Biographie de Robert Murray Mac-Cheyne

IV.
Mission en Palestine et auprès des Juifs

Me voici, envoie-moi !

(Ésaïe 6.8)

1.

Bien qu’il s’employât nuit et jour à paître et à diriger son troupeau, Mac-Cheyne conservait son esprit missionnaire. « Cette paroisse me prépare aux fatigues des pays lointains, » dit-il un jour. Et il cherchait à se pénétrer de plus en plus de cet esprit par la lecture fréquente des nouvelles des missions, soit en son particulier, soit dans ses réunions de prières du jeudi soir. Son âme était comme absorbée dans les besoins de sa paroisse et du monde en général ; dès qu’une occasion d’évangéliser se présentait, nul, en Écosse, n’était plus empressé à la saisir. Il semblait se tenir devant Dieu, les reins ceints, et dire : — « Me voici, envoie-moi ! »

Un autre motif encore le poussait à une activité incessante : le sentiment intime que sa carrière serait courte. A peine eut-il commencé son œuvre que ce pressentiment remplit son âme, et ses amis se souviennent que la plupart de ses lettres portaient un cachet ayant pour devise : La nuit vient ! A une époque où sa santé paraissait bonne, nous nous entretenions des prophéties concernant la venue de Christ à l’entrée du millénium. Après avoir cherché ensemble quelle influence pratique pouvait avoir la croyance à cette doctrine, il me dit enfin « que les arguments généralement mis en avant pour la combattre ne l’arrêtaient pas un moment, mais qu’il trouvait d’autres difficultés à l’admettre. Et, ajouta-t-il, il vous est peut-être utile, à vous qui jouissez constamment d’une bonne santé, de vous pénétrer ainsi de la conviction du retour prochain de Christ ; mais, quant à moi, mon misérable corps me rappelle chaque jour que mon temps peut être fort court. »

Aussi, lorsque tout à coup il fut contraint de s’arrêter au milieu de ses travaux et d’attendre que le Seigneur lui manifestât sa volonté, y était-il jusqu’à un certain point préparé.

Déjà à la fin de l’année 1838, quelques symptômes assez graves alarmèrent les amis de Mac-Cheyne. Sa constitution, qui n’avait jamais été bien forte, commença à se ressentir des effets d’une activité continuelle, car, pour le dire en passant, il lui arrivait parfois de faire des visites pendant six heures consécutives et de les terminer le soir par une méditation faite dans une chambre à toutes les familles visitées dans la journée. De même, le dimanche, après avoir prêché deux fois à son troupeau, il prêchait encore le soir ailleurs. Peu à peu il en vint à ne pouvoir faire aucun effort qui ne fût suivi de violentes palpitations de cœur. Le mal s’accrut rapidement et ne tarda pas à l’incommoder jusque dans les heures consacrées à l’étude ; enfin les palpitations prirent un caractère de permanence. Dès que son médecin eut connaissance de cet état de choses, il exigea qu’il renonçât complètement à toute la partie publique de son ministère ; car bien que les poumons n’eussent encore subi aucune altération organique, cela eût été à craindre sans cette précaution. Il quitta donc Dundee pour chercher du repos et un changement d’occupations ; ses regrets étaient adoucis par l’espoir de revenir au bout d’une semaine ou deux.

Peu de jours après son départ, il répond d’Édimbourg aux questions anxieuses de son ami M. Grierson : « Les battements de cœur ne sont plus aussi continuels. La cruche se meut plus lentement dans la citerne ; de sorte que, par la bonne providence de notre Père céleste, je puis être épargné encore un peu de temps avant que le câble d’argent se déroule et que le vase d’or se débonde. (Ecclés.12.6) »

Un examen attentif de son état donna l’espoir que la maladie céderait probablement à un traitement suivi et à l’abstention de tout effort. Aussi, une fois rentré à Edimbourg au foyer domestique, se résigna-t-il entièrement à la volonté de son Père céleste. Mais il n’en sentait pas moins que c’était une rude épreuve d’être séparé d’une œuvre qui lui était si chère, bien qu’il apprit bientôt de celui qui est doux et humble de cœur à alléger son fardeau en disant : « Il en est ainsi, ô Père, parce que telle a été ta bonne volonté. »

Le 5 janvier 1839, il écrit de nouveau à M. Grierson : « J’espère que cette affliction me sera en bénédiction. J’ai toujours senti un grand besoin d’être sous la discipline de Dieu. Au milieu du tourbillon de la vie active, il reste si peu de temps pour veiller, pour pleurer, pour chercher grâce, pour lutter contre les péchés du ministère, que je sens toujours qu’il est bon que le Sauveur me tire à l’écart loin de la foule, ainsi qu’il emmena l’aveugle hors de la ville, et que là il ôte le voile qui est sur mes yeux, dissipe les brouillards qui obscurcissent ma vue, et par sa Parole et son Esprit me remplisse d’une paix plus profonde, m’amène à une vie plus sainte. Ah ! il n’y a rien de tel que de plonger un regard calme dans les profondeurs de l’éternité pour comprendre le néant des louanges humaines, le péché de la recherche de soi-même et de la vaine gloire, et aussi la valeur de Christ, de celui qui est appelé « la Pierre éprouvée. » Deux fois déjà il m’a été possible d’aller entendre le docteur Chalmers à l’auditoire. J’ai été aussi assez privilégié pour adoucir les derniers moments d’un ancien condisciple, et le conduire à une joie et à une paix plus entières dans la foi. J’ai encore eu la joie d’amener au Sauveur une personne de Larbert, travaillée et chargée. Ainsi Dieu m’accorde de faire encore quelques petites choses pour son nom, même en dehors de mon œuvre et après m’en avoir comme exilé ! »

Le Seigneur le conduisit à se rendre compte du but que pouvait avoir cette affliction, et bientôt à en attendre des résultats bénis pour son troupeau. Il n’ignorait pas combien facilement un troupeau peut se laisser aller à idolâtrer son pasteur, et combien celui-ci est naturellement disposé à être flatté de cette affection entachée de péché, et à s’applaudir de ses succès. Aussi une de ses lettres, datée du 18 janvier, contient-elle la remarque suivante : — « Je pense parfois qu’il se pourrait bien que mon troupeau reçût de grandes bénédictions pendant mon absence. Souvent Dieu ne nous bénit pas tandis que nous sommes au milieu de notre œuvre, de peur que nous ne disions : Ce sont mes efforts et mon éloquence qui ont produit ces résultats. Il nous relègue dans le silence et dans l’obscurité, puis il répand la bénédiction de telle sorte qu’on n’y peut point suffire, afin que tous ceux qui la voient soient contraints de s’écrier : C’est le Seigneur ! Voilà ce qui est arrivé dans les îles de la mer du Sud, et puisse-t-il en être réellement de même dans ma chère paroisse ! » Et il ne s’était pas trompé sur le but de cette dispensation, car les résultats devaient dépasser les prévisions les plus hardies.

Ces espérances, qu’il exprimait encore dans d’autres lettres, surtout dans sa lettre pastorale du 20 mars, peuvent être regardées comme une preuve incontestable que le Seigneur apprend à son peuple à s’attendre à Lui et à lui demander les grâces mêmes qu’il a l’intention d’accorder. En cette occasion, le Seigneur accomplit ses desseins en usant de la bonté la plus touchante ; il éloigna pour un temps son serviteur du troupeau auquel il avait été en si grande bénédiction, de peur que ses enfants eux-mêmes n’en vinssent à se glorifier en l’homme ; en même temps il donna à ce serviteur une autre sphère d’activité, puis, lorsque la bénédiction y fut abondamment répandue, il l’y ramena pour qu’il s’en réjouît.

2.

Mac-Cheyne espérait encore être bientôt rendu à son troupeau, et il le demandait à Dieu avec soumission et ferveur, écrivant de temps à autre une lettre pastorale pleine de saveur et de vie, lorsqu’un jour qu’il se promenait avec le docteur Candlish en conversant avec lui de la Mission auprès des Juifs résolue récemment, celui-ci parut frappé d’une idée subite. Il demanda de suite à Mac-Cheyne s’il serait disposé « à être utile à la cause des Juifs, pendant la cessation de ses travaux, en allant faire un voyage destiné à examiner de près l’état d’Israël. »

[Pour plusieurs de nos lecteurs, qui ont lu l’ouvrage intitulé : Les Juifs d’Europe et de Palestinea, Mac-Cheyne est une ancienne connaissance. L’auteur de sa biographie suppose constamment cet écrit connu, et il a été effectivement beaucoup lu en Angleterre et surtout en Écosse. Nous serions heureux que ces pages offrissent assez d’intérêt pour encourager nos lecteurs à en entreprendre une étude qui leur serait certainement utile à plus d’un titre. (Trad.)]

a – Ouvrage de l’auteur, Andrew Bonar ; traduction française 1844, par Rosine de Chabaud-Latour (ThéoTEX).

Cette idée soudaine fut le point de départ de la mission d’enquête en Palestine. Mac-Cheyne se sentit à l’instant aussi fortement appelé à porter le salut aux Juifs qu’il l’avait été jusqu’alors à l’annoncer aux Gentils, et cette vocation remplit son âme de joie et d’admiration. Son médecin approuva hautement ce projet comme pouvant contribuer puissamment à lui faire du bien ; l’excitation calme et constante d’un pareil voyage étant plus propre qu’aucune autre chose à raffermir sa constitution.

Le docteur Black d’Aberdeen consentit de suite à mettre ses talents remarquables et son érudition au service de cette cause, et le docteur Keith donna à entendre qu’il se joindrait également à la députation. J’avais aussi été choisi pour en faire partie, mais diverses considérations me faisaient hésiter à quitter ma paroisse. C’est dans ces circonstances que Mac-Cheyne m’écrivit d’Edimbourg, le 12 mars :

« Mon cher André. — Dieu m’a montré de tant de manières son approbation de notre entreprise, qu’en vérité j’aurais honte de ne pas croire qu’il mènera à bonne fin tout ce qui me concerne. Je suis heureux que vous vous soyez déterminé à vous abandonner entre les mains du Dieu d’Israël. Je suis tout à fait prêt à partir cette semaine ou la semaine prochaine, et cependant je serai dans une incertitude pénible jusqu’à ce que je sois certain que vous viendrez avec nous. Vous le savez, mon cher André, je ne pourrais ni travailler dans cette cause, ni en jouir, si vous ne deviez pas nous accompagner . . . . . . . . . . . . . . .

Et maintenant, priez pour nous, afin que nous soyons réellement envoyés de Dieu, et que, dans notre faiblesse, nous devenions des Boanerguesb. Priez, afin que nous soyons assez bénis pour gagner quelques âmes et encourager les chrétiens à s’intéresser à Sion. L’intérêt est déjà grandement excité, et j’attends une bénédiction. Parlez à vos paroissiens comme étant au bord de l’éternité . . . . . . . . . . . . . . .

b – « Fils du tonnerre » surnom donné par Notre Seigneur à Jacques et à Jean. (Trad.)

Quant aux livres à emporter, je suis tout à fait embarrassé. Je pense prendre ma Bible hébraïque, mon Testament grec, et peut-être le Ministère chrétien de Bridges, pour l’utilité de chacun de nous, je veux dire afin que nous nous souvenions de notre œuvre comme ministres. J’espère que nous serons conduits par l’Esprit, et, quoique nous devions nous attendre à être souvent dans l’embarras par suite de notre ignorance de plusieurs langues, pourquoi ne serions-nous pas bénis, comme Brainerd, au moyen d’un interprète ? Pourquoi ne nous serait-il pas donné aussi d’être en bénédiction à quelqu’un de nos compatriotes, et de ranimer le zèle de quelque missionnaire ? Ma santé est passable ; je pense qu’elle s’améliorera une fois que nous serons en route. Je suis parfois si abattu que je me sens également disposé à partir ou à rester, à vivre ou à mourir. Toutefois, il est bien encourageant d’être employé de nouveau au service du Seigneur, et d’une manière aussi intéressante. Et qu’aurions-nous à regretter si nous devions voir la Jérusalem céleste avant la terrestre ? Je prends tout ce qu’il me faut pour dessiner, afin de pouvoir esquisser des vues du mont des Oliviers, du Thabor et de la mer de Galilée. »

Dans toute l’Écosse, le voyage projeté rencontrait une vive sympathie. Ce sentiment ne provenait pas uniquement de l’intérêt quelque peu romantique attaché au pays où le Seigneur s’est plus particulièrement manifesté par des œuvres de puissance ; non, il était aussi excité par la conviction profonde et scripturaire qu’Israël est encore « bien-aimé à cause des pères. » Depuis quelque temps déjà on s’était souvenu de Jérusalem, et bon nombre de pasteurs pieux se tenaient comme sentinelles sur ses murailles ruinées (Ésaïe 62.6), afin de ranimer les messagers de l’Éternel. Mac-Cheyne avait partagé ce mouvement des esprits. Il avait des vues claires et décidées du prix que Dieu attache au salut des Juifs, et par conséquent de l’importance des travaux missionnaires entrepris au milieu d’eux. Lui aussi partageait l’opinion exprimée dans un cours public fait peu de temps avant le départ de la députation, que nous pouvions prévoir une nouvelle effusion de l’Esprit sur notre Église, si elle tendait les mains aux Juifs aussi bien qu’aux Gentils. Il disait dans une lettre : — « Chercher les brebis perdues de la maison d’Israël est une chose qui me tient fort à cœur, et mes paroissiens savent qu’il en a toujours été ainsi. Une entreprise comme la nôtre attirera probablement sur l’église d’Écosse de grandes bénédictions, conformément à la promesse : Que ceux qui t’aiment jouissent de la prospérité. » Voici encore d’autres fragments de lettres sur le même sujet : « A l’heure qu’il est, je vois clairement que nous sommes entièrement dans la vérité et d’accord avec les Écritures en pensant que les Juifs doivent être désormais le but principal des efforts missionnaires. Je suis convaincu que si nous prions pour que le monde soit converti selon les plans de Dieu, nous devons chercher le bien des Juifs, et que plus nous le ferons, plus nous serons heureux dans notre propre âme. Nous ne devrions jamais perdre de vue les prophéties qui ont rapport à Israël. » Dans ses prédications il lui arrivait souvent d’exprimer des pensées comme celle-ci : « Nos affections particulières devraient être semblables à celles de Dieu ; or la Bible tout entière nous montre que Dieu a toujours eu et a conservé un amour particulier pour le peuple juif. »

La nouvelle de son prochain départ jeta la consternation dans son troupeau de Dundee. Ses paroissiens lui manifestèrent leur amour avec plus de vivacité que jamais, et bon nombre d’entre eux lui écrivirent des lettres de reproches et d’instances. Voici ce qu’il répondit à l’une de ces bienveillantes remontrances : « Je me réjouis extrêmement de votre intérêt pour moi, non pas tant seulement à cause de moi-même que parce que j’espère que c’est un signe que vous connaissez et aimez le Seigneur Jésus. Jamais je n’eusse consenti à partir, si Dieu lui-même, tout en s’opposant à mon retour auprès de vous, ne m’eût ouvert ce champ d’activité. Certes, je me dépenserais très volontiers, et j’épuiserais mes forces au service de Dieu parmi vous, bien que j’aie souvent éprouvé que vous aimant beaucoup plus je suis moins aimé. Mais Dieu m’a montré clairement que je pourrais accomplir une œuvre d’une importance immense pour son ancien peuple, tout en trouvant dans ce voyage un moyen de chercher à recouvrer la santé… — Les ministres seront de bien misérables sauveurs au jour de la colère. Certes on ne sera pas sauvé pour avoir connu un ministre, ou pour l’avoir aimé, ou entendu, ni pour avoir eu le bruit de vivre. Il faut que vous posiez vous-même la main sur la tête de l’Agneau ; Lévitique 1.4. : Il posera sa main sur la tête de l’holocauste, et il sera agréé pour lui, afin de faire propitiation pour lui. Il faut que ce soit de votre œil que vous contempliez le serpent d’airain ; Jean 3.14-15 : Or, comme Moïse éleva le serpent au désert, ainsi il faut que le Fils de l’homme soit élevé ; afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Je crains qu’au jour du Seigneur je ne sois obligé de rendre témoignage contre un grand nombre de mes paroissiens, qui, lorsque je prêchais, ont regardé à moi et non à Christ. J’ai toujours eu peur que quelques-uns d’entre vous n’aimassent à écouter la Parole sans aimer à l’observer. J’ai toujours craint que beaucoup de mes paroissiens n’aimassent les assemblées du dimanche, les classes bibliques, les soirées du jeudi, sans se soucier réellement de marcher avec Dieu, d’être humbles, chastes, charitables, saints, semblables à Christ, semblables à Dieu. Aujourd’hui, Dieu veut vous enseigner que la seule fin du ministère évangélique est de vous aider à travailler à votre sanctification. Croyez-moi, Dieu lui-même ne pourrait vous rendre heureux si vous n’êtes saints. »

A ce moment de crise dans l’histoire de sa paroisse, il demanda au Seigneur quelqu’un qui pût le remplacer, un ministre en état de paître le troupeau et de ramener au bercail les brebis errantes, pendant l’absence de leur propre pasteur. Dieu lui accorda le désir de son cœur en lui envoyant M. William C. Burns, fils du pasteur de Kilsyth. Une lettre qu’il lui écrivit en date du 12 mars, contient entre autres paroles remarquables : — « Vous nous avez été donné en réponse à d’instantes prières, et je crois que de tels dons sont toujours bénis. J’espère que votre ministère parmi eux aura des résultats mille fois plus grands que le mien n’en a jamais eu. Beaucoup d’âmes qui ne se seraient jamais converties sous mes soins, seront peut-être touchées par les vôtres ; c’est pourquoi Dieu a choisi ce moyen de vous mettre à ma place. Son nom est l’Admirable. »

Cette grande affaire réglée et comme il avait déjà pris congé de son troupeau, il partit le premier pour Londres, afin d’y prendre divers arrangements concernant la députation. Bientôt après celle-ci partit à son tour, accompagnée des prières de tous les frères. Je ne pense pas qu’on ait prié pour personne plus que pour Mac-Cheyne ; et ces prières ne furent pas vaines. Pendant tout le voyage Dieu le fortifia et le délivra de toutes ses détresses.

3.

Il est certainement extraordinaire, et souvent encore cela me paraît un rêve, que quatre ministres aient été appelés aussi subitement à quitter leurs paisibles travaux dans les villes et villages d’Écosse, pour se trouver, au bout de quelques semaines, traversant le pays d’Israël, la Bible en main, témoins oculaires de l’accomplissement des prophéties, de l’abaissement du culte d’Israël et de sa décadence spirituelle. Nous ne donnerons point ici une relation suivie et détaillée de ce voyage. Il en existe déjà un récit officiel : « Les Juifs d’Europe et de Palestine, » publié en 1839 au nom de l’église d’Écosse. Toutefois nous rappellerons quelques incidents intéressants, d’une nature trop individuelle et trop intime pour trouver place ailleurs que dans le récit d’une vie particulière tel que celui qui nous occupe maintenant.

Tandis que Mac-Cheyne se rendait à Londres, il découvrit à bord du vaisseau, parmi les passagers, un jeune Juif intéressant, mais pou soucieux, semblait-il, d’être reconnu comme descendant d’Abraham. Mac-Cheyne fit un grand nombre de tentatives pour l’amener à une conversation quelque peu intime ; il lui lut en hébreu le Psaume 1, et insista fortement sur le devoir de lire et de méditer la parole de Dieu. Plus tard, lorsqu’il visita Bethnal Green, il prit note de la délicieuse impression que lui avait causée le chant d’une hymne chrétienne, exécuté par des enfants juifs, sur ces mots : « Mis à mort pour nous. »

L’effrayante profanation du jour du dimanche dont il fut témoin à Paris, lui fit jeter un cri d’alarme. Son esprit s’était aigri en lui-même en considérant cette ville qui paraissait entièrement adonnée à l’idolâtrie, et il écrit à M. Mac-Donald à Blairgowrie : — « Mettez-vous à la brèche, cher ami, et élevez votre voix comme une trompette, de peur que l’Écosse ne devienne une seconde France. Vous savez combien de gens, dans nos propres paroisses, foulent encore aux pieds ce saint jour. Ésaïe 58.11-14, fournit un texte excellent pour prêcher sur ce sujet. Exode 31.13, contient de précieuses paroles, et montre que la sanctification du dimanche est un des sceaux que Dieu met sur son peuple. C’est une des lettres de ce nouveau nom que personne ne connaît sinon celui qui le reçoit. »

Dans les courtes notes qu’il prit pendant la première partie du voyage, il manque rarement de mentionner les moments où nous nous réunissions pour prier ensemble, comme ceux que nous eûmes dans la cabine du vaisseau qui nous transportait à Gênes ; car c’étaient des temps de rafraîchissement pour son âme. Il a exprimé aussi en quelques mots que nous extrayons d’une de ses lettres datées de Gênes, les sentiments qu’il éprouva en parcourant cette ville et en visitant ses palais de marbre. — « Les pays étrangers, écrit-il, nous rapprochent de Dieu. Il est le seul que nous connaissions ici. Nous allons à lui comme à quelqu’un que nous connaissons ; tout le reste nous est étranger. Chaque pas que je fais et chaque pays nouveau que je vois, me font sentir plus vivement qu’il n’y a rien de réel, rien de vrai que ce qui dure éternellement. Le monde entier est plongé dans le mal, son jugement ne tardera point. Bientôt ces palais de marbre au milieu desquels j’ai erré ce soir, seront engloutis comme des meules de moulin dans les grosses eaux de la juste colère de Dieu, mais celui qui fait sa volonté demeure à toujours. »

De Valette, dans l’île de Malte, il écrit : « Aujourd’hui j’ai eu quelques petites palpitations, mais la traversée me fera du bien. Je sais une chose, c’est que je suis entre les mains de mon Père céleste, qui est tout amour pour moi, non pour ce que je suis en moi-même, mais pour ce que je suis en son Fils bien-aimé. »

Les rives classiques de l’Italie et de la Grèce ont un intérêt tout particulier et peuvent produire des émotions profondes même dans une âme sanctifiée. « Nous avons cherché à rappeler le souvenir de bien des études de notre enfance. Mais que nous importe maintenant la littérature classique ? Je regarde toutes choses comme une perte, en comparaison de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. Et pourtant ces souvenirs colorent chaque objet et nous ont procuré une jouissance des plus légitimes. »

Pendant le voyage il aimait à sonder les Écritures, tout comme il le faisait en Écosse. Et il comptait si bien persévérer dans l’étude assidue de la Parole, pendant tout son voyage, qu’il avait pris avec lui des notes que j’avais écrites précédemment sur chaque chapitre du Lévitique, faisant observer qu’elles pourraient d’ailleurs nous être fort utiles si nous avions des conférences avec des Juifs. Dans quelque position qu’il se trouvât, il avait faim et soif de la Parole, des types de l’Ancien Testament aussi bien que de la vérité dévoilée dans le Nouveau. Il avait pour principe que tout ce que Dieu avait révélé, méritait des études et des investigations sérieuses, faites dans un esprit de prières.

Arrivés à Alexandrie nous nous dirigeâmes vers la Palestine par la voie du Désert. L’étrangeté des scènes au milieu desquelles nous nous trouvions fit surgir en nous une foule de pensées nouvelles. Voici ce qu’en écrivait Mac-Cheyne : — « Il y a quelque chose de remarquable à se sentir tout à fait seul dans un lieu désert ; cela me fait à peu près le même effet que le jeûne ; j’en suis attiré plus près de Dieu ; vivre dans des tentes et se mouvoir tant de jours dans l’isolement, réveille en moi tout un monde d’idées nouvelles. Il faut convenir que nous menons une vie étrange dans le désert. De quelque côté que nous regardions, nous ne voyons qu’un cercle immense de sable et d’arbrisseaux rabougris ; au-dessus de nos têtes un ciel bleu sans aucun nuage et un soleil ardent qui fait monter parfois dans nos tentes, le thermomètre à 96°. Quand vient le soir le soleil disparaît comme sur l’Océan ; les étoiles se montrent dans toute leur gloire, et, solitairement, nous dressons nos tentes sans avoir autour de nous personne que nos pauvres Bédouins ignorants et leurs chameaux, et notre Dieu qui voit tout et qui est toujours plein d’amour. Dès que l’aurore commence à poindre, nos habitations nous sont enlevées. Souvent nous nous sommes trouvés sans abri avant d’être entièrement vêtus. Quel type de la tente de notre corps. Ah ! combien fréquemment n’est-elle pas renversée avant que l’âme soit prête à avoir part à l’héritage des saints dans la lumière ! » — Il écrit aussi à M. Bonar de Larbert : — « J’étais loin de m’imaginer que la traversée du désert fût chose aussi terrible. Le sentiment d’isolement que j’ai éprouvé m’a toujours rendu très sérieux. Un soleil brûlant au-dessus de nos têtes ; tout autour de nous un cercle de sable aride, dont la monotonie n’est rompue que par quelques buissons de ronces (la « bruyère du désert » dont parle Jérémie) ; point de pluie, pas un nuage ; des sources pareilles souvent à celles de Mara, et fort éloignées les unes des autres Maintenant je comprends les murmures des enfants d’Israël. Je sens que notre voyage a extrêmement éprouvé et tenté mon propre cœur. » Quand, jetant un regard en arrière, nous nous souvenons que celui qui suivait ainsi la route déserte et sablonneuse d’Egypte en Palestine, était quelques semaines auparavant occupé nuit et jour à paître et à ramener des âmes d’hommes au sein d’une ville populeuse, nous ne pourrons nous empêcher d’admirer les voies du Seigneur. Du reste, chaque moment de notre vie n’est-il pas fait pour nous rappeler que le Dieu qui envoya Elie au torrent de Kerith, est toujours le même Dieu ? et que le Maître plein de bonté, de sagesse et d’amour, qui disait autrefois à ses disciples : « Venez à l’écart dans un lieu retiré et vous reposez un peu, » est aussi bon, aussi sage, et aussi aimant que jamais ?

J’ai toujours présente à la mémoire l’indignation qu’exprimait la figure de Mac-Cheyne à Balteen, petit village d’Egypte où nous arrivâmes pour le dimanche, tandis que nos Arabes insistaient pour que nous continuassions notre route, plutôt que de rester assis sous quelques maigres palmiers, dans une atmosphère suffocante et avec des rations de nourriture à peine suffisantes. Il ne pouvait supporter la pensée d’être privé du jour du repos ; nos âmes en avaient besoin dans le désert autant que dans une ville pleine de chrétiens : s’il y en avait peu dans ce pays désolé qui glorifiassent Dieu, nous n’en étions que plus appelés à remplir ces solitudes de nos chants de louange. C’est de ce point de vue qu’il jugeait notre position, et après que notre volonté eut prévalu et que nous nous fûmes assis sous nos palmiers, quoique énervé par la chaleur, il se ranima et son âme fut profondément émue, lorsque nous fûmes entourés d’un groupe de pauvres et misérables Egyptiens que la curiosité avait attirés : — « Ah ! si je pouvais parler leur langue et leur annoncer le salut ! » s’écria-t-il avec ardeur.

Peu après survint un incident où nous reconnûmes clairement plus tard la main de Dieu, bien qu’il nous ait vivement attristés et surpris dans le moment même. Au milieu du désert le docteur Black fit une chute assez grave du haut de son chameau et chacun de nous de s’épuiser en conjectures sur la signification de ce triste événement relativement à notre mission. Etait-ce une marque du déplaisir du Seigneur quant à notre entreprise ? ou une direction de sa bonne main pour l’avenir ? Nous nous le demandions souvent. En Galilée nous crûmes entrevoir le but, mais il y avait toujours quelque chose d’inexplicable. Maintenant tout s’est éclairci ; cela encore venait du Seigneur et de ses desseins miséricordieux. Cet accident qui rendit le docteur Black incapable de supporter les fatigues de nos explorations en Galilée, l’obligea à prendre, accompagné du docteur Keith, la route de terre pour retourner en Écosse. Ils remontaient le Danube pour aller à Vienne, lorsqu’une violente aggravation du mal du docteur Black les contraignit de s’arrêter à Pesth assez longtemps pour apprendre qu’une porte leur était ouverte au sein de la congrégation juive de cette ville. Et c’est là qu’il a plu au Seigneur de répandre son Esprit sur les Israélites venus auprès de nos missionnaires, tellement qu’aucune autre mission juive ne semble avoir été favorisée de conversions plus réelles. Aussi l’un d’entre nous faisait-il observer avec vérité, « que la chute du docteur Black avait été le premier pas vers Pesth. » Quiconque est sage prendra garde à ces choses afin que l’on considère les bontés de l’Éternel. Psaumes 107.43. Il est certain que durant tout notre voyage nous fûmes attentifs à considérer les voies de la Providence de Dieu à notre égard, et nous devons reconnaître que chacun de nos pas a été dirigé d’une manière signalée. En Écosse beaucoup de prières montaient pour nous devant le trône de grâce, et le Souverain Sacrificateur y a répondu en éclairant notre sentier. Mac-Cheyne écrivait : « Je me sens redevable d’une grande partie de notre succès et de notre sécurité aux prières de mes paroissiens ; c’est-à-dire des chrétiens d’entre eux qui se souviennent de nous. Si le voile qui recouvre le gouvernement du monde était levé, combien de choses ne verrions-nous pas se faire en réponse aux prières des enfants de Dieu ! »

Pendant notre long voyage dans le désert, où jour et nuit nous nous sentions au milieu de ce grand silence de la solitude, nous eûmes le temps de réfléchir, d’approfondir sans distraction plus d’une pensée, et bien des choses de la vie y perdirent à nos yeux de leur importance. Aussi, est-il intéressant autant que précieux, de savoir quels étaient alors les sentiments de Mac-Cheyne au sujet du ministère évangélique. Tandis que le pas régulier et monotone de son chameau foulait le sol sablonneux, il réfléchit beaucoup à ces jours heureux où il pouvait s’employer de toutes ses forces à prêcher Jésus aux pauvres pécheurs : Profitez de votre santé pendant que vous l’avez, cher ami et frère, écrit-il en Écosse à l’un de ses compagnons de travail. Ne perdez pas des occasions qui peuvent ne jamais revenir. Vous ne savez pas quel sera le dernier dimanche que vous passerez avec votre troupeau. Parlez en vue de l’éternité. Par-dessus tout, tenez votre âme sous la discipline du Seigneur. Un seul mot prononcé quand vous avez une bonne conscience et que votre cœur est plein de l’esprit de Dieu, en vaut dix mille prononcés dans l’incrédulité et dans le péché. C’est pour ne m’en être pas assez souvenu que mon ministère a souvent été infructueux. Souvenez-vous que c’est à Dieu qu’il faut donner gloire, et non pas à l’homme. Ce n’est pas beaucoup de paroles qu’il faut, mais beaucoup de foi. Ne nous oubliez pas. N’oubliez pas les prières du samedi soir, non plus que les actions de grâces du lundi matin. »

Le premier dimanche que nous passâmes en Palestine, nos tentes avaient été dressées dans le voisinage d’une colonie de fourmis. Nous étions campés dans la tribu de Siméon ; autour de nous se déroulaient les paysages de la Terre Promise, et nous avions sous les yeux le sujet d’une des similitudes de la Parole de Dieu. Mac-Cheyne ouvrit la Bible aux Proverbes de Salomon, Proverbes 6.6-8. « Va, paresseux, vers la fourmi, considère ses voies, et sois sage. Elle n’a ni chef, ni directeur, ni gouverneur. Et cependant elle prépare en été son pain, et amasse durant la moisson de quoi manger. » Et tandis qu’il lisait, il fit ressortir les points suivants : — 1° Considère ses voies. Bien des âmes se perdent manque de réflexion. 2° La fourmi n’a ni chef, ni gouverneur, ni directeur, ni officier, ni personne qui lui commande ou l’encourage. Combien est différente la situation de l’enfant de Dieu. 3° Elle prépare en été son pain. Quelques-uns ont pensé que cela nous montre que nous devons amasser de l’argent, mais c’est tout l’opposé. La fourmi ne fait aucune provision. Tout ce qu’elle ramasse est pour le moment présent. Elle est toujours occupée, été et hiver. Elle nous donne l’exemple d’une assiduité constante dans l’œuvre du Seigneur.

Bien souvent, lorsque nous arrivions à notre halte du soir, et tandis que nos guides déchargeaient les tentes, il se couchait sur le sable, sous quelque buisson qui pût le préserver de la rosée. complètement épuisé par la longue traite du jour, il demeurait ainsi pendant une demi-heure presque sans pouvoir parler ; puis, lorsque les palpitations s’étaient un peu calmées, il me proposait ordinairement de prier avec lui. Souvent aussi, quand la violence du mal l’avait contraint de se coucher à terre, il me disait, sans impatience, mais avec sérieux ; « Me sera-t-il jamais donné de prêcher de nouveau l’Évangile dans ma paroisse ! » J’ai été fréquemment repris dans ma conscience par son attention inaltérable à travailler à sa propre sanctification. Il y pensait constamment, qu’il fût chez lui, dans son paisible cabinet, ou sur mer, ou dans le désert. La sainteté de sa vie se manifestait, non par des efforts pour accomplir son devoir, mais d’une manière si naturelle qu’on y reconnaissait immédiatement l’action puissante de l’Esprit habitant dans son cœur. De la fontaine d’eau, jaillissante un vie éternelle (Jean 4.14), qui était en lui, découlaient des eaux vives, aussi bien sous les oliviers de la Palestine qu’au milieu des scènes familières de sa patrie. Jamais il n’oubliait la prière et la méditation de la Parole, et une paix que le monde ne peut donner gardait son esprit et son cœur. Lorsque nous fûmes retenus un jour à Gaza, dans des circonstances très propres à donner de l’impatience et de l’humeur, il dit doucement : « L’Éternel y pourvoira ; nous sommes de nouveau sur la montagne où il y a été pourvu. » En tout temps, il était doux d’avoir part à son intimité ; car, en lui, tout attirait le cœur ; la nature aussi bien que la grâce : mais nous eûmes, dans cette partie de la Palestine, des moments de joie qui resserrèrent tous nos liens et créèrent des sympathies inconnues. Telle fut entre autres la soirée où nous fîmes ensemble l’ascension de la montagne de Samson. Arrivés au sommet, nous nous assîmes pour lire dans la Parole de Dieu tout ce qui est dit du lieu où nous nous trouvions ; puis il prit son crayon et esquissa la scène qui se déroulait à nos yeux, tandis que le soleil disparaissait à l’occident. Le croquis terminé, nous chantâmes quelques versets d’un psaume, approprié à la circonstance, et, après avoir prié, nous descendîmes lentement, conversant de tout ce qui se présentait à nos regards, des pensées et des souvenirs que faisait naître en foule le paysage ; jusqu’au moment où nous arrivâmes, presque à regret, dans notre tente.

En approchant de Jérusalem, nous traversâmes le défilé de Latroon. Voici ce qu’en écrivait Mac-Cheyne : « Le dernier jour de notre voyage à Jérusalem a été le plus beau de ma vie entière. Quatre heures durant, nous avons monté le défilé sur nos patients chameaux. C’était comme le plus beau paysage de nos Highlands ; seulement les arbres, les fleurs, et le chant de la tourterelle, nous rappelaient que nous foulions la terre d’Emmanuel. » Tandis que nous poursuivions notre route, il fit observer que la vue de la plaine de Judée et celle de cet agreste défilé auraient suffi à nous dédommager de toutes nos fatigues ; puis il se mit à citer tous les passages de l’Ancien Testament qui semblaient se rapporter à des paysages semblables à ceux qui se succédaient devant nous.

Pendant les dix jours que nous passâmes à Jérusalem, bien peu d’objets échappèrent à nos investigations passionnées : — « Nous nous arrêtâmes un moment au tournant de la route par où descendait Jésus, lorsqu’il contempla la ville, et pleura sur elle. Si nous avions eu, à un plus haut degré, de l’esprit qui était alors en Christ, je pense que nous aurions pleuré aussi. » Ces lignes sont extraites d’une lettre à sa famille. Il exprima également à M. Bonar de Larbert les sentiments que lui avaient fait éprouver la montagne des Oliviers et ses environs : « Je me souviens que la dernière fois que je vous vis, vous me dites qu’il y avait à faire d’autres découvertes encore que celles du monde physique, et que les perspectives nouvelles dans le monde spirituel, les profondeurs qu’on y peut entrevoir, sont infiniment plus importantes. J’ai souvent pensé à la vérité de votre observation. Mais s’il est au monde un lieu où les scènes de la nature puissent nous conduire à la découverte des choses divines, je crois que c’est le mont des Oliviers. Lorsqu’on a Gethsémané à ses pieds, l’âme est irrésistiblement poussée à méditer sur l’amour de Christ et sur sa détermination à supporter à notre place le poids de la colère de Dieu. C’est là que la coupe a été placée devant lui ; là qu’il dit : « Ne la boirai-je pas ! » Le lieu où il pleura fait ressouvenir de ses divines compassions mêlées d’une tendresse tout humaine, de sa terrible justice, qui ne pouvait épargner la cité coupable, de son amour surhumain, pleurant sur les calamités qui allaient l’envelopper. En se tournant de l’autre côté et en regardant au sud-est, on aperçoit Béthanie, qui remet en mémoire son affection pour les siens, qui rappelle que son nom est amour, que dans toutes nos angoisses il est en angoisse, que ceux qui sont dans leurs sépulcres en sortiront un jour à son commandement. Un peu au delà on voit la mer Morte qui étend au loin parmi les montagnes ses eaux calmes et sombres. Cette dernière perspective donne à l’ensemble du paysage quelque chose de profond et de solennel, qui force à s’écrier en s’éloignant : « Comment échapperons-nous, si nous négligeons un si grand salut ? »

Du mont de Sion, où nous avions fixé notre demeure, il écrivit encore à un autre ami d’Écosse :

Mont de Sion, 12 juin 1839.

      « Mon cher ami,

Maintenant que nous sommes dans la contrée la plus admirable du monde, là où Jésus-Christ a vécu, marché, prié ; où il est mort, et où il reviendra, je ne doute pas de votre désir de savoir ce que nous devenons. Mon âme est remplie de gratitude envers le Seigneur de ce qu’il nous a accordé le privilège de venir dans ce pays. J’ai eu hier des nouvelles de mon troupeau, par une lettre de ma famille, datée du 8 mai, la première que j’aie encore reçue. . . . . . . . . . . . . . .

Nous sommes logés dans une des maisons missionnaires du mont de Sion. Ma fenêtre donne sur le lieu où s’élevait le temple, derrière lequel s’élève le magnifique mont des Oliviers. Le Seigneur qui a fait les cieux et la terre vous bénisse de Sion ! Votre, etc. »

4.

Au pied du mont Carmel, où nous dûmes faire une quarantaine de sept jours, nous eûmes le temps de rappeler à notre souvenir bien des incidents et des scènes de notre voyage. C’est là que Mac-Cheyne écrivit l’hymne intitulée : « Le Réservoir de Siloé. » C’est là aussi qu’il trouva le loisir d’écrire aux siens, et de leur donner la relation exacte de notre voyage depuis Alexandrie.

Carmel, 26 juin 1839.

     « Mes chers parents,

Il y a bien longtemps que je n’ai pu vous écrire, car depuis notre départ d’Egypte jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons rencontré personne qui pût se charger de nos lettres. Aussi commencerai-je par vous dire que, grâce à la bonne main de notre Dieu, qui m’a soutenu, ma santé est excellente et l’a été constamment depuis que je vous ai écrit pour la dernière fois. Nous avons eu à endurer des fatigues nombreuses, et bien plus grandes que je ne m’y attendais, des moments d’angoisse et de danger à passer ; mais le Seigneur nous a fait tout surmonter, et nous sommes mieux maintenant que lors de notre départ. Il ne faut pourtant pas que vous vous imaginiez que mes palpitations ont cessé complètement ; elles reviennent souvent encore m’humilier et m’éprouver ; cependant, somme toute, je crois l’amélioration considérable, et leurs atteintes ne sont plus à beaucoup près aussi fréquentes. J’aime à espérer que dans un climat plus tempéré et avec moins de fatigues, elles disparaîtront tout à fait. J’ai été bien reconnaissant de recevoir votre lettre du 8 mai, la première qui me soit parvenue depuis que je vous ai quittés. Il m’a été très doux d’apprendre que tout va bien à la maison et que vous avez pu jouir d’une heureuse communion dans ma chère église de Saint-Pierre. Je présume que je ferai bien de commencer par le commencement en vous racontant notre voyage depuis l’Egypte, à travers cet affreux désert, jusqu’au doux pays de la promesse. Je l’aurais bien écrit sous forme de journal (comme dirait ma bonne mère), de manière à avoir une provision de faits intéressants à vous raconter ; mais il faut vous souvenir qu’il est bien plus pénible de voyager douze ou quatorze heures de suite sur le dos d’un chameau, dans un désert sablonneux, que de faire des excursions en Écosse ; aussi, à la fin de la journée, étais-je, la plupart du temps, incapable de faire autre chose que de me coucher et de dormir.

Nous avons quitté Alexandrie le 16 mai, y laissant à regret de bien bons amis. Nous étions montés, nous et nos bagages, sur dix-sept ânes, comme les fils de Jacob lorsqu’ils emportaient leur blé d’Egypte. En guise de selle, nous avions notre lit, composé d’un tapis pour nous coucher, d’un oreiller, et d’une couverture pour nous envelopper. Plus tard, nous y avons ajouté des nattes en paille pour mettre sous le tapis. Nous nous étions procuré deux tentes, l’une grande, l’autre plus petite, que nous occupions, André et moi. Les ânes de ce pays sont de gentils petits animaux d’une grande agilité, qui font plus d’une lieue et demie à l’heure. Chaque âne est accompagné d’un Arabe farouche. Nous avons deux domestiques indigènes que je vais vous décrire : Ibrahim, bel Égyptien, élancé et de haute stature, et Achmet, le cuisinier, bon garçon au teint bronzé, avec un turban blanc et des jambes nues entièrement noires. Outre leur langue maternelle, l’arabe, Ibrahim parle un peu l’anglais et l’italien ; Achmet l’italien seulement. Je me fis bientôt des amis de nos conducteurs, en apprenant d’eux des mots et des phrases arabes, ce qui paraissait leur faire grand plaisir. Nous longions la baie d’Aboukir, tout près de la mer dont le voisinage tempère l’air du désert. A la nuit, nous atteignîmes Rosette, curieuse ville d’Orient à demi peuplée. Nous y vîmes un mariage oriental, qui nous plut extrêmement et nous fit mieux comprendre les paraboles. Il était célébré à la lumière des flambeaux. Nous avons passé la nuit dans le couvent.

17 mai. — Passé la matinée à Rosette : donné un Nouveau Testament au moine. Dans le bazar nous avons vu quelques échantillons de la misère qui règne en Egypte, et observé le peuple en prières dans la mosquée : le vendredi est le jour de dévotion et de repos des Musulmans. Le soir nous traversâmes le Nil dans de petits bateaux. C’est un beau fleuve ; ses eaux, quand on les filtre, sont aussi douces qu’agréables. Souvent nous y avons pensé dans le désert. Nous plantons nos tentes au bord de la mer, et nous y dormons, sur le sable, pour la première fois.

18 mai. — Arrivés en six heures à Bourlos, où nous passâmes le bac. Nous vîmes les pécheurs jeter leurs filets dans la mer : chaleur excessive. Après deux heures de marche dans une plaine solitaire plantée de palmiers, nous atteignîmes Balteen, le Vallon des figues, village arabe composé de huttes en terre. Vous ne sauriez imaginer ce qu’est une maison arabe. En Egypte, c’est, la plupart du temps, une loge parfaitement carrée, construite en boue, avec un trou au bas en guise de porte. Pour tout ameublement, elle contient une natte, quelques ustensiles de cuisine et un four en boue.

19 mai. — Passé notre dimanche dans le repos, au milieu du village : les pauvres Arabes n’ont point de dimanche. Le thermomètre marquait 84° dans nos tentes. Dans la soirée, le gouverneur est venu nous faire une visite, et il a bu une tasse de thé avec une satisfaction évidente. Nous avons beaucoup souffert de la chaleur toute la journée ; cependant il était doux de se reposer et de se souvenir de vous tous au milieu du désert.

20 mai. — A minuit nous quittons Balteen par un magnifique clair de lune. Nous poursuivons notre route au milieu d’agréables paysages africains, embellis par des buissons et de nombreux palmiers : en deux heures nous atteignons le rivage de la mer que nous suivons dès lors tandis que les vagues viennent se briser à nos pieds. A midi, nous prenons quelque repos, si tant est qu’on puisse appeler repos l’immobilité sous les feux d’un soleil que je n’oublierai jamais. A trois heures, nous quittons le rivage de la mer et nous apercevons les minarets de Damiette. Le mirage désappointe à plusieurs reprises notre grande soif. Nous traversons encore une dernière branche du Nil, de beaucoup la plus petite, et bientôt après nous sommes confortablement couchés sur les divans du consul britannique, gentilhomme égyptien de bonnes manières et assez à son aise. Il nous invite à un souper dans le goût égyptien le plus pur, puis il nous procure une chambre où nous étendons paisiblement nos nattes et nos tapis. Passé toute la journée suivante à Damiette, parce que nous avions expédié un Bédouin à San pour nous y arrêter des chameaux. Le consul nous traite de nouveau à la mode égyptienne.

22 mai. — Nous nous embarquons dans une barge, pour faire la traversée du lac Menzaleh. E… elle-même ne craindrait pas de naviguer sur ce lac. Nulle part il n’a plus de dix pieds de profondeur, et presque partout on en voit le fond à quatre ou cinq pieds. Nous arrangeons une tente au moyen de nos tapis et passons une très heureuse journée. Le soir nous entrons dans un canal dont les bords sont couverts de roseaux gigantesques. Au clair de la lune, le paysage est remarquablement romantique : on amarre la barge à la rive pour la nuit. Le jour suivant (23 mai), à dix heures à peu près du matin, nous atteignons San. Nous consacrons la soirée et le lendemain à l’exploration des ruines de l’ancienne Tsohan, car nous apprenons fortuitement que nous sommes précisément dans ces lieux mémorables.

Nous errions solitairement chacun de notre côté, lorsque nous trouvâmes, à notre grande surprise, des tertres de briques, de poteries et de pierres vitrifiées. André fut le plus heureux, il finit par arriver près de magnifiques obélisques. Le matin suivant, nous avons examiné le tout avec soin, ce qui nous a fait découvrir deux sphinx et une grande quantité d’obélisques égyptiens. Combien il est merveilleux que nous foulions sous nos pieds tout ce qui reste des ruines de l’ancienne capitale de l’Egypte. Ésaïe 19.12 : Où sont les princes de Tsohan ? Ézéchiel 30.14 : Dieu a porté le feu en Tsohan. Nous sommes dans les lieux où Joseph fut vendu comme esclave et où Moïse fit ses miracles. Psaumes 78.43. C’est peut-être le seul endroit où nous ayons couru quelque danger de la part des indigènes, race sauvage, dont nos Arabes avaient peur. Vous auriez été quelque peu effrayés en voyant nos Bédouins faire la garde autour de nos tentes, avec leurs sabres nus qui étincelaient aux rayons de la lune : pendant toute la nuit ils tirèrent des coups de fusil à de courts intervalles, et chantèrent de lentes mélodies arabes pour se tenir éveillés. Il ne nous arriva aucun mal. Nous sentions que beaucoup de frères priaient pour nous et que Dieu nous gardait.

24 mai. — Aujourd’hui nous avons commencé à voyager sur des chameaux que nous ne quitterons plus jusqu’à Jérusalem. C’est un étrange mode de locomotion. Vous avez vu le chameau s’agenouiller : c’est tandis qu’il est dans cette position qu’on le monte. Tout à coup il se lève sur ses jambes de derrière, puis sur celles de devant : c’est le moment périlleux ; et il ne faut pas peu d’adresse pour se bien tenir pendant l’opération. Une fois j’ai été lancé par-dessus la tête de ma monture, heureusement sans me faire le moindre mal. Quand on se trouve juché sur la bosse d’un chameau, on éprouve quelque chose de pareil, j’imagine, aux sensations d’un aéronaute s’élevant de terre avec son ballon ; il semble qu’on dise adieu aux choses matérielles. Mais lorsque l’animal commence à se mouvoir, d’un pas lent et solennel, il ne faut pas bien longtemps pour se convaincre de son origine terrestre, et se rappeler qu’un faux balancement ou un mouvement de côté suffirait pour faire descendre, plus vite qu’on ne le désirerait, de la hauteur dangereuse où l’on se trouve. On n’a pas d’étrier, et ordinairement on se sert de son lit en guise de selle. On peut se placer à califourchon, ou s’asseoir de côté : cette dernière méthode est la plus agréable, mais non la plus sûre. Le chameau fait à peu près une lieue à l’heure, et son pas est si long qu’il imprime au corps de celui qui le monte un mouvement tout à fait singulier. A chaque pas la tête du voyageur avance presque jusque entre ses genoux. Avec un soleil dévorant au-dessus de soi et un sable brûlant au-dessous, vous pouvez facilement imaginer combien cette manière de voyager est harassante. Mais nous songions à Rebecca et aux serviteurs d’Abraham, et nous écoutions avec délices les chants plaintifs de nos sauvages Bédouins. Cette nuit nous prenons nos quartiers à Ménagie, village bédouin composé de huttes en terre ; rien d’intéressant que des palmiers, trois citernes et un océan de sable.

25 mai. — Levés avec le soleil, nous continuons notre route dans le même équipage que la veille. Aucun événement ce jour-là, si ce n’est la chute du docteur Black de son chameau, qui nous a causé de vives alarmes. Il s’était endormi, ce à quoi l’on est fort sujet. De suite nous avons campé, et après l’avoir ranimé au moyen de tous les cordiaux que nous possédions, nous avons pu pousser encore le même soir jusqu’à Gonatre, misérable station arabe qui a un gouverneur : on n’y voit pas un seul arbre.

26 mai. — Le retour du dimanche fut doux pour nous ; le thermomètre était à 92° dans nos tentes : nous ne pûmes que rester couchés sur nos tapis en lisant quelques psaumes. Le soir nous avons rassemblé autour de nous le gouverneur et les Bédouins, pour leur faire entendre quelques paroles de vie éternelle que leur interprétait Ibrahim.

27 mai. — Deux longs relais nous ont amenés à Katieh ; nous sommes reconnaissants envers Dieu pour toute la bonté avec laquelle il nous a conduits jusque sous ces palmiers.

28 mai. — Passé la journée à Katieh, où nous avons des entrevues intéressantes avec le gouverneur, Arabe plein de bonté : le thermomètre est à 96° dans les tentes. Le même soir, nous poursuivons notre route à travers un désert plus vert, au milieu de troupeaux de chèvres et de moutons ; nous campons auprès d’une citerne appelée Bir-el-Abd.

29 mai. — Encore un des jours brûlants du désert. Arrivés en vue de la mer dont nous aspirons avec délices la brise bienfaisante. Nous nous baignons dans un lac salé dont l’eau est aussi chaude que celle de nos bains artificiels. Le soir, nous dressons nos tentes à Abugilbany.

30 mai. — Ce jour est le dernier que nous ayons passé dans le désert d’Egypte. Nous allons entrer maintenant dans une région beaucoup plus montagneuse. Chaleur excessive : nous sommes, à la lettre, haletants faute d’un peu d’air. Nos Bédouins nous ont demandé des mouchoirs pour envelopper leur tête ; souvent ils se jetaient sous quelque buisson pour avoir un peu d’ombre. Au coucher du soleil, nous sommes arrivés près des vieilles ruines de Rhinoculura, maintenant ensevelies dans le sable, et bientôt après nos chameaux s’agenouillaient près des portes d’El-Arish, la dernière ville avant la frontière de l’Egypte.

31 mai. — Nous passons cette journée à El-Arish, sans pouvoir nous y procurer des chameaux frais. Nous avons acheté un mouton pour sept francs, et nous pouvons enfin nous désaltérer librement d’une eau délicieuse. Quelle bénédiction en sortant du désert ! Découvert le lit, complètement à sec, du fleuve d’Egypte, cette frontière de Juda mentionnée dans la Bible.

1er juin. — Visité l’école qui est une véritable curiosité. Tous les enfants sont assis sur le plancher, les jambes croisées, et se balancent de côté et d’autre en répétant des phrases arabes. Nous avons eu aussi une curieuse entrevue avec le gouverneur, que nous avons trouvé assis à la porte, selon la coutume antique. Maintenant nous sommes devenus tout à fait habiles à ôter nos souliers et à nous asseoir à la mode orientale. Dans ces visites, il est d’usage invariable de fumer et de boire du café dans de très petites tasses. Le même soir, nous quittons la ville, nous dirigeant vers Sheikh-Juidhe, dans le pays des Philistins, que nous n’atteignons qu’au soleil levant.

2 juin. — Passé ici un bienheureux dimanche. Chanté entre autres le cantique : Dieu est bien connu dans le pays de Juda. Il nous a été doux d’entonner des chants de louange dans nos tentes ; elles sont aussi frêles que nos corps mortels : nos cantiques en montent d’autant plus facilement jusqu’à notre Père. Notre voyage à travers le pays des Philistins a été fort agréable.

3 juin. — Nous traversons de beaux pâturages ; de temps à autre des troupeaux de moutons et de chèvres, d’ânes et de chameaux, se présentent à notre vue. Nous foulons ce chemin d’Egypte qui a si peu changé depuis le jour où l’Ethiopien continua sa route plein de joie, et par où Marie et Joseph emportèrent le petit enfant pour échapper à la colère d’Hérode. Peu changé ! ai-je dit ? Ah ! au fond, tout y est changé, car on n’y trouve plus un seul ruisseau d’eau. Tous les fleuves d’Egypte, le Wady, le Gaza, l’Escol, le Sorek, toutes les rivières que nous avons traversées, sont taries et sans une goutte d’eau. La contrée est changée ; ce n’est plus le riche pays des Philistins. Le sable lutte avec l’herbe à qui aura le. dessus. Et les villes, où sont-elles ? Le peuple même est changé. On ne voit plus ni les hardis Philistins, ni les enfants de Siméon ; ni Isaac et ses serviteurs, ni David et ses cavaliers ; à leur place de misérables bergers arabes, peuple simple, sans idées, pauvre, dégradé et craintif. Khanounes est la première ville où nous soyons entrés ; nous n’en connaissons pas le nom biblique. Le cimetière est hors de la ville. Le puits et les gens qui s’y étaient rassemblés furent des objets d’un grand intérêt pour nous, non moins que nous pour eux. Nous nous assîmes dans le bazar où nous fûmes en spectacle à tous. Ah ! combien nous aurions désiré de connaître l’arabe afin de pouvoir prêcher, dans le pays même de Jéhova, les richesses inscrutables de Christ ! Le même soir nous entendîmes le hurlement du loup, et nous dressâmes nos tentes à demi-lieue de Gaza. La peste décimait la ville, où nous n’entrâmes pas ; mais nous avons passé une journée délicieuse à comparer sa condition présente aux prophéties des Écritures qui la concernent : Gaza est devenue chauve. L’ancienne ville est couverte par des monticules de sable où l’on ne découvre pas trace de verdure : elle est chauve, en vérité. Les troupeaux de menu et de gros bétail sont innombrables, accomplissant ainsi ce que prophétisait Sophonie, chapitre 2 ; André et moi nous avons gravi la colline sur laquelle Samson emporta les portes de la ville.

5 juin. — Nous voyageons pendant longtemps à l’ombre de beaux figuiers, puis nous entrons dans la vallée d’Escol. Tout le monde est aux champs occupé à moissonner l’orge qu’on recueille comme chez nous, avec la faucille. Ce sont les chameaux qui la transportent. Escol ne possède plus maintenant ni vignes, ni grenadiers, mais quelques figuiers. Traversé la rivière Sorek, tarie. Nous nous reposons au milieu du jour sous l’ombrage d’un figuier, où nous avons goûté des abricots de ce bon pays. Le même soir nous sommes arrivés à Doulis, probablement le Tsorha où Samson est né.

6 juin. — Nous nous dirigeons à l’est, et après avoir traversé un défilé de montagne, nous voyons se dérouler devant nous les collines de Juda derrière une plaine immense, animée par une quantité de petites villes. Cette plaine, ou vallée, est celle de Tsephath dont il est parlé au chapitre 14 de 2Chroniques. Avant la nuit nous commencions déjà à escalader les collines de Juda qui ressemblent beaucoup à nos Highlands ; nous nous sommes établis pour dormir au milieu des montagnes, dans un village désert appelé Latroon.

7 juin. — Ce jour a été l’un des plus privilégiés de notre vie. Nous levâmes nos tentes au clair de la lune, mais bientôt le soleil parut à l’horizon et nous entrâmes dans un défilé du caractère le plus romantique. Nous étions entourés de sauvages rochers et de monts verdoyants, tandis qu’une multitude de fleurs, d’une grande variété de couleurs et de parfums, égayaient et embaumaient notre sentier. De temps en temps nous arrivions à un bosquet de magnifiques oliviers, pour nous retrouver bientôt après au milieu d’une solitude sauvage. Nous entendions aussi la voix de la tourterelle ; d’autres oiseaux faisaient entendre des chants d’une douceur inexprimable. Pendant quatre heures les chameaux montèrent le défilé ; nos Bédouins, avec leurs turbans et leurs figures étranges, ajoutaient encore au pittoresque des scènes qui se succédaient à nos yeux. Tous les monts de Juda s’élèvent par terrasses ; c’est là leur caractère le plus remarquable. Cette structure permettait de couvrir de vignes le pied de chaque roc. Jadis la main de l’homme était activement occupée à la culture de ces monts : où sont maintenant tous ces travailleurs ? L’ennemi a emmené Juda en captivité. Peu d’hommes ont été laissés de reste dans le pays ; on n’y voit plus une seule vigne. Le vignoble languit. Esaie.16.8. — Nous descendîmes à Garieh, village tout entouré de figuiers et de grenadiers. Une nouvelle montée, puis une descente, nous amenèrent dans la vallée d’Elah, où David tua Goliath. De là, après avoir fait l’ascension d’une colline élevée et escarpée, nous vîmes un spectacle étrange : c’était un désert de rochers brûlés par le soleil. J’en avais lu la description et je compris par là que nous approchions de Jérusalem ; aussi descendis-je de mon chameau pour courir en avant sur le roc. Au bout d’une demi-heure j’aperçus enfin la cité sainte. Comment est-il arrivé que la ville si peuplée se trouve si solitaire ? Lamentations 1.1. Est-ce donc là cette beauté parfaite ? Psaumes 50.2Comment est-il arrivé que le Seigneur a couvert de sa colère la fille de Sion, comme d’une nuée ? Lamentations 2.1 Lisez les deux premiers chapitres des Lamentations de Jérémie et vous aurez une peinture vivante de l’impression que nous avons reçue de la première vue de Jérusalem. Nous descendîmes de nos chameaux à la porte de Jaffa et pûmes observer beaucoup de Juifs dans la foule qui se rassembla autour de nous.

Je crois qu’il vaut mieux que je n’essaie pas de vous parler de Jérusalem. Il y a tant de choses à décrire que je ne saurais par où commencer. Notre consul, M. Young, nous reçut avec une grande bonté ; il nous procura de suite un gîte et nous a aidés de toute manière. M. Nicolayson vint le même soir et insista pour que nous occupassions une des maisons missionnaires du mont de Sion. La peste règne encore à Jérusalem ; aussi sommes-nous en quarantaine. La peste ne se communiquant que par le contact, il nous est interdit de toucher qui que ce soit, tout comme aussi de permettre qu’on nous touche nous-mêmes. Chaque nuit nous entendons ceux qui mènent deuil parcourant les rues avec des lamentations lugubres. Dimanche M. Nicolayson a lu les prières liturgiques et le docteur Black a prêché sur Esaie.2.2 ; le service du soir a été célébré par le docteur Keith. Au nombre des auditeurs se trouvaient trois Juifs convertis. Le lundi 10 juin, nous avons visité avec tristesse le saint sépulcre, où nous n’avons retrouvé aucune trace du Calvaire. Le même soir nous sommes allés voir la montagne des Oliviers et Gethsémané qui nous ont vivement touchés. Nous avons fait visite à sir Moses Montefiore, juif de Londres dont la tente était dressée au sommet de la montagne et qui nous a accueillis avec la plus grande bienveillance.

11 juin. — Nous avons fait le tour de la plupart des environs de Jérusalem qui méritent d’être vus : Rephaïm, Gihon, les eaux de Siloé qui coulent doucement, le Réservoir de Siloé, le lieu où Jésus pleura sur Jérusalem ; Béthanie, qui est mon endroit favori, et les tombeaux des rois. Jamais encore nous n’avons passé de jour pareil à celui-ci. La température était réellement délicieuse ; chaude à midi, mais rafraîchie matin et soir par de fraîches brises.

12 juin. — Jour d’affaires, consacré à prendre des informations sur les Juifs. Le soir nous sommes allés voir l’Aceldama, le champ du sang, lieu affreux. Sion est labourée comme un champ ; j’y ai cueilli quelques épis d’orge. Lisez Michée 3.12 : C’est pourquoi à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, et Jérusalem sera réduite en monceaux de pierres, et la montagne du temple en hauts lieux de forêts. Jérusalem est bien réduite réellement en un monceaux de pierres. Vous seriez étonnés de voir combien elle renferme de décombres ; dans un endroit ils sont plus hauts que le mur d’enceinte.

13 juin. — Nous nous rendons à Hébron, situé à sept lieues au sud, M. Nicolayson, son fils, le consul et des dames nous y accompagnent, tous montés sur des chevaux ou sur des mules. Toutes les villes de Juda sont dévastées. Sauf Bethléem nous n’avons aperçu que des ruines jusqu’à Hébron. Là nous avons vu des vignes magnifiques, cultivées avec soin, qui font de ce lieu un paradis. Après avoir passé ici une soirée délicieuse et la journée suivante non moins agréable, nous eûmes une entrevue intéressante avec quelques Juifs. La lecture du chapitre 18 de la Genèse et d’autres passages nous ont procuré de vives joies. Visité la mosquée où se trouve le tombeau d’Abraham et de Sarah.

15 juin. — Retourné à Jérusalem par Bethléem. Bethléem est un charmant village bâti au sommet d’un rocher d’une blancheur éblouissante. Il s’étend sur les deux versants. Depuis le sépulcre de Rachel on aperçoit d’un côté Jérusalem et de l’autre Bethléem ; coup d’œil intéressant à deux lieues à la ronde. Dimanche nous avons eu la jouissance de prendre la Cène dans une chambre haute de Jérusalem. C’est un moment dont nous nous souviendrons. André a prêché le même soir sur Jean 14.2-3.

17 juin. — La peste faisant de nouveau ravages, nous nous décidons à partir. Après une dernière visite à Gethsémané, à Bethanie et à Siloé, nous prenons congé de tous nos amis de Jérusalem, vous pouvez imaginer avec quel serrement de cœur. Nous nous dirigeons d’abord vers Rama, au nord, puis vers Gabaon, pour aller reposer, de nouveau dans nos tentes, à Beer dans la tribu de Benjamin.

19 juin. — Traversé Béthel, où Jacob passa la nuit. De là nous pénétrons dans le défilé fertile et plein de rochers d’Ephraïm, et en passant par Lebonah nous atteignons Sichar. Vous ne pouvez vous faire une idée à quel point ce pays est beau. A Sichar nous cherchons soigneusement le puits près duquel Jésus s’assit ; enfin André le trouve et y laisse tomber sa Biblec. Le lendemain nous passons une matinée extrêmement intéressante à converser avec les Juifs de Sichar. Nous en avons vu beaucoup, ainsi que des Samaritains dans leur synagogue. Le même soir nous visitons la fameuse ville de Samarie, et nous allons dresser nos tentes à Sanour.

c – Chose assez curieuse, les restes de cette Bible furent retrouvés au mois de juillet 1843, par le docteur Wilson et son compagnon de voyage, qui avaient employé un Samaritain de Sichar à examiner l’intérieur du puits et l’état de la source. (Aut.)

21 juin. — Nous arrivons à Carmel, où nous sommes encore, campés à quelques pas de la mer. Nous subissons la quarantaine depuis sept jours déjà, car la peste ne règne pas au nord du Carmel. Quoi qu’il en soit nous sommes très bien ici et nous éprouvons un plaisir tout particulier à prendre des bains de mer. Beaucoup d’Anglais sont campés autour de nous ; Lord Hamilton, lord Rokeby, etc., et chaque jour nous conversons ensemble assis sur le sable ; mais il ne nous est pas permis de toucher même un cordage d’une tente étrangère. Nous voyons Acre à travers la baie. Demain lord Hamilton part et il a l’obligeance de se charger de nos lettres. La sommité rocheuse du Carmel est au-dessus de nous. Nous sommes tous aussi heureux que bien portants. Lundi prochain nous nous proposons de nous diriger vers Tibériade et Saphet ; de là à Beyrouth, et bientôt après d’aller à Smyrne. N’ayez aucune inquiétude à mon égard. Remettez-nous à Dieu qui nous accompagne partout où nous allons. Je le prie ardemment que notre mission soit en bénédiction à Israël. Sir Moses Montefiore est arrivé et a dressé ses tentes à cinquante mètres des nôtres. Mes salutations les plus cordiales à tous ceux qui s’informeront de moi, particulièrement à ce cher W…, etc., etc. »

5.

Quand le docteur Black et le docteur Keith durent nous quitter pour retourner en Europe, nous nous dirigeâmes de nouveau au sud de Beyrouth, pour explorer la Phénicie et la Galilée. Jamais Mac-Cheyne ne me parut aussi joyeux que pendant les excursions que nous fîmes alors.

A Tyr il se souvint de la prière d’un ancien de l’église de Larbert qui lui avait écrit avant son départ pour lui faire part des difficultés qui l’arrêtaient ordinairement quand il entendait exposer les prophéties relatives à cette cité célèbre. Arrivé sur les lieux, il y examina avec le plus grand intérêt les difficultés signalées ; il y a lieu de croire que, lorsque son témoignage à cet égard fut communiqué, dans son premier champ de travail, à quelques esprits sceptiques, il ne demeura pas sans bénédictions.

Il écrivait de Saffet : — « Ce matin je suis resté assis plus d’une heure à contempler le lac. Elles étaient à nos pieds, ces eaux sur lesquelles Jésus marcha, où il appela ses disciples, où il apaisa la tempête, où il dit, après qu’il se fut relevé d’entre les morts : Enfants, n’avez-vous point quelque chose à manger ? Jésus est toujours le même. » — Voici encore en quels termes il décrivait la même vue à son ami d’enfance, M. Somerville : — « Oh ! quelle perspective que celle de la mer de Galilée devant vous, à vos pieds ! Il faut descendre à peu près trois heures pour arriver au bord de l’eau, et pourtant il semble qu’on pourrait y courir en quelques minutes. Le lac est infiniment plus grand que je ne me l’étais imaginé. Il est encaissé de tous côtés dans des montagnes ; aussi calme et aussi uni que la mer de verre que Jean vit dans les cieux. Nous avons vainement essayé d’y suivre le cours du Jourdain ; quelques lignes semblables au sillage d’un vaisseau étaient bien visibles, mais elles ne traversaient pas directement le lac. Les montagnes de Basan sont extrêmement hautes et escarpées du côté du lac. Un homme nous montra les rochers où se trouvaient les sépulcres qu’habitaient les démoniaques. Près de là les montagnes sont exactement telles que nous les décrivent les Écritures, et nous vîmes le précipice du haut duquel les pourceaux se jetèrent avec impétuosité dans la mer. Au nord-est du lac s’élève Hermon, coupé d’un grand nombre de ravins remplis de neige : l’aspect de cette montagne est réellement grandiose. »

Je me souviendrai toute ma vie du jour que nous passâmes près du lac, tout au bord de l’eau, car il nous fut particulièrement doux. Le plus petit détail des scènes qui nous entouraient avait pour nous un intérêt inexprimable, et nous étions émus même en ramassant un coquillage sur cette rive que Jésus avait si souvent parcourue. C’est là que Mac-Cheyne composa deux de ses plus beaux cantiques.

A cette époque, sa santé s’était beaucoup améliorée ; il semblait reprendre de nouvelles forces chaque jour, et souvent il soupirait avec ardeur après l’heure où il rejoindrait son troupeau. Dans ces moments, il épanchait toute son âme devant le Seigneur qui lui rendait le calme. Ils ne sont pas rares les pasteurs d’autres Églises, qui ont visité la Palestine, contraints par la maladie à chercher des climats étrangers ; mais, hélas ! combien est petit le nombre de ceux dont le cœur est demeuré avec leur troupeau ; qui ont souffert d’une séparation indépendante de leur volonté. Quant à Mac-Cheyne, son affection pour ses paroissiens était si profonde, qu’elle lui devenait parfois une véritable tentation. L’intérêt qu’il leur portait ne se manifestait nullement par un simple désir de prêcher de nouveau ; ce sentiment aurait pu être égoïste, et comme il le disait : « Nul doute qu’il n’y ait de l’orgueil dans ce désir de prêcher ; une âme vraiment soumise se réjouirait toujours de faire la volonté de Dieu, quelle qu’elle fût. » Mais ses prières pour son troupeau s’élevaient chaque jour au trône de grâce. Souvent nous nous mîmes à genoux pour prier ensemble dans ce but ; c’étaient de précieux moments : nous en avons joui surtout un matin, dans Gethsémané, au lever du soleil ; un autre matin encore à Carmel, où, avec l’aurore, nos supplications montèrent de la plage silencieuse qui s’étend au pied du mont, et, le même soir, au sommet du Carmel, à l’endroit où Elie pria.

L’éloignement de son champ de travail, les embarras et les distractions inséparables d’un voyage ne purent altérer sa manière de considérer son devoir, ni changer ses sentiments comme ministre de Christ. Tandis que nous étions en Galilée, il réfléchit beaucoup sur les difficultés ecclésiastiques de notre chère Ecosse ; mais cet examen, fait à la lumière de la Parole de Dieu, en dehors de toute pression extérieure, ne fit qu’affermir ses convictions sur la ligne de conduite à suivre. — « J’espère, » écrit-il à un frère dans le ministère, « j’espère que l’Église a réellement été guidée et bénie d’en haut, et si elle doit passer au creuset de l’épreuve, j’estime qu’aucune attitude ne lui peut mieux convenir que celle d’une église missionnaire, donnant libéralement aux Juifs et aux Gentils ce qu’elle a gratuitement reçu. Puisse-t-elle être trouvée faisant ainsi lorsque le Seigneur viendra ! »

De retour au pied du Liban, dans la ville de Beyrouth, il fut en état de présider une réunion de prières des frères américains, et d’y expliquer le chapitre 10 des Actes. Son cœur s’en émut de joie ; il lui semblait que le Seigneur lui rendait la santé pour l’employer encore à prêcher la bonne nouvelle. Mais, quelques heures après, il se sentit indisposé par la chaleur accablante de l’après-midi. Le matin même il était allé voir un jeune homme de Glascow, malade de la fièvre, et il est probable que cette visite, dans un moment où il était loin d’être remis de ses fatigues précédentes, fut la cause de sa maladie. Bientôt la fièvre l’abattit complètement. Le médecin n’y vit aucun danger et lui conseilla de partir de suite pour Smyrne, pensant que l’air frais de la mer serait plus favorable à son rétablissement que la chaleur étouffante de Beyrouth. Nous nous embarquâmes donc, accompagnés de notre fidèle ami, le missionnaire juif Erasme Caïman. Lorsque le vaisseau jeta l’ancre près de l’île de Chypre la fièvre devint tellement violente que Mac-Cheyne en perdit la mémoire pendant quelques heures et souffrit de douleurs excessives à la tête. Dès que le vaisseau eut remis à la voile, il se ranima beaucoup ; mais pendant trois jours, nous ne pûmes nous procurer aucun secours médical. Il pouvait à peine parler. Nous le veillâmes dans une profonde anxiété jusqu’à ce nous eûmes atteint Smyrne et le village de Bouja, où nous nous rendîmes d’abord après le coucher du soleil. Quoique Bouja soit à une lieue de Smyrne, il préféra y aller pour être à portée du médecin. Nous plaçâmes donc notre pauvre ami sur une mule, où il semblait à chaque instant devoir défaillir de douleur. Mais le Seigneur lui avait préparé des soins aussi tendres que bienfaisants. M. et Mme Lewis le traitèrent comme leur fils, et il trouva sous leur toit des attentions et une chaleur d’affection qu’il ne mentionnait jamais qu’avec l’expression de la plus vive gratitude. La vue du jasmin en fleur ou du sombre cyprès suffisait à rappeler à son souvenir Bouja et ses chers habitants. Il disait souvent que c’était pour lui un second lieu de naissance.

Dans ces jours d’angoisse, il fit une expérience commune à bien des enfants de Dieu affligés par la maladie : son âme défaillante était plus réellement nourrie et restaurée par un seul verset de la Parole de Dieu que par aucune autre chose. Son esprit se ranima un jour et ses yeux brillèrent, tandis que je lui parlais de la sympathie du Sauveur, ajoutant, comme des paroles mêmes de Jésus : Oh ! que bienheureux est celui qui se conduit sagement envers l’affligé ; l’Éternel le délivrera au jour de la calamité ! etc. Psaumes 41.1 Certes, il pouvait s’appliquer ces mots, surtout en sa qualité de ministre de la bonne nouvelle ; car il s’était « conduit sagement envers les affligés, » et avait souvent donné à quelque disciple ce verre d’eau dont Dieu se souvient. Un autre passage, écrit pour fortifier les enfants de Dieu dans l’affliction, fut prononcé devant lui dans un moment où il paraissait presque insensible : Invoque-moi au jour de la détresse, je t’en délivrerai, et tu m’en glorifieras ! Psaumes 50.15 Cette parole de son Seigneur lui fut comme à Jonathan la goutte de miel.

Voici ce qu’il écrit de sa maladie à ses amis d’Écosse : « Je quittai le pied du Liban, presque incapable de voir, d’entendre, de parler et de me souvenir de rien ; je sentais mes facultés s’éteindre une à une, et j’avais toute raison de croire que je serais bientôt avec mon Dieu. C’est une épreuve amère que d’être seul et mourant en pays étranger, et j’ai éprouvé alors, mieux que je ne l’avais jamais fait auparavant, la nécessité absolue d’une foi sincère en Dieu et en Jésus-Christ. Émotions, sentiments naturels, brillantes visions des choses invisibles, tout ce qui est humain s’évanouit dans des moments pareils et laisse l’âme sans consolation ni espérance. Nous nous faisons bien des illusions sur nous-mêmes, tant que nous n’avons pas passé par le creuset et que nous sommes au milieu d’amis chrétiens dont les sentiments prêtent aux nôtres une force et une chaleur qu’ils ne possèdent pas par eux-mêmes. » Même en ces jours de douleur le souvenir de son troupeau était vivant dans son cœur : « Dès que je fus un peu remis, écrit-il, je pris l’habitude de me faire traîner dehors le soir au coucher du soleil. Dans ces moments je me suis fréquemment souvenu de vous tous. Je ne pouvais pas écrire et fort peu lire, car ma tête et mes yeux étaient extrêmement affaiblis ; j’avais à peine assez de voix pour dire quelques mots : aussi pouvais-je consacrer tout mon temps à prier pour mon troupeau et à appeler sur lui la puissante bénédiction du Seigneur. La dernière soirée que j’ai passée ici, nous sommes tous allés à la vendange, et j’ai aidé à cueillir le raisin. »

Il écrit aussi à M. Somerville : « Au moment le plus critique de la maladie, mon esprit était bien faible, et les choses de l’éternité me paraissaient souvent obscures. Je ne craignais pas de mourir, car Christ est mort. Cependant je priais le Seigneur de de me rétablir si telle était sa volonté. Vous vous souvenez qu’au nombre des avis que vous me donniez quand nous nous séparâmes se trouvait la recommandation d’être humble. Dieu me donne le même enseignement, vous le voyez. Je sens que je ne suis pas entièrement humilié. Je sens l’orgueil de mon cœur et je le déplore. »

Extrayons encore quelques lignes d’une lettre qu’il adressait à son bon ami et médecin, le docteur Gibson de Dundee : « J’ai réellement cru que mon Maître m’appelait dans ma patrie et que je reposerais au pied des sombres cyprès de Bouja, jusqu’à ce que le Seigneur vienne et qu’il emmène avec lui tous ceux qui se seront endormis en Jésus ; mes plus ardentes supplications étaient alors pour mon cher troupeau, afin que Dieu lui accordât un pasteur selon son cœur. »

Le voyant en pleine convalescence, je l’avais devancé à Constantinople. Lorsque nous nous retrouvâmes, après huit jours de séparation, il me mentionna, comme l’événement le plus intéressant de la semaine, la rencontre qu’il avait faite un soir, en se promenant avec M. Lewis, d’un jeune Grec et de sa femme qu’il croyait être vraiment convertis au Seigneur. Son cœur avait tressailli à la vue de ces représentants, peut-être uniques, de l’église de Smyrne autrefois si éprouvée et si fidèle.

6.

Pendant ce temps notre patrie voyait s’accomplir des événements prouvant une fois de plus que « Dieu fait seul des choses merveilleuses. Psaumes 77.18 » — Il n’avait point oublié les supplications que son serviteur lui adressait d’Asie, et ses yeux s’étaient enfin tournés vers son peuple. Au moment où Mac-Cheyne semblait se mourir, les canaux des cieux s’ouvrirent pour répandre la bénédiction à Dundee sur son troupeau. Le Seigneur voulait nous faire voir avec évidence qu’il n’a besoin du secours de personne, qu’il peut appeler de nouveaux serviteurs, se servir d’autres instruments, selon son bon plaisir. Nous ne nous imaginions guère que le jour où, dans la crainte et dans l’angoisse, nous attendions un vaisseau en partance pour Smyrne, le bras du Seigneur commençait à se révéler en Écosse. Le 23 juillet eut lieu le grand réveil de Kilsyth.

M. William C. Burns, qui remplaçait Mac-Cheyne à Dundee pendant son absence, prêchait ce jour-là dans la paroisse dont son père était pasteur, à Kilsyth. Tandis qu’il pressait, avec un sérieux profond, ses auditeurs de se donner immédiatement à Christ, la vaste assemblée tout entière fut profondément saisie. Le Saint-Esprit sembla descendre comme un vent véhément et remplir tout le temple. Un grand nombre de personnes furent frappées au cœur en ce jour-là : la maison de Dieu était pleine d’âmes angoissées, cherchant le salut. Toute l’Écosse retentit de la bonne nouvelle que le ciel avait cessé d’être d’airain, et que la pluie commençait à tomber. De ce moment les effets de la puissance du Saint-Esprit se firent sentir en beaucoup de lieux de notre pays.

M. Burns revint à Dundee le 8 août, un de ces jours où Mac-Cheyne, étendu sur sa couche, intercédait pour son troupeau au milieu de ses propres souffrances. La nouvelle du réveil de Kilsyth produisit à Dundee une impression profonde ; deux jours plus tard, pendant une réunion de prières, le Saint-Esprit commença son œuvre dans l’église de Saint-Pierre comme à Kilsyth. Chaque jour la foule se réunissait dans le temple pour prier et pour écouter la Parole. Les temps apostoliques semblaient revenus où « le Seigneur ajoutait chaque jour à l’assemblée ceux qui étaient sauvés. »

Pendant tout ce temps Mac-Cheyne ignorait avec quelle bonté le Seigneur répondait aux désirs de son cœur. La bienheureuse nouvelle de ces réveils ne nous atteignit qu’au moment où nous allions rentrer dans notre patrie. Mais il n’en continuait pas moins, comme Epaphras, « à combattre pour eux dans ses prières (Colossiens 4.12). » Chaque jour il se préparait à remplir sa charge avec plus de sérieux et de conscience, s’il plaisait au Seigneur de l’employer de nouveau. Il écrivait à l’un de ses frères dans le ministère, M. Moody Stuart : « Ne négligez pas de continuer la bonne œuvre dans les cœurs où elle est déjà commencée. Je sens que cela a été une des lacunes de mon ministère. Nourrissez les agneaux, consolez les âmes abattues, guidez celles qui sont dans la perplexité, perfectionnez ce qu’il y a de défectueux dans leur foi. Préparez-les aux amertumes de l’épreuve. Je crains que beaucoup de chrétiens ne soient nullement prêts à supporter le jour de l’affliction et de l’angoisse. »

Notre voyage nous conduisit à travers la Moldavie, la Valachie et l’Autriche, « pays assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. » Il est navrant de voir des peuples professer le christianisme, tout en étant aussi profondément étrangers à la vérité telle qu’elle est en Jésus. La superstition et l’idolâtrie y voilent à tous les yeux l’objet de la foi. Là, comme partout, l’amour de Mac-Cheyne pour les âmes se fit jour en de nombreux efforts pour répandre la bonne semence autour de lui. Quand les occasions lui manquaient, son esprit s’agitait au dedans de lui-même, et dès qu’il pouvait trouver accès auprès d’un israélite, si courte que fût l’entrevue, il en profitait pour appeler l’attention de son interlocuteur sur quelque passage de la Parole de Dieu. Il portait constamment sur lui sa Bible hébraïque, et en Palestine, lorsque les Juifs ne savaient pas l’italien, il lisait avec eux des passages en hébreu, comme par exemple : — « En ce temps-là, il y aura une source ouverte en faveur de la maison de David, etc. Zacharie 13.1 » — Un soir que nous étions près du puits de Doulis entourés d’une grande quantité d’Arabes, il avait l’air pensif et nous dit tristement : « Ah ! si nous savions l’arabe, nous pourrions jeter notre pain sur la surface de toutes ces eaux ! »

A Jassy, après avoir passé une journée extrêmement intéressante à converser avec des Juifs qui vinrent nous visiter à l’hôtel, il me dit : « Je me souviendrai de la figure de ces hommes quand nous paraîtrons devant le tribunal de Christ. » En Europe, où nous trouvâmes des Juifs plus instruits, il éprouva souvent un grand plaisir à s’entretenir en latin avec eux. Son cœur le poussait à faire tout ce qui était en son pouvoir (Marc 14.8), en temps et hors de temps. « Je suis toujours plus convaincu, écrit-il, que Dieu peut rendre la plus simple exposition de l’Évangile efficace pour le salut des âmes. Pourvu que ce soit l’Évangile pur, la bonne nouvelle, le message céleste que Dieu a aimé le monde, qu’il a procuré une rédemption offerte à tous, le Seigneur peut lui donner puissance pour blesser le cœur, et aussi pour le guérir. Ah ! quel sens profond dans ces quelques mots de Paul : « Je n’ai point honte de l’Évangile de Christ ! »

Les abominations du papisme dont nous fûmes témoins dans la Pologne autrichienne, firent naître en lui bien des prières pour la destruction de l’homme de péché. « Il est effrayant de considérer au bord des routes ces images, ces idoles, qui ont transformé tout ce pays en un royaume de ténèbres. Je crois qu’un petit voyage à travers l’Autriche serait le moyen le plus propre à guérir maint admirateur du papisme de notre bien-aimée patrie. Plus loin il ajoute : « C’est là l’empreinte de la bête sur ces malheureuses contrées. » Et les privilèges dont nous jouissons en Écosse lui devenaient toujours plus précieux, lorsqu’il apprenait, comme par exemple à Brody, que les protestants n’avaient de culte qu’une fois par an. « Quand je serai de retour, s’écria-t-il, il faut que je le dise à mes paroissiens, afin qu’ils apprennent à apprécier tous leurs moyens de grâce. »

Les pays et les villes que nous traversions l’intéressaient surtout à proportion de leurs rapports avec les Juifs. Il avait pour ces brebis perdues de la maison d’Israël les mêmes entrailles de compassion que pour ses paroissiens. De Tarnopol, en Gallicie, il écrit : « Nous sommes à Tarnopol, très jolie petite ville, dans une charmante position, bâtie au bord d’un ruisseau sinueux, et tout entourée de collines bien boisées. Je présume que c’est la première fois que vous entendez ce nom ; pour moi je l’ignorais complètement jusqu’à l’heure où nous nous y sommes trouvés au milieu de Juifs. Je ne sais s’il en est sorti des guerriers, des poètes ou des orateurs célèbres ; jusqu’à présent ses fleurs ont vécu inaperçues, tout au moins par nous autres barbares du Nord ; mais si Dieu redonne la vie aux ossements desséchés d’Israël dispersés sur la face du globe, ce lieu-ci verra se lever une bien grande armée. »

Notre cher ami et frère dans la foi, Erasme Calman, abrégeait les ennuis de cette route monotone en nous récitant des poésies en hébreu. Mac-Cheyne en traduisit une en vers anglais. Il avait encore noté plusieurs sujets d’hymnes, entre autres : — Ésaïe 2.3 « Venez et montons à la montagne de l’Éternel, etc. » — Ésaïe 1.18 « Venez et plaidons, dit l’Éternel, etc. » — Mais il n’eut pas le temps de les terminer.

Je ne reviendrai pas ici sur les périls qu’il courut dans la Gallicie ; on en trouvera la relation dans l’ouvrage, assez répandu, intitulé : — « Les Juifs d’Europe et de Palestine. » Le Seigneur le délivra de tout danger et des maladies qu’auraient pu occasionner le changement continuel de température et les privations inséparables de voyages semblables au nôtre. Enfin nous traversâmes la Prusse, nous approchant rapidement de notre patrie. Il y avait plus de cinq mois que nous n’avions reçu des lettres d’Écosse, parce qu’ayant changé notre itinéraire sans pouvoir en avertir nos correspondants en temps utile, nos lettres nous avaient été adressées dans les villes où nous avions dû passer primitivement. Aussi allions-nous en avant avec quelque anxiété, bien que nous nous entretinssions souvent avec admiration de toutes les gratuités dont le Seigneur avait usé jusqu’alors à notre égard. Dans une lettre datée de Berlin, Mac-Cheyne faisait les observations suivantes : « Notre Père céleste nous a fait traverser un si grand nombre d’épreuves et de dangers que je suis convaincu qu’il nous soutiendra maintenant jusqu’à la fin. Comme Jean, nous accomplirons notre course. « N’y a-t-il pas douze heures au jour ? » Et ne sommes-nous pas tous immortels jusqu’à ce que nous ayons accompli notre œuvre ? » Ses forces revenaient rapidement, et le voyage avait eu sur sa santé une influence meilleure même que nous n’avions osé l’espérer. A Hambourg il put prêcher devant la congrégation anglaise de M. Rheder, de qui il reçut le premier avis des réveils de Kilsyth et de Dundee. Il en apprit tout juste assez pour soupirer avec ardeur après plus de détails. Peu de jours plus tard, à bord du vaisseau qui nous transportait en Angleterre, il exprima les sentiments qui l’agitaient :

De la Tamise, 6 novembre 1839.

      « Mes bien-aimés parents,

Vous serez réjouis de voir par la date de ma lettre, que je suis en vue des rives de l’heureuse Angleterre. Mon seul désir maintenant est de savoir comment vous allez tous. Depuis Smyrne je manque absolument de vos nouvelles. En vain avons-nous demandé des lettres à Cracovie, à Berlin et à Hambourg. Il faut que vous nous les ayez adressées à Varsovie, et on ne nous les a pas renvoyées à Berlin, ainsi que nous le désirions. M. Calman, André et moi, nous sommes tous très bien, et pénétrés de gratitude envers Dieu qui nous a conduits au travers de tous les dangers. J’espère que notre voyage n’a pas été entièrement infructueux et qu’il en résultera quelque bien pour notre église et pour Israël. Pour la première fois depuis notre départ d’Angleterre, j’ai prêché dimanche dernier à Hambourg, sans que cela m’ait fait le moindre mal ; j’aime donc à espérer que c’est la volonté de mon Père céleste, que je m’emploie encore à l’avancement spirituel de mon cher troupeau. Nous avons appris quelque peu de chose d’un réveil à Kilsyth. Un journal qui nous est tombé sous les mains en faisait mention, en y associant aussi le nom de Dundee, de sorte que j’espère extrêmement qu’une bonne œuvre s’est faite dans notre église, que la rosée d’En-haut a rafraîchi et vivifié nos paroisses, et que les troupeaux dont les pasteurs étaient éloignés ont eu également leur part dans ces bénédictions. Nous ignorons complètement les faits, et vous pouvez imaginer notre soif de les apprendre. . . . . . . . . . . . . . .

En ce moment nous dépassons Woolwich ; dans une heure nous serons à Londres. Nous désirons avec ardeur d’arriver chez nous, mais je suppose que nous ne pourrons guère partir avant la semaine prochaine. Je ne pensais pas vous revoir jamais en ce monde ; maintenant j’ai l’espoir de vous embrasser bientôt.

Votre affectionné fils, etc. »

Le jour de notre arrivée à Londres fut assez singulier. Nous avions peine à réprimer notre impatience d’entendre le récit des événements qui se sont accomplis en Écosse dans les derniers mois ; et nous étions à la lettre tiraillés entre notre désir de connaître l’œuvre merveilleuse du Seigneur, et celui de nos amis qui ne se pouvaient lasser d’entendre nos relations du pays de la promesse, des tribus dispersées d’Israël, et qui nous accablaient de questions. Je n’ajouterai rien ici sur la réception que l’on fit à la députation et sur les fruits de son travail, le récit en ayant déjà été publié autre part.

On se figurera sans peine avec quel intérêt Mac-Cheyne entendit raconter ce qui s’était passé à Dundee pendant le mois d’août, au moment même où il était couché à Bouja sur un lit de douleur. Le Seigneur avait réalisé ses espérances et répondu à ses supplications. Voici ce qui s’était passé : M. Burns, son remplaçant, avait reçu de Dieu l’honneur d’ouvrir les canaux des cieux à Dundee comme à Kilsyth. Depuis quelque temps déjà, M. Burns avait observé, chez plusieurs de ses auditeurs jusqu’alors assez indifférents, quelques signes d’une attention plus profonde et d’un malaise réel. Toutefois ce fut seulement après son retour de Kilsyth que les cœurs commencèrent à se fondre devant le Seigneur. Le jeudi soir, lendemain de son arrivée, il présida, dans l’église de Saint-Pierre, la réunion habituelle de prières : toutes les âmes, sous l’impression des nouvelles de Kilsyth, semblaient pénétrées d’un sérieux inaccoutumé. A la fin de la réunion M. Burns parla en quelques mots des événements qui l’avaient retenu pendant quelques jours loin de Dundee ; puis il invita toutes les personnes qui sentaient la nécessité de l’œuvre de l’Esprit pour les convertir, à rester après l’issue de la réunion. Cent personnes à peu près demeurèrent, et après une allocution solennelle à ces âmes angoissées, la puissance de Dieu sembla remplir le temple : tous se prirent à sangloter. Le lendemain soir, dans une assemblée pareille, bien des cœurs furent brisés, et un grand nombre de personnes commencèrent à soupirer après le bien-aimé du Père. Comme la veille, ce fut surtout à l’issue de la réunion publique que le bras du Seigneur se révéla. Beaucoup de personnes se pressèrent alors autour de M. Burns : chacun désirait converser avec lui, la plupart pleuraient ; quelques-uns même, incapables de maîtriser la violence de leur émotion, se roulaient à terre en demandant convulsivement grâce. Dès ce moment il y eut des réunions chaque jour pendant plusieurs semaines, la nature extraordinaire de cette œuvre justifiant et nécessitant une activité et des services extraordinaires. La ville tout entière fut ébranlée jusqu’au fond. Beaucoup de croyants ne savaient que penser ; les impies jetaient feu et flammes ; mais la Parole de Dieu prévalut et agit avec une puissance croissante. Il y eut des exemples de familles entières touchées en même temps par la grâce de Dieu, et dont on pouvait trouver chaque membre menant deuil à part, offrant ainsi la réalisation des temps dont parle Zacharie (Zacharie 12.12). Messieurs Baxter, Hamilton, et d’autres hommes de Dieu du voisinage s’empressèrent de venir donner à cette belle œuvre l’appui de leurs lumières et de leur activité. Messieurs Roxburgh et Lewis, après l’avoir examinée avec autant d’impartialité que de jugement, témoignèrent qu’elle était réellement de Dieu. Enfin le docteur Mac-Donald, de Ferintosh, chrétien réputé pour sa connaissance des réveils et sa perspicacité à en découvrir la nature, vint également et donna à celui de Dundee le sceau de sa vieille expérience ; tellement qu’il profita du bon vouloir de M. Lewis, pour prêcher pendant dix jours consécutifs, dans l’église de Saint-David, à des multitudes affamées et altérées de vérité. Au milieu de tant de personnes si subitement réveillées de leur sommeil de mort, il était encore impossible de déterminer le nombre de celles qui avaient été réellement amenées à Christ. Au retour de Mac-Cheyne il y avait encore des conversions isolées, semblables aux dernières gouttes d’une ondée rafraîchissante.

Tel fut en substance ce qu’il apprit avant d’arriver à Dundee. Son cœur en tressaillait de joie. Aucun sentiment d’envie ne vint corrompre le bonheur qu’il éprouvait en voyant un autre instrument aussi remarquablement honoré dans le lieu où lui-même avait travaillé au milieu de tant de larmes et de tentations. Ce trait montre la grandeur et la beauté de son caractère chrétien : il se réjouissait sincèrement de l’œuvre du Seigneur, alors même qu’il n’en avait pas été l’instrument. Enfin il rentra dans son cher Dundee, louant et adorant Dieu.

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