Contre Marcion

LIVRE V

Chapitre XII

« Si cette maison terrestre vient à se détruire, Dieu nous donnera dans le ciel une autre maison, une maison éternelle et qui ne sera point faite de main d’homme. » Non pas que cette demeure faite de la main du Créateur, s’anéantisse tout entière dans la dissolution de la mort ; l’Apôtre voulait rassurer contre les craintes de la mort une nature qui se révolte à l’idée de sa prochaine destruction. Son intention devient plus évidente lorsqu’il ajoute : « Nous gémissons sur le tabernacle de notre corps terrestre, désirant d’être revêtus de la gloire d’en haut. Nous avons laissé notre dépouille ; mais nous ne serons pas trouvés nus. » En d’autres termes, nous reprendrons la dépouille du corps que nous avons laissée. Il insiste : « Car pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sur sa pesanteur, parce que nous désirons non pas d’en être dépouillés, mais de recevoir par-dessus ce vêtement un autre vêtement. » Il exprime ici formellement ce qu’il n’a fait, que toucher dans la première épître. « Les morts ressusciteront incorruptibles désormais. » Voilà pour ceux qui sont déjà morts : « Et nous, nous » serons changés ; » nous, c’est-à-dire ceux que les jugements divins surprendront vivants. « Les premiers ressusciteront incorruptibles, » en reprenant leur corps, et leur corps tout entier, pour être désormais incorruptibles de ce côté. Les seconds, grâce aux temps qui s’achèvent, et surtout grâce à leurs victoires pendant le règne de l’Antéchrist, morts d’un jour, obtiendront une soudaine transformation, bien moins dépouillés de leur corps, que revêtus d’un vêtement d’immortalité par-dessus. Si ces derniers doivent revêtir par-dessus leur corps un vêtement d’immortalité, les morts recevront comme eux un corps par-dessus lequel ils puissent revêtir l’incorruptibilité céleste. L’Apôtre n’a-t-il pas dit à leur sujet : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité ? » Ceux-ci revêtent en reprenant leur corps, ceux-là revêtent un autre vêtement par-dessus le corps qu’ils n’ont pas perdu. L’expression est donc rigoureusement vraie : « Désirant non pas d’être dépouillés du corps, mais de recevoir par-dessus lui un autre vêtement ; » en d’autres termes, ne voulant pas l’aire l’expérience de la mort, mais être prévenus par la vie, « de manière que ce qu’il y a en eux de mortel soit absorbé par la vie, » en échappant à la mort par cette transformation, vêtement jeté sur un autre vêtement. Aussi l’Apôtre nous prévient-il que cet état est meilleur, de peur que la mort ne nous contriste si elle nous devance. Voilà pourquoi « Dieu, selon lui, nous a donné pour gage son esprit, » espèce de caution qui nous garantit le second vêtement d’immortalité. Voilà pourquoi encore il ajoute que « nous sommes éloignés du Seigneur pendant que nous habitons dans ce corps, que notre ambition doit être de nous éloigner du corps et de vivre avec le Seigneur. » Que veut-il par-là, sinon nous faire accueillir la mort avec joie ? « Car nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes et à ses mauvaises actions pendant qu’il était revêtu de son corps. » S’il y a rétribution de mérites après la résurrection, comment quelques-uns pourront-ils dès-lors habiter avec Dieu ? L’Apôtre, en parlant d’un tribunal et d’un examen qui porte sur le bien et sur le mal, me montre d’une part un Dieu qui condamne et absout, de l’autre la représentation de tous les corps. Il faut le corps pour juger l’action commise par le corps. Où serait la justice de Dieu, si l’homme n’était pas châtié ou récompensé dans l’instrument de ses actions ? « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature ; ce qui était vieux est passé ; tout est devenu nouveau. » La prophétie d’Isaïe a reçu son accomplissement.

Je lis ailleurs : « Purifions-nous de toutes les souillures de la chair et du sang, » parce que la chair n’entre point dans le royaume de Dieu. « Je vous ai fiancés, dit-il encore, à cet unique époux, pour vous présenter à lui comme une vierge sans tache à son fiancé. » Tu l’entends ! l’image ne peut s’unir avec l’ennemi de la réalité. Quand Paul s’élève contre les faux apôtres, qu’il appelle « des ouvriers trompeurs qui se cachent sous le masque de l’hypocrisie, » il se plaint du désordre de leur vie plus que de la corruption de leur doctrine. Ils différaient de conduite, ils s’accordaient sur la Divinité. « Satan lui-même se transforme en ange de lumière. » Impossible d’appliquer ce passage au Créateur ; le Créateur est un dieu et non pas un ange. L’apôtre eût dit qu’il se transformait eu Dieu de lumière et non pas en ange, s’il n’avait voulu désigner ce Satan, ange déchu que Marcion reconnaît avec nous.

Le paradis a eu son traité spécial en réponse à toutes les difficultés qu’on peut élever. Ici je me borne à craindre ; qu’un Dieu qui n’a rien créé sur la terre ne possède pas un ciel à lui, à moins qu’il ne jouisse à titre précaire du paradis du Créateur, comme il en a usé pour le monde. Paul est ravi au ciel du Créateur. Pourquoi cela me surprendrait-il ? Elie, dans l’ancienne loi, m’en offre un exemple. Toutefois voilà qui m’étonne bien davantage. Comment se fait-il qu’un Dieu débonnaire, qui ne sait ni frapper, ni sévir, donne à son apôtre, avec mission de le souffleter, non pas un ange qui lui appartienne, mais un ange du Créateur, un ange de Satan ? Trois fois la victime le conjure de l’éloigner d’elle ; trois fois il lui refuse cette grâce. Ne voilà-t-il pas que le dieu de Marcion, lui aussi, corrige à la manière du Créateur, poursuit de sa haine l’orgueil qui s’élève, et précipite du trône les puissants de la terre ? Ou plutôt n’est-ce pas lui-même qui donna pouvoir à Satan sur le corps de Job, « afin que la force se perfectionnât dans la faiblesse ? » Pourquoi l’apôtre qui reprend les Galates se conforme-t-il à la loi quand « il déclare que toute parole doit être assurée par la déposition de trois témoins ? » Pourquoi le prédicateur d’un Dieu débonnaire « menace-t-il les pécheurs de ne pas leur pardonner ? » Il y a mieux. Il affirme que « Dieu l’a autorisé à user du pouvoir avec plus de sévérité quand il sera présent. » Nie encore maintenant, ô hérétique, que ton Dieu ne soit redoutable, lorsque son apôtre voulait se faire redouter !

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