Contre Marcion

LIVRE V

Chapitre IX

Celui qui m’a demandé ma profession de foi l’a présentement. Le Marcionite toutefois ne produira rien de semblable. Il hésite à prononcer, que dis-je ? son christ n’ est pas encore révélé. Il a bien fallu attendre le mien, puisqu’il a été annoncé dès l’origine des temps ; de même le sien n’existe pas, puisqu’il n’existe pas dès l’origine. Nous montrons plus de sagesse à croire un Christ à venir, que les hérétiques à n’en croire aucun.

Mais auparavant, examinons sur quels arguments se fondaient ceux qui niaient à cette époque la résurrection des morts. Ils s’y prenaient de la même façon qu’aujourd’hui ; car on continue toujours de la mettre en question. Quelques sages, je ne l’ignore pas, affirment que l’âme est divine et ne meurt point. La multitude elle-même, dans son culte pour les morts, obéit au préjugé ou à la confiance que l’âme a survécu. Néanmoins, que les corps consumés par la flamme, dévorés par les bêtes, ou soigneusement embaumés, se détruisent avec le temps, le fait est palpable. L’apôtre en réfutant les adversaires de la résurrection de la chair, établit donc ce dogme contre ceux qui le niaient. Réponse abrégée. Le reste est superflu. C’est surtout dans ce qu’on nomme la résurrection des morts, que la propriété des termes est nécessaire. Il n’y a de mort, et le terme l’indique assez, que l’être dépouillé de l’âme qui le faisait vivre. Le corps est ce que l’âme abandonne et qui meurt après cette séparation : ainsi le terme de mort convient au corps. Or s’il y a résurrection de ce qui est mort, et que ce qui meurt ne soit que le corps, la résurrection concerne donc le corps. Le mot de résurrection ne peut se rapporter qu’à ce qui est tombé. D’une chose qui tombe ou qui a toujours été à terre je dirai qu’elle se lève. Mais se relever ou ressusciter ne peut s’appliquer qu’à un objet, qui était debout et qui est tombé ; la syllabe re indiquant toujours une réitération. Nous disons donc que le corps tombe dans la terre par la mort, ainsi que l’atteste l’expérience, et suivant la loi de Dieu. « Car il a été dit : Tu es terre, et tu retourneras dans la terre. » Ainsi, ce qui vient de la terre s’en retournera dans la terre ; ce qui retourne dans la terre, voilà la partie qui s’en va ; ce qui tombe, voilà la partie qui se relève. « Car c’est par un homme que la mort est venue, c’est aussi par un homme que vient la résurrection. » Ici par ce mot d’homme qui se compose d’un corps, l’apôtre a désigné le corps du Christ, comme nous l’avons déjà montré plus d’une fois. Que si « tous meurent par Adam, tous revivront aussi par Jésus-Christ. » Tu ‘ l’entends. Nous sommes morts corporellement dans Adam ; il est donc nécessaire que nous revivions corporellement dans le Christ. Autrement, s’il s’agit d’une chair différente, morte dans Adam et vivifiée dans le Christ, la comparaison disparaît. Mais il a intercalé sur la personne du Christ quelques mots que la discussion présente ne me permet pas d’oublier. La certitude de la résurrection de la chair sera d’autant mieux établie, que j’aurai mieux prouvé que le Christ appartient au Dieu chez lequel ou professe le dogme de la résurrection de la chair. Lorsqu’il dit : « Il faut qu’il, règne jusqu’à ce qu’il réduise ses ennemis à lui servir de marchepied, » n’est-ce pas le représenter comme un Dieu vengeur, identique, avec le Dieu qui dit à son Christ : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. L’Eternel va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité ; vous établirez votre empire au milieu de vos ennemis. Les peuples vous obéiront, etc. »

Il me reste maintenant à démontrer que les textes que les Juifs essaient de nous enlever, se rattachent à notre sens. Ils veulent que le Psalmiste ait chanté le triomphe d’Ezéchias, par la raison que ce monarque s’est assis à la droite du temple, et que Dieu a éloigné ou écrasé ses ennemis. Alors ils appliquent à Ezéchias et à la naissance d’Ezéchias ces paroles : « Je vous ai engendré avant l’aurore. » Pour nous, nous produisons les évangiles dont les Juifs, il faut le confesser, ont accru l’autorité dans une affaire d’une si grande importance. Ils déclarent que le Christ est né pendant la nuit, pour accomplir cette parole : « Avant l’aurore. » Tout est conforme, et l’étoile qui le fait reconnaître aux Mages, et le témoignage de l’ange qui annonce aux bergers que le Christ vient de naître, et le lieu de l’enfantement, car on arrive à l’hôtellerie au déclin du jour. Peut-être même n’est-ce pas sans un dessein mystérieux que le Christ, destiné à être la lumière de la vérité dans les ténèbres de l’ignorance, naquit pendant la nuit, il y a mieux. Dieu aurait-il dit : « Je vous ai engendré, » à tout autre qu’à son Fils ? Sans doute, nous lisons bien ailleurs, à l’occasion du peuple d’Israël : « J’ai engendré des fils ; » mais il n’a point ajouté : « Je les ai engendrés e mon sein. » Pourquoi donc ces mots : « de mon sein, » qui paraissent une redondance ? L’homme peut-il naître autrement que du sein où il est conçu ? Non sans doute. Mais il a voulu que ces paroles se rapportassent plus directement au Christ : « Je vous ai engendrés de mon sein, » c’est-à-dire d’un sein virginal, sans le concours de l’homme ; chair réelle formée par l’opération de l’Esprit. Le Psalmiste fournit un nouvel argument en notre faveur : « Vous êtes le Prêtre éternel, » dit-il. Ezéchias n’était pas prêtre ; l’eût-il été, il n’eût pas été le prêtre éternel « selon l’ordre de Melchisédech. » Qu’y a-t-il de commun entre Ezéchias et Melchisédech, prêtre du Très-Haut, étranger à la circoncision elle-même, et qui bénit Abraham le circoncis, après avoir reçu la dîme de toutes les dépouilles. L’ordre de Melchisédech, au contraire, s’applique merveilleusement au Christ, propre et légitime sacrificateur de Dieu. Pontife du sacerdoce incirconcis, et déjà établi sur les nations, qui reconnaîtront son empire bien plus que les Juifs, il honorera de sa faveur et de sa bénédiction, à son dernier avènement, toute la circoncision et la race d’Abraham. Un autre psaume commence par ces mots : « Seigneur, donnez au roi vos jugements, » c’est-à-dire au Christ qui doit régner, « et au fils du roi votre justice, » c’est-à-dire encore, au peuple du Christ. Ses fils sont ceux, en effet, qui renaissent en lui.

Qu’on applique encore à Salomon le début de ce Psaume, quoiqu’ il ne concerne que le Christ, rien de mieux. Du moins faudra-t-il avouer que les paroles suivantes ne conviennent qu’au Christ. « Il descendra comme la pluie sur une toison, comme les gouttes de la rosée sur la terre. » Le prophète voulait figurer sa descente pacifique et invisible du ciel dans la chair. Si Salomon est descendu d’un lieu dans un autre, jamais il n’est descendu à la manière de la pluie, parce qu’il n’est pas descendu du ciel. Mais ne nous arrêtons qu’aux circonstances les plus simples. « Il dominera de la mer jusqu’à la mer, du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre. » Privilège exclusif du Christ ! D’ailleurs Salomon n’a régné que sur la Judée, encore n’avait-elle qu’une médiocre étendue. « Tous les rois de la terre se prosterneront devant lui. » Tous les rois se prosterner ! Devant qui, sinon devant le Christ ? « Et toutes les nations lui seront assujetties. » A qui assujetties, sinon encore au Christ ! « Son nom subsiste avant le soleil. » Très-bien ! le Verbe de Dieu, c’est-à-dire le Christ, existe avant le soleil. « Toutes les nations de la terre seront bénies en lui. » Point de nation qui doive être bénie en Salomon ; dans le Christ, elles le seront toutes. Mais voilà mieux ; le Psalmiste proclame sa divinité : « Toutes les nations le glorifieront : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui seul opère des merveilles ! Béni soit à jamais le nom de sa gloire ! toute la terre sera remplie de sa majesté. » Loin de là, Salomon, je ne crains pas de l’affirmer, entraîné par la femme jusque dans l’idolâtrie, perdit la gloire dont Dieu l’avait environné. Ainsi quand je lis encore dans le milieu du Psaume : « Ses ennemis baiseront la poussière de ses pieds, » ces termes énergiques pour exprimer l’asservissement, confirment la vérité que je soutiens, et à l’appui de laquelle j’ai invoqué ce Psaume. J’ai démontré que la gloire de son règne et l’asservissement de ses ennemis, conformément aux plans du Créateur, impliquaient nécessairement le Christ du Créateur.

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