Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre XXX

Interrogé de nouveau sur une guérison qu’il a opérée le jour du sabbat, quelle est sa réponse ? « Chacun de vous ne détache-t-il pas son bœuf et son âne de la crèche le jour du sabbat, pour le conduire à l’abreuvoir ? » En agissant selon les prescriptions finales de la loi, il confirma donc, au lieu de la détruire, une loi « qui défendait toute œuvre, si elle n’avait pour but la conservation de la vie ; » à combien plus forte raison de la vie humaine ? Partout on voit que je montre l’accord des paraboles. « Le royaume de Dieu est semblable à un grain « de sénevé qu’un homme prend et met dans son jardin. » Qui faut-il voir sous l’emblème de cet homme ? Le Christ conséquemment, parce que le messie de Marcion a beau s’appeler fils de l’homme, celui qui a reçu du père la semence du royaume céleste, c’est-à-dire la parole de l’Evangile, l’a semée aussi dans son jardin, c’est-à-dire dans le monde, dans l’homme d’aujourd’hui, par exemple. Il a semé dans son jardin ? dit-il. Ni le monde, ni l’homme n’étant sa propriété, mais celle du Créateur, il en résulte que celui qui a semé dans son domaine n’est pas le Créateur. Ou si, pour échapper à ce piégé, l’hérésie, au lieu du Christ, ne veut voir dans cet homme que le fidèle, prenant la semence divine et la semant dans le jardin de son cœur, la substance elle-même ne convient encore qu’au Créateur. A quel propos la comparaison d’une semence, qui est suivie de la menace d’un jugement dont la sévérité fera couler les larmes, désignerait-elle le royaume d’un Dieu plein de miséricordes ?

Je crains bien encore que la comparaison suivante ne présage le royaume d’un Dieu étranger. En effet, elle l’a comparé à un levain et non à l’azyme, qui est familier au Créateur. Cette conjecture n’est bonne que pour la mendicité. Ainsi, à frivole objection, frivole réponse. Je me bornerai à dire que le levain qui fermente convient aussi au royaume du Créateur, parce qu’après la fermentation vient le crible ; ou le four de l’enfer. Combien de fois encore se déclare-t-il juge, et, dans le juge, Créateur ! Combien de fois par conséquent a-t-il repoussé, et condamné en repoussant ? Comme ici, par exemple : « Lorsque le père de famille se sera levé, dit-il, » Dans quel but ? sinon pour celui qu’annonce Isaïe : « Quand il se lèvera pour briser la terre, et qu’il aura fermé la porte, » aux impies, apparemment qui « commenceront à frapper, et auxquels il répondra : Je ne sais pas qui vous êtes. » Et ailleurs, à « ceux qui lui rappellent qu’ils ont bu et mangé en sa présence ; qu’il a enseigné sur leurs places publiques, » il répond : « Retirez-vous de moi, artisans de l’iniquité. Là, seront les pleurs et les grincements de dents. » Où seront-ils ? En dehors, au lieu de leur bannissement, en face de cette porte fermée par lui. Le châtiment viendra donc de qui bannit pour reléguer dans le châtiment, « Quand ils verront les justes entrer dans le royaume de Dieu, d’où ils sont chassés ! » Par qui ? Par le Créateur. Qui donc sera en dedans pour recevoir les justes ? le Dieu débonnaire. Mais que fait ici le Créateur, retenant en dehors pour les envoyer aux tortures ceux qu’a exclus son antagoniste, lorsqu’il devrait les accueillir, ne fut-ce que pour soulever la colère de son rival ? Il y a mieux. Ou le Dieu pacifique qui bannit les pervers de sa présence, sait que le Créateur les retiendra dans les supplices ; ou il l’ignore. Donc, ou ils seront retenus malgré sa volonté, et alors il est inférieur au Dieu qui les retient, puisqu’il lui cède contre son gré ; ou bien, s’il veut qu’il en soit ainsi, c’est lui qui a ordonné ces supplices, et alors, il ne vaut pas mieux que le Créateur, auteur lui-même de l’infamie qui rejaillit sur le Créateur. Si la supposition d’un Dieu qui punit et d’un Dieu qui délivre ne peut soutenir l’examen, jugement et royaume appartiennent à un seul et même Dieu ; si l’un et l’autre appartiennent à un seul et même Dieu, le Dieu qui juge est donc le fils du Créateur.

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