Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre XLIII

Si la prophétie ne passe pas même sous silence l’empressement de ces femmes qui se rendirent avant le jour au sépulcre, avec des parfums qu’elles avaient préparés, c’est qu’Osée en effet m’a dit : « Dans leur affliction, ils veilleront avant le jour, pour chercher ma face, en disant : Allons et retournons au Seigneur ; c’est lui qui nous a blessés, et il nous guérira ; il nous rendra à la vie : nous ressusciterons le troisième jour. » Qui croira que ces paroles ne fussent pas présentes au souvenir des saintes femmes, entre la douleur du délaissement actuel dont elles se croyaient frappées par le Seigneur, et l’espérance de sa résurrection, qui, comme elles le pensaient avec raison, devait être aussi la leur ?

Elles ne trouvent pas le corps. « La sépulture du juste avait été enlevée du milieu des hommes, » suivant Isaïe. Mais deux anges leur apparurent auprès du monument. Deux ! c’était le nombre de compagnons familier « à la parole de Dieu, qui s’affirme par deux témoins. » Isaïe contemplait d’avance les pieuses femmes revenant du sépulcre, et de la vision des deux anges : « Femmes, venez de la vision ; » c’est-à-dire pour annoncer la résurrection du Seigneur.

Heureusement pour nous que l’incrédulité des disciples ne se rendit pas de sitôt, afin de venir en aide jusqu’à la fin à notre démonstration que Jésus-Christ ne se donna jamais à ses disciples pour autre que le Christ des prophètes. En effet, voilà que deux d’entre eux étant en chemin, le Seigneur marche avec eux, sans leur révéler que c’était lui-même, ou pour mieux dire, se cachant à dessein à cause de ce qui s’était passé., « Nous espérions, disent-ils, qu’il serait le rédempteur d’Israël ; » leur Christ apparemment, le Christ du Créateur : tant il est vrai que jamais il ne s’était donné à eux pour un autre Christ ! Autrement ils ne l’eussent pas pris pour le Christ du Créateur ; ou même l’eussent-ils regardé comme tel, il n’aurait pas prêté les mains à cette croyance, s’il n’avait pas été tel qu’ils le pensaient. Sinon, le voilà lui-même auteur du mensonge, et prévaricateur de la vérité, démentant par là son nom de Dieu très-bon.

Même après sa résurrection, il ne se montre pas différent de ce qu’ils l’avaient cru, en le lui déclarant à lui-même. Il les réprimande sévèrement : « O insensés dont le cœur est lent à croire tout ce qu’il vous a annoncé ! » Par ces paroles, il ne prouve pas qu’il soit l’envoyé d’un autre dieu, mais du même Dieu. Car les anges s’adressent ainsi aux saintes femmes : « Rappelez-vous comment il vous a parlé lorsqu’il était encore en Galilée. Ne fallait-il pas, vous disait-il, que le Fils de l’Homme fût vendu, qu’il fût crucifié, et qu’il ressuscitât le troisième jour ? » Et pourquoi le fallait-il, sinon parce que le Dieu Créateur l’avait ainsi écrit ? Il les censura donc uniquement parce que sa passion les avait scandalisés, et que leur foi incertaine doutait de sa résurrection, qui leur avait été annoncée par les femmes. Cette hésitation prouvait qu’ils n’avaient pas cru qu’il fût ce qu’ils l’avaient toujours cru. Voulant donc être cru ce qu’ils l’avaient réputé, il les confirme dans leur foi précédente au Christ du Créateur, Rédempteur d’Israël.

Quant à la réalité de son corps, quelle preuve plus manifeste ! Aux disciples qui doutent s’il n’est pas un fantôme, tranchons le mot, qui le prennent pour un fantôme, il dit : « Pourquoi vous troubler ainsi ? pourquoi de pareilles pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds ; c’est moi-même : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. »

Marcion a gardé à dessein dans son évangile quelques passages qui lui sont contraires, afin, j’imagine, de s’autoriser des textes qu’il a gardés, quoique pouvant les retrancher, pour nier ses suppressions ou du moins les justifier. Il n’épargne que ceux qu’il a l’espoir de ruiner par une interprétation mensongère, autant que par la suppression. Il veut donc que dans ce passage, « un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai, » ces mots, « comme vous voyez que j’en ai, » se rapportent à l’esprit, afin de signifier qu’il n’a ni chair ni os à la manière d’un esprit. Mais pourquoi tous ces détours, lorsqu’il pouvait dire simplement : Un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que je n’en ai point ? Pourquoi alors offrir à leur examen ses pieds et ses mains, membres formés d’os, s’il est vrai qu’il n’avait pas d’os ? Pourquoi ajoute-t-il : « Sachez que c’est moi ; » c’est-à-dire celui qu’ils connaissaient autrefois pour avoir un corps réel ? Ou bien s’il était de manière ou d’autre un fantôme, pourquoi réprimander ceux qui le prennent pour un fantôme ? Malgré ces témoignages, ils ne croient pas encore. Il demande de la nourriture, pour les convaincre par cette nouvelle attestation qu’il était homme.

Nous avons rempli, du moins je l’imagine, notre engagement. Nous avons démontré par les oracles des prophètes, par ses propres maximes, par ses affections, par ses sentiments, par ses vertus, par ses souffrances et même par sa résurrection, que Jésus-Christ n’est pas autre que l’envoyé du Créateur. En effet, quand il envoie ses apôtres évangéliser toutes les nations : « Leur parole s’est répandue dans tout l’univers ; elle a retenti jusqu’aux extrémités du monde, » cet ordre n’est encore que l’accomplissement du Psaume. J’ai pitié de toi Marcion ; tu as travaillé sans fruit, car le Christ Jésus est mon Christ, jusque dans ton évangile.

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