Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre V

En deux mots, s’il est certain que le plus vrai est le plus ancien, le plus ancien ce qui date du commencement, le commencement ce qui part des apôtres, il sera également certain qu’il n’y a de transmis par les apôtres que ce qui a été tenu pour saint et vénérable dans les Églises fondées par les apôtres. Examinons donc de quel lait Paul nourrit les Corinthiens ; sur quelle règle il réforme les Galates ; quelles maximes lisent les Philippiens, les Thessaloniciens, les Ephésiens ; quelle est sur des points semblables, la foi des Romains auxquels Pierre et Paul ont légué un Evangile scellé de leur sang. Nous avons encore les Églises filles de Jean. Marcion a beau récuser son Apocalypse, la succession des évêques de l’Asie, remontée une à une, ne nous conduit pas moins à Jean leur fondateur. La noblesse des autres Églises se reconnaît aux mêmes titres. J’affirme donc que parmi ces Églises, non pas seulement d’origine apostolique, mais parmi toutes celles qui sont restées dans la communauté d’une même foi, l’Evangile de Luc s’est maintenu dès l’origine de sa publication, tel que les Chrétiens le possèdent aujourd’hui. Quant, à l’évangile de Marcion, il était inconnu de la plupart ; ou s’il était connu, c’était pour être condamné. Il a aussi ses églises, mais les siennes postérieures, et par conséquent adultères. Si vous remontez à leur origine, vous les trouverez plutôt sorties d’un apostat que de l’apostolat. Elles ne remontent pas au-delà de Marcion, ou de quelqu’échappé de son école. Les Marcionites édifient des Églises, comme les guêpes bâtissent des ruches. Les Églises apostoliques couvriront aussi de leur patronage les Evangiles de Jean et de Matthieu que nous avons par elles et en conformité avec elles, quoique l’on attribue à Pierre l’Evangile publié sous le nom de Marc, son interprète, de même qu’à Paul le récit de Luc. Il est assez naturel d’imputer aux maîtres les écrits des disciples. Je demanderai donc à Marcion, pourquoi, laissant de côté les autres Evangiles, il s’est attaché de préférence à celui de Luc, comme si dès l’origine ceux-là n’avaient pas été aussi connus que celui-ci. Je me trompe. Ils étaient connus auparavant, puisqu’étant d’origine apostolique, ils vinrent les premiers, et furent consacrés avec les Églises elles-mêmes. D’ailleurs, si les apôtres n’ont rien publié, comment s’imaginer que les disciples aient publié quelque chose ? Y a-t-il des disciples sans maîtres qui les enseignent ? Le fait est donc établi : ces Evangiles étaient entre les mains des Églises. Pourquoi, encore un coup, Marcion n’en dit-il pas un mot, pour les réformer s’ils ont subi des falsifications, pour les reconnaître, s’ils sont authentiques ?

Car si des hommes corrompaient alors l’Evangile, il convenait surtout à Marcion et aux siens de rétablir les Ecritures dont ils savaient l’autorité mieux accueillie ! Ainsi les faux apôtres eussent procédé pour l’erreur, comme les apôtres pour la vérité. Autant il est vrai que Marcion aurait corrigé ce qui devait être corrigé, s’il y avait eu altération, autant il confirme que ce qu’il n’a pas cru devoir corriger n’était pas altéré. En un mot, il a réformé ce qu’il a estimé corrompu ; mais à tort, puisque la falsification n’existait pas. En effet, s’il est vrai que les écrits apostoliques nous soient parvenus dans leur intégrité, ef. que l’Evangile de Luc, maintenant entre nos mains, soit si bien d’accord avec eux, qu’il subsiste avec eux dans les Églises, il faut en conclure que l’Evangile de Luc nous est arrivé intact, jusqu’au sacrilège de Marcion. C’est le jour où Marcion lui fit violence, qu’il se trouva différent de l’œuvre apostolique, et son rival. Je donnerais donc ce conseil à ses disciples : Ou changez les autres Evangiles, quoiqu’un peu tard, à son exemple, afin de rétablir une apparente conformité avec ceux qui nous viennent des apôtres (car tous les jours vous le faites, comme nous vous le reprochons tous les jours) ; ou rougissez d’un maître convaincu sur tous les points, tantôt d’altérer frauduleusement la vérité, tantôt de la renverser avec impudeur »

Nous usons de ce moyen abrégé quand nous défendons contre les hérétiques la vérité de l’Evangile ; nous faisons valoir et l’ordre des temps, qui prescrit contre la postériorité des faussaires, et l’autorité des Églises que protège la tradition des apôtres, parce que, de toute nécessité, la vérité précède l’imposture, et découle de qui l’a transmise.

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