La valise introuvable

PIERROT

La nuit tombe. Réverbères et magasins s’allument tour à tour tandis que les enseignes lumineuses aux couleurs vives donnent un air de fête au boulevard, toujours animé par le trafic incessant des lourds camions roulant à vive allure dans un tintamarre assourdissant.

Maryse est encore assise sur son banc, inconsciente de l’heure qui passe. Elle goûte la fraîcheur de cette belle soirée d’août et contemple avec admiration, ces illuminations multiples. En levant la tête. elle aperçoit une immense montre verte qui semble accrochée dans le ciel par on ne sait quel prodige. Plus loin, ce sont d’énormes lettres qui s’ajoutent les unes aux autres pour attirer les regards. Maryse peut maintenant lire : HOTEL DU PRINCE. Et tout à coup, cette gigantesque inscription disparaît pour se reformer lettre après lettre quelques instants plus tard. Les passants se font plus rares, l’air fraîchit davantage. Quelques couples s’attardent encore tandis que l’obscurité grandit.

Soudain, Maryse devient songeuse.

— Mais où vais-je passer la nuit ? se demande-t-elle comme si elle sortait d’un rêve. Pas un instant elle n’y avait pensé. Pourtant, il fallait chercher un abri car il ne serait pas convenable pour une fille de son rang de dormir comme les sans-logis à la belle étoile, sur quelque banc du boulevard.

Où aller ? Dans un hôtel… il n’y faut pas songer. Maryse a trop peu d’argent pour se payer ce luxe. D’abord on ne sait pas combien de temps durera cette grève, et ensuite, maman ne lui a remis que quelques modestes pièces comme argent de poche. Qu’est-ce que cela représente ? Elle en avait juste assez pour se procurer un verre de limonade et quelques fantaisies pour la route. Avait-elle besoin d’une somme importante puisque son voyage était payé jusqu’au bout et qu’on l’avait pourvue d’un carton bien garni ?

— Mais alors, que vais-je faire ?

Elle essuie quelques larmes. Ce n’est pas souvent qu’elle pleure, mais pour cette fois, elle a de la peine à se contenir. Qu’on se mette à sa place !

Maryse se ressaisit brusquement : quelqu’un s’approche timidement. Elle est trop fière pour montrer sa peine. Qui donc vient vers elle, à cette heure tardive ? Un garçon de dix à onze ans, haut de taille mais mal vêtu. Il porte des pantalons trop larges et sa chemise, grande ouverte, a dû perdre tous ses boutons dans quelque bataille de quartier. Cependant Maryse est rassurée car il a l’air propre et son visage est sympathique autant qu’on peut en juger à la lueur des réverbères.

A deux pas de la fillette, l’inconnu s’est arrêté : il la regarde longuement, avec curiosité. Il est sans doute surpris de voir, à pareille heure, une fillette qui a si bonne façon.

— Tu voyages, interroge-t-il, apercevant la valise fermée aux pieds de Maryse ?

— Oui !

— Toute seule ?

— Bien sûr !

— Et où vas-tu ?

— A Mulhouse.

— Mulhouse ! s’exclame-t-il sans insister. Le petit ne sait certainement pas où se trouve cette ville car ses notions de géographie sont encore rudimentaires.

— Tu pars cette nuit, continue-t-il ?

— Hélas, non !

— Pourquoi ? Tu n’as plus d’argent ?

— Tu ne sais donc pas que les trains font grève. Pas un seul ne marche.

— Je le sais bien. J’étais tout à l’heure à la gare où il y a un monde fou. Ça va mal, tu sais ! Alors tu ne peux pas partir ce soir ? Et que vas-tu faire ?

— Je me le demande. J’ai pas le moyen de me payer l’hôtel.

— Quel est ton nom, questionne-t-il en la dévisageant.

— Maryse. Et toi ?

— Pierrot.

— Tu habites ici ?

— Oui, là-bas, dit-il en montrant du doigt la direction de sa demeure. Alors, c’est sûr, tu passes la nuit ici. Et tu n’as pas peur, toute seule ?

Maryse ne répond pas. Il lui en coûte trop de dire la vérité. Cependant, Pierre reste un moment silencieux devant elle, les yeux dirigés vers le sol, plongé dans ses pensées. Il réfléchit avec gravité. Sans doute a-t-il une solution pour Maryse ? Celle-ci, n’y tenant plus, éclate en sanglots.

— Oh si, j’ai peur ! J’ai même très peur. Je ne veux pas rester ici toute seule.

Les larmes de Maryse touchent le garçon qui voudrait bien venir en aide à sa nouvelle amie. Surtout, il ne faut pas que cette petite reste là cette nuit.

— Ne pleure pas, Maryse. Je vais voir, ça peut s’arranger. Attends là, je vais revenir. Non ! Ne pleure pas, va !

— Que vas-tu faire ?

— Attends, je vais voir ! Et sans ajouter un mot de plus, Pierrot s’éloigne en courant. Il traverse la chaussée et s’enfonce dans une petite rue sombre qui donne sur le boulevard.

Maryse s’est assise, pensive. Il n’y a pas à désespérer puisque quelqu’un s’occupe d’elle.

— Ce Pierre doit avoir une idée, se dit-elle. Peut-être connaît-il des braves gens qui pourront me tirer d’affaire ? Certainement, il a un plan.

Les minutes passent ; elles sont toujours longues lorsqu’on attend. Elles sont lourdes aussi quand l’angoisse vous étreint.

De rares personnes vont et viennent, pressées. Pas une seule ne remarque Maryse qui reste immobile dans son coin sombre. Il est sans doute tard ! Tout à l’heure, Maryse comptait dix coups à l’horloge de la ville.

— Qu’il est long à revenir, pense Maryse. Qu’il met du temps ! Pourvu qu’il ne m’oublie pas ou qu’on ne l’oblige pas à rester chez lui !

Elle ne lâche pas des yeux la petite ruelle sombre d’où elle s’attend à voir surgir son nouveau compagnon.. En effet, le voilà ! Il court vers elle et lui crie, essoufflé :

— Maryse, Maryse !

— Et alors ?

— Tu peux venir.

— Où ça ?

— A la maison. Maman est d’accord. Tu coucheras chez nous.

— Bien vrai !

— Je t’assure.

Maryse trépigne de joie. Elle embrasse sans façon ce chic garçon, en lui disant :

— Tu es bien gentil. Merci, oui, merci ! Tu viendras un jour chez moi.

Et résolument, elle saisit sa petite valise et se met en route derrière Pierrot qui marche rapidement en direction de la ruelle sombre.

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