Contre Marcion

LIVRE V

Chapitre XX

« Plusieurs de nos frères, encouragés par mes liens, sont devenus plus hardis à annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte. Il est vrai que quelques-uns prêchent le Christ par un esprit d’envie et de contention ; mais d’autres le font avec une intention droite ; les uns le prêchent par amour, d’autres par jalousie, d’autres pour m’affliger. » Paul rend compte ici de la diversité des intentions dans la prédication de l’Evangile. L’occasion était favorable pour signaler en même temps la diversité des doctrines, si elle eût existé. Mais en se bornant à l’énumération des causes qui ouvraient la bouche de ces prédicateurs, sans dire un mot qui atteste la différence des mystères et de la foi, Paul déclare que c’était un seul et même Christ, un seul et même Dieu qui étaient prêches par un motif ou par un autre. Aussi ajoute-t-il : « Mais qu’importe ? pourvu que Jésus-Christ soit annoncé, soit par occasion, soit dans la vérité de la foi, » parce que la prédication annonçait le même Dieu, « soit par occasion, soit dans la vérité de la foi. » La vérité ici s’applique à la pureté de l’intention et non ci celle de la foi, puisque la foi était la même dans tous les prédicateurs. Il n’en allait pas ainsi de leurs motifs. Aux uns une intention droite et pleine de simplicité ; aux autres une intention dirigée par l’orgueil de la science. Qu’en résulte-t-il ? Que le Christ prêché alors est le même Christ annoncé de tout temps. Je suppose que ces prédicateurs eussent introduit un Christ différent de celui de l’Apôtre, la nouveauté du scandale eût constitué une dissidence. Toutefois la prédication évangélique n’aurait pas manqué d’hommes qui l’appliquassent au Christ du Créateur, puisqu’aujourd’hui encore la majorité se trouve partout avec nous, et non dans l’hérésie. Paul eût-il en ce moment gardé le silence sur une doctrine opposée à la sienne ? Par conséquent la nouveauté ne peut s’établir là où l’on ne peut signaler la plus légère différence.

Les Marcionites s’imaginent que l’Apôtre, leur donnant gain de cause sur la substance du Christ, ne lui reconnaît avec eux dans ces mots qu’une chair illusoire. « Fils de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu. Il s’est anéanti lui-même en prenant l’image d’un esclave, » (mais non sa réalité ;) « en se rendant semblable aux autres hommes, » (mais non pas homme véritable ;) « en paraissant tel qu’un homme, » (mais non dans une substance et une chair réelles :) comme si la figure, la ressemblance et l’image n’étaient pas inséparables de la vérité de la substance. Heureusement pour nous, l’Apôtre appelle ailleurs Jésus-Christ « l’image du Dieu invisible. » Paul exclut-il ici la divinité de celui qu’il appelle l’image de Dieu ? Alors le Christ ne sera pas plus un dieu réel qu’il n’est un homme avec une chair et un corps réels. Il faut nécessairement exclure de part et d’autre la réalité, si ces mots d’image, de figure, de ressemblance sont légitimement attribués à un fantôme. Marcion avoue-t-il qu’il n’en est pas moins un dieu véritable, quoique l’Apôtre le nomme l’image de Dieu ? Dès-lors, qu’il le reconnaisse pour un homme véritable, sous ces appellations d’image et de ressemblance. « Il a été trouvé homme véritable, » dit Paul. Trouvé ! ce mot avait son intention ; il signifie la réalité de la substance humaine ; car on ne trouve que ce qui existe. Il est donc dieu par sa puissance, de même qu’homme par sa chair. Paul, d’ailleurs, n’eût pas dit « qu’il s’était soumis à la mort, » s’il n’avait été dans une substance mortelle. Il y a mieux ; il ajoute : « à la mort de la croix. » Il n’exagère point la cruauté du supplice pour relever le mérite de l’obéissance. L’obéissance, l’Apôtre ne l’ignorait pas, n’eût été qu’imaginaire dans un fantôme qui pouvait bien tromper la mort, mais non la subir, et se jouer dans les prestiges de la passion plutôt que faire preuve de force. « Ce qu’il considère plus haut comme un avantage, la gloire de la chair, la marque de la circoncision, une origine et un sang hébreu, le litre de la tribu de Benjamin, la robe blanche du pharisaïsme, toutes les qualités enfin qu’il énumère précédemment et qui lui semblent perte et dommage, » il les applique à l’aveuglement des Juifs, et non au Dieu créateur, « Abjection que tout cela ! s’écrie-t-il plus loin, au prix de la connaissance de Jésus-Christ, » et non pas de la répudiation du Dieu créateur. « Trouvé, ajoute-t-il, non pas avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en LUI-MÊME, » c’est-à-dire en Jésus-Christ, fils du Dieu créateur.

— Donc, dit Marcion, la loi, en vertu de cette distinction, ne vient pas du Dieu qui a envoyé le Christ.

Interprétation subtile ! Mais en voici une autre encore plus subtile. L’Apôtre a dit : « Non pas avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en LUI-MÊME. » Pouvait-il dire EN LUI-MÊME, de tout autre que de l’auteur de la loi ?

« Mais nous, nous vivons déjà dans le ciel. » Je reconnais l’antique promesse faite à Abraham par le Dieu créateur : « Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel. » « Voilà pourquoi une étoile est plus éclatante qu’une autre étoile. » Que si Jésus-Christ, lorsqu’il descendra des deux, « doit changer le corps de notre abaissement, en le rendant semblable à son corps glorieux ; » donc notre corps, humilié ici-bas par les douleurs et précipité dans la terre par les lois de la mort, ressuscitera un jour. Le moyen que Dieu le transfigure, s’il retombe dans la mort ! Ou bien, si cette parole concerne uniquement ceux que le dernier avènement du Seigneur surprendra dans une chair vivante, que feront ceux qui ressusciteront les premiers ? N’auront-ils pas un corps susceptible de transfiguration ? Sans doute, puisque l’Apôtre nous dit : « Nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ. » Enlevés avec eux ; donc aussi transfigurés avec eux.

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