler se consolident par la destruction de ses moyens d’attaque. Conséquemment, si le Christ a un corps véritable par cela même qu’il est né, s’il est né par cela même qu’il a un corps véritable, il cesse d’être un fantôme. Saluons donc le Messie dont les prophètes annonçaient l’incarnation et la naissance, c’est-à-dire le Christ du Créateur !

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