Jean Calvin, l’homme et l’œuvre

Avant-propos de l’un des traducteurs

Il n’y a guère de pays où Calvin soit aussi peu connu et ait été moins sérieusement étudié que dans sa patrie. On peut même dire que ceux qui auraient voulu le connaître d’un peu près n’avaient pas à leur disposition de biographie en français digne d’un tel sujet.

Il y a plus d’un demi-siècle, à une époque où le culte de l’histoire impartiale était peut-être plus en honneur que de nos jours, M. Jules Bonnet avait été officiellement chargé de recueillir la correspondance du réformateur, et l’on prêtait au célèbre historien Mignet, « à qui appartenait l’initiative de ce recueila », l’intention de tracer du mouvement religieux et social inspiré par Calvin, un de ces tableaux historiques où il excellait. Il se borna, sous forme de compte-rendu des Lettres françaises parues en 1854, à en rédiger une esquisse magistrale dans neuf articles du Journal des Savants (1856-1860) où ils restèrent malheureusement ensevelis.

a – Voy. la belle préface des Lettres de Jean Calvin, i, p. xxi.

[François-Auguste Mignet (1796-1884) avait écrit un chapitre remarquable dans son mémoire intitulé Etablissement de la Réforme religieuse et constitution du Calvinisme à Genève, lu à l’Académie des sciences morales et politiques les 15 et 22 nov. 1834 et réimprimé dans ses Mémoires historiques (1854). Voici, après 1834, dans leur ordre chronologique, les principaux travaux biographiques consacrés à Calvin en France et dans la Suisse française : — 1852, l’article des frères Haag dans la France Protestante, t. iii ; — 1854, les Lettres de Jean Calvin, publiées par Jules Bonnet, deux volumes in-8o, ne contenant que les lettres françaises et qui n’eurent pas de suite ; — 1856-1860, les articles de Mignet (Journal des Savants, déc. 1856 ; février, mars, juillet, août 1857 ; janvier, mars, déc. 1859 ; février 1860) ; — 1862, F. Bungener, Calvin, sa vie et son œuvre, un vol. in-18 ; — 1863-1878, J.-H. Merle d’Aubigné, Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin, 8 vol. in-8° ; — 1872, G.-A. Hoff, Vie de Jean Calvin, un vol. in-18 ; — 1877, Ch. Dardier et A. Jundt, articles Calvin et Calvinisme dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, t. ii ; — 1882, H.-L. Bordier, article Calvin dans la 2e édition de la France Protestante, t. iii ; — 1888, Abel Lefranc, La Jeunesse de Calvin, un vol. in-8o ; — 1898, A. Lefranc et E.-H. Vollet, articles Calvin et Calvinisme dans la Grande Encyclopédie, t. viii. — Je ne mentionne ici que les études biographiques proprement dites parues en français. Il sera amplement question, plus loin, des travaux importants consacrés à telle ou telle partie de l’œuvre du réformateur, par exemple par Ch. Borgeaud, E. Choisy, A. Rilliet, A. Roget, etc.]

La biographie populaire de Félix Bungener, Calvin, sa vie et son œuvre, parue en 1862, — au moment où les savants strasbourgeois Baum, Cunitz et Reuss lançaient le prospectus des Opera Calvini, dont la publication devait se poursuivre pendant trente-huit années, — n’existe depuis longtemps plus en librairie. — L’Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin, commencée par J.-H. Merle d’Aubigné en 1863, devait s’arrêter, avec le huitième volume (1878), à la mort de Luther, survenue 18 années avant celle de Calvin. Pendant que cette publication, plus littéraire que strictement historique, se poursuivait, et au moment où MM. Baum, Cunitz et Reuss commençaient à faire paraître la volumineuse et si importante correspondance du réformateurb (1872), un pasteur alsacien, M. G.-A. Hoff, écrivait une Vie de Jean Calvin qui n’est pas sans mérite, mais qui, éditée par la Société des traités religieux, resta absolument inconnue du grand public.

b – Concurremment avec celle, embrassant un champ beaucoup plus étendu, que publiait, depuis 1866, A.-L. Herminjard et qui s’arrêta, malheureusement, en 1897, à l’année 1544.

En dehors de ces ouvrages, il n’y avait que les articles biographiques, d’ailleurs remarquables, de la France Protestante (1852 et 1882), de l’Encyclopédie des sciences religieuses (1877) et de la Grande Encyclopédie (1898), ce dernier seul postérieur au volume par lequel M. Abel Lefranc avait renouvelé l’histoire de la Jeunesse de Calvin (1888).

En attendant l’achèvement, encore éloigné, du Jean Calvin, commencé par M. E. Doumergue en 1899, rien n’était donc plus désirable qu’une biographie à la fois assez détaillée pour mettre le lecteur français au courant de tout ce qui a été publié depuis près d’un demi-siècle, et assez résumée pour donner, sans sécheresse, une idée complète, « objective », de ce que fut Calvin, de ce qu’il voulut et de ce qu’il accomplit. Ce livre, un étranger, familiarisé avec l’histoire religieuse de l’Europe occidentale, que Calvin modifia si profondément, mais éloigné de nos divisions confessionnelles, politiques et ecclésiastiques, était peut-être mieux placé qu’un Français pour l’écrire avec impartialité.

M. Williston Walker est professeur d’histoire ecclésiastique (histoire de l’Église chrétienne) à l’université bien connue de Yale, à New Haven, dans le Connecticut, États-Unis d’Amérique. Il a donc été élevé dans un pays où le calvinisme a exercé une influence religieuse et sociale prépondérante et d’autant plus remarquable qu’il s’y est développé librement, sans être assombri et déformé par les luttes sanglantes qui ailleurs l’ont discrédité, en déshonorant ses bourreaux.

Un livre dans lequel Mr Walker réussit à condenser, en moins de cinq cents pages, la substance de son enseignement sur le développement, de l’ensemble de la Réforme, intitulé The Reformationsc, le désigna à l’attention d’un de ses collègues, M. Samuel Macauley Jackson, professeur d’histoire ecclésiastique à l’université de New-York. Celui-ci avait entrepris de diriger la publication, sous le titre de Heroes of the Reformation d’une série de biographies critiques des principaux réformateurs ; il confia à M. Walker celle de Calvin qui parut en 1906 sous le titre de John Calvin, The Organiser of Reformed Protestantism.

c – New-York, Ch. Scribner’s Sons, 1901. Ce volume est le 9e d’une série de 10, intitulée Ten Epochs of Church History.

[Ce qui signifie Jean Calvin, l’organisateur du Protestantisme réformé. Les mots français d’organisateur et de réformé ne rendant pas exactement le sens d’Organiser et de Reformed, nous avons préféré le titre français plus simple et plus court, qui correspond, d’ailleurs, bien au contenu du volume, de Jean Calvin, l’homme et l’œuvre.

Nous aurions mauvaise grâce à ne pas rappeler qu’un peu après le volume de M. Walker, mais encore en 1906, parut à Paris le Jean Calvin de M. A. Bossert. C’est un portrait beaucoup plus sommaire que celui du biographe américain et qui n’a d’ailleurs pas la prétention d’être une étude critique approfondie.]

Ce volume avait, sur toutes les autres biographies antérieures de Calvin, l’avantage de s’appuyer, d’abord sur la collection complète des Opera, terminée en 1900, puis sur un grand nombre de travaux critiques, parus surtout à l’étranger. J’eus aussitôt la pensée qu’il y aurait intérêt et profit, pour des Français, d’y contempler Calvin en quelque sorte du dehors, tel qu’a pu se le représenter un de nos contemporains, étranger à tout ce qui nous divise en France, mais rompu aux discussions théologiques d’autrefois et d’aujourd’hui, et capable de dégager, de la masse des documents originaux étudiés de première main, le caractère et le rôle historique et mondial du réformateur.

Madame Weiss a bien voulu entreprendre la tâche ardue de rendre en français le sens exact et, autant que possible, le style de l’original anglais. J’ai revu ce travail et, avec l’autorisation de l’auteur, en ai çà et là précisé ou légèrement retouché la rédaction, surtout au point de vue bibliographique. Enfin, l’Association du Monument international de la Réformation, à Genève, ayant résolu de le publier sous son patronage, son président, M. le professeur Lucien Gautier, s’est obligeamment chargé de revoir encore ma révision et d’en corriger avec moi les épreuves, ce dont lui sauront gré tous ceux qui, dans un livre d’histoire, apprécient l’importance de l’exactitude, cette forme matérielle de la vérité.

Paris, 6 Mai 1909.

N. Weiss.

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