Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre VIII

Le Christ du Créateur devait s’appeler Nazaréen, selon la prophétie, De là vient que les Juifs désignent les Chrétiens par le nom de Nazaréens. Nous le sommes en effet. C’est de nous qu’il a été dit, ; « Les Nazaréens ont été rendus plus blancs que la neige. » quoique, autrefois, ils fussent couverts des souillures de la prévarication et enveloppés des ténèbres de l’ignorance. Nazaréen ! ce surnom convenait à mon Christ à cause du refuge que son enfance alla chercher dans Nazareth, lorsqu’il y descendit pour échapper à Archélaûs, fils d’Hérode. Je n’ai point omis cette circonstance, parce que le christ de Marcion aurait dû s’interdire tout commerce avec les lieux familiers à l’envoyé du Créateur. N’avait-il pas à sa disposition je ne sais combien de villes de Judée, que le prophète n’avait pas assignées pour résidence au mien ? Il faut bien que je reconnaisse le Christ des prophètes partout où je le trouve conforme à la prophétie.

Et cependant l’évangéliste ne dit point qu’il eût prêché même à Nazareth aucune doctrine nouvelle, lorsque la multitude le chasse à propos d’un proverbe. En voyant les mains jetées sur sa personne, je reconnais la réalité de sa substance corporelle, et non un vain fantôme, dans celui qui se laissa violemment toucher, arrêter, lier et traîner jusqu’au précipice par les méchants. Il a beau s’échapper, en passant au milieu d’eux ; toujours est-il qu’il a essuyé leurs affronts avant de s’y dérober, soit que la sédition tombât d’elle-même, comme il arrive souvent, soit qu’il passât à travers les impies, sans les jouer, toutefois, par l’apparence d’une ombre que la main n’aurait pu saisir. « Pour toucher et pour être touché, dit à bon droit la sagesse humaine, il faut nécessairement un corps. »

Abrégeons. Le Christ lui-même ne tarda point à toucher des malades, et à leur conférer par l’imposition de ses mains dont l’impression se faisait sentir, une guérison aussi réelle, aussi peu imaginaire que les mains, instruments de la bénédiction. Voilà donc bien le Christ d’Isaïe, le médecin de nos blessures. « Il se charge de nos infirmités et porte nos douleurs, » dit-il. Porter, chez les Grecs, équivaut à enlever. Contentons-nous pour le moment de cette promesse générale. Toutes les fois que Jésus guérit les infirmités humaines, c’est le mien. Plus tard nous arriverons aux différentes espèces de guérison. Délivrer les hommes des démons qui les possèdent, c’est détruire une maladie. Aussi les esprits mauvais, comme nous l’observons dans l’exemple précédent, s’échappaient-ils des corps qu’ils obsédaient en vociférant : « Tu es le Fils de Dieu ! » De quel dieu ? Les faits le proclament assez.

— « Mais le Christ les menaçait et leur imposait silence aussitôt. »

— Il est vrai, parce que c’était des hommes et non des esprits impurs qu’il voulait se faire reconnaître pour le Fils de Dieu. Mon Christ seul avait le droit de procéder ainsi. Il avait suscité, avant son apparition, des prophètes pour se faire reconnaître, et par là plus dignes de lui. Répudier les louanges d’un esprit immonde convenait à qui disposait d’une multitude de saints. Mais si le faux messie aspirait à se faire reconnaître, (pourquoi descendre sur la terre, s’il n’y aspirait pas ?) jamais il n’eût dédaigné le témoignage d’aucune créature, même étrangère, parce qu’il n’avait à lui rien en propre, réduit à descendre dans un domaine d’emprunt. Il y a mieux, puisqu’il venait anéantir le Créateur, sa plus ardente ambition eût été d’arracher aux esprits de son rival, l’aveu de ce qu’il était, ou même de se manifester par la terreur, si ce n’est que Marcion ne veut pas que l’on craigne son Dieu, parce qu’il est exclusivement bon, réservant la terreur pour le juge dans les mains duquel sont les éléments de la crainte, colère, sévérité, jugement, vengeance, condamnation. Les démons toutefois ne fuyaient que par frayeur. Ils reconnaissaient donc le Christ pour le Fils du Dieu redoutable. Sans l’arme de la crainte, jamais ils ne se fussent retirés. Ton dieu, en les intimidant par ses ordres et ses menaces, au lieu de les réduire par la persuasion, preuve de la bonté, se donnait donc pour formidable.

— Veux-tu qu’il les reprît parce qu’ils lui témoignaient une frayeur dont il ne voulait pas ?

— Mais alors pourquoi exigeait-il qu’ils se retirassent, chose qu’il ne pouvait obtenir sans les effrayer ? Il a donc été contraint de mentir à sa nature, puisqu’avec l’indulgence dont tu lui fais honneur, il pouvait leur pardonner au moins une fois. Autre prévarication à lui reprocher. Les démons tremblent devant lui comme s’il était le Fils du Créateur, et il l’endure ! Il ne chasse donc plus les démons par sa propre présence, mais par l’autorité du Créateur.

Il s’enfonce dans la solitude. Le désert est comme la résidence habituelle du Créateur. Il fallait que le Verbe se montrât en substance là où il était apparu autrefois enveloppé de nuages. Le lieu qui avait plu à la loi convenait à l’Evangile. Isaïe n’avait-il pas promis « que la solitude tressaillerait d’allégresse ? »

Il répond à la foule qui cherchait à le retenir : « Il faut que j’évangélise le royaume de Dieu aux autres villes, » Avait-il déjà prêché quelque part son Dieu ? Nulle part, j’imagine.

— Mais il parlait des cités qui connaissaient un autre dieu.

— Je ne le crois pas non plus. S’il n’avait pas encore promulgué d’autre dieu ; si ses auditeurs n’en connaissaient pas d’autre que le Dieu Créateur, il évangélisait donc le royaume de ce même Dieu qu’il savait être le seul connu de ceux qui l’écoutaient.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant