V
Jours de réveil

Ils pousseront parmi la verdure, comme les saules auprès des courants d’eau.

(Ésaïe 44.4)

1.

Le troupeau de Mac-Cheyne n’avait jamais cessé de se souvenir de lui et de prier pour lui ; aussi fut-il reçu avec la plus grande allégresse. Il avait atteint Dundee dans l’après-midi d’un jeudi. Le même soir, après une courte méditation, il se hâta d’aller à la réunion habituelle de Saint-Pierre, afin d’y rendre publiquement ses actions de grâces et d’y parler encore une fois à son troupeau. Jamais il n’oublia l’aspect du temple ce soir-là. La nouvelle de son arrivée s’était répandue comme l’éclair, et des frères en foule étaient venus spontanément lui témoigner leur affection et entendre les premières paroles qui sortiraient de sa bouche. Il n’y avait pas dans l’église une seule place inoccupée ; les couloirs étaient encombrés de gens debout, et sur les escaliers même de la chaire s’étaient amoncelés, d’un côté des personnes âgées, de l’autre une foule d’enfants avides d’écouter aussi leur pasteur bien-aimé. Bien des figures remplies de sollicitude étaient tournées vers lui ; beaucoup de personnes aussi pleuraient sous le poids de péchés qu’elles n’avaient pas encore déposés au pied de la croix : tous étaient calmes pourtant et silencieux ; toutes les physionomies exprimaient le désir de ne perdre aucune des paroles qui allaient être prononcées. Enfin Mac-Cheyne indiqua le psaume 66. Chacun avait remarqué la grande amélioration du chant depuis le commencement du réveil : il lui parut d’une douceur particulière, « si suave et si tendre, disait-il, qu’il semblait que tous eussent le sentiment intime de la présence du Dieu qu’ils louaient. » Il pria avec une onction solennelle et parla ensuite pendant une heure entière. Ignorant combien de temps il lui serait permis de proclamer encore la bonne nouvelle, il préféra ne rien dire, ce soir-là, de son voyage, afin de pouvoir parler aux pécheurs du chemin de la vie. Il prit pour texte 1 Corinthiens 2.1-4, et montra ce qu’avait été la prédication de Paul. Ce fut une soirée mémorable.

Quand il sortit de l’église, toutes les rues par lesquelles il devait passer pour se rendre chez lui étaient remplies de ses auditeurs, jeunes et vieux, qui l’attendaient pour le saluer. Il était obligé de serrer la main à plusieurs personnes à la fois. Les heureux groupes ne consentaient à se disperser qu’après avoir entendu encore quelques paroles de vie, et plusieurs fois il dut prier avec eux, séance tenante, au milieu de la rue. En arrivant chez lui, tout tremblant encore d’émotion, il s’écria : « A ton nom, ô Seigneur ! à ton nom, soit toute la gloire ! » Un mois plus tard, il reçut la visite d’une personne qui avait résisté à toutes les influences extraordinaires du réveil ; ce soir-là, les paroles qu’elle entendit l’angoissèrent si profondément que, malgré tous ses efforts, sa plaie s’agrandit, et qu’elle n’eut plus aucun repos : son trouble la contraignit enfin à venir auprès de lui en pleurant et en criant : « Oh ! mon cœur est si dur ! si dur ! »

Le dimanche suivant, il prêcha de nouveau l’après-midi. Il avait choisi pour sujet de sa méditation 2 Chroniques 5.13-14. Ses auditeurs se souviennent encore du sérieux et de l’affection avec lesquels il la termina en disant : — « Mes bien-aimés, vous après qui mon cœur a tant soupiré, je commence maintenant au milieu de vous une période nouvelle de mon ministère, et je suis déterminé, si Dieu me donne santé et force, à ne pas laisser dans cette paroisse un seul homme, une seule femme, ni même un seul enfant, à qui je n’aie fait tout au moins entendre le témoignage de Dieu concernant son Fils, pour son salut ou sa condamnation. Et je prie le Seigneur, comme je l’ai fait jusqu’à présent, que s’il nous accorde une grande effusion de son Esprit, il le fasse de telle manière qu’il soit évident au plus faible enfant que c’est l’œuvre du Seigneur et non celle de l’homme. Je crois pouvoir vous dire ce que Rutherford disait aux siens : Vous voir avec moi dans le ciel me serait une double béatitude. Et s’il plaît au Seigneur que vous soyez ma couronne au grand jour, je promets ici devant vous de jeter cette couronne à ses pieds en disant : Digne est l’Agneau qui a été immolé I A celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau la bénédiction, et l’honneur, et la gloire, et le pouvoir au siècle des siècles ! »

Pendant quelque temps il y eut lieu de craindre qu’un esprit de dispute et de jalousie ne prévalût dans l’église de Dundee, comme autrefois dans celle de Corinthe ; quelques-uns disant : « Moi, je suis de Paul ; » et d’autres : « Moi, d’Apollos ! » Les nouveaux convertis sont généralement enclins à juger leur père spirituel avec beaucoup de partialité. Mac-Cheyne avait reçu du Seigneur un saint désintéressement qui réprima chez lui tout sentiment d’envie. Beaucoup de personnes ont admiré la simplicité de cœur qu’il manifesta constamment. Il pouvait dire en toute sincérité : « Je ne désire autre chose que le salut de mes paroissiens, quel qu’en soit l’instrument. »

Jamais personne, peut-être, ne se trouva placé dans des circonstances plus favorables que lui pour juger avec impartialité de la nature d’un réveil, et il est peu de réveils qui aient été plus sérieusement examinés et dont la réalité ait été mieux reconnue. En revenant au milieu d’un troupeau dont il connaissait l’état spirituel, Mac-Cheyne trouva une œuvre accomplie en son absence et à laquelle il n’avait eu aucune part directe. Le renouvellement de ses relations intimes avec ses paroissiens lui permit d’observer de près tout ce qui s’était passé ; et après avoir fidèlement éprouvé toutes choses dans un esprit de prière, il déclara sans hésitation, comme sans réserve, que le Seigneur avait opéré de grandes choses, et qu’il en était bien heureux. Il découvrit aussi dans la conversion de bien des âmes une réponse frappante à ses prières et à celles d’autres chrétiens d’ancienne date de son église. Il a consigné son opinion sur ce sujet dans les réponses, en quelque sorte officielles, qu’il fit aux questions posées par un comité du presbytère d’Aberdeen. Mais nous possédons mieux encore que cela : ses impressions intimes communiquées à l’auteur de cette notice dans la lettre suivante :

Dundee, 2 décembre 1839.

    Au Rév. André A. Bonar, à Collage.

      « Cher André,

J’ai beaucoup de choses à vous raconter dont je loue le Seigneur. J’ai été fâché cependant d’apprendre qu’aucun signe de l’œuvre de l’Esprit ne s’était manifesté à Collace pendant votre absence ; mais si Satan vous force à vous mettre à genoux, il aura bientôt lieu de s’en repentir. Souvenez-vous de ce que font les pères terrestres pour leurs enfants qui leur demandent du pain. Combien plus notre Père céleste ne nous donnera-t-il pas toutes bonnes choses si nous les lui demandons ! Souvenez-vous de la leçon que je reçus autrefois du vieux M. Dempster de Derray, après que j’eus prêché à sa place : « Votre sermon m’a fait le plus grand plaisir, me dit-il, mais j’ai été frappé de voir, par vos prières, que vous supposiez Dieu peu disposé à accorder ses grâces. » Rappelez-vous aussi Daniel : « La Parole est sortie dès le commencement de tes supplications. Daniel 9.23. » Et ne pensez pas que je vous oublie aussi longtemps que Dieu m’accordera la force et la grâce de prier.

J’ai retrouvé ici toutes choses en un bien meilleur état que je ne m’y attendais. Le soir de mon arrivée, je prêchai à une assemblée telle que je n’en ai jamais vu. Je ne crois pas que l’église eût pu contenir une seule personne de plus, et il était évident que toute cette foule était profondément émue. R. Mac-Donald était avec moi : il pria. Les afflictions, le succès de son ministère l’ont éclairé et vivifié. Je prêchai sur 1Corinth.2.1-4, en faisant une expérience dont j’ai souvent entendu parler ; c’est qu’il est aisé de prêcher là où est l’Esprit de Dieu. Le vendredi soir, j’entendis M. Burns. Dimanche, j’ai prêché sur un passage admirable, 2 Chroniques 5.13-14 ; M. Burris prêcha deux fois, le matin et le soir. Il a des vues claires et saisissantes de la vérité divine : ses prédications ont beaucoup de richesse, et sa parole est très puissante, tellement puissante qu’il me fait quelquefois trembler. Dans la vie privée, c’est un homme de prières, et il me paraît sentir vivement son danger de tomber dans l’orgueil.

J’ai vu un grand nombre de personnes réveillées et beaucoup de converties ; en vérité ce lieu est un lieu plein d’intérêt en comparaison de ce qu’il était autrefois. Quelques-unes des personnes réveillées sont encore très angoissées. Leur grande erreur est précisément celle dont me parlait votre frère Horace. Elles s’imaginent que venir à Christ doit être quelque étrange opération de leur esprit, distincte d’une foi simple à ce que Dieu a dit touchant son Fils. C’est ainsi qu’après avoir affirmé qu’elles croient tout le témoignage de Dieu à son égard, elles se plaignent amèrement l’instant d’après de ne pouvoir aller à Christ, ou s’unir à lui. Il est pénible d’avoir à lutter encore contre de pareilles illusions.

Parmi les vieillards, j’en ai trouvé de profondément remués et qui sentent leur danger. Un vieil ivrogne est venu me visiter, et j’ai lieu de croire qu’il est maintenant un homme sauvé. Il est évident qu’on peut aussi compter quelques petits enfants au nombre des convertis. Tous ceux que j’ai vus jusqu’à présent sont, en quelque degré, mes enfants dans la foi. Une petite fille du peuple, âgée de onze ans, est un exemple remarquable de ce que peut la grâce divine. Quand je lui demandai si elle désirait être sanctifiée, elle me répondit : « Oh ! oui, je désire souvent que Dieu me prenne à lui, afin que je ne pèche plus. » A. L., âgé de quinze ans, est un croyant sincère et rempli d’amour. W. S., âgé de dix ans, est aussi un bienheureux petit garçon.

Beaucoup de mes bien-aimés enfants dans le Seigneur ont considérablement avancé pendant mon absence : ils sont plus joyeux et leurs cœurs plus encouragés dans les voies du Seigneur. Un grand nombre des nouveaux convertis, avaient déjà été rendus sérieux à salut sous mon propre ministère, et sans que je m’en doutasse : une famille entière par exemple. Plusieurs d’entre eux sont venus m’en parler. Je n’ai presque rien vu qui m’ait fait de la peine. Oh ! que la bonté du Seigneur a été grande envers moi ! Je crains que la grande effusion de l’Esprit de Dieu n’ait un peu passé ; mais c’est, je l’espère, pour revenir bientôt avec un redoublement de puissance. Les réunions de la semaine commencent à être moins fréquentées, et je me propose d’en consacrer deux à donner des leçons régulières et solides dont on semble avoir grand besoin. Jusqu’ici je n’ai pas entendu parler d’un seul cas d’extravagance et de faux zèle, quoiqu’il y en ait sans doute beaucoup. Au commencement ils avaient l’habitude de nous suivre en grand nombre lorsque nous retournions chez nous à l’issue du culte, dans l’attente que nous leur adresserions encore la parole et que nous prierions avec eux en chemin : maintenant ils ont cessé de le faire. Dimanche dernier j’ai prêché deux fois, premièrement sur Ésaïe 28.14-18, puis sur Apocalypse 12.11 : — « Ils l’ont vaincu par le sang de l’Agneau. » — C’était un jour solennel. L’attention des auditeurs se soutint jusqu’au soir, et plusieurs d’entre eux ont trouvé dans le temple un véritable Bokim.

[« Lieu de pleurs. » Voir Juges 3.1-5. — « Or l’ange de l’Éternel monta de Guilgal à Bokim, et dit : Je vous ai fait monter hors d’Egypte, et je vous ai fait entrer au pays dont j’avais juré à vos pères, et j’ai dit : Je n’enfreindrai jamais mon alliance que j’ai traitée avec vous ; et vous aussi vous ne traiterez point d’alliance avec les habitants de ce pays ; vous démolirez leurs autels ; mais vous n’avez point obéi à ma voix ; qu’est-ce que vous avez fait ? Et j’ai dit aussi : Je ne les chasserai point de devant vous, mais ils seront comme un fléau à vos côtés et leurs dieux vous seront en piège. Et il arriva qu’aussitôt que l’ange de l’Éternel eut dit ces paroles à tous les enfants d’Israël, le peuple éleva sa voix, et pleura. C’est pourquoi ils appelèrent ce lieu-là Bokim, et ils sacrifièrent là à l’Éternel. » (Trad.)]

Et pourtant il n’y a rien maintenant de comparable à la puissance qui agissait il y a peu de temps. Je cherche à engager M. Burns à demeurer au milieu de nous, et j’espère qu’il restera à Dundee. Je me sens bien plus fort de corps que lorsque je vous quittai. Tout ce que j’ai retrouvé ici, bien loin de m’exciter, a donné à mes sentiments du calme et du sérieux. Souvent l’éternité me paraît bien rapprochée.

J’aimerais que vous me donniez votre avis sur les réunions de prières. Comment pourrait-on les consolider ? Faut-il suivre un ordre méthodique ; et lequel ? doit-on se borner à la lecture de la Parole et à la prière ; ou y joindre la conversation familière sur les passages lus ? Nous avons commencé aujourd’hui entre ministres une réunion de prières, qui se tiendra désormais tous les lundis matin à onze heures. C’est une douce chose, qui pourra devenir une grande bénédiction. Comme de raison nous n’y avons pas invité les ministres froids ; cela ne ferait qu’alanguir notre réunion. Dites-moi si vous pensez que ce soit bien.

Et maintenant, cher André, il faut que je termine ; car il se fait tard. Puisse votre église avoir aussi sa part dans le réveil de Dundee. Voici un argument que j’ai trouvé très puissant auprès de beaucoup de personnes : « Voulez-vous rester desséchés, tandis que d’autres reçoivent des gouttes de la rosée divine ? » Essayez-en avec votre troupeau.

Je pense que nous aurons encore une communion avant l’époque régulière. Il me semble au moins que c’est désirable. Vous viendrez nous aider ; peut-être Horace sera-t-il aussi des nôtres.

J’espérais revenir d’Errol par Collace, mais l’assemblée de Glascow y a mis obstacle.

Recommencerez-vous immédiatement vos réunions du vendredi ?

Adieu, cher André. Ne crains point, homme qui es reçu en grâce : paix soit avec toi, fortifie-toi, fortifie-toi ! Votre bien affectionné, etc. »

2.

Voici un fragment d’une lettre qu’il adressait à M. Burns le 19 décembre : « Cher frère, je ne pourrai jamais vous remercier assez, pour tous les travaux que vous avez accomplis au milieu des précieuses âmes qui m’avaient été confiées ; et, ce qui est pire, jamais je ne pourrai rendre à Dieu des actions de grâces proportionnées en quelque mesure à sa bonté et à sa gratuité qui me paraissent chaque jour plus merveilleuses. Tout ce qui est arrivé, même la manière dont cela est arrivé, est une réponse frappante à des prières dont je n’avais jamais parlé à personne. » Le 31 du même mois, il lui écrit encore : « Restez où vous êtes, cher frère, aussi longtemps que le Seigneur vous y donnera une œuvre à accomplira. Si je connais mon cœur, son seul désir est que Christ soit glorifié ; que beaucoup d’âmes viennent à Lui, demeurent en lui, et réfléchissent son image ; et, que ce soit à Perth ou à Dundee, cela doit nous être indifférent. Vous savez que je vous ai exprimé mon opinion franchement : je pensais que si le Seigneur vous avait si abondamment béni à Dundee, c’était pour vous appeler à y accomplir une œuvre plus vaste et plus profonde ; mais si le Seigneur vous accompagne dans d’autres lieux, je n’ai plus rien à dire. Le Seigneur m’a fortifié dans mon corps et dans mon âme, dimanche dernier, et mon cœur aussi était joyeux. Il y avait beaucoup de vie et de recueillement parmi les auditeurs. Mais hélas ! cher frère, la plupart d’entre eux sont encore loin de Christ. Les riches surtout sont presque indifférents. »

a – M. Burns était alors à Perth, où il semblait que les os secs commençaient à se mettre en mouvement. (Note de l’auteur.)

Ecrivant peu de temps après à un ami, il mentionne encore incidemment un des résultats les plus réjouissants du grand réveil : « J’ai découvert une foule de personnes qui ont été converties sous mon ministère sans que j’en susse rien. Elles ne craignent plus de se déclarer, maintenant qu’il est devenu si commun de s’inquiéter de son salut. » A cette époque aussi beaucoup de personnes vinrent à Dundee de distances assez considérables ; une entre autres, habitant le nord de l’Écosse, qui, après avoir été pendant un an dans une grande détresse d’âme, finit par faire le voyage de Dundee afin d’y chercher Christ.

En consultant les notes fort brèves qu’il prit alors, nous voyons que le 3 décembre au soir il s’entretint avec vingt personnes désireuses de se convertir, dont « la plupart l’ont vivement intéressé. » De temps à autre il fixait une soirée plus particulièrement consacrée à ces personnes ; et ses cahiers de notes mentionnent, pendant cette année et la suivante, au moins quatre cents visites isolées qui lui ont été faites par des personnes désireuses du salut. Il remarqua aussi que les chrétiens d’ancienne date avaient élargi leur cœur et étaient mieux fondés dans l’amour : plusieurs semblaient avoir été rendus capables de se nourrir de vérité d’une manière nouvelle ; ainsi un frère lui racontait que depuis quelque temps la lecture publique de la Parole faisait sur lui une impression saisissante et solennelle qu’il ne retrouvait pas dans ses lectures privées.

A côté de ces sujets de joie il y en avait aussi de tristesse ; et l’on vit plusieurs apostats, soit parmi les personnes considérées par les chrétiens comme réellement converties, soit parmi celles dont les convictions avaient été profondes sans qu’elles eussent jamais été comptées au nombre des enfants de Dieu. Le journal de Mac-Cheyne contient quelques détails

sur ce sujet : « Visité L… Pauvre, pauvre garçon ! il paraît s’être complètement détourné de Christ ; entraîné par la mauvaise compagnie. Et pourtant il fut un temps où je me croyais sûr de lui. Oh ! quelles créatures aveugles les ministres ne sont-ils pas ! L’homme regarde à l’extérieur. » Les fidèles, membres de son troupeau, étaient aussi bien que leur pasteur attentifs à ces chutes, et l’un d’eux vint un matin lui proposer, « de fixer au lundi suivant une réunion de prières en faveur de ceux qui étaient retournés en arrière, afin que l’Esprit de Dieu vînt les réveiller de nouveau plus puissamment. » Il mentionne encore une personne qui avait été réveillée sans arriver jusqu’à la conversion. — « 9 janvier 1840. Je viens de voir une femme qui, au fort du réveil, fut tellement effrayée que sa santé en souffrit. Maintenant elle ne semble plus avoir aucun souci de son âme. Ce qui s’est passé n’a eu d’autre effet que de remplir sa bouche de paroles malséantes. »

Il est vrai qu’un certain nombre de ceux qui donnaient les plus belles espérances abandonnèrent le Seigneur. Mais pourrait-on s’étonner de ce que, sur huit cents personnes environ qui parurent angoissées sur leur salut et eurent des conférences avec divers ministres pendant le cours du réveil, il y en ait eu beaucoup dont la conduite subséquente ait montré que leurs impressions religieuses avaient été passagères. Le président Edwards admet qu’en pareil cas la proportion des conversions réelles n’est guère plus grande que celle des fruits de l’automne aux fleurs du printemps. Et rien n’est plus déraisonnable que de mettre en doute la conversion de tous parce qu’on a été trompé sur celle de quelques-uns. Le monde lui-même ne juge pas d’après ce principe dans les choses qui l’intéressent. Il sait qu’il doit s’attendre à de fréquentes déceptions, mais ne désespère pas pour cela de jamais rencontrer ni vérité ni probité. C’est ce qu’un poète a exprimé avec non moins de justesse que d’élégance :

Angels are bright still, though the brightest fell
And though foul things put on the brows of grace
      Yet grace must still look sob.

b – Les anges sont encore glorieux, quoique le plus brillant soit tombé ; — et, bien que des souillures se cachent parfois sous l’aspect de la grâce, — elle n’en demeure pas moins grâce.

Mais, par-dessus tout, nous avons l’autorité de la Parole de Dieu, déclarant que de pareilles apostasies sont la pierre de touche de la véritable Église : « Car il faut qu’il y ait même des hérésies parmi nous, afin que ceux qui sont dignes d’approbation soient manifestés parmi tous (1 Corinthiens 11.19). » Nous ne voulons pas dire cependant qu’aucun de ceux qui avaient réellement cru ait fait naufrage quant à la foi. Au contraire, c’est un des articles de foi de toute église évangélique que tout homme qui retourne en arrière et se perd n’a jamais réellement cru en Jésus-Christ. Ses yeux peuvent avoir été ouverts sur les réalités redoutables du péché et de la colère à venir, mais s’il n’a pas trouvé en Christ la justice dont son âme coupable a besoin, il n’existe pas dans les Écritures un seul passage qui puisse nous autoriser à croire que son réveil sera permanent. « Réveille-toi, toi qui dors, et te relève d’entre les morts, et Christ t’éclairera (Éphésiens 5.14) ; » tel est l’appel ; et pour l’écouter il faut aller beaucoup au delà des simples convictions de l’esprit. Une jeune femme qui retourna au monde pendant une année entière, disait plus tard : « Votre sermon sur la corruption du cœur me fit désespérer de moi-même, et je retournai complètement à mes anciennes voies, recherchant la danse, apprenant des romances, etc., etc. » La connaissance de notre culpabilité et le sentiment du danger ne suffisent pas par eux-mêmes pour nous garder de chutes : bien plus, ces sentiments peuvent, lorsque nous n’en avons pas d’autres, nous faire faire de nombreuses chutes. Nous ne sommes en pleine sûreté que lorsque nos yeux sont fixés sur Jésus et que notre main a saisi la sienne. De telle sorte que les apostats, au lieu de nous porter à douter de la réalité de la grâce dans les croyants, doivent seulement nous donner deux grandes leçons : ils nous montrent l’immense importance de presser les pécheurs réveillés de saisir immédiatement le salut ; et nous apprennent, quelle que soit la profondeur des convictions de péché, à douter de toute âme qui n’a pas réellement embrassé l’espérance qui lui est proposée.

Il y avait encore, contre le réveil tout entier, beaucoup de préventions provenant de ce que le Seigneur y avait employé de jeunes hommes, depuis peu de temps dans le ministère, plutôt que des pères en Israël. Mais, c’est en cela précisément que la souveraineté de la grâce brilla avec le plus d’éclat. Ceux qui font de semblables objections s’imaginent-ils qu’en opérant un réveil Dieu ait jamais pour but d’honorer un homme ? N’est-ce pas la gloire de son propre nom qu’il cherche ? S’il eût été dans ses vues d’honorer un homme, on aurait pu demander, il est vrai : « Pourquoi délaisse-t-il les pasteurs âgés, pour se servir de jeunes gens sans expérience ? » Mais quand la grâce souveraine veut bénir une contrée de la manière la plus propre à faire ressortir la gloire du Seigneur, peut-elle employer un meilleur moyen que de se servir de la fronde de David pour tuer le Philistin ? Et que ceux dont les préventions résulteraient d’un sentiment secret d’envie, méditent les paroles que Richard Baxter adressait aux ministres de son temps qui se laissaient aller à la jalousie : « Quoi ! éprouver de l’envie à la vue de dons qui sont à la gloire de Christ ; et cela parce qu’ils nous semblent mettre obstacle à notre propre gloire ! Chaque homme ne doit-il donc pas rendre grâces à Dieu pour les dons qu’il accorde à ses frères, non seulement comme y participant lui-même, ainsi que le pied tire profit de l’œil, mais encore parce que le but qu’il se propose lui-même peut être atteint par les dons de ses frères aussi bien que par les siens propres ?… C’est une chose effrayante, qu’un homme ayant la crainte du Seigneur, fût-ce dans le plus faible degré, puisse envier les dons de Dieu au point de préférer que ses auditeurs inconvertis demeurent dans le sommeil plutôt que de les voir réveillés par une influence autre que la siennec. »

c – Baxter. Pasteur chrétien, 4.2.

3.

L’œuvre de l’Esprit poursuivit doucement son cours : les grosses ondées avaient passé, et les grandes eaux s’étaient retirées. Mac-Cheyne mit toujours plus de vigilance et de circonspection dans l’accomplissement de sa belle tâche. Ainsi, ayant observé que plusieurs de ses paroissiens étaient sous l’influence de leur attachement pour lui personnellement, plutôt que sous celle de la vérité qu’il prêchait, il devint plus réservé dans ses rapports avec eux, tellement que quelques-uns crurent remarquer dans ses manières quelque chose de froid et de contraint. S’il y eut jamais rien de pareil en lui, cela ne provint certainement pas d’une diminution d’intérêt pour leur salut, mais d’un soin scrupuleux à garder les autres des tromperies de leur propre cœur. Voici quelques-unes des notes qu’il prit à cette époque :

27 novembre 1839. — Vendredi dernier, nous avons eu une bonne réunion pour les marins dans l’église de la Croix. Tous ceux qui ont parlé semblaient avoir en vue d’honorer le Sauveur. J’ai présenté nos actions de grâces à Dieu pour tous ses bienfaits.

28 novembre. — Jeudi soir. Prêcher m’a fait du bien. Souvent un silence saisissant régnait dans l’assemblée. J’avais pris pour texte Jérémie 6.14 : « Et ils ont pansé la plaie de la fille de mon peuple à la légère, disant : Paix, paix ; et il n’y avait point de paix. »

1^er décembre. — Ce soir, j’ai reçu la visite d’une femme chrétienne pleine de délicatesse, autant que j’en puis juger. Elle m’a paru l’expression vivante de ce passage : — « Je m’en irai tout doucement ; » ou de cet autre : — « Tu n’ouvriras plus la bouche. » Un vase à déshonneur devenu vase à honneur. Sa sœur a été réveillée dans l’église de Saint-Pierre par une prédication de M. Baxter ; il lui demandait un jour : « Voulez-vous être sanctifiée ? » — Elle répondit : « Oui ! j’ai souvent désiré être morte, pour ne plus pécher ! »

3 décembre. — Prêché six fois ces deux derniers jours.

8 décembre. Visite à J. F., malade. Elle me paraît être maintenant tout à fait à Christ ; elle m’a raconté combien mes paroles avaient pénétré profondément dans son cœur après mon départ. A. M. m’a arrêté pour me parler de sa joie. J. B. m’a accompagné à la maison pour me dire tout ce que Dieu avait fait pour son âme depuis le jour où nous nous rencontrâmes dans une forge où nous avions trouvé l’un et l’autre un abri contre l’orage.

Dans cette rencontre, Mac-Cheyne avait simplement montré les flammes du haut-fourneau, en disant : « Qu’est-ce que ceci vous rappelle ? » — Ces quelques mots allèrent au cœur de cet homme et y firent une impression ineffaçable.

11 décembre. — Reçu la visite d’une femme réveillée il y a deux ans, le soir que je prêchai dans la prairie de J. D. sur Ézéchiel 20.43. Voici plus de vingt ans qu’elle ne prenait plus la Cène, et maintenant, pour la première fois, elle vient en tremblant me demander d’y être admise. Certainement Emmanuel est en ce lieu-ci, car ceux même qui ont vieilli dans le péché se rassemblent autour de lui. On m’indique une vingtaine de réunions de prières au sein de mon troupeau. Plusieurs sont ouvertes à tous ; et il existe aussi bon nombre de réunions purement fraternelles : il n’y en a cependant qu’une ou deux où l’on ajoute des réflexions à la lecture de la Parole. Quant à ces dernières, je pense qu’il faudra chercher à les modifier, si c’est possible, de peur que l’orgueil et l’erreur ne s’y glissent. Une autre difficulté est celle-ci : dans deux des réunions entre femmes, simples sociétés chrétiennes à l’origine, plusieurs femmes, qui ne sont que réveillées, ont été admises. Elles ne prient pas et se bornent à écouter. Dans l’une, M. et J. ont senti l’orgueil s’emparer d’elles avec une grande force ; dans l’autre, on ne put persuader M. qu’elle courût le danger de s’élever. Tout cela demande à être examiné avec prières. Mon opinion actuelle est que ces réunions présentent de grands dangers : les femmes qui prient se sentent trop au-dessus des autres ; et d’ailleurs il me semble que la Parole de Dieu condamne clairement tout enseignement public par les femmes.

12 décembre. — Je me suis senti faible tout le jour, comme si je n’étais plus capable de travailler dans la vigne du Seigneur. Le soir, j’ai ressenti davantage les effets de l’intercession du Sauveur. Mes auditeurs eux-mêmes étaient évidemment sous l’impression d’un témoignage plus qu’humain. A l’issue du culte, une pauvre pécheresse m’a attendu en sanglotant avec une grande amertume. Elle ne put rien me dire, si ce n’est qu’elle était une grande pécheresse et qu’elle ne croyait pas que Dieu voulût lui pardonner. Quand, je lui racontai comment il m’avait été fait miséricorde, sa seule réponse fut : — « Ah ! vous n’étiez pas un pécheur tel que moi ! »

d8 décembre. — Course à Glascow, en compagnie de M. A. B.. Prédication en faveur des Juifs dans l’église de Saint-Georges, complètement remplie. J’ai été assisté au moment du besoin.

Cette excursion est l’une des nombreuses courses qu’il fit de lieu en lieu dans l’intérêt d’Israël, pour raconter les choses qu’il avait vues et entendues parmi les Juifs de Palestine et d’autres pays.

22 décembre. — Prêché dans l’église d’Aderston avec beaucoup de paix et de bonheur.

23 décembre. — Conférence intéressante avec le Comité pour l’évangélisation des Juifs. Passé la soirée dans une société d’enfants de Dieu. Quelques bonnes gens de Glascow expriment une très grande horreur pour les doctrines millénaires ; mais leurs objections me paraissent bien faibles.

10 décembre. — Jeunes communiants. Deux enfants, âgés de moins de onze ans, demandent à être admis à la Cène ; quatre n’ont pas quatorze ans, et trois autres de quinze à seize ans.

1^er janvier 1840. — Par la bonté de Dieu je me suis réveillé de bonne heure, et j’ai pu me joindre, avec une liberté et une ferveur inaccoutumée, au concert de prières fixé pour ce matin avant le jour. Entrevue touchante avec M. P. qui refuse toujours d’être consolée. Il m’a été donné de crier avec elle à notre glorieux Emmanuel. Combien je désire avoir son amère conviction de péché. Le soir, reçu la visite d’une autre personne qui me dit avoir été réveillée et amenée à Christ pendant le sermon que j’ai prêché le matin du 1^er décembre sur « l’Alliance avec la mort. » Elle m’a répondu avec clarté, mais elle paraît trop peu émue pour être réellement changée.

2 janvier. — Visité six familles. Mon âme a été rafraîchie et vivifiée. Parlé de la Parole faite chair, et de tous les sentiers du Seigneur comme n’étant que gratuité et vérité. Visité, dans la soirée, par quelques personnes intéressantes : un petit garçon converti ; une femme se plaignant de ne pouvoir venir à Christ, à cause de la dureté de son cœur ; une autre rendue attentive autrefois sous mon ministère, puis réveillée de nouveau complètement et amenée à Christ par le sermon d’Horace Bonar à notre dernière communion. Elle est seule convertie dans sa famille et en butte à de terribles persécutions de la part de son père et de sa mère. Oh ! Seigneur ! fortifie les tiens ! Que par leur persévérance à porter leur croix, ils fassent connaître la puissance et la beauté de ta grâce ! Ce soir, M. Milne a parlé sur : « l’amour de Christ nous presse ; » et il est entré dans des développements extrêmement touchants. Les détails qu’il nous a communiqués sur les protestants de France étaient très intéressants, particulièrement l’œuvre de Dieu à Nîmes, où il paraît qu’on ne pêche plus à la ligne, mais qu’on ramasse avec le filet. Lecture d’une lettre de M. Cumming décrivant l’œuvre de Perth et réclamant avec ardeur les prières des enfants de Dieu.

Cette dernière phrase a trait au réveil qui venait de commencer dans l’église de Saint-Léonard, à Perth, le dernier soir de l’année, tandis que M. Burns et le pasteur, M. Milne, y prêchaient. M. Burns avait eu l’intention de revenir à Dundee pour le dimanche suivant, mais des signes manifestes de la présence du Seigneur le retinrent à Perth. Un soir, pendant une réunion, l’œuvre fut magnifique, au point que cent cinquante personnes à peu près semblèrent être, au même moment, écrasées par le sentiment de leur condamnation, et que plus de deux cents se rendirent spontanément à l’église le matin suivant pour s’y occuper des intérêts de leur âme. Ce réveil fut le commencement d’une œuvre solide de la grâce dont on retrouve, aujourd’hui, encore, bien des fruits dans des âmes marchant dans la crainte du Seigneur et dans la consolation de l’Esprit. Ce fut aussi pendant le printemps de cette même année qu’une de nos réunions de prières hebdomadaires, à Collace, dirigée par deux frères, reçut une de ces ondées bénies du Seigneur.

Mais revenons au journal de Mac-Cheyne.

3 janvier. — Visite d’une âme qui cherche la vérité ; réveillée sous mon ministère il y a deux ans et demi.

5 janvier. — Reçu deux visites : M. B. a été profondément atteint par le discours du matin.

12 janvier. — Annoncé un concert de prières pour demander que les communiants indignes s’abstiennent de la Cène, que les enfants du Seigneur soient préparés à la fête et les ministres fortifiés d’en haut.

13 janvier. — Ce matin je me suis joint en esprit à mon cher troupeau dans notre concert de prières ; mais je n’y ai pas senti mon cœur au large comme à l’ordinaire.

5 mars. — Jeudi soir. Parlé sur Zacharie ch. 3, Jéhosuha. Cela m’a conduit à rechercher les cas où l’on fait de Christ le ministre du péché. Une jeune femme se prit à pleurer tout haut avec une grande amertume. M. B. vint ensuite me dire que la pauvre M. court presque le danger d’être tuée par ses parents. On me parle encore d’une autre jeune femme qui cherche la vérité et qui est persécutée par son père. Un jeune homme est venu me dire qu’il a trouvé Christ. Roule, roule tes flots bénis, ô fleuve de la vie ! visite chaque demeure ! sauve une multitude d’âmes ! Viens, Esprit saint ! oh ! viens promptement !

25 mars. — Hier soir parlé, à Forfar, en faveur d’Israël, à un petit nombre d’amis des Juifs. Quelle corruption effrayante règne dans ce lieu ! Son cri monte devant Dieu comme celui de Sodome.

31 mars. — Conférences avec de jeunes communiants mercredi et vendredi. Pendant la dernière soirée surtout l’émotion a été vive et s’est manifestée par des pleurs. Reçu un grand nombre de visites. Un cher enfant de neuf ans. Lits de malades.

1^er avril. — Assemblée du presbytère. Constitué deux nouvelles paroisses : Dudhope et Wallace-Feus ; béni soit Dieu ! Puisse-t-il leur susciter de fidèles pasteurs à l’une et à l’autre. On a proposé aussi la fondation d’une église pour les marins, et on a fixé un jour de jeûne et d’humiliation, à cause de l’état actuel de l’Église.

5 avril. — Dimanche soir. Parlé à vingt-quatre jeunes personnes, l’une après l’autre. Presque toutes paraissent anxieuses sur l’état de leur âme.

6 avril. — Délicieuse promenade et méditation dans un bosquet retiré.

7 avril. — Senti plus vivement ce soir la nécessité absolue d’aller chercher les membres de mon troupeau dans leurs ruelles et dans leurs cours, pour leur annoncer la Parole ; sans cela jamais elle ne les atteindra. Ce soir, parlé en faveur d’Israël, dans l’église de Saint-André, à une assemblée extrêmement nombreuse. Il m’a été donné d’en appeler avec énergie aux consciences. Que le Seigneur bénisse cet appel ! Secoue cette ville, ô Seigneur !

13 avril. — Conférence avec une trentaine de jeunes communiants, tous réunis dans une chambre : je suis allé de l’un à l’autre, exhortant chacun d’eux pour le bien de tous.

22 avril. — Excursion à Collessie (comté de Fife), et à Kirkaldy. Doux moments de solitude dans les bois de Collessie.

30 juillet. — Un jeune garçon est venu dans une grande agitation me demander s’il devait confesser à son maître les petites tromperies dont il s’est rendu coupable.

A peu près à la même époque il écrit encore : « L’autre jour, je faisais une tournée de visites, lorsque j’arrivai à une porte fermée. Qu’est-ce que cela signifiait ? — Ne me tourmente pas, ne me tourmente pas ! — Ah ! Satan est encore puissant, » ajouta-t-il, faisant allusion à Marc 5.7.

4.

Mac-Cheyne n’a laissé de renseignements que sur un petit nombre des communions qui ont eu lieu dans son Église. Nous aurions été heureux qu’il eût consigné par écrit ses impressions sur chacune d’elles. La première dont il parle un peu longuement est celle dont il jouit peu après son retour de Palestine :

19 janvier 1840. — Matinée orageuse, avec torrents de pluie, mais qui s’est éclaircie en réponse à nos prières. Douce communion de prières avec M. Cumming, puis avec A. Bonar. Trouvé Dieu dans le secret. Demandé spécialement que la vue même du pain rompu et du vin répandu soit bénie pour quelques âmes ; alors il n’y aura pas lieu à l’orgueil humain. Église comble ; beaucoup étaient debout. Prêché sur Jean 17.24 : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux, etc. » Dans la prière, je me suis senti extrêmement près de Dieu, plus qu’à l’ordinaire, et j’ai eu une grande liberté dans la prédication, quoique je fusse honteux d’avoir des vues aussi pauvres de la gloire de Christ. Les auditeurs étaient tout attention, et semblaient suspendus aux paroles prononcées. Pendant que je prononçais l’excommunication, le souvenir de Actes 5.3. « Mentir au Saint-Esprit, » m’a puissamment aidé. Je suis descendu de chaire et ai servi la première table avec beaucoup plus de calme et de recueillement que je n’en ai jamais éprouvé. J’ai eu beaucoup de joie, tandis que A. Bonar servait la table suivante. Il a exhorté surtout à croire ce que nous dit Christ de sa plénitude et des promesses du Père. Il y a eu six tables en tout. L’émotion de l’auditoire gagna en force et en profondeur jusqu’à la fin. A la dernière table toutes les têtes semblaient se courber comme des joncs, tandis que A. Bonar parlait de l’ascension de Christ. Je me suis senti quelque peu aidé dans mon allocution sur Jude 1.24 : « Or à celui qui peut vous garder exempts de chute, etc., » et dans la prière finale. Un petit garçon a dit en se retirant : « Ceci a encore été un bien bon jour. » Beaucoup de ces chers enfants semblaient être profondément attentifs. MM. Cumming et Burns ont prêché dans la salle d’école la plus grande partie de la journée. Le soir M. Cumming nous a adressé, sur la colonne de nuée qui doit reposer sur chaque demeure, Esaie.4.5, quelques paroles aussi douces que puissantes. M. Burns prêchait dans l’école. Pendant qu’on sortait du temple il se forma une réunion dans la salle inférieure de l’école, où l’on se mit à chanter. Je me suis joint à eux pour le chant d’un grand nombre de psaumes, puis je leur ai adressé quelques mots sur : — « Voici, je me tiens à la porte. » — Tandis que nous retournions à la maison A. L. me dit : « Priez pour moi ; je suis tout à fait heureux, et H. aussi. » — Quoi qu’il en soit, ce jour a été l’un de ceux où Christ se révèle, douce journée pour moi-même, et, j’en suis persuadé, pour beaucoup d’autres âmes. Oh ! Seigneur, prépare-nous pour ta table dans les cieux.

Voici encore des notes sur une de ces communions, qui eut lieu en avril 1840 :

Dimanche 19 avril. — Précieuse journée. Sermon sur Zacharie 12.10 ; 13.1. Grandement aidé pendant la prédication ; comme aussi dans l’excommunication sur Psaumes 139.23 : « Sonde-moi, ô Dieu fort ! » — Moins bien disposé en faisant le service des tables, sur Osée 2.19 : « Et je t’épouserai pour moi à jamais ; » et sur Apocalypse 2.7 : « A celui qui vaincra, je lui donnerai à manger de l’arbre de vie qui est au milieu du paradis de Dieu ; » — quoique j’aie trouvé une grande douceur à rendre grâces. Pris la Cène avec une joie calme. Le vieux M. Burns a servi deux tables ; H. Bonar, cinq. Il était évident que les cœurs de presque tous les assistants se fondaient. Beaucoup aidé dans mon allocution sur : « Mes brebis entendent ma voix. » — Il était plus de sept heures lorsque le culte a été terminé. Réunis de nouveau avant huit heures. Le vieux M. Burns prêcha sur Proverbes 15.23 : — « Un mot dit à propos. » Je leur indiquai encore trois passages, et ainsi se termina ce jour béni. Beaucoup étaient remplis d’une joie ineffable et glorieuse.

Lundi 20 avril. — Sermon réellement instructif de M. Grierson sur Hébreux 12.22 : « Vous êtes venus à la montagne de Sion. » — Charmante promenade avec Horace Bonar. Le soir il a fait un sermon vraiment délicieux aux petits enfants sur « le nouveau cœur. » Après cela nous avons eu une réunion de prières. Je commençai ; puis vint le vieux M. Burns ; et enfin Horace parla avec beaucoup de vie et d’animation de « la femme samaritaine. » Tout cela produisit une grande émotion parmi les auditeurs. Après que la bénédiction eût été donnée, il resta une multitude de personnes. On aurait dit que l’une d’entre elles, A. N., avait été transpercée d’un dard : elle ne pouvait ni se tenir debout, ni s’en aller. Beaucoup de personnes la regardaient avec une expression d’horreur, tandis que d’autres cherchaient avec une grande bonté à la soulager en lui disant de regarder à Christ. M. Burns monta en chaire et leur parla de Kilsyth. Cependant personne ne se disposait à partir. J’adressai encore quelques mots à ceux qui m’entouraient, leur parlant de l’excellence de Christ et de la dureté de leurs cœurs qui pouvaient rester froids en présence d’une âme si profondément remuée. Les pleurs devinrent alors contagieux, et bientôt l’assemblée tout entière sanglota, toutes les têtes s’inclinèrent. Beaucoup de personnes à moi inconnues furent touchées dans ce moment. Après avoir prié, nous les congédiâmes : il était près de minuit. Toute une foule nous suivit à la maison. Une femme, dans l’agonie de son âme, suppliait Dieu de lui faire trouver Christ cette nuit même. Ainsi se sont terminés ces jours bénis.

En généra], les enfants de Dieu et les divers ministres qui avaient pris part à la Cène jouissaient d’une manière particulière de la réunion de prières du lundi suivant dans la soirée. Souvent tous sentaient que le dernier jour de la fête en était le grand jour. Les âmes qui y avaient participé semblaient prendre dans ce dernier moment le bras de leur Bien-Aimé et s’appuyer doucement sur lui pour traverser le désert.

C’est le 1^er janvier 1843 que Mac-Cheyne distribua la Cène pour la dernière fois, nous n’en avons retrouvé que la courte mention suivante :

Dimanche. — Heureuse communion. M. Burns a prêché mardi, mercredi et jeudi soir. Le premier et le dernier de ses sermons ont été extrêmement solennels. Vendredi nous entendîmes M. Baxter (de l’église de Hilltown), et samedi A. Bonar sur « l’esprit d’adoption, » Rom. ch. 8. Le dimanche matin, je me sentis défaillir, mais je me ranimai et reçus la force et la grâce de prêcher sur 1 Timothée 1.16 : « Mais j’ai obtenu grâce, afin que Jésus-Christ montrât en moi le premier toute sa clémence, pour servir d’exemple à ceux qui viendront à croire en lui pour la vie éternelle. » La conversion de saint Paul considérée comme un modèle. — Il y a eu cinq tables. Beaucoup d’enfants de Dieu étrangers ont pris part au service ; on pouvait aisément observer d’excellentes dispositions chez les auditeurs. « Tandis que le roi a été assis à table, mon aspicd a rendu son parfum, Cantique des cantiques 1.12. » Beaucoup de péchés ont été couverts ! Il a restauré mon âme.

d – L’aspic était une plante d’un parfum et d’un goût pénétrant, très appréciée des anciens, dont les Écritures font souvent mention, et qui entrait pour une grande part dans la composition de ce nard pur dont Marie oignit les pieds de Jésus. Jean 12.3. (Dans nos versions modernes la Lavandula spica est rendue par le mot nard, qui laisse tout de même une impression plus favorable que celui plus souvent employé pour un serpent… ThéoT_EX.)

Lundi, 2 janvier. — M. Milne de Perth a prêché sur : — « Retenez ce que vous avez ; Apocalypse 2.25. » — Le soir encore, aux enfants, sur Josué 24.15 : — « Choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir. » — André et moi avons terminé par des développements de Apocalypse 5.9 : — « Tu nous as achetés, pour Dieu, par ton sang, etc. ; et de 1 Corinthiens 15.58 : « Soyez fermes, inébranlables, abondant toujours, etc. »

Il donnait la Cène à son troupeau tous les trois mois ; mais quoique cela l’obligeât de recourir fréquemment à ses frères, il n’en est aucun qui n’ait regardé comme un privilège et une bénédiction de lui venir en aide. La première invitation qu’il ait adressée à son ami M. Hamilton, alors à Abernyte, montre quelle était la nature de ses relations avec ceux de ses frères qui lui prêtaient leur secours dans ces occasions : « Cher ami, vous voudrez bien m’excuser si je viens sans cérémonie vous prier de venir demain pour nous annoncer les richesses insondables de Christ. Dimanche nous aurons communion. Nous n’avons pas de jour de jeûne, mais seulement une réunion demain soir à sept heures et quart. Venez donc, cher ami si vous le pouvez, nous rafraîchir par votre présence. Apportez avec vous le parfum du sachet de myrrhe (Cantique des cantiques 1.13), et puisse la grâce sortir de vos lèvres. Votre affectionné, etc. (15 janvier 1840). »

5.

Peu après le retour de la mission d’enquête auprès des Juifs, une réunion de prières entre ministres fut fondée par quelques frères de Dundee. Mac-Cheyne y prit part, ainsi que M. Lewis, de l’église de Saint-David ; M. Baxter de Hilltown ; M. P.-L. Miller, plus tard pasteur de Wallace-town, et d’autres. Tous désiraient avec ardeur le salut des âmes qui leur étaient confiées, et ils se réunissaient chaque lundi matin afin de prier ensemble pour leurs troupeaux et pour leurs propres âmes. La séance durait une heure et demie seulement, afin que ceux qui y assistaient ne fussent pas exposés à négliger leurs devoirs pastoraux. Outre la prière, les membres présents conversaient sur quelque sujet choisi d’avance et en rapport étroit avec leurs devoirs de ministres de Christ. Mac-Cheyne ne s’en absenta jamais à moins d’impossibilité, et ses collègues ne se souviennent pas d’une seule réunion où il ne leur ait communiqué quelque observation importante. Lui-même en recueillit grand profit ; quelques-unes de ses notes en font foi.

8 Décembre. — Cette semaine a été profondément intéressante. Nos réunions de prières ont commencé lundi dans la sacristie de Saint-David. Les cœurs de tous paraissaient prendre la chose au sérieux. Le Seigneur répond à la prière : puisse-t-il bénir ces exercices pour nos âmes et pour nos paroisses ! Plus tard encore : « Réunion dans la sacristie de Saint David. La conversation a roulé sur le jeûne. Senti fort vivement pour ma part combien peu de chagrin réel nous éprouvons de nos péchés ; sans cela nous en perdrions souvent jusqu’au désir de manger. Lorsque des parents perdent un enfant, il n’est pas rare de les voir se passer de nourriture du matin au soir, tellement leur désolation est grande. Ne devrions-nous pas aussi mener deuil sur nos péchés comme sur un fils unique ? Oh ! combien nous possédons peu de l’esprit de grâce et de supplication ! »

30 décembre. — Douce réunion de ministres. On a cité d’un grand nombre de passages intéressants sur « les arguments qui peuvent être employés auprès de Dieu dans la prière. » Combien peu je m’en suis servi ! Nous devrions étudier davantage la prière.

Constamment rempli d’affection et de bonté chrétienne envers tous les enfants de Dieu, il l’était tout particulièrement envers les frères fidèles dans le ministère de l’Évangile. Jamais personne, peut-être, ne se tint plus soigneusement en garde contre le danger de ne pas apprécier à leur valeur des hommes excellents, ou de rabaisser un frère. Ambitieux par nature, la grâce avait si puissamment travaillé dans son cœur, que bien loin de chercher à se mettre lui-même en évidence, il observait et relevait avec la plus grande joie les grâces et les dons accordés à d’autres. Et ne devrions-nous pas avoir tous le même sentiment ? — « Car le corps n’est pas un seul membre, mais plusieurs membres ; et l’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi ; ou encore, la tête aux pieds : je n’ai pas besoin de vous. »

Tous les frères qui ont joui de quelque intimité avec lui se rappellent encore avec gratitude la fidélité et l’amour avec lesquels il les avertissait des dangers auxquels il les croyait exposés. Ainsi, il écrit à M. William G. Burns, le 31 décembre 1839 : « Maintenant, que le Seigneur soit votre force ; qu’il vous éclaire, vous fortifie et vous guide. Je vous en supplie, soyez revêtu d’humilité, de peur que vous ne deveniez une de ces étoiles errantes auxquelles l’obscurité des ténèbres est réservée pour toujours. Il faut que Jésus croisse, et que l’homme diminue. C’est ma prière constante pour moi-même et pour vous. Si vous amenez les pécheurs à vous et non à Christ, il précipitera l’étoile, de sa main droite, dans les ténèbres les plus profondes. Rappelez-vous ce que je vous ai dit de la prédication par les Écritures : honorez la parole aussi bien quant au fond que quant à la forme. Ne cessez pas de prier pour moi. » — Dans une autre occasion (3 novembre 1841), il écrit encore au même ami : « Souvenez-vous que Moïse ne savait point que la peau de son visage fût devenue resplendissante. C’est la mort de la vie spirituelle et du ministère que de s’arrêter à considérer notre propre splendeur. Oh ! que ne pouvons-nous entrer avec Dieu dans une communion si intime, que l’âme et le corps, la tête, le visage et le cœur, tout en nous resplendisse d’un éclat divin, mais que nous soyons dans une sainte ignorance de cet éclat ! Demandez-le, car vous en avez besoin tout comme moi. »

Un autre ami lui ayant écrit avec découragement au sujet de son troupeau et de l’esprit du temps, il répond : — « J’ai la conviction qu’à aucune époque l’Esprit de Dieu n’a été aussi répandu et aussi puissant en Écosse, et il ne vous sied point de murmurer dans vos tentes, mais bien plutôt de rendre grâces. Souvenez-vous que nous pouvons contrister l’Esprit aussi bien en ne reconnaissant pas avec joie les merveilles qu’il opère, qu’en négligeant de prier pour l’obtenir. Il est de toute évidence que Dieu sauve des âmes à Kilsyth, Dundee, Perth, Collace, Blairgowrie, Strathbogie, Ross-shire, Breadalbane, Kelso, Jedburgh, Ancrum ; et certes, il convient de dire : « Je rends grâces à mon Dieu toutes les fois que je me souviens de vous. Philippiens 1.3. » Pardonnez-moi ma présomption, mais je crains que vous ne nuisiez à votre propre paix et au succès de votre ministère en oubliant trop de bénir Dieu pour l’œuvre de ses mains. » — Il écrit à un autre ami : « Je vous ai dit que vous aviez besoin d’être affligé, et aujourd’hui l’affliction est venue. Puisse-t-elle être un exercice salutaire qui vous fasse arriver à ce bienheureux ensuitee dont parle l’Apôtre. » — Au même encore : « Souvenez-vous des besoins de votre âme, et ne devenez point lâche ou desséché en nourrissant les autres. » Je n’ai point gardé ma propre vigne. » Oh ! prenez garde à cet avertissement. — La même fidélité se retrouve dans les lignes suivantes, d’une date postérieure : « N’oubliez pas votre propre âme ? Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier s’il fait la perte de son âme. — Rappelez-vous combien souvent Paul en appelle à sa vie sainte, juste et sans blâme. Oh ! puissions-nous être constamment en état de l’imiter ! » — « Souvenez-vous de la serpe, écrit-il à un troisième, et ne permettez pas à votre vigne de ne produire que du bois. » — Après avoir fait une visite à M. Thornton de Mihrathort, qui venait d’avoir un réveil dans sa paroisse, il demande à un ami : « M. Thornton consent de bon cœur à voir d’autres frères obtenir de plus grandes bénédictions que lui-même : croyez-vous posséder cette grâce ? Je trouve que je n’ai jamais tant de succès que lorsque je puis me placer aux pieds de Jésus, disposé à être employé ou non, suivant qu’il le jugera bon. Vous souvenez-vous de David ? — « Que si l’Éternel me dit ainsi : Je ne prends point de plaisir en toi ; me voici, qu’il fasse de moi ce qui lui semblera bon (2 Samuel 15.26). » Les lettres de Mac-Cheyne, comme sa vie tout entière, manifestent une âme droite, élevée, pleine de paix et de joie, où l’on ne rencontre pas la plus petite tendance à la légèreté. Son médecin ayant refusé un jour toute rémunération pour les soins qu’il lui avait donnés, Mac-Cheyne s’opposa formellement a cette façon d’agir, et pour vaincre la résistance de son ami, lui retourna ses honoraires accompagnés d’une épître en vers, pétillante d’à-propos et de traits spirituels.

e – Allusion à Hébreux 12.11. — « Or toute discipline ne semble pas sur l’heure être un sujet de joie, mais de tristesse ; mais ensuite elle produit un fruit paisible de justice à ceux qui sont exercés par son moyen. (Trad.)

Les personnes qui le voyaient de près s’étonnaient souvent de ce qu’au milieu de la multiplicité de ses occupations, il trouvait encore le temps d’écrire un si grand nombre de lettres, qui toutes respiraient la vie de Christ. Mais, à dire vrai, sa correspondance lui coûtait peu de temps. Elle était toujours l’expression de ses pensées et des sentiments de son âme au moment où il prenait la plume : chacune de ses lettres révèle ainsi les dispositions habituelles de son cœur. Son style, calme, saint et affectueux, rappelle Samuel Rutherford, dont il aimait extrêmement les œuvres, à cette différence près que sa joie ne paraît pas être jamais allée jusqu’à l’extase. C’est chose admirable de voir avec quelle sainte habileté il savait profiter de toutes les occasions pour laisser tomber quelques mots propres à avancer le règne de son Maître. Il avait l’art d’introduire la vérité avec tant de naturel et d’originalité, même dans ses billets les plus courts, que beaucoup de personnes en ont reçu de vives impressions. Et la conclusion de quelques-unes de ses lettres a quelque chose de si élégant à la fois et de si sérieux, qu’elle restait gravée dans le souvenir de ceux auxquels elles étaient adressées. Nous en citerons un petit nombre d’exemple : écrivant le 28 juillet 1841, à M. G. S., il termine par les mots suivants : « Rappelez-moi au souvenir de H. F. Je prie le Seigneur qu’il demeure en Christ. Mes meilleures salutations à sa mère. Dites-lui de ma part : Conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre séjour sur la terre, sachant que ce n’est pas par des choses corruptibles, par de l’argent ou par de l’or, que vous avez été rachetée. 1 Pierre 1.17-18. — Conservez votre propre cœur, cher frère, dans l’amour de Dieu, Jude 1.21 ; dans son amour pour vous ; et votre amour pour lui en sera augmenté. Mes plus tendres amitiés à votre frère. Dites-lui : Soyez sobres et espérez parfaitement, 1 Pierre 1.13. A votre mère bien-aimée : Ce n’est pas volontiers qu’il afflige et contriste. Écrivez-moi bientôt. Toujours à vous jusqu’à la fin des temps. » — Un billet aux membres de sa famille contient les paroles suivantes : « Semblable à un miroir resplendissant, les eaux du Tay brillent devant moi aux rayons du soleil levant. Puisse le même soleil luire doucement sur vous, et que Celui qui le fait luire resplendisse lui-même dans vos cœurs pour vous donner la connaissance de la gloire de Dieu en la face de Jésus-Christ. A la hâte, votre affectionné fils et frère, etc. » — Ses lettres renferment souvent des exclamations comme celle-ci : « Oh ! quelques gouttes de la rosée d’en haut sur les pâturages du désert. Que le sourire de Jésus soit avec vous, et les soupirs du Saint-Esprit en vous. Votre affectionné, etc. » — Au Rév. J. Milne : « Puisse le souffle de l’Esprit passer de Perth ici, et d’ici à Perth, et du ciel à tous deux. Votre, etc. » — Au même : « Le temps est court, l’éternité est proche ; oui, nous touchons à la seconde venue de Christ. Assurez-vous que vous êtes un avec le Seigneur Jésus, afin que vous soyez heureux quand vous le verrez. En vous remettant tous à la garde de notre Père qui est dans les cieux, etc. » — A son frère : — « J’ai devant moi une multitude de lettres à répondre, et ne puis vous en dire davantage ; mais je vous envoie encore un texte comme souvenir : Attristés, mais toujours joyeux. » — A une autre personne : « Au revoir, tout à vous jusqu’à ce que le jour paraisse. » — A la fin d’une lettre au Rév. Horace Bonar, à propos de divers arrangements pastoraux, il ajoute : « Je suis humilié autant que réjoui de ce que vous me dites du bien opéré à Kelso. Roule, roule toujours tes flots, fleuve de Dieu ; tu as des eaux en abondance. Une femme est venue me voir, réveillée par le sermon que j’ai adressé aux enfants dans l’église de la Croix, et ayant une amère conviction de péché. Gloire soit à Celui qui brise les cœurs ! » — Il termine comme suit une lettre à un étudiant : « Que la grâce soit avec vous, et une grande connaissance de Jésus, et une ressemblance croissante avec Lui. J’ai soif de connaître la Parole, mais par-dessus tout, de connaître Jésus lui-même, la vraie Parole. Puisse-t-il demeurer en vous, et vous en Lui. Que la frayeur d’Isaac soit sur vous ! (Genèse 31.42) » Enfin, quelques semaines seulement avant sa dernière maladie, en février 1843, il finit une lettre à M. Bonar de Larbert par ces mots : « Mon âme se présente souvent devant le trône de grâce en faveur de Larbert et de Dunipace. Puisse la crise de l’Églisef leur être en plus grande bénédiction que les jours de paix ! Comme il sera doux de se trouver dans l’arche quand viendra le déluge ! Toujours à vous dans les liens de l’Évangile. »

f – La fondation de l’Église libre d’Écosse était alors imminente. (Trad.)

6.

Les missions auprès des Juifs continuaient à lui tenir fort à cœur : « Elles me sont plus chères qu’aucune des autres œuvres missionnaires, » disait-il à M. Edwards, aujourd’hui à Jassy. « N’eussent été les succès que Dieu m’a accordés dans ma paroisse, et le sentiment de ma propre insuffisance, je m’y serais dévoué avec joie. » — Pendant l’été de 1840, il fut invité à visiter l’Irlande, et à assister au Synode de nos frères presbytériens, pour y plaider aussi la cause d’Israël. Au moment où il se préparait à partir il fait allusion dans son journal à la fidélité avec laquelle Dieu le conduisait.

2 juillet. — Je m’attendais à être aujourd’hui en Irlande. J’ai été retenu par l’impossibilité de trouver un remplaçant pour dimanche, grâce à la bonne Providence de Dieu, car un grand réveil s’est manifesté dans le temple tandis que je prêchais sur Philippiens 3.18. « Ennemis de la croix de Christ. » Lorsque j’en suis arrivé à l’explication de cette partie de mon texte, des sanglots se sont fait entendre ; autant que j’en puis juger, il semblait qu’une quarantaine de personnes fondaient en larmes ; il y avait une grande émotion dans le reste de l’assemblée ; beaucoup priaient en secret. — Le dimanche suivant, une personne fut si profondément accablée par le sentiment de ses péchés, qu’on dut l’emporter hors de l’église.

Parti le 7 pour l’Irlande, il fut témoin, le 10 juillet, de la fusion qui a eu lieu entre le Synode d’Ulster et l’église de la sécession. Il en parle comme d’une scène extrêmement solennelle ; cinq cents ministres et anciens étaient présents. Il profita de son séjour pour prêcher dans plusieurs églises et pour visiter M. Kirkpatrik, à Dublin. Chacun de ses discours en faveur d’Israël lui fournit l’occasion d’annoncer aussi le chemin du salut aux Gentils. Sa visite éveilla un intérêt profond pour la cause des Juifs, et beaucoup de consciences furent saisies par sa parole. Quelques personnes reçurent des impressions ineffaçables de son sermon sur Ézéchiel 34.16 : « Je rechercherai celle qui sera perdue, et je ramènerai celle qui sera chassée ; je banderai la plaie de celle qui aura la jambe rompue, et je fortifierai celle qui sera malade ; mais je détruirai la grosse et la forte ; je les paîtrai par raison. » Et lorsqu’il prêcha sur Romains 1.16 : « Car je n’ai pas honte de l’Évangile de Christ, vu qu’il est la puissance de Dieu en salut à tout croyant ; au Juif premièrement, puis aussi au Grec. » On entendit à l’issue du culte beaucoup de ministres se demander les uns aux autres : « Comment est-il possible que nous n’ayons jamais pensé, jusqu’à présent, au devoir de se souvenir d’Israël ? » — Dans une autre occasion, ses auditeurs supplièrent leur pasteur de lui demander une seconde prédication, ou, si cela n’était pas possible, qu’il voulût bien au moins prier encore une fois avec eux. Cependant cette absence ne fut pas de longue durée. Le 25 juillet, il écrit : « Arrivé à la maison sans être le moins du monde préparé pour le service du soir. Méditation sur Psaumes 51.12-13 : Rends-moi la joie de ton salut, et que l’esprit d’affranchissement me soutienne. J’enseignerai tes voies aux transgresseurs, et les pécheurs se convertiront à toi. — La présence de Dieu semblait être vivement sentie. Une personne commença à pleurer dans l’angoisse de son âme, puis une autre. Beaucoup étaient vivement remués, tous sérieux. Moi-même j’ai éprouvé une grande liberté à parler de la gloire du salut par Christ. En descendant de chaire, je me suis adressé avec une grande douceur à quelques personnes que je savais profondément travaillées. Bientôt on les entendit pleurer toutes ensemble ; beaucoup se joignirent à ce groupe. M. Cumming leur parla de la manière la plus touchante, tandis que je serrais de plus près, d’une manière plus directe et plus personnelle, bon nombre de personnes qui s’étaient retirées dans la sacristie. Leurs pleurs étaient souvent d’autant plus amers et leurs cris d’autant plus perçants, que la gratuité de Christ leur était plus vivement présentée. Plusieurs ont été irrités de nos instances, mais n’importe ; je n’ai jamais eu le moindre doute sur notre devoir de déclarer toute la vérité d’une manière saisissante, puis d’abandonner à Dieu le résultat. S’il sauve des âmes dans le calme et le silence, j’en serai heureux ; mais si, au milieu de cris et de larmes, je n’en bénirai pas moins son nom. Il s’est passé de tristes choses : un homme qui se prétend missionnaire auprès d’Israël, et qui remet en évidence le livre apocryphe d’Enoch, s’est introduit pendant mon absence au sein de mon troupeau et a entraîné beaucoup de gens après lui. Quelle humiliation pour eux et pour moi ! Oh ! Seigneur, qu’est-ce que de l’homme ! Et cependant cela même peut être béni, premièrement en manifestant comme ivraie ce que nous pensions être du bon grain ; puis en amenant quelques personnes à une plus grande défiance d’elles-mêmes, lorsque leurs yeux seront ouverts ; enfin en me montrant la nécessité urgente de donner une instruction solide à ceux qui paraissent avoir reçu la grâce dans leur cœur. »

L’œuvre de Dieu se poursuivait alors, avec tant de succès que Mac-Cheyne exprimait à M. Purves, pasteur à Jedburgh, la conviction que pendant les quelques mois qui précédèrent cette époque, il n’était aucun ministre de Christ prêchant d’une manière vivante qui n’eût été en bénédiction à quelqu’une des âmes de son troupeau.

En divers lieux de l’Écosse, l’Esprit du Seigneur soufflait avec puissance. Nous avons déjà parlé de Perth et de ses environs. Dans le Ross-shire, des congrégations entières s’émouvaient souvent comme un seul homme ; la voix des ministres était étouffée au milieu des pleurs d’âmes angoissées. Une œuvre de conversion plus silencieuse, mais très solide, se poursuivait à Kelso, sous les soins de M. Horace Bonar, et à Jedburgh, sous ceux de M. Purves. A Ancrum, jadis l’un des champs de travail de John Livingston, la vaste paroisse tout entière se réveilla ; mais ce furent surtout les hommes qui en ressentirent l’influence. Sur les rives du Lochtay, où M. Burns travaillait pour quelque temps, les signes de l’œuvre de l’Esprit se montraient partout. Les montagnards traversaient le lac par centaines pour venir écouter la Parole de vie, assis sur le flanc de la colline, offrant ainsi une représentation fidèle de ce qui s’était passé en Galilée au commencement de la prédication de l’Évangile. Le pasteur de Lawers, M. Campbell, qui s’est depuis endormi au Seigneur, parlait du réveil comme « d’une véritable résurrection, » tellement le changement de la mort la plus complète à une anxiété intense était grand et subit. Dans beaucoup de cas, l’Esprit semblait agir sur les congrégations comme ces vents violents qui forcent les lourds épis à s’incliner jusqu’à terre. Il était évident à tous ceux qui savaient discerner les signes des temps, que le Seigneur préparait l’Écosse à une crise peu éloignée.

Plusieurs des districts du Strathbogie avaient eu part jusqu’à un certain point à ces bénédictions. Partout où il y avait des ministres fidèles, ils étaient dans l’attente de voir descendre la rosée d’en haut, et tous étaient grandement encouragés à se mettre plus hardiment à la brèche pour la purification du sanctuaire. Ils se complaisaient dans l’espoir que l’Église nationale d’Écosse deviendrait avant peu pour toutes les nations le modèle d’une Église de Christ pure, reconnue et soutenue par l’État, sans être entravée et bien moins encore contrôlée en quoi que ce soit par le pouvoir civil. Mais Satan suscitait des adversaires de tous les côtés.

La Cour d’Assises avait en effet adopté à l’égard de l’Église d’Écosse une ligne de conduite arbitraire à la fois et inconstitutionnelle. Enfin elle en vint jusqu’à interdire à tous les ministres d’Écosse, sous peine d’amende et d’emprisonnement, d’administrer les sacrements et de prêcher la Parole dans l’une des sept paroisses du Strathbogie, dont les titulaires avaient été suspendus officiellement par l’Assemblée générale, pour méfaits ecclésiastiques. L’Église reconnut immédiatement qu’il était de son devoir de refuser obéissance à une interdiction qui mettait obstacle à la prédication de Jésus et qui menaçait ses libertés constitutionnelles ; des ministres furent donc envoyés dans ces paroisses, sans crainte de ce qui en pourrait résulter, et par le moyen de leur prédication, les épaisses ténèbres qui couvraient ces régions commencèrent à se dissiper devant la lumière de la vérité.

Au mois d’août, Mac-Cheyne fut invité à se rendre à Huntly, en compagnie de M. Cumming de Dumbarney, pour y distribuer la cène du Seigneur. En passant, il exprima l’espoir, « que les rosées de l’Esprit se changeraient en une pluie abondante. » Sa visite fut en bénédiction à un grand nombre de personnes. Le service du matin, en plein air, près de la fontaine de la prairie, fut présidé par M. Cumming, après quoi l’on prit la Cène dans le local où la congrégation se réunissait habituellement. Le soir, Mac-Cheyne prêcha de nouveau près de la fontaine, à une véritable multitude : après le culte, une centaine de personnes demeurèrent pour prier ensemble ; plusieurs d’entre elles dans une angoisse profonde.

7.

Le 11 août, il se rendit à Edimburg, à l’assemblée de ministres et anciens réunis pour signer l’Engagement solennel de défendre les libertés de l’Église de Christ. Il n’hésita pas un moment à prendre part à cette manifestation. A peine de retour à Dundee, il fut atteint d’un de ces accès de son mal, qui revenaient si fréquemment. Celui-ci pourtant dura peu. — « Ma santé, fait-il observer, a repris une meilleure tournure, ce qui devrait me porter à regarder en haut. » Mais le 6 septembre déjà il fut saisi d’une nouvelle crise de fièvre, qui lui valut six jours de souffrances. Immédiatement avant cette dernière attaque, il avait reçu la visite de trois personnes, venues pour lui raconter comment elles avaient été amenées à Christ, quelques années auparavant, par son ministère. « Pourquoi, » se demande-t-il dans son journal, « pourquoi Dieu m’a-t-il fait connaître cela cette semaine ? Il me prépare certainement quelque épreuve de foi. » — Comme on vient de le voir, l’évènement prouva la justesse de ses pressentiments. Son Maître le préparait à passer par le creuset, et se servait de la fournaise même pour accomplir ses desseins envers son serviteur. Ces épreuves dans son corps n’étaient pas du reste les seules ; il avait à en porter d’autres encore qui lui semblaient bien lourdes ; mais en toutes nous pouvons discerner la main du vigneron émondant le sarment afin qu’il porte plus de fruits. Comme il le disait lui-même dans une réunion à Abernyte : « Si nous pouvions saisir d’un regard l’ensemble de toutes choses, nous verrions que le Père ne fait dans le monde guère autre chose que cultiver sa vigne. »

A mesure qu’il avance, la prédication devient pour lui de plus en plus une œuvre de foi. On trouve écrit en tête ou à la fin des manuscrits de presque tous ses sermons de cette époque, des exclamations comme celles-ci : « Maître, secours-moi ! » — « Aide, Seigneur, aide-moi ! » — « Envoie les ondées ! » — « Fais grâce, donne l’Esprit, et prends la gloire ! » Puissent mes lèvres s’ouvrir pour dire des choses droites ! (Proverbes 8.6) » — Du reste, on pourra juger de l’impression que sa parole produisait par ce que lui disait un homme réveillé avec lequel il conversait : — « Il me semble parfois que l’enfer serait un refuge contre la colère de Dieu ! »

Il prenait un singulier plaisir dans la prédication. Lui-même disait souvent qu’il pouvait à peine résister à une invitation quelconque de prêcher. Et ce goût ne provenait nullement de l’excitation naturelle qu’on éprouve à tenir en suspens l’attention de milliers d’âmes, car il était également disposé à proclamer Christ à de petites assemblées. Bien plus, on le trouvait toujours prêt à aller bien loin, fût-ce pour visiter et consoler une seule âme. Cela lui arriva cette même année ; et après avoir fait tout un voyage pour donner un verre d’eau à un disciple, il fait observer « combien souvent le Seigneur Jésus s’est détourné de sa route pour chercher une seule âme ! ainsi pour le démoniaque et pour la Cananéenne. »

En février 1841, il visita Kelso et Jedburgh pour y prendre part à la distribution de la Cène, et accepta avec plaisir une invitation analogue à Ancrum, afin d’y être témoin de l’œuvre puissante que le Seigneur y avait opérée. — « Oh ! quels lieux pleins d’intérêt écrit-il, que ceux où Emmanuel a manifesté son glorieux pouvoir par la conversion des pécheurs ! Le monde aime à contempler le théâtre de grands combats et de brillantes victoires. Ne devons-nous pas, nous aussi, aimer les lieux où notre grand capitaine a remporté quelqu’une de ses merveilleuses victoires ? La conversion d’une âme n’est-elle pas plus digne d’être racontée que la prise de Saint-Jean d’Acre ? » Quelques personnes de Kelso se souviendront longtemps des paroles qu’il adressa à une jeune fille malade qu’il visitait. « Christ heurte une dernière fois. Craignez, lorsque vous sentez votre cœur devenir dur et indifférent, craignez que Jésus n’ait heurté pour la dernière fois. » L’impression qu’il laissa à Jedburgh fut celle d’une sainteté particulière. Sa physionomie, son maintien, pleins de sérénité et de sérieux, plus encore que ses paroles, faisaient sentir aux uns qu’ils se trouvaient en présence d’un homme tout entier à Dieu, tandis que d’autres étaient plus frappés de ses prières, qui leur semblaient comme les soupirs d’une âme ayant déjà pénétré jusqu’au dedans du voile. (Hébreux 6.19)

Nous le voyons proposer à un ministre qui se rendait à l’Assemblée générale de cette année-là, « qu’une commission fût chargée de rédiger une Confession des péchés, pour tous les ministres de l’Église. » A cette époque aussi, son esprit est tourmenté de l’état des paroisses placées sous l’influence pétrifiante du modérantisme. Son journal en renferme des traces : « Mon cœur s’est beaucoup préoccupé de la nécessité absolue pour l’Église d’envoyer l’Évangile aux paroisses mortes ; aussi longtemps du moins que les pasteurs actuels seront en charge. On est forcé de confesser que beaucoup de nos ministres ne prêchent pas l’Évangile ; hélas ! parce qu’ils ne le connaissent pas. Et cependant ils sont entièrement maîtres de leur chaire, et peuvent empêcher que la vérité n’y soit prêchée tant qu’ils vivront. Et l’Église pourrait laisser, sans un soupir, des paroisses entières à leurs tendres soins, pendant un demi-siècle peut-être ! Ne devrait-on pas consacrer certains hommes en qualité d’évangélistes, avec l’autorisation de prêcher dans toutes les chaires de leur circonscription ; des prédicateurs fidèles, judicieux et vivants, qui pourraient aller de paroisse en paroisse, porter ainsi la vie en bien des coins où l’on ne trouve encore que la mort ? » C’était un sujet sur lequel il revenait souvent, et il citait alors avec chaleur l’exemple du presbytère d’Aberdeen, qui avait fait de cette affaire la matière de discussions et de propositions. Quelques-unes de ses dernières lettres nous donnent à penser qu’à la fin de sa vie il examina sérieusement et a plusieurs reprises s’il ne serait pas de son devoir d’abandonner la charge fixe de pasteur, pour se mettre au service de l’Église en qualité d’évangéliste itinérant. Ses sentiments étaient si ardents à cet endroit, qu’un de ses amis raconte que passant un jour avec lui dans une paroisse dont le pasteur « se vêtait de laine, mais ne paissait point le troupeau ; » sa figure prit une expression d’indignation, et il agita la main avec véhémence on parlant de ces pauvres gens qu’on laissait périr sous un tel ministère.

Les frères presbytériens d’Irlande avaient tellement apprécié sa première visite qu’ils l’invitèrent d’une manière pressante à la renouveler cette année, (1841). C’est ce qu’il fit au mois de juillet. Ses prédications, les détails qu’il donna de l’œuvre de Dieu en Écosse, ranimèrent et vivifièrent beaucoup de chrétiens. On y parle encore de son sermon sur Cantique des cantiques 8.5-6. « Qui est celle-ci qui monte du désert, mollement appuyée sur son Bien-Aimé ? Je t’ai réveillée sous un pommier, là où ta mère t’a enfantée, là où celle qui t’a conçue t’a enfantée. Mets-moi comme un cachet sur ton cœur, comme un cachet sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, et la jalousie est cruelle comme le sépulcre ; leurs embrasements sont des embrasements de feu et une flamme très violente. » Son esprit de prière, sa sainteté ont également laissé des impressions durables. Ce fut pendant son séjour que l’Assemblée irlandaise reçut un mémoire en faveur d’une mission auprès des Juifs, et sa présence contribua grandement à assurer le succès des propositions qui y étaient faites.

Au mois de septembre il s’associe de tout son cœur à la proposition d’un concert général de prières et il prend part à la réunion préliminaire, composée de chrétiens de toutes les dénominations. — « Combien sont doux les efforts même les plus faibles pour obtenir l’unité ! » — écrit-il dans son journal. Et il désirait avec tant d’ardeur une unité scripturaire, que l’Assemblée générale ayant peu après abrogé le Statut de 1799, il s’empressa de montrer la sincérité de ses désirs d’union en cédant sa chaire à deux frères séparés, et en publiant l’apologie de sa conduite lorsqu’il fut attaqué. Aussi écrivait-il à l’un de ses amis : — « Les chapitres xv et xvi de la Confession de foi me ravissent. Oh ! que la grâce qui était dans les théologiens de Westminster soit répandue sur cette génération d’hommes si inférieurs. »

Comme il était évident que le Seigneur avait mis le sceau de son approbation sur l’œuvre de Mac-Cheyne, des amis zélés voulurent à plusieurs reprises l’engager à changer la sphère de son activité. Après chacune de ces sollicitations, il recherchait avec simplicité les indications de la volonté du Seigneur. Ses intérêts temporels paraissent à peine l’a voir jamais occupé dans l’examen de questions de ce genre, car sa vie a réellement été une vie de désintéressement. Ici nous ne pouvons résister au plaisir de citer in extenso une lettre qu’il écrivit à M. Heriot de Ramornie, à propos d’une demande de ce genre dont beaucoup de personnes attendaient la réponse avec anxiété :

Dundee, 24 décembre 1841.

      « Cher Monsieur,

J’ai reçu de mon ami M. Mac-Farlane de Collessie, une lettre me demandant ce que je ferais si le troupeau de Kettle m’exprimait officiellement son désir de m’avoir pour pasteur, et me priant de vous donner directement ma réponse. On m’a demandé à bien des reprises de quitter Dundee, sans que j’aie jamais vu clairement qu’il fût de mon devoir de le faire. Je me sens tout à fait à la disposition de mon divin Maître. En entrant dans le ministère, je me suis donné à Lui, et dès le premier jour il m’a guidé par la colonne de nuée jusques à maintenant. Je pense que je quitterais cette ville demain s’il me le commandait ; mais chercher à la quitter, je ne l’ose ni ne le peux. Si mon ministère était sans fruit ici, si Dieu y appesantissait sa main et n’y bénissait pas le message du salut, — alors je m’en irais volontiers, car j’aimerais mieux mendier mon pain que de prêcher sans résultat ; mais le succès ne m’a jamais manqué. Cette semaine encore a abondé en fruits bénis plus que beaucoup de celles qui l’ont précédée, ce qui a peut-être eu pour but de me porter à faire refuser sans hésiter vos propositions. Si je vous ai parlé de ces choses, ce n’est pas, je l’espère, pour en tirer vanité, mais simplement pour vous montrer sur quoi je me fonde pour ne pas donner suite à vos offres. Ici quatre mille âmes s’attendent à moi. Des biens de ce monde, j’en possède autant que je me soucie d’en avoir. J’ai pleine liberté de prêcher l’Évangile nuit et jour, et l’Esprit de Dieu est souvent avec nous. Que puis-je désirer de plus ? « J’habite au milieu de mon peuple. » Des centaines d’âmes regardent à moi comme à un père, et je craindrais de n’être qu’un mercenaire, si je les abandonnais au moment où les eaux de l’adversité commencent à fondre sur eux. Je connais les besoins de la paroisse de Kettle, et son importance, ainsi que le peu d’espoir que vous avez d’obtenir un ministre fidèle. Toutefois, l’événement est entre les mains de Dieu. Pour moi, mon chemin m’est clairement tracé par la Parole de Dieu.

En demandant au Seigneur Jésus de vous envoyer un ministre selon son cœur, je vous prie de me croire, etc. »

8.

Ce fut pendant le courant de cette année que la question du dimanche commença à l’intéresser tout particulièrement. Son traité, intitulé : « J’aime le jour du Seigneur, » parut le 18 décembre ; cependant sa position de président du Comité du Presbytère pour l’observation du Dimanche, lui avait déjà fourni le moyen de faire beaucoup en faveur de cette cause, et il avait publié sa lettre, bien connue en Écosse, à l’un des plus habiles défenseurs du principe opposé. Depuis cette époque, il ne cessa de combattre pour en amener le triomphe. Et cette cause ne mérite-t-elle pas une place dans les prières et dans les efforts de tout chrétien ? Il ne les lui refusera pas s’il considère que le Seigneur a mis ce jour à part afin qu’un doux repos dans son amour pût être offert à un monde déchu, jour dans lequel toute voix du monde devrait se taire pour que les trompettes d’argent pussent proclamer le rachat des pécheurs. Et qui ne voit la profonde habileté avec laquelle Satan cherche à annuler l’une des ordonnances les plus miséricordieuses de notre Dieu Sauveur ?

La conduite de Mac-Cheyne était en accord parfait avec ses principes : il observait le dimanche strictement à la fois et joyeusement. Pour lui, la jouissance de la communion de Dieu était le plus grand des privilèges accordés à l’homme, et il croyait fermement que le jour du Seigneur devait être consacré tout entier à en jouir. Une lettre qu’il écrivit plus tard montre comment il voyait dans le dimanche ce jour dans les parvis de l’Éternel, qui vaut mieux que mille ailleurs. Un frère l’avait consulté sur un point de conscience. Il s’agissait de résoudre la question de savoir « s’il y a péché ou non à prendre note, le dimanche, d’observations météorologiques ? » — Voici sa réponse, marquée au coin d’une sainte sagesse, et qui révèle la place que le Seigneur occupait au plus profond de son cœur :

Dundee, 7 décembre 1841.

      « Cher ami,

Vous me posez une question difficile. Si vous m’aviez demandé ce que je ferais en pareil cas, il m’aurait été aisé de vous répondre. J’aime trop le jour du Seigneur pour y noter à chaque heure la hauteur du baromètre et du thermomètre. J’ai une autre œuvre à faire, plus élevée et meilleure, qui ressemble davantage à celle des anges dans le ciel. Et je suis d’autant plus heureux que je puis donner plus entièrement mes dimanches à Dieu, et oublier à demi que je ne suis pas devant le trône de l’Agneau, avec ma harpe d’or ; et je sens qu’il est de mon devoir d’être aussi heureux que je le puis et que Dieu a voulu que je le sois. La joie de l’Éternel est ma force. Mais si un autre chrétien peut passer le dimanche au service du Seigneur, et marquer les degrés de chaleur et de pression atmosphérique, sans laisser s’affaiblir la chaleur de ses affections, ou perdre l’atmosphère du ciel ; c’est ce que je ne puis dire : ma conscience ne fait pas loi pour d’autres. Il est une chose, cependant, que ces hommes de science nous peuvent enseigner : c’est d’être aussi soigneux de noter les changements et les progrès dans les dispositions de notre âme, qu’ils le sont de marquer les variations de la température. Aucune heure ne doit s’écouler sans que nous ayons regardé à Dieu pour obtenir paix et pardon. La plus noble des sciences est celle qui enseigne à vivre dans une communion de toutes les heures avec Dieu en Christ. Puissions-nous, vous et moi, en apprendre davantage là-dessus, et bénir Dieu de ce que nous ne sommes pas au nombre de ces sages et intelligents à qui ces choses sont cachées. Que la grâce du Dieu du Sabbat soit avec vous, etc. »

A cette époque, le Compte-rendu de noire mission auprès d’Israël, n’avait point encore été livré au public. La multiplicité de nos travaux et les appels incessants du devoir nous contraignirent d’interrompre plusieurs fois la préparation de cet ouvrage. Mac-Cheyne trouvait extrêmement difficile de réserver un jour ou deux à ces travaux. « C’est un dur métier de cumuler l’œuvre d’un pasteur diligent avec celle d’un auteur. Comme Calvin aurait souri à la vue de mes difficultés ! » Enfin, au mois de mars 1842, nous résolûmes de faire échange de paroisse pendant un mois pour gagner du temps. Durant quatre ou cinq semaines, il demeura donc à Collace, les membres de mon troupeau jouirent grandement de ses services du dimanche et de ses visites, tandis que lui-même fut délivré des interruptions continuelles qu’il devait subir à Dundee.

Il nous est resté de doux souvenirs de ces jours où feuille après feuille passait par l’épreuve de nos critiques mutuelles. Mais, quelque ardeur qu’il mît à accomplir cette œuvre, il n’en maintint pas moins sa règle « de ne jamais entreprendre quoi que ce fût sans avoir contemplé la face de Dieu. » — Le matin il errait fréquemment au milieu des belles forêts de Dunsinnan jusqu’à ce qu’il eût rafraîchi son âme par la méditation de la Parole : alors seulement il prenait la plume. Il écrivait plus tard à l’un de ses frères dans le ministère, qui l’avait surpris et interrompu au milieu de ces exercices spirituels : « Vous savez que vous m’avez volé ma journée, et cependant j’ai confiance qu’elle n’a pas été entièrement perdue. Il me semble que j’ai possédé une plus grande mesure de grâce depuis cette prière sous les sapins. Oh ! devenir semblable à Jésus, et être avec Lui pendant toute l’éternité ! » — C’est à cette époque qu’il écrivit quelques articles pour le « Christian’s daily companiong. Notre Récit fut achevé au mois de mai ; et le Seigneur lui a fait trouver grâce devant les frères.

g – Ouvrage dans le genre du « Souvenir chrétien » ou de « l’Année chrétienne de M. Lobstein. »

A peine cette œuvre fut-elle terminée que le Seigneur lui en confia d’autres au sein de sa paroisse. Mais laissons parler son journal.

22 mai. — J’ai été témoin récemment, de quelques réveils évidents : J. G., réveillée en partie par la prédication de la Parole, en partie par les exhortations et l’exemple d’une compagne de service fidèle. A. R., après avoir été un an dans la plus profonde angoisse, cherchant du repos et n’en trouvant point. B. M., convertie l’hiver dernier à la réunion du mardi d’Annfield. Elle fut amenée très vite à la paix avec Dieu et à un état remarquable de calme, de recueillement et d’esprit de prières. J’ai été surpris de la rapidité de l’œuvre de Dieu et des marques évidentes de sa grâce dans cette occasion : aujourd’hui j’en vois le but miséricordieux. Lors de notre dernière communion, elle devait être admise à la Cène, mais elle tomba malade avant le dimanche. Elle est morte mardi passé remplie de paix et de joie. Quand elle sentit sa fin approcher, elle s’écria ; « O mort, mort, viens ! chantons ! » — Beaucoup de ceux qui l’ont connue ont été fortement attirés vers la patrie céleste par cet événement solennel. Ce même soir j’invitai les domestiques sur le point de quitter la paroisse à venir me voir avant leur départ. Vingt à peu près ont répondu à cet appel : je leur ai remis des traités, en les accompagnant d’exhortations. Je suis convaincu que si je pouvais suivre moi-même plus entièrement le Seigneur, mon ministère produirait des impressions bien plus profondes qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. »